LETTRE APOLOGETIQUE DE MR DESCARTES,
AUX MAGISTRATS DE LA VILLE D’UTRECH,
Contre Messieurs Voëtius, Pere et Fils.
LETTRE I.
Messieurs,
Ceux qui sçavent les continuelles injures que i’ay receuës depuis quatre ans des Voëtius, trouvent AT VIII-2, 202 estrange que ie n’aye point encore tasché de m’en ressentir ; non pas que l’on iuge que leurs paroles ou leurs écrits fussent dignes que ie m’arrestasse aucunement à eux, s’ils ne se servoient point de vostre autorité pour m’offenser ; mais parce qu’ils appuyent toutes leurs calomnies sur un iugement qu’ils pretendent que vous avez donné contre moy, on croit que ie suis obligé à la deffense de mon honneur. Et de vray c’est Clerselier III, 2 bien aussi mon opinion ; mais l’affaire que i’ay euë contre Schoock, et depuis celle qu’il a euë contre Gisber Voëtius, sont cause que ie l’ay differée. I’ay souffert cependant toutes les bravades de ces Messieurs, qui m’appellent injurieusement, desertorem causæ, et me deffient d’aller en vostre ville, comme si i’en estois banny : Ils disent mesme, comme par menace, qu’ils gardent encore une action contre moy, dont ils se serviront en son temps ; en sorte que quand ie ne le voudrois pas, ils me contraignent eux-mesmes à me deffendre.
Mais afin de proceder par ordre, et que si ie ne suis pas assez heureux pour vous satisfaire, ie puisse au moins satisfaire le reste du monde, et faire voir à toute la terre que ie n’auray iamais rien obmis, non seulement de ce qui peut estre de mon devoir, mais mesme de la civilité, pour meriter d’estre traité par vous tout autrement que ie ne l’ay esté, ie vous exposeray icy sommairement la justice de ma cause, et l’injustice de mes ennemis ; afin que i’en puisse avoir raison par vous-mesmes, s’il est possible, et si ie ne le puis, que vous me fassiez au moins la faveur de m’apprendre quelles sont les procedures qui ont esté faites contre moy dans AT VIII-2, 203 vostre ville, par quels iuges elles ont esté faites, et sur quoy elles sont fondées ; car ie n’en ay encore rien sceu que par leurs écrits, ou par les bruits qui sont semez en leur faveur, sur lesquels ie ne puis m’assurer.
En l’an 1639, au mois de Mars, Monsieur Æmilius, Professeur en vostre Academie, et le principal ornement qu’elle ait, fit une oraison funebre en l’honneur de Monsieur Renery, qui avoit aussi esté l’un des premiers ornemens de la mesme Academie : Et entre plusieurs choses qu’il dit de luy, il employa la principale partie de son oraison à le loüer de l’amitié qu’il avoit euë avec moy, en me donnant de si grands eloges, que i’aurois honte de les redire. Ie mettray seulement icy le titre et la conclusion d’un eloge qu’il joignit à cette oraison funebre, lors qu’il la fit imprimer. Voicy le titre. Ad manes defuncti, qui cum nobilissimo viro, Clerselier III, 3 Renato Descartes, nostri sæculi atlante et archimede unico, vixit conjunctissimè, abdita naturæ et cæli extima, penetrare ab eodem edoctus. Et en la conclusion, il parle ainsi au defunct.
Et nova quæ docuit, tibi nunc comperta patescunt,
Omniaque in liquido sunt manifesta die ;
Ut meritò dubites, utrùm magis illius arti,
An nunc indigetæ sint mage clara tibi.
Ces loüanges furent agreables aux plus honnestes gens de vostre ville, comme il parut de ce qu’on trouva bon que l’Imprimeur de vostre Université les rendist AT VIII-2, 204 publiques ; et elles estoient hors de tout soupçon de flaterie, pource que Monsieur Æmilius ne me connoissoit en ce temps-là que par reputation et par mes Escrits. Ie ne les avois pas aussi recherchées ; au contraire, quelques autres vers qu’il avoit faits sur le mesme sujet m’ayant esté envoyez pour les voir, et par apres redemandez, pource qu’il n’en avoit point de copie, et qu’il desiroit les faire imprimer, ie trouvay une excuse pour ne les luy pas renvoyer. Non que les loüanges qui venoient d’une personne de son merite me dépleussent ; mais parce que sçachant qu’il est impossible d’estre un peu extraordinairement loüé par ceux qui sont tres-loüables eux-mesmes, que ceux qui pretendent de l’estre et ne le sont pas, ne s’en offensent, ce m’estoit assez de sçavoir la bonne opinion qu’il avoit de moy, sans desirer qu’il la publiast.
