AT II, 569

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XXX.

MON REVEREND PERE,
I’ay esté bien aise d’apprendre vostre retour, et ie commençois à estre en peine pour vostre santé, pource que ie ne recevois point de vos nouvelles. Il est mort icy depuis peu deux hommes que vous connoissiez, Heylichman, et Hortensius, sans conter mon bon amy M. Reversy, qui mourut ce Caresme ; ainsi on n’a que faire d’aller à la guerre pour trouver la mort. I’ay enfin receu les deux Exemplaires du Livre de Veritate, que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer, l’un desquels ie donneray à M. Bennius en vostre nom à la premiere commodité, pource que c’a esté ce me semble vostre intention ; Ie n’ay maintenant aucun loisir de le lire : c’est pourquoy ie ne vous en puis dire autre chose, sinon que lors que ie l’ay vu cy devant en Latin, i’y trouvay au commencement plusieurs choses que ie iugeois fort bonnes, et où il témoigne sçavoir plus de Metaphysique que le commun ; Mais pource qu’il me sembloit en suitte, qu’il méloit la Religion avec la Philosophie, ce qui est entierement contre mon sens, ie ne le lûs pas iusqu’à AT II, 571 la fin, et ce fut tout ce que i’en écrivis à M. Esding qui me l’avoit envoyé. I’ay dessein de le relire si-tost que i’auray loisir de voir quelques Livres, et ie liray aussi le Philolaüs en ce temps-là ; mais pour Clerselier II, 179 maintenant, i’estudie sans aucun Livre. L’étincellement des Estoiles se peut fort bien rapporter à la vivacité de leur Lumiere, qui les fait paroistre beaucoup plus grandes qu’elles ne sont. Ie tiens vostre Experience, (que l’eau qui sort d’un tuyau de neuf pieds, par un trou de mesme grandeur, que celle qui sort d’un tuyau d’un pied, doit sortir trois fois presque plus viste etc) trés-veritable, en y adjoûtant toutesfois presque, à cause de l’opinion que i’ay, de la Nature de la Pesanteur, suivant laquelle, lors que le mouvement d’un Cors pesant qui descend, est parvenu à certain degré de vitesse, il ne s’augmente plus du tout.

Mais laissant cela à part, et supposant comme Galilée et plusieurs autres, que la vitesse des Cors qui descendent, s’augmente en mesme raison que l’Espace qu’ils parcourent, vostre experience est aisée à demonstrer ; et en voicy la façon. Soit le Tuyau ABC plein d’eau iusques à C, il faut considerer que l’eau qui sort par A, vient du haut C, et que si tout ce Tuyau estoit vuide, et qu’il y eust seulement une goutte d’eau vers C, qu’on laissast tomber vers A, et une autre vers B, qu’on laissast aussi tomber vers A, dont la partie AB soit 1/9 d’AC, et qu’il y ait seulement deux gouttes d’eau dans ce Tuyau, l’une vers C, et l’autre vers B, qui descendent separément, en telle sorte qu’elles se rencontrent, et se ioignent ensemble, lors qu’elles arrivent au poinct A, il est evident que la goutte d’eau qui viendra du poinct C, estant parvenuë au poinct A, aura neuf fois plus de vitesse, que celle qui viendra du poinct B, et en suite que la vitesse de ces deux gouttes iointes ensemble au poinct A, sera moyenne proportionnelle entre 1. et 9. c’est à dire triple.

Mais i’ay envie d’examiner plus AT II, 572 particulierement à quelqu’heure, tout ce qui appartient à cette Matiere des Mouvemens de l’eau ; et afin que ie ne sois pas contraint cy-aprés de me dédire, de ce que i’aurois icy ecrit, ie n’en diray pas davantage. La façon dont ie conçoy que la flamme d’une Clerselier II, 180 chandelle, la lumiere d’un ver luisant, etc. presse la Matiere subtile en ligne droite vers nos yeux, est la mesme, dont ie conçoy qu’une Pierre qui est tournée en rond dans une fronde, presse le milieu de cette fronde, et tire la corde en ligne droite, par la seule force de son mouvement Circulaire. Car la Matiere subtile qui est autour d’une chandelle, ou d’un ver luisant, se meut aussi en rond, et tend à s’éloigner de là, et y laisser un espace vuide, c’est à dire un espace qui ne soit remply que de ce qui pourra y venir d’ailleurs. En mesme façon on peut concevoir comment la Matiere subtile presse les Cors Terrestres vers le AT II, 573 centre de la Terre, par cela seul qu’elle se meut Circulairement autour de cette terre, laquelle n’a pas besoin d’estre au milieu du monde pour ce sujet : Mais il suffit qu’elle soit le centre du mouvement Circulaire de toute la Matiere subtile, qui est depuis la Lune iusques à nous, pour faire que tous les Cors Terrestres qui sont en cet Espace, tendent vers la Terre. Ie veux bien croire qu’on fera monter l’eau de dix-huit toises, ou plus, et on peut trouver plusieurs inventions pour ce sujet ; Mais ie ne croy pas qu’il soit aisé d’en trouver de plus durables, ou plus commodes pour l’usage, que celles qui sont desia trouvées. C’est bien sans doute que les Mouvemens perpetuels dont vous m’écrivez, sont impossibles ; Ainsi que la proposition de ce Faiseur d’Escrevisses, qui veut demonstrer les misteres de la Religion par la Chymie, est ridicule. Ie suis,
M. R. P.
Vostre tres-humble, et tres-acquis
serviteur, DESCARTES.