Clerselier III, 558 AT I, 38

RESPONSE DE MR FERRIER
à Monsieur Descartes.
A Paris le 26. Octobre 1629.

Lettre C.

MONSIEUR,
Parmy tant de rencontres que ma mauvaise fortune oppose à toute heure à mes desseins, ie ne sçaurois recevoir une plus grande consolation que les témoignages que vous me donnez de la continuation de vostre bien-veillance, que ie cheris au delà de tout ce qui se peut dire ; Ie feray tout mon possible pour m’en servir utilement, et tascheray de me tirer d’où ie suis s’il m’est possible, pour pouvoir vacquer plus commodément AT I, 39 à preparer ce qui est necessaire pour le travail des verres, suivant vos bonnes instructions, que ie pense entendre assez bien.

Voyez la fig. p. 555. Et puis qu’il vous plaist m’ordonner de vous en écrire, comme si i’estois en estat de vous instruire de nouveau, ie vous diray donc qu’il me souvient tres-bien de la construction de la machine que vous m’avez cy-devant decrite, laquelle consiste en trois pieces principales, sçavoir l’axe AB, qui tournoit en rond ; la piece CD, qui se mouvoit au travers de l’axe AB ; et le cylindre EF, qui couloit entre les deux planches GH et IK, et devoit tailler le verre avec l’une de ses extremitez E ou F. A present vous desirez que cette machine serve seulement pour tailler des lames d’acier de la figure qu’est Pnom, pour servir comme le fer d’un Rabot, en sorte que Pno, qui doit estre la partie tranchante, soit taillée selon la ligne qu’on desire. Vous voulez qu’on retienne de la machine precedente l’axe AB et la piece Clerselier III, 559 CD, et que cette piece demeure ferme avec l’axe AB, en sorte qu’il n’y ait que le mouvement circulaire en toute la machine, et qu’on ne se serve plus du cylindre EF ; dautant que lors qu’on tourne l’axe AB, la partie de CD qui se rencontre entre les deux planches, à sçavoir L, y décrit exactement vostre AT I, 40 ligne ; et appliquant la lame nm ferme entre les deux planches, contre la partie L de la piece CD, elle prend la figure que cette partie L luy donne ; C’est pourquoy cette partie L doit avoir la forme, et doit estre de matiere propre pour limer et user la lame Pno de la figure qu’on desire ; et quand cette lame est ainsi limée et usée, il faut appliquer un autre bout à l’endroit L, qui puisse en adoucir et aiguiser uniment le tranchant.

Il me semble que ces lames peuvent estre taillées par les deux bouts, pour servir aux deux lignes necessaires, mais ie croy qu’il faut deux differentes machines en grandeur, et que le costé M de la premiere lame peut servir à tailler les roües pour faire le concave des verres, et le costé Pno le convexe.

Ie trouve une difficulté en cét endroit, sur ce que vous desirez que la piece CD demeure ferme à l’axe AB, et qu’il n’y ait que le mouvement circulaire en toute la machine, et que vous dites en suitte, que la partie de la piece CD, qui se rencontre entre les deux planches GH et IK, à l’endroit L, donnera la figure hyperbolique requise, à la lame nm, estant appliquée fermement entre les deux planches ; ACar vous ne dites pas qu’il soit besoin que la piece CD soit prolongée vers B, et qu’elle passe au delà de l’épaisseur des deux planches, qui pour cét effet doivent estre refenduës plus que de l’épaisseur de la piece CD, et à peu prés de la grandeur AT I, 41 de la Clerselier III, 560 ligne qui se trace sur la lame Pno, ainsi qu’il est marqué dans cette figure. Car si la piece CD n’a le mouvement libre au travers de l’axe AB, il ne se peut faire qu’en tournant l’axe AB, cette piece ne hausse et ne baisse, comme le cylindre de la premiere machine la contraignoit de faire ; Et tournant ainsi circulairement, estant attachée fermement à l’axe AB, elle ne sçauroit toucher sur le plan des planches qu’en un point au milieu, à l’endroit de l’axe de la ligne requise, au point n, à moins qu’on ne haussast la lame nm pardessus les planches et le point L. Mais si une foisB toutes choses sont bien disposées, pour pouvoir tailler les lames nm, suivant la ligne hyperbolique concave Pno, ainsi qu’il est representé dans la seconde lame, en sorte qu’elles puissent servir à faire prendre à la roüe q la mesme ligne hyperbolique convexe, ie ne doute point qu’en changeant seulement la disposition de la piece CD, et la faisant pancher, par exemple, de droite à gauche, au lieu qu’elle estoit auparavant panchée de gauche à droite, ie ne doute point, dis-ie, qu’en faisant mouvoir la machine comme auparavant, on ne puisse tailler, à l’autre extremité des lames nm, d’autres lignes hyperboliques convexes, semblables à la ligne hyperbolique concave Pno, qui pourront servir à donner à d’autres roües q la forme hyperbolique concave. Car entre les lignes Pno, qui se peuvent faire sur les lames d’acier nm, à l’opposite l’une de l’autre, celles qui sont propres à tailler le concave des roües q, n’ont en soy que la ligne du convexe ; et celles qui peuvent tailler le convexe des roües, n’ont en soy que la ligne du concave. Ie remarque AT I, 42 encore, que suivant vostre instruction les roües qui servent à tailler les verres concaves doivent estre plus petites que les autres ; mais il me semble que cela seroit inutile à vostre dessein, et qu’il faudroit differentes machines, selon les differentes grandeurs, pour tracer les deux lignes necessaires.