Peu de temps apres, sçavoir au mois de Iuin de la mesme année, G. Voëtius fit de longues Theses, de atheismo : Et bien que ie n’y fusse pas nommé, ceux qui me connoissent peuvent assez voir qu’il y a voulu ietter les fondemens de l’opiniastre calomnie, en AT VIII-2, 205 laquelle il a tousiours depuis persisté : Car il y a meslé parmy les marques de l’atheisme, toutes les choses qu’il sçavoit m’estre attribuées par le bruit commun, encore qu’il n’y en eust aucune qui ne fust bonne : Et ce qui est icy remarquable, c’est qu’il ne me connoissoit aussi que par reputation et par mes Escrits ; en sorte que les qualitez qui avoient donné sujet aux loüanges d’Æmilius Clerselier III, 4 estoient les mesmes dont Voëtius tiroit le venin de sa medisance.
Ie ne diray point combien de personnes m’ont assuré depuis ce temps là, qu’il taschoit de persuader que i’estois Athée, et comment il répandoit ce venin de tous costez dans ces Provinces ; car il voudroit que ie luy prouvasse, et pendant qu’il aura le pouvoir qu’il a dans vostre ville, il n’y a personne qui fust bien-aise d’y estre témoin contre luy. Ie me contenteray de dire que l’année suivante il alla chercher iusques dans les Cloistres de France, un des plus ardens protecteurs de la Religion Romaine, pour tascher à faire ligue avec luy contre moy, comme si i’eusse esté l’ennemy de tous les hommes. Ie repeteray icy quelques mots de la Lettre qu’il luy écrivit, dont i’ay l’Original entre les mains, et dont ie vous ay cy-devant donné Copie. Voicy ces mots : Renati Descartes Philosophemata quædam Gallicè in-quarto edita vidisti procul dubio. Molitur AT VIII-2, 206 ille vir, sed serò nimis ut opinor, sectam novam, nunquam antehac in rerum naturà visam, aut auditam ; et sunt qui illum admirantur atque adorant, tanquam novum Deum de cælo lapsum. Et un peu apres : Iudicio et censuræ tuæ ευρηματα ipsius subijci debebant : A nullo Physico aut Metaphysico feliciùs deijceretur, quam a te ; quippe qui eâ in parte Philosophiæ excellis, in quâ ille plurimum posse creditur, in Geometriâ scilicet et Opticâ. Certè dignus hic labor eruditione et subtilitate tuâ ; Veritas a te asserta hactenus, et in Conciliatione Theologiæ ac Metaphysicæ et Physicæ cum Mathesi ostensa, te requirit vindicem etc. Sur quoy ie vous prie de remarquer, que bien que ce ne soit pas un crime d’avoir amitié avec des personnes de diverse Religion, et de leur écrire (autrement vous seriez tous criminels, à cause de l’alliance que vous avez avec nostre Roy :) Toutesfois en ce saint Reformé, qui m’appelle ordinairement Iesuistastrum, et qui n’a point de plus frequente raison pour me rendre odieux auprés de vous, que de me reprocher ma Religion, c’est une preuve certaine qu’il ne garde pas les regles qu’il prescrit aux autres, et qu’il n’est Clerselier III, 5 point si scrupuleux, quand il croit que le peuple n’en sçaura rien, qu’il ne soit bien-aise de rechercher l’amitié d’un de nos Religieux, et de le reconnoistre pour deffenseur de la verité, en luy disant : Veritas à te asserta, et in Conciliatione Theologiæ ostensa, etc. Pourveu qu’il puisse par son moyen me faire quelque déplaisir.
Et afin que vous sçachiez que ce n’estoit point qu’il trouvast quelque chose à reprendre en mes opinions (lesquelles il n’estoit pas capable d’entendre) mais que c’estoit par une pure malignité qu’il taschoit de me AT VIII-2, 207 decrier, comme l’autheur de quelque nouvelle heresie, en disant : Molitur ille vir sectam novam, etc. Et sunt qui illum adorant tanquam Deum, etc. Ie diray icy ce que contenoit la réponse que luy fit ce docte et prudent Religieux ; qui fut, qu’il seroit bien-aise d’écrire contre mes opinions, en cas qu’il eust quelques raisons pour les impugner ; et que pour ce sujet il le prioit de luy envoyer celles qu’il avoit, ou qui luy pourroient estre fournies par ses amis, et qu’il en chercheroit aussi de son costé. Mais iamais Voëtius ne luy en a envoyé aucune, bien qu’on m’ait nommé des personnes qu’il avoit employées pour en chercher : Il s’est seulement contenté de luy écrire sa comparaison avec Vaninus, qui est l’une de ses principales calomnies, et de faire courre le bruit que ce Religieux écrivoit contre moy.
