Clerselier III, 622 (béquet) AT IV, 435

A MONSIEUR ***

Lettre CXIX.

AT V, 203 MONSIEUR,
Ie vous remercie tres humblement des Lettres que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer, et des nouvelles dont il vous a plû me faire part. Monsieur Pollot AT IV, 436 me vient d’écrire, qu’il a esté appellé par vostre moyen à la profession en Philosophie et Mathematique de la part de son Altesse. Ie me réjouïs d’apprendre qu’on veüille ainsi faire fleurir les Sciences dans une Ville où i’ay autrefois esté soldat. Il y a quelque temps que le Professeur m’envoya un écrit du second fils de M. de Zuitlichem, touchant une invention de Mathematique qu’il avoit cherchée ; et encore qu’il n’y eust pas tout à fait trouvé son conte (ce qui n’estoit pas estrange, pour ce qu’il cherchoit une chose qui n’a iamais pû estre trouvée de personne) il s’y estoit pris de tel biais, que cela m’assure qu’il deviendra excellent en cette science, en laquelle ie ne voy presque personne qui sçache rien. Pour le sieur N. c’est un personnage en qui ie ne pense plus du tout, ses entreprises sont si décriées, que ie ne croy pas qu’il y ait doresnavant aucun homme un peu raisonnable qui fasse estat de tout ce qu’il sçauroit dire ou écrire. Que si nonobstant cela, on veut qu’il soit Ecclesiarum Belgicarum AT IV, 437 decus, et ornamentum, ainsi qu’il se qualifie luy-mesme, et qu’on l’estime plus necessaire à vostre Eglise, que saint Iean Baptiste n’a esté à celle de tous les Chrestiens, ainsi que soûtiennent quelques uns de ses idolatres, et que pour ce sujet on luy veüille donner un octroy de dire tout ce que Clerselier III, 623 bon luy semble, à cause que saint Iean n’a pointpas feint d’appeler les Iuifs engeance de viperes, ce n’est pas à moy à m’en formaliser ; Puis qu’il en attaque tant d’autres, qui ont incomparablement plus de pouvoir que moy, ie ne dois pas trouver estrange s’il ne m’épargne pas non plus ; Ie dois plustost croire qu’il a cét octroy particulier de parler d’un chacun comme bon luy semble, et qu’il n’est pas permis de dire la verité de ses vices, mesme lors qu’on y est contraint par justice, ainsi que m’apprend son procez contre Sc. sans qu’on se mette au hazard d’estre condamné par ceux qui le maintiennent. Ie n’avois point sceu qu’il eust rien fait imprimer contre Messieurs les Chanoines ; mais Sch. me semble si froid à défendre sa propre cause, que ie ne le iuge pas fort propre à défendre la leur. Et mesme ie ne sçay si la nouvelle qu’on me vient d’apprendre est vraye, ou non ; mais on m’écrit qu’il a perdu son procez à Utrech, faute d’avoir pû verifier les choses qu’il avoit produites ; AT IV, 438 Quoy qu’il en soit, permettez-moy que ie vous die icy en liberté, que lors que i’avois écrit contre luy, le droit du jeu estoit qu’il me répondit aussi par écrit, et non pas qu’il implorast le secours de son Magistrat, comme il a fait ; Mais lors qu’il écrit contre un des membres des Estats de la Province, le droit du jeu est qu’on luy fasse son procez, et non pas qu’on s’amuse à faire contre luy des Livres ; Le trop de retenuë de ceux qui ont un iuste pouvoir, et le trop d’audace de ceux qui le veulent usurper, est tousiours ce qui trouble et qui ruine les Republiques.

AT IV, 433 Pour ce qui est de la difficulté que vous me faites l’honneur de me proposer touchant l’Optique, ie répons qu’il est tres-vray, que les rayons qui viennent de l’objet doivent estre divergentes, ou au moins pa AT IV, 434 ralleles, lors qu’ils entrent dans l’œil, et non point convergentes, pour rendre la vision distincte ; d’où il suit que si le verre convexe AB fait que les rayons qui viennent du point D soient convergentes, et s’assemblent au point C, l’œil estant mis au point C ne pourra voir distinctement l’objet mis au point D ; Mais ce mesme Clerselier III, 624 verre qui fait que les rayons qui viennent du point D s’assemblent au point C, fait aussi que ceux qui viennent d’un autre point plus proche, par exemple du point E, sont paralleles, ou divergens, lors qu’ils entrent dans l’œil mis au point C, non pas exactement, comme ils doivent estre en venant tous d’un mesme point, mais avec si peu de difference qu’elle n’est aucunement sensible : C’est pourquoy l’objet étant mis au point E, pourra estre veu assez distinctement par l’œil C ; Et mesme l’objet estant au point D, pourra estre veu par l’œil mis au point F ; De sorte que si on met l’objet un peu plus proche de ce verre, comme vers E, ou bien qu’on en recule l’œil un peu davantage, comme vers F, alors les rayons qu’il envoyera vers l’œil de chaque point, seront à peu prés paralleles, ou bien divergentes, non pas à la verité comme s’ils venoient exactement d’un mesme point ; mais il s’en faudra si peu, que AT IV, 435 cela n’empeschera pas la vision d’estre assez distincte.
Ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble et tres-obeïssant serviteur, DESCARTES.