CIl me semble aussi qu’il n’est pas necessaire de faire deux planches, il sera plus facile d’ajuster à une seule les lames Clerselier III, 561 nm, suivant la ligne vx, que si elles estoient couvertes d’une autre planche ; et ces lames se peuvent plus aisément affermir par des vis, ou autres inventions qui me sont assez communes à inventer, que par des planches.

Ie remarque encore, touchant les deux figures de la roüe q que vous m’avez envoyées, qu’il ne faut pas dans la premiere figure que la lame nm soit representée couchée comme elle est sur le plat ; Car vous avez representé cette roüe dans cette premiere figure pour estre veuë en sa largeur, et non pas en son épaisseur ; c’est pourquoy il faut seulement presenter à la veuë l’épaisseur de la lame nm, et non pas le plat ou sa largeur ; Mais dans la seconde figure il est necessaire de faire paroistre la largeur de la lame, parce que la roüe y paroist en son épaisseur.

DIe trouve en suitte une autre difficulté, sçavoir, que pour donner un tranchant uny à la lame nm, vous AT I, 43 voulez qu’on fasse d’autres pieces semblables à CD, en longueur et épaisseur, mais taillées diversement, pour ébaucher et achever la ligne necessaire. Ie trouve tres-difficile de les pouvoir faire tellement semblables, qu’elles puissent convenir l’une à la place de l’autre, pour les attacher à l’axe AB sans prendre une nouvelle inclination, si l’on ne trouve moyen de le pouvoir faire, et de rectifier ce qui pourroit l’empescher ; Et mesme par la friction qui se fait de ces choses, où le dur frotte contre le moins dur, il se fait voye entre deux par la limaille qui en sort, ce qui empesche que l’inclination requise se puisse conserver, si l’on n’approche sans cesse ces choses Clerselier III, 562 l’une contre l’autre, à proportion de la resistance du fort contre le faible.

D’ailleurs au lieu des petites limes d’acier qu’il faut appliquer au point L de la piece CD, il est necessaire d’y appliquer des pierres à aiguiser pour donner le dernier tranchant aux lames nm ; Or ces pierres doivent estre douces, et partant elles diminuent facilement, et s’usent à l’ouvrage, en rencontrant des choses plus dures qu’elles, comme sont ces lames nm ; Car bien que ces lames doivent estre trempées apres avoir receu leur premiere figure par ces petites limes, elles ne sont pas neantmoins en estat de coupper ; car apres la trempe, le feu ayant émoussé le vif-arreste du tranchant, il est necessaire de leur en donner un nouveau par le moyen des pierres à aiguiser.

Ie vous supplie, Monsieur, de me donner vostre avis sur ce qui se peut faire pour rectifier les inconveniens que i’apprehende en ces applications.

