AT III, 480

AU R. PERE MERSENNE.

Lettre CXIV.

MON REVEREND PERE,
Ie vous envoye ma Reponse au Reverend Pere Gibieuf, ie l’ay fermée seulement par bien-sceance, car il n’y a rien que tout le monde ne puisse voir ; Et si vous témoignez avoir envie de sçavoir ce que ie repons au Reverend Pere de la Barde, ie ne doute point qu’il ne vous le monstre. Pour les Iesuites, ie ne voy point encore bien clair en leur fait ; I’ay receu les billets du Pere Bourdin, AT III, 481 qui monstrent qu’ils ne cherchent pas un accommodement, et pendant qu’ils n’agiront avec moy que par luy, ie ne croiray pas qu’ils veüillent la paix, aussi ne suis-ie pas resolu de taire au public ce qui se passera entr’eux et moy. Vous pouvez bien leur donner parole que ie n’ay aucune dessein d’écrire contre eux, c’est à dire, d’user d’injures et de calomnies pour tascher à Clerselier III, 610 les decrediter ; Mais ie vous prie de ne leur pas donner parole que ie ne prendray point un de leurs Cours de Philosophie pour en monstrer les erreurs ; Car au contraire ie veux bien qu’ils sçachent que ie le feray, si ie le iuge utile à faire connoistre la verité, et ils ne le doivent aucunement trouver mauvais, s’ils preferent la verité à la vanité de vouloir estre estimez plus sçavants qu’ils ne sont : Mais i’attens leurs objections pour determiner ce que i’en feray. Monsieur de Zuitlichem ne m’a encore rien envoyé, ie luy écriray dans quatre ou cinq iours, pour le prier de ne retarder pas entre ses mains les objections des Iesuites.

Pour le calcul touchant le mouvement d’une boule de mail frappée plusieurs fois de mesme force, vous l’avez fort bien pris ; Car au premier coup elle reçoit un tiers de la AT III, 482 force du mail, au second un neufiéme, au troisiéme un vingt-septiéme, au quatriéme un 81, et ainsi à l’infiny ; Vous aviez seulement laissé couler une erreur de plume, à sçavoir, que le tiers de treize est quatre et un quart, au lieu que c’est quatre et un tiers, ce qui vous avoit empesché de trouver le conte iuste.

Pour ce que M. Vitus m’objecte touchant la rarefractionrarefaction de l’eau, quand elle se change en vapeur, disant, Sed ei primo declarandum est unde talis ille motus competat, et quæ necessitas tantam violentiam iis imprimens : Deinde in vacuo vel in pleno fit hæc volutatio, etc. Ie répons que cette force ou violence de mouvement est communiquée aux parties de l’eau par la matiere subtile, et qu’elle remplit aussi tout l’espace qu’elles n’occupent pas, et ainsi que leur mouvement se fait AT III, 483 in pleno. Mais ie ne trouve pas estrange que cela luy semble difficile ; Car ie n’ay pas encore assez expliqué la nature de cette matiere subtile, ie tascheray de le faire cy-apres en son lieu, et i’ay oüy faire telle estime de Monsieur Vitus par Monsieur d’Igby, que ie me promets de l’avoir de mon costé.

L’invention du point de reflexion, datis speculo, oculo, et objecto, est un Probleme solide que Vitellion a resolu avec Clerselier III, 611 une hyperbole touchant les miroirs convexes, et il n’y a pas plus de difficulté pour les concaves, de façon que cela ne vaut pas la peine d’estre cherché ; et il y a plus de vingt ans que ie l’ay trouvé, mais ie ne m’en souviens plus.

Au reste i’ay éprouvé ces iours passez un moyen de peser l’air qui m’a assez bien reüssi ; Car ayant une petite phiole de verre, fort legere et soufflée à la lampe, de la figure que vous la voyez icy peinte, de la grosseur d’une petite balle de jeu de paulme, et n’ayant qu’une petite ouverture à passer un cheveu en l’extremité de son bec B, ie l’ay AT III, 484 pesée dans une balance tres-exacte, et estant froide elle pesoit 78 grains et demy ; Apres cela ie l’ay chauffée sur des charbons, puis la remettant dans la balance en la situation qu’elle est icy peinte, c’est à dire, le bec en bas, i’ay trouvé qu’elle pesoit à peine 78 grains, puis plongeant le bec B dans de l’eau, ie l’ay laissée ainsi refroidir, et l’air se condensant à mesure qu’elle se refroidissoit, il est entré dedans autant d’eau que la chaleur en avoit chassé d’air auparavant ; enfin la pesant avec toute cette eau, i’ay trouvé qu’elle pesoit 72 grains et demy plus que devant ; d’où ie conclus que l’air qui en avoit esté chassé par le feu est à l’eau qui estoit rentrée en sa place comme est à , ou bien comme 1 est à 145, mais ie me puis estre trompé en cecy, car il est mal-aisé d’y estre iuste ; Seulement suis-ie assuré que le poids de l’air est sensible en cette façon, et i’ay mis icy mon procedé tout au long, afin que si vous avez la curiosité d’en faire l’épreuve, vous la puissiez faire toute semblable.
Ie suis,