AT III, 591

AU R. P. MERSENNE.
Du 17. Mars 1642.

Lettre CXIII.

MON REVEREND PERE,
La Lettre du Pere Vatier n’est que pour m’obliger, car il y témoigne fort estre de mon party, et dit qu’il a desavoüé de cœur et de bouche ce qu’on avoit fait contre moy, et adjoûte encore ces mots : Ie ne sçaurois m’empescher de vous confesser que suivant vos Principes vous expliquez fort clairement le mystere du saint Sacrement de l’Autel, sans aucune entité d’accidens. Le sujet de sa Lettre est sur ce qu’il suppose qu’on m’a dit qu’il avoit eu dessein de censurer mes écrits, à quoy ie luy répons que ie n’en ay iamais oüy parler, ny n’en ay eu aucune opinion.

Pour la raison qui fait que l’eau descend et le vin monte en deux bouteilles posées l’une sur l’autre, elle ne vient que de ce que l’eau est un peu plus pesante, et AT III, 592 que ses parties sont de telle nature qu’elles coulent facilement contre celles du vin, sans toutesfois se mesler entierement avec elles, ainsi qu’on voit en jettant une goutte de vin clairet dans de l’eau ; Car on voit qu’elle se separe en plusieurs petits filets qui se répandent çà et là avant que de se confondre entierement avec l’eau ; Mais le mesme n’est pas de l’air, dont les parties sont de nature si differente de celles de Clerselier III, 608 l’eau, qu’elles ne peuvent pas ainsi se mesler ensemble ; Mais quand il y a de l’air sous de l’eau, il s’assemble en rond et fait une boule assez grosse, comme fait aussi l’eau quand elle est sur l’air, et pour ce que ces deux boules ne peuvent passer en mesme temps par le goulet d’une bouteille, lors qu’il est fort estroit, de là vient que l’eau qui est dedans n’en peut sortir.

Ie ne voy rien de meilleur pour convaincre ceux qui soûtiennent qu’un corps passe par tous les degrez de vitesse lors qu’il commence à se mouvoir, que de leur proposer deux corps extremement durs, l’un fort grand, qui se meuve par la force qu’on a imprimée en luy en le poussant, en sorte que la cause qui a commencé à le mouvoir n’agisse plus, comme un boulet de Canon vole en l’air apres avoir esté chassé par la poudre ; et un autre fort petit, qui soit suspendu en l’air dans le chemin par où passe ce plus grand ; et leur demander s’ils pensent que ce grand corps, par exemple, le boulet de canon A, estant poussé avec grande violence vers B, doit chasser devant soy ce corps B, qui ne tient à rien qui l’empesche de se mouvoir. Car s’ils disent que ce boulet de Canon se doit AT III, 593 arrester contre B, ou refléchir de l’autre costé, à cause que ie suppose ces deux corps extremement durs, ils se rendront ridicules, pour ce qu’il n’y a aucune apparence que leur dureté empesche que le plus gros ne pousse le plus petit ; et s’ils avoüent qu’A doit pousser B, ils doivent avoüer par mesme moyen, qu’il se meut dés le premier moment qu’il est poussé, de mesme vitesse que fait A, et ainsi qu’il ne passe point par plusieurs degrez de vitesse ; Car s’ils disent qu’il se doit mouvoir fort lentement au premier moment qu’il est poussé, il faudra que A, qui luy sera joint, se meuve aussi lentement que luy ; Car estant tous deux fort durs, et se touchant l’un l’autre, celuy qui suit ne peut aller plus viste que celuy qui precede. Mais si celuy qui suit va fort lentement pendant un seul moment, Clerselier III, 609 il n’y aura point de raison qui luy fasse par apres reprendre sa premiere vitesse, à cause que la poudre à Canon qui l’avoit poussé n’agit plus ; et quand un corps a esté un moment sans se mouvoir, ou à se mouvoir fort lentement, c’est autant que s’il y avoit esté plus long temps.

Où i’ay calculé la force du mail, i’ay supposé que la premiere fois il estoit meu de certaine vitesse, qui diminuoit au moment qu’il touchoit la boule, et qu’à la seconde fois il estoit meu de mesme vitesse que la premiere, avant que de toucher la boule, et qu’en la touchant son mouvement diminuoit moins, à cause qu’il trouvoit moins de resistance ; mais il faut aussi supposer que l’air n’aide ny ne nuit point à ces mouvemens. Ie n’ay plus de loisir que pour vous dire que
Ie suis,