Clerselier II, 181 AT II, 683 AT II, 583

A MONSIEUR *****.

LETTRE XXXI.

MONSIEUR,
Si vous n’aviez iamais dit aucun bien de moy, ie n’aurois peut-estre iamais eu de familiarité avec aucun Prestre de ces quartiers, car ie AT II, 684 n’en ay qu’avec deux, dont l’un est M. Bannius, de qui i’ay acquis la connoissance, par l’estime qu’il avoit oüy que vous faisiez du petit traitté de Musique qui est autresfois eschappé AT II, 584 de mes mains ; Et l’autre, est son intime Amy, M. Bloemert, que i’ay aussi connu par mesme occasion. Ce que ie n’écris pas à dessein de vous en faire des reproches : car au contraire ie les ay trouvez si braves gens, si vertueux, et si exempts des qualitez pour lesquelles i’ay coustume en ce païs d’éviter la frequentation de ceux de leur robe, que ie conte leur connoissance entre les obligations que ie vous ay ; Mais ie suis bien aise d’avoir ce pretexte, pour excuser un peu l’importunité de la priere que i’ay icy à vous faire en leur faveur. Ils desirent une grace de son Altesse, et pensent la pouvoir obtenir de sa clemence par vostre intercession ; Ie ne sçay point le particulier de leur affaire ; mais si vous permettez à M. Bleomert de vous en entretenir, ie m’assure qu’il vous l’exposera en telle sorte, que vous ne trouverez rien d’incivil en sa Requeste, ny moins de prudence et de raison en ses discours, qu’il y a d’art et de beauté dans les airs que compose son Amy ; Et ie diray seulement icy, que ie croy les avoir assez frequentez, pour connoistre qu’ils ne sont pas de ces simples, qui se persuadent qu’on ne peut estre bon Catholique, qu’en favorisant le party du Roi qu’on nomme Catholique, ny de ces Seditieux qui le persuadent aux simples ; et qu’ils sont trop dans le bon Clerselier II, 182 sens, et dans les maximes de la bonne Morale. A quoy i’adjeuste qu’ils sont icy trop accommodez, et trop à leur aise, dans la médiocrité de leur condition Ecclesiastique, et qu’ils cherissent trop leur liberté, pour n’estre pas bien affectionnez à l’Estat dans lequel ils vivent. Que si on leur impute à crime d’estre Papistes, ie veux dire de recevoir leur Mission du Pape, et de le reconnoistre en mesme façon que font les Catholiques de France, et de tous les autres Païs où il y en a, sans que cela donne AT II, 685 de ialousie aux Souverains qui y commandent, c’est un crime si commun, et si essentiel à ceux de leur profession, que ie ne me sçaurois persuader, qu’on le veüille punir à la rigueur, en tous ceux qui en sont coupables ; Et si quelques uns en peuvent estre exceptez, ie m’assure qu’il n’y en a point qui le meritent mieux que ceux-cy, ny pour qui vous puissiez plus utilement vous employer envers Son Altesse ; Et i’ose dire, que ce seroit un grand bien pour le Païs, que tous ceux de leur Profession leur ressemblassent. Vous trouverez peut-estre estrange, que ie vous écrive de la sorte de cette affaire, principalement si vous sçavez que ie le fais de mon mouvement, sans qu’ils m’en ayent requis, et nonobstant que ie iuge qu’ils ont plusieurs autres Amis, dont ils peuvent penser que les prieres auroient plus de force envers vous, que les miennes, et mesme que ie sçay que l’un d’eux vous est tres-connu ; Mais ie vous diray, qu’outre l’estime tres particuliere que ie fais d’eux, et le desir que j’ay de les servir, ie considere aussi en cecy mon propre interest : car il y en a en France, entre mes Faiseurs d’Objections, qui me reprochent la demeure de ce Païs, à cause que l’exercice de ma Religion n’y est pas libre ; Mesme ils disent que ie ne suis pas en cela si excusable, que ceux qui portent les armes pour la deffense de cét Estat ; pource que les Interests en sont AT II, 586 ioints à ceux de la France, et que ie pourrois faire par tout ailleurs le mesme que ie fais icy ; A quoy ie n’ay rien de meilleur à repondre, sinon qu’ayant icy la libre Frequentation et l’Amitie de quelques Ecclesiastiques, ie ne sens point que ma conscience y soit contrainte ; Clerselier II, 183 Mais si ces Ecclesiastiques estoient estimez coupables, ie n’espere pas en trouver d’autres plus innocens en ce Païs, ny dont la Frequentation soit plus permise à un homme qui aime si passionnément le repos, qu’il veut éviter mesme les ombres de tout ce qui pourroit le troubler, mais qui n’est pas pour cela moins passionné pour le service de tous ceux qui luy témoignent de l’affection, et vous m’en avez desia témoigné en tant d’occasions, qu’encore que ie ne pourrois rien obtenir de vous en celle-cy, ie ne laisserois pas d’estre toute ma vie, etc.