Apres, vous souhaitteriez que l’on choisist quelque AT I, 44 matiere douce qui fust propre à manger et polir le verre, comme sont certaines pierres semblables à de l’ardoize, dont on se sert à faire un tranchant fort delicat, et vous voudriez qu’on en fist la roüe q, comme les roües des Emouleurs de couteaux, et qu’appliquant contre, une ou plusieurs lames d’acier semblables à nm, on luy donnast tout autour exactement selon son épaisseur la figure de la ligne Pno, en tournant la roüe q sur son centre, comme il est marqué dans vos deux fig. qui les font voir de deux divers sens. Et cette roüe ainsi taillée, vous voudriez qu’on appliquast contre, le verre R, mis sur le tour ordinaire S, et qu’il tournast sur son centre, pendant qu’en mesme temps la roüe q tourneroit aussi sur le sien ; Et cela estant, cette roüe caveroit le verre selon la ligne Pno tres-exactement, par le moyen de ces deux mouvemens differens, et mangeroit le centre du verre aussi bien que les extremitez.

Et afin que cette roüe, qui doit estre de matiere douce, Clerselier III, 563 pust conserver son exacte figure, vous voudriez aussi qu’en mesme temps qu’elle tourneroit pour tailler le verre, la lame nm (une ou plusieurs) demeurast tousiours ferme contre elle, pour l’entretenir dans sa figure. Vous dites aussi que le diametre de la roüe q ne doit point exceder certaine proportion (laquelle vous me faites esperer) mais qu’encore qu’il soit plus AT I, 45 petit, il n’importe ; Enfin vous dites qu’il faut aussi observer que la ligne nm, qui fait le milieu de la lame Pnom, doit estre exactement parallele à l’axe AB de la premiere machine, et que la ligne perpendiculaire qui tomberoit de l’axe AB sur les planches GH et IK tombe iustement sur cette ligne mn. EDe plus, aux dernieres figures il faut que la mesme ligne nm prolongée, passe iustement par le centre de la roüe q, et se rencontre faire une ligne droite avec l’axe RS, sur lequel tourne le verre.

Or, Monsieur, puisque vous me donnez la liberté de vous proposer mes difficultez pour bien entendre vostre dessein, et pour m’instruire, vous me permettrez de vous dire mon opinion sur tout ce que dessus, afin que vous iugiez si ie le comprens ; Ie vous prie mesme de m’excuser, si ie ne m’explique pas assez nettement. Ie dis donc que i’estime avoir clairement compris l’invention de vos machines, comme aussi celle de la roüe q, et la differente façon dont se meuvent la roüe et le verre qui est attaché au tour R S, pour empescher qu’il n’arrive le défaut ordinaire du point en relief, qui se fait dans le centre des verres, en tournant l’axe du modele sur l’axe du verre, à cause que sur ce centre il n’y a point de mouvement qui puisse agir, et qui le puisse manger Clerselier III, 564 et user, comme se mangent et s’usent les autres parties qui s’en éloignent. Toutes ces inventions que vous me donnez ne peuvent venir que de vous. Ie dis seulement qu’il y a telle matiere que vous avez crû pouvoir servir à vos ouvrages, qui n’est pas propre à user et manger parfaitement le verre.

AT I, 46 Premierement, pour la matiere de la roüe q, il n’y a aucune sorte de pierre, quand ce seroit mesme du diaman, qui puisse manger le verre, sans mettre entr’elle et le verre une matiere qui mange, et qui se broye entre deux, comme le grez ou l’aimery, lesquelles choses mangeroient bien plus de la roüe que du verre, comme estant plus tendre ; et à chaque verre l’on useroit une roüe entiere ; Et quelque dureté que la trempe eust donnée aux lames nm qui seroient appliquées contre la roüe, elles s’useroient encore davantage, puisque le verre est plus dur que tout cela. Et de plus ces lames nm ne sçauroient frayer tant soit peu contre aucune sorte de pierre à aiguiser, si douce qu’elle fust, que cette pierre par son mouvement ne mange promptement le tranchant de la figure qui luy auroit esté donnée, et ainsi ce seroit la roüe qui donneroit la figure au fer, au lieu qu’il faut tout le contraire.

Ie me persuade aussi que la roüe q diminuant en sa circonference à mesure qu’elle s’useroit (bien qu’elle puisse conserver la figure necessaire en son épaisseur) creuseroit diversement les verres, les seconds plus que les premiers, et ainsi de suitte, puisque les cercles prés de leurs centres sont moindres et plus voûtez que ceux qui en sont plus éloignez ; FIe ne sçay pas si en cela il pourroit y avoir du défaut pour l’effet des verres, puisque vous m’avez dit qu’il n’importe pas pour la petitesse de la roüe, mais pour la grandeur il y doit avoir, dites-vous, une proportion que vous me faites esperer de me donner.

Nonobstant tout cela, il me semble qu’on peut reparer une partie de ces difficultez par les moyens dont ie AT I, 47 voudrois me servir, que ie soûmets à vostre censure. Ie dis donc en premier lieu, que la maniere de se servir de la seconde machine, pour donner la ligne qu’on desire aux lames nm, est Clerselier III, 565 tres-excellemment inventée, pourveu qu’on trouve moyen de rectifier ce qui deperit de la matiere par la friction du mouvement, soit qu’on s’en serve pour tailler les lames, ou pour tailler la roüe q, que ie voudrois faire de laton ou de fer, afin qu’elle pust conserver plus long-temps la figure que la lame nm luy auroit donnée, et quand sa figure seroit gastée, on la pourroit reparer avec la mesme lame ou une autre semblable. Mais cette roüe q, de laton ou de fer, doit estre posée, et avoir son mouvement au dessus du verre, lequel doit avoir le sien par dessous ; et ie le donneray aussi facilement de cette sorte, que s’il estoit de costé, par une façon que i’ay pensé se pouvoir executer, et faire que la roüe et le verre tourneront diversement et également à la fois par le mouvement du pied, sans qu’il soit besoin d’aucune roüe dentelée, ny de pignon, qui font[G] un mouvement tremblant, à cause des dents de la roüe qui s’engrennent dans celles du pignon. Or il est necessaire que le verre soit ainsi posé, afin que les matieres qu’on met entre deux pour l’user, et que l’on arrouse d’eau ou d’huile, ne soient pas si-tost emportées par le mouvement de la roüe, et se conservent plus longuement dans le creux du verre, que s’il estoit posé de costé contre la roüe q.

De plus, ie preparerois les verres par quelqu’autre voye commune pour leur donner à peu prés la ligne AT I, 48 qu’ils doivent avoir, sans me servir de la roüe ny du tour que pour leur donner la derniere et exacte figure ; Car ie trouve assez d’affaires à bien tailler les lames nm, qui se peuvent dejetter ou courber à la trempe ; outre que ie croy estre tres-necessaire de faire que le plan Pno soit bien droit sur le tranchant, autrement il arriveroit des fautes dans la ligne.

Il me souvient aussi que vous ne m’avez iamais dit qu’il fust necessaire de faire de grands concaves, mais plutost qu’il les faut petits ; Cela estant, ie ne trouve point de difficulté Clerselier III, 566 à faire la roüe (pour petite qu’elle soit) avec son axe tout d’une piece, pour luy donner un mouvement assuré ; Ce qui ne se pourroit faire si la roüe estoit de pierre, à cause que la roüe et l’axe ne pourroit estre que de deux pieces.

Ie n’ay pas compris que les figures des roües q, quoy que disposées de deux divers sens, fussent faites pour tailler les verres convexes ; Car ie croy que pour cela elles doivent estre taillées et creusées en forme de poulie, comme est la figure cy jointe. Et les lames nm, qui les doivent creuser, doivent estre presentées à la lime LD du costé de HI, pour recevoir d’elle leur ligne ou leur figure ; et la lime LD doit estre panchée de G vers I. Et cette sorte de roüe ne sçauroit user le verre convexe en mesme temps que l’autre use le concave ; car il ne fraye contre, que comme une ligne traversante le diametre du verre seulement ; Neantmoins elle mangera tousiours mieux le point qui se fait au milieu, en tournant AT I, 49 l’axe du verre contre celuy du modele concave, comme i’ay dit cy-devant, ce qui servira à disposer le verre à reparer le défaut de la roüe ; Mais H il se peut faire, si le verre convexe est d’une grande estenduë, que l’usage de la roüe sera inutile ; Car comme le frayement est plus grand vers ce qui est loin du centre, que vers ce qui en est prés, la matiere que l’on met entre deux pour user, est traisnée plus long-temps par le cercle aa que par bb, et mange par consequent plus en faisant un grand tour qu’en faisant un petit, et ainsi le verre et le modele se mangent, et perdent leur fig. n’estant pas en unmesme tour usez également. Il est encore à remarquer, que la matiere qu’onmet entre deux pour user le verre, est emportée Clerselier III, 567 incontinent par le mouvement de la roüe, et y demeure moins qu’en l’autre roüe.

Ie vous propose toutes mes difficultez, afin de me pouvoir instruire, et qu’il vous plaise m’en éclaircir, et me mander par mesme moyen, si les verres estant faits, et mis dans des essais, il est necessaire que toutes leurs parties demeurent découvertes, sans amoindrir leur figure par une carte mise au devant, avec un trou moindre que le diametre des verres ; Parce que m’étant voulu servir des petits verres convexes que vous avez veus, pour mettre à une Lunette à puce, i’ay trouvé qu’elle fait mieux n’y laissant qu’un petit espace découvert AT I, 50 milieu, et que les objets se voyent plus distinctement.

Toutes ces difficultez ne m’estonnent pas beaucoup, car avec vostre assistance i’espere les surmonter, et faire voir que ie sçauray mieux faire que dire.

Il me reste encore un doute que ie ne sçaurois laisser en arriere, touchant la maniere requise pour trouver la ligne necessaire par les triangles et mon cadran, qui est de sçavoir si deux triangles de verre d’un mesme Diaphane estant differens, et faisant par consequent differentes refractions sur la ligne divisée qui arreste le rayon audit cadran, on traçoit deux modeles, conformes aux differentes lignes des refractions, sçavoir, dis-ie, si l’effet des deux verres peut estre semblable, comme pour brûler en un point determiné, suivant vos regles.

Vous m’avez enseigné que les triangles peuvent estre construits de tel angle que l’on veut à discretion, ie ne sçaurois en faire l’épreuve, car les triangles que i’ay à present sont tous semblables ; ie vous supplie de me resoudre ce point. Ie sçay bien aussi que vous m’avez dit que tous les petits verres concaves peuvent servir à tout grand verre convexe. I’ay perdu un morceau de papier sur lequel vous Clerselier III, 568 m’aviez tracé la façon de décrire la ligne requise avec le compas ordinaire, en cherchant plusieurs points par où elle doit passer.

Monsieur Mydorge propose unmoyen qu’il a de tracer la ligne necessaire pour brûler à un point qu’il determinera à tout verre donné, sans rien perdre de son diametre, ny de son épaisseur au milieu, et dit que luy seul en a trouvé l’invention ; Ie sçay que ce secret AT I, 51 ne vous est pas inconnu, et que led. sieur n’en sçait que ce que vous luy en avez appris. Si vous iugiez que ie peusse le comprendre, vous m’obligeriez grandement de me le communiquer à vostre commodité. Mais il adjoûte qu’on luy fournisse un homme qui sçache tailler le verre exactement. I’estime cette derniere condition autant difficile que tout le reste, s’il ne fait forger de nouveaux ouvriers faits exprés et de commande, n’estimant pas qu’il en trouve à sa mode pour le present. Il m’estime si peu, qu’il ne croit pas que i’aye assez d’esprit pour entendre et entreprendre de moindres choses, puis qu’il le dit enma presence. I’avoüe mon insuffisance, qui doit estre excusée, n’ayant iamais esté instruit en quoy que ce soit que par vous, Monsieur, à qui ie veux devoir toutes choses. Ce mépris neantmoins ne sçauroit tellement me rebuter, que ie ne sente assez d’inclination enmoy, pour goûter et comprendre les véritables connoissances des sciences qui me pourroient estre communiquées par des personnes de vostre merite, tant i’ay d’ambition de me faire connoistre par quelque chose au delà du commun ; ce qui me donne quelque sorte de courage pour chercher les moyens de surmonter beaucoup de difficultez qui se rencontrent dans les operations des ouvrages exquis. Ne faites pas, s’il vous plaist, pareil iugement de moy qu’en fait Monsieur Mydorge ; i’espere tant de vostre affection, que vous voudrez bien avoir le contentement de sçavoir que vous m’aurez donné tout ce que ie possederay ; et si ma mauvaise fortune m’oste les moyens d’en user utilement, AT I, 52 elle ne m’ostera pas l’affection que i’ay de reconnoistre par mes tres-humbles services les Clerselier III, 569 infinies obligations que ie vous ay, et d’avoüer par tout cette verité.
Ie suis,