AT I, 19 MONSIEUR,
Ie vous ay tant d’obligation du souvenir qu’il vous plaist avoir de moy, et de l’affection que vous me témoignez, que i’ay regret de ne la pouvoir assez meriter ; Excusez et mon peu d’esprit, et les divertissemens qui me portent à d’autres pensées, si ie ne puis satisfaire à vostre question, sçavoir, pourquoy il est plus permis de passer de la dixiéme mineure à la sexte majeure, que des tierces à l’octave. Sur quoy ie vous diray neantmoins, qu’il me semble que ce qui rend le passage d’une consonance à l’autre agreable, n’est pas seulement que les relations soient aussi consonantes, car cela ne se peut ; mesme quand il se pourroit, il ne seroit pas agreable, dautant que cela osteroit toute la diversité de la Musique ; Et d’ailleurs touchant les mauvaises relations, il ne faut presque considerer que la fausse quinte, et le triton ; car les 7. et 9. se AT I, 20 rencontrent presque tousiours, lors qu’une partie va par degrez conjoints. Mais ce qui empesche qu’on ne peut aller de la tierce à l’octave, est à cause que l’octave est une des consonances parfaites, lesquelles sont attenduës de l’oreille, lors qu’elle entend les imparfaites ; Mais lors qu’elle entend les tierces, elle attend la consonance qui leur est la plus proche, à sçavoir, la quinte ou l’unison ; de sorte que si l’octave survient au lieu, cela la trompe, et ne la satisfait pas. Mais il est bien permis de passer des tierces à une autre imparfaite ; Car encore que l’oreille n’y trouve pas ce qu’elle attend, pour y arrester son attention, elle y trouve cependant quelqu’autre varieté qui la recrée, ce qu’elle ne trouveroit pas en une consonance parfaite, comme est l’octave.
Clerselier III, 585 I’ay appris de Monsieur Ferrier combien vous m’aviez obligé en sa personne, et encore qu’il y ait beaucoup plus de choses en luy, qui vous peuvent convier à procurer son avancement, que ie n’en reconnois en moy pour meriter l’honneur de vos bonnes graces, ie n’eus pas laissé de reconnoistre que c’est moy qui vous suis redevable des faveurs qu’il a receuës ; non seulement à cause que ie l’aime assez pour prendre part au bien qui luy arrive, mais aussi pour ce que mon inclination me porte si fort à vous honorer et servir, que ie ne crains pas de devoir à vostre courtoisie, ce que i’avois voüé à vos merites. Et de plus, ie suis bien-aise de me flater, en me persuadant que i’ay l’honneur d’estre en vostre souvenir, et que vous dai AT I, 21 gnez faire quelque chose en ma consideration ; Ce qui me fait avoir meilleure opinion de moy, et me donne tant de vanité, que i’ose entreprendre de vous recommander plus particulierement le mesme sieur Ferrier, en vous assurant qu’outre qu’il est tres-honneste homme, et extremement reconnoissant, ie ne sçache personne au monde, qui soit si capable que luy, de ce à quoy il s’employe. Il y a une partie dans les Mathematiques, que ie nomme la science des miracles, pour ce qu’elle enseigne à se servir si à propos de l’Air et de la Lumiere, qu’on peut faire voir par son moyen toutes les mesmes illusions, qu’on dit que les Magiciens font paroistre par l’aide des Demons ; Cette science n’a iamais encore esté pratiquée, que ie sçache, et ie ne connois personne que luy qui en soit capable ; Mais ie tiens qu’il y pourroit faire de telles choses, qu’encore que ie méprise fort de semblables niaiseries, ie ne vous celeray pas toutesfois, que si ie l’avois pû tirer de Paris, ie l’aurois tenu icy exprés pour l’y faire travailler, et employer avec luy les heures que ie perdrois dans le jeu, ou dans les conversations inutiles.
AT V, 549 I’ay esté ravy de voir par la Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, que vous me conseillez de AT V, 550 voir le commencement du septiéme chapitre du premier Livre des Meteores d’Aristote, pour servir à ma defense. Car c’est un Clerselier III, 586 lieu que i’ay cité à la fin de ma Philosophie, et le seul d’Aristote que i’aye cité. Ainsi ce ne m’est pas une petite preuve de vostre affection, de voir que vous me conseillez iustement la mesme chose, dont i’ay crû me devoir servir. Pour la censure de Rome, touchant le mouvement de la Terre, ie n’y voy aucune apparence ; Car ie nie tres-expressément ce mouvement. Ie croy bien que d’abord on pourra iuger que c’est de parole seulement que ie le nie, afin d’éviter la censure, à cause que ie retiens le systeme de Copernic ; Mais lors qu’on examinera mes raisons, ie me fais fort qu’on trouvera qu’elles sont serieuses et solides, et qu’elles monstrent clairement, qu’il faut plustost dire que la terre se meut, en suivant le systeme de Tycho, qu’en suivant celuy de Copernic, expliqué en la façon que ie l’explique : Or si on ne peut suivre aucun de ces deux, il faut revenir à celuy de Ptolomée, à quoy ie ne croy pas que l’Eglise nous oblige iamais, veu qu’il est manifestement contraire à l’experience ; Et tous les passages de l’Escriture, qui sont contre le mouvement de la terre, ne regardent point le systeme du monde, mais seulement la façon de parler ; en sorte que prouvant, comme ie fais, que pour parler proprement, il faut dire que la terre ne se meut point, en suivant le systeme que i’expose, ie satisfais entierement à ces passages. Mais ie ne laisse pas de vous avoir beaucoup d’obligation, de m’avoir adverty de ce qui peut estre contre moy.
AT V, 551 La raison pour laquelle ie croy qu’une corde tenduë, ou un arc, ou un ressort retourne en sa direction, est que la matiere subtile qui coule continuellement, ainsi qu’un torrent, par les pores des corps terrestres, ne trouvant pas si libre passage dans ces pores que de coustume, fait effort pour les remettre en leur estat ordinaire. Par exemple, si les pores d’un morceau d’acier trempé sont tout ronds, lors qu’il est droit, et iustement de la grandeur qu’il faut, pour donner passage aux parties de la matiere subtile, que i’imagine aussi estre rondes, ils deviendront ovales, lors qu’il sera plié ; et ces parties de la matiere subtile pressant les bords Clerselier III, 587 de ces ovales, en l’endroit où elles sont le plus estroittes, feront effort pour leur rendre leur premiere figure, etc. Vous avez fort bien pris mon sens, en ce que i’avois écrit de l’étenduë des superficies, à sçavoir, que l’air resiste plus à la mesme quantité de matiere, selon qu’elle est plus ou moins estenduë en ses superficies ; car ie ne considere aucune inertie absolute loquendo, ou selon la nature de la chose, mais seulement ayant égard aux corps circonjacens. Ainsi, lors que ie dis, que plus un corps est grand, mieux il peut transferer son mouvement aux autres corps, et peut moins estre meu par eux, ma raison est, qu’il les pousse tout entiers vers un mesme costé ; au lieu que les petits corps qui l’environnent, ne peuvent iamais si bien s’accorder tous ensemble à le pousser tous au mesme instant en mesme sens, et le poussant, l’un une de ses parties d’une façon, l’autre une autre partie d’une AT V, 552 autre façon, ils ne le font pas tant mouvoir. Ie vous prie de me continuer l’honneur de vos bonnes graces, et de me croire, etc.