AT V, 202

AU R. P. MERSENNE.

Lettre CXVIII.

AT V, 203 MON REVEREND PERE,
Ie n’ay lû que les quinze premieres pages de l’écrit que vous avez voulu que ie visse, pour ce que c’est seulement iusques-là que vous m’aviez dit que i’y estois refuté ; Mais ie vous avoüe que ie les ay admirées, en ce que ie n’y ay Clerselier III, 619 trouvé aucune chose qui ne fust fausse, excepté celles qui se trouvent en mes écrits, et que l’Autheur monstre en avoir tirées, dautant qu’il se sert de mes propres paroles pour les exprimer ; Et s’il en change quelques-unes, comme lors qu’il nomme l’impression, ce que ie nomme la vitesse, et la direction ce que ie nomme la determination à se mouvoir vers certain costé, cela ne sert qu’à l’embroüiller. AT V, 204 L’une des principales fautes est à la fin de la seconde page, où ayant mis pour maxime une conclusion qui est de moy, à sçavoir, que dans le cercle GBF, le mobile qui vient de G vers B tend vers C, il le prouve ridiculement, en disant que la Nature ne souffre rien d’indeterminé, et qu’il n’y a point d’autre ligne que BC qui soit icy determiné : Car qui empesche de dire que le mobile ira de B vers H plustost que vers C, veu que BH est aussi determiné que BC, et qu’on sçait que le mobile tend à s’éloigner en ligne droite du centre A.

Dans la page neufiéme il a une distinction absurde entre deux sortes d’impressions ; L’une par laquelle les corps sont chassez, et l’autre par laquelle ils sont attirez ; Car il n’y a aucune attraction telle qu’il l’imagine, Et si ce qu’il nomme l’impression, est la vitesse du mouvement dans le corps qui se meut, ainsi qu’on le doit prendre pour donner quelque sens à tout ce qu’il dit, il est certain qu’il n’y en a que d’une sorte ou espece, et qu’elle est la mesme dans l’Ayman ou dans le fer, que dans les autres corps.

Mais la principale de ses fautes est en la page dixiéme, AT V, 205 où il prend pour principe une chose qui est apertement fausse, à sçavoir, Que si A meu vers D par une ligne perpendiculaire rencontre l’obstacle BC, il sera refléchy en telle sorte, que s’il ne communique rien de son impression à l’obstacle, il reviendra precisément en A, etc. Car bien que les corps Clerselier III, 620 pesans retournent à peu prés en cette sorte, lors que leur seule pesanteur les porte directement vers le centre de la terre, c’est chose absurde d’en faire un principe, pour ce que ce n’est pas l’impression qu’ils ont estant au point D qui les fait ainsi retourner, mais l’action de leur pesanteur qui continuë en eux pendant qu’ils remontent ; et le mesme n’arrive point, quand la ligne BC n’est pas parallele à l’horizon, ny quand le mobile est poussé d’A vers D par une autre force que sa seule pesanteur. Et son absurdité paroist encore mieux dans les trois pages suivantes, où par le moyen de ce faux principe, il pretend demonstrer la quantité des reflexions et des refractions d’une façon que l’experience contredit evidemment. Car par son pretendu raisonnement, en supposant que la balle qui vient d’A vers B rencontre la superficie CBE qui luy oste la moitié de son impression ou de sa vitesse, il dit que si on fait BE égale à CB, et qu’on prenne EI égale à la moitié de AC, la AT V, 206 refraction fera aller cette balle de B vers I. En sorte que de quelque grandeur que soit l’angle d’incidence ABH, AC, qui est la tangente de son complement, sera tousiours double de EI, qui est la tangente du complement de l’angle rompu GBI. D’où il suit que les proportions qui seront entre les sinus de ces deux angles ABH et GBI doivent estre differentes, selon que l’angle d’incidence ABH est supposé plus grand ou plus petit, et qu’il ne peut estre supposé si grand, que le mobile ne passe au dessous de la superficie CBE. Au lieu que l’experience monstre evidemment que cét angle ABH peut estre si grand, que le mobile ne passera point au dessous de cette superficie CBE, mais se refléchira Clerselier III, 621 de l’autre costé ; et que lors que le mobile passe au dessous de cette superficie, il y a tousiours mesme proportion entre les sinus de l’angle d’incidence, et de l’angle rompu, encore que la grandeur de cét angle d’incidence ABH se change.

En suitte de ces beaux raisonnemens, cét Autheur dit dans la page 13. que i’ay manqué, en ce que pour demonstrer la reflexion, ie ne me suis pas servy d’un raisonnement semblable au sien ; comme si c’estoit une faute de n’a AT V, 207 voir pas imité les fautes d’un autre. Et il monstre n’avoir point de Logique naturelle ; Car encore qu’il n’eust pas failly, il infereroit mal de dire que i’ay failly, pour ce que ie ne me suis pas servy de son raisonnement, à cause qu’on peut souvent prouver une mesme chose en plusieurs façons. En second lieu, il dit qu’en ma Dioptrique page 17. ligne derniere, ie confons la determination du mouvement avec la vitesse ; ce qui est tres-faux. Car six lignes auparavant ie parle de la vitesse qui se rapporte à tout le mouvement, et là ie ne parle que de la determination de gauche à droite, qui distingue deux parties en ce mouvement. En troisiéme lieu, il pretend dans la page 14. reprendre ce que i’ay écrit de la reflexion qui se fait sur la superficie de l’eau, en disant que ie me sers d’un raisonnement qui est different de certaines conjectures impertinentes qu’il met là. Et dans la page quinziéme, il met seulement ces mots ; Enfin Monsieur Descartes pages 21 et 22. etc. où par son, etc. Il semble vouloir faire entendre qu’il a encore beaucoup d’autres choses à reprendre en mes écrits ; en quoy ie ne sçay si ie dois plus admirer, ou son ingratitude, d’avoir tasché de me reprendre, bien qu’il n’y ait rien de passable dans tout son écrit qu’il n’ait eu de moy ; ou sa stupidité d’avoir commis de si AT V, 208 lourdes fautes contre le raisonnement et le sens commun ; ou enfin son arrogance ridicule, de pretendre qu’un autre a failly pour cela seul qu’il n’a pas suivy ses imaginations, comme si rien ne pouvoit estre bien, s’il n’est conforme à ses fantaisies ; Mais ce que i’admire le plus, c’est que par telles impertinences et vanteries il est parvenu à quelque reputation, et Clerselier III, 622 qu’il se trouve des hommes qui luy donnent de l’argent pour apprendre de luy des choses fausses.