De plus, afin qu’on sçache que ie ne crains pas qu’on impugne mes opinions en matiere de science, et que ie ne m’en offense en aucune façon, lors qu’on n’use point de calomnies contre mes mœurs : Ie diray encore icy que ce sage Religieux m’envoya sa Réponse ouverte, en laissant à ma discretion d’en faire ce que ie voudrois, et que ie l’adressay fidelement moy-mesme à Gisbert Voëtius, apres que ie l’eu leuë et fermée. En quoy on ne peut dire qu’il y ait aucune finesse ou collusion. Car ce Religieux avoit intention de faire ce qu’il promettoit ; Et si Voëtius avec toute sa cabale luy eussent peu donner la moindre raison contre moy, il n’eust pas manqué de l’écrire, et moy i’en Clerselier III, 6 eusse esté fort AT VIII-2, 208 aise ; comme il a paru, en ce qu’il en a luy-mesme depuis écrit d’autres, que i’ay moy-mesme fait imprimer sous le titre de secondes objections contre mes Meditations.
Ie ne parle point de ce qui s’est passé pendant ces années-là au regard de Monsieur Regius, qu’on pensoit enseigner mes opinions touchant la Philosophie, et qui a esté en hazard d’en estre le premier Martyr ; bien que i’aye veu depuis peu, par un Livre qui porte son nom, qu’il en estoit plus innocent que ie ne pensois : Car il n’a mis aucune chose en ce Livre, touchant ce qui peut estre rapporté à la Theologie, qui ne soit contre mon sens. Mais ie suis obligé de dire, que sur un mot de ses Theses, qui n’estoit d’aucune importance, ny mesme different de l’opinion commune, de la façon qu’il l’interpretoit, Voëtius fit d’autres Theses contraires qui furent disputées trois iours durant ; et que i’y fus nommé, afin qu’on ne peust douter que ce ne fust moy qu’il tenoit pour autheur des opinions ausquelles il donnoit pour Eloge en ses Theses, que ceux qui les croyent sont Athées ou Bestes : Et que comme si i’eusse esté le Chef de quelque nouvelle secte d’heretiques, ou que i’eusse voulu faire le Prophete, il disoit de moy par mocquerie, Elias veniet. Et mesme qu’il fut sur le point de declarer Monsieur Regius heretique, AT VIII-2, 209 au nom de sa faculté de Theologie, si l’un des principaux de vostre Corps ne l’eust empesché : Et enfin qu’on publia en suite un iugement, au nom de vostre Academie, où mes opinions estoient condamnées sous le nom de Nova et præsumpta Philosophia : Apres quoy, il ne luy restoit plus que d’employer sa faculté de Theologie (qui est toute à sa devotion, ainsi qu’il a paru depuis) pour se plaindre de moy aux Magistrats, comme de l’autheur d’une doctrine si pernicieuse, qu’elle avoit rendu l’un de vos Professeurs heretique. Lesquelles choses estant venuës à ma connoissance, i’aurois esté imprudent, si i’avois manqué de m’opposer aux machinations de cét homme ; Et ie ne le pouvois faire d’aucune façon plus iuste, plus honneste, et Clerselier III, 7 dont il eust moins de sujet de se plaindre, que de celle dont i’usay pour lors : Car ie me contentay de raconter par occasion, dans un écrit que i’avois alors sous la presse, les injures que i’avois receuës de luy, afin seulement d’éventer la mine, et de rompre le coup de ses medisances, en faisant sçavoir à ceux qui les pourroient ouïr, qu’elles ne devoient pas estre creuës sans preuves, dautant qu’il m’estoit ennemy.
Ce que i’écris icy, pour détromper ceux à qui cét homme de bien a persuadé que ie l’avois attaqué le premier ; car ie seray bien-aise qu’ils sçachent, qu’outre les mauvais discours que i’apprenois de toutes parts qu’il tenoit de moy en ses leçons, en ses disputes, AT VIII-2, 210 en ses presches, et ailleurs, et outre les Lettres écrites de sa main, dont ie garde les originaux, en l’une desquelles il me compare avec Vaninus, sur quoy il fonde la plus noire et la plus criminelle de toutes ses medisances, ie puis conter sept divers imprimez par lesquels il avoit tasché de me nuire, avant que i’eusse iamais rien écrit, ou dit, ou fait contre luy. A sçavoir quatre differens, de Atheismo ; un cinquiéme, qu’il nommoit, Corollaria thesibus de iubileo subiecta ; un sixiéme, qui estoit Appendix ad ista Corollaria ; ou, Theses de formis substantialibus ; et enfin le Judicium Academiæ Ultrajectinæ pour le septiéme ; Non pas que ie veüille rien oster de la part que ses confreres pretendent à ce dernier ; mais parce qu’il estoit alors leur Recteur, ils ne peuvent nier que la principale ne luy appartienne. On dira peut-estre que ie n’estois point nommé en la pluspart de ses imprimez ; mais il ne l’estoit point aussi dans le mien, ny mesme vostre Academie, ny vostre Ville : En sorte qu’il n’y avoit autre difference sinon que les choses que i’avois écrites de luy estant toutes vrayes, l’offensoient bien plus que ne m’offensoient celles qu’il avoit écrites contre moy, qui estoient non seulement fausses, mais aussi hors de toute apparence. En effet il se piqua de telle sorte, que i’appris un peu apres qu’il consultoit pour AT VIII-2, 211 me faire un procez d’injures, et qu’il composoit cependant contre moy divers écrits ; en sorte qu’il avoit dessein de me battre, et Clerselier III, 8 de m’appeler en justice em mesme temps, afin que le battu payast l’amande.
Et i’estois averty de divers lieux qu’il écrivoit contre moy ; on me le mandoit mesme de France ; tant cela estoit commun. On me disoit aussi des choses particulieres qui estoient en ses Escrits, et qui se trouvent maintenant les unes dans la Preface du Livre qui porte le nom de Schoock et les autres dans la Narration historique qui porte le nom de vostre Academie. Mesme on m’apprenoit qu’il deliberoit sur le choix des personnes qu’il feroit écrire contre moy ; c’est à dire, qui publieroient sous leur nom les écrits qu’il composoit, Stylum faciendo suum, et adjoûtant du leur ce qu’ils pourroient ; et qu’en une assemblée de plusieurs personnes, quelqu’un avoit dit qu’il devoit employer son fils à cela ; mais que sa mere ayansayant pris la parole, avoit répondu qu’il estoit encore trop ieune pour hazarder sa reputation, et que s’il falloit que quelqu’un écrivist ce seroit plustost son Mary. On ne parloit pas encore de Schoock, et plusieurs sçavoient desia ce qui seroit dans le Livre qui a esté mis sous son nom. Ce que ie remarque, afin que vous consideriez combien il y avoit peu d’apparence apres cela, que Voëtius pust persuader (contre la conscience d’une infinité de personnes qui sçavoient les mesmes choses que moy) qu’il seroit AT VIII-2, 212 innocent des Livres qu’on publieroit pour le deffendre ; et que moy ayant receu les six premieres feüilles d’un tel Livre, qui ne portoit le nom d’aucun autheur, i’avois tres-juste sujet d’addresser à Voëtius la Réponse que i’y voulois faire.
Mais le principal motif que i’ay eu pour écrire cette Réponse, n’a pas esté l’énormité des injures que ie trouvois dans ces feüilles ; elles estoient si absurdes, et si peu croyables, qu’elles me donnoient plus de sujet de mépris que d’offense. I’y ay esté poussé par trois autres plus fortes raisons : Dont la premiere est l’utilité du public, et le repos de ces Provinces, qui a tousiours esté desiré et procuré avec plus de soin par les François, que par plusieurs naturels Clerselier III, 9 de ce païs ; Et bien que ie ne voulusse accuser Voëtius d’aucun crime, i’ay pensé que ie rendrois quelque service à cét Estat, si ie faisois connoistre aux plus simples les veritez que ie sçavois de luy, pour le recompenser des faussetez qu’il publioit de moy, en feignant que c’estoit ad præmonitionem studiosæ juventutis. Ma seconde raison a esté que i’ay crû particulierement faire plaisir à plusieurs de vostre ville ; Non point à ceux qui sont ennemis de vostre Religion, ainsi qu’il tasche impertinemment de persuader (car ie croy qu’il n’y en a aucun qui ne le AT VIII-2, 213 méprise de telle sorte, qu’ils seroient bien-aises que tous ceux qui la deffendent luy ressemblassent) mais à quantité des plus zelez et des plus honnestes gens de ceux qui la suivent, mesme à quelques-uns de vos Ministres, ausquels ie dois cette loüange, que bien qu’il ait fait tout son possible pour les engager à son party, et qu’il ait mesme presenté requeste à cette fin, comme i’apprens des écrits de son fils, il n’a pû obtenir d’eux aucune chose à mon prejudice ; et mesme, le témoignage qu’il a eu du consistoire fait voir qu’ils l’ont refusé : Car apres avoir transcrit de mot à mot la requeste qu’il leur avoit faite, en laquelle ie suis nommé ; ils luy donnent un simple témoignage de ses mœurs, tel qu’ils ne le peuvent honnestement refuser à aucun de leurs confreres, pendant qu’il n’a point encore esté repris de justice, et qu’ils ne le veulent point accuser ; mais ils n’y font aucune mention de moy, ny de rien qui me puisse toucher ; Et mesme ils declarent que c’est à vostre requeste qu’ils luy donnent ce témoignage : Op het versoeck van de achtbaere heeren Magistraet der stade Utrecht, etc. Sur la requeste de Messieurs les Magistrats de la ville d’Utrech ; en sorte qu’ils ne luy auroient peut-estre pas donné, si ç’avoit esté luy seul qui l’eust demandé ; Et maintenant encore i’ose croire, que si on separe de leur nombre ceux qui sont reconnus pour ses creatures, ou pour ses disciples, et qu’on demande aux autres leur sentiment, touchant le faux AT VIII-2, 214 témoignage qu’il a prescrit à Schoock contre moy, ils ne manqueront pas d’en iuger ainsi que la verité le requiert. Clerselier III, 10 Ma troisiéme raison est, que puisque Voëtius me vouloit faire un procez d’injures, pour m’obliger à verifier les choses que i’avois mises en passant et par abregé dans mon écrit precedent, ie pensay que ie les devois toutes expliquer, et prouver si clairement par un second écrit, que cela me pust exempter de la peine de les prouver devant des Iuges, et mesme luy oster la volonté de m’y contraindre.
Ainsi ayant dressé mon second écrit en telle sorte qu’il se pouvoit assez deffendre de soy-mesme, et deffendre aussi le premier ; et en ayant envoyé des exemplaires à Messieurs vos deux Bourgmaistres d’alors, lesquels leur furent donnez par deux des plus qualifiez de vostre Ville, qui leur firent des complimens de ma part ; i’avoüe que ie fus surpris, quelques semaines apres, lors que ie vis vostre publication du 13. Iuin 1643. Non pas que ie ne fusse bien-aise de ce qu’elle contenoit au regard de Voëtius : Car i’y trouvois sa condamnation manifeste, en ce que vous y determiniez, qu’il estoit inutile, et mesme grandement nuisible à vostre Ville, si les choses que i’ay écrites de luy estoient vrayes, et i’estois asseuré de leur verité ; mais i’admirois que vous m’eussiez cité pour les verifier, comme si vous eussiez eu quelque juridiction sur moy ; j’admirois aussi que cette citation eust esté faite avec grand AT VIII-2, 215 bruit au son de la cloche, comme si i’eusse esté criminel ; Enfin j’admirois que vous eussiez supposé pour cela que vous estiez incertains du lieu de ma demeure ; car Messieurs vos Bourgmaistres pouvaient aisément s’en rendre certains, s’ils ne l’estoient pas, en prenant la peine de s’en enquerir à ceux qui leur avoient donné mon Livre. Toutesfois à cause que cette façon de proceder pouvoit avoir diverses interpretations, et que ie pensois avoir merité vostre amitié et non pas vostre haine, ie m’assuray que vous n’aviez point dessein de me nuire ; mais seulement de faire éclater l’affaire, afin que celuy qui estoit coupable, et sujet à vostre juridiction, pust estre puny avec l’approbation de tout le monde.
C’est pourquoy ie fis imprimer aussi ma Réponse à cette Clerselier III, 11 publication, dans laquelle apres vous avoir remercié de ce que vous entrepreniez d’examiner les mœurs d’un homme qui m’avoit offensé, ie vous priay par occasion de vouloir aussi vous enquerir s’il n’estoit pas complice du Livre imprimé sous le nom de Schoock, dans lequel ie suis calomnié ; Non point que i’assurasse pour cela qu’il en fust coupable, mais, pource que tout le monde l’en soupçonnoit, i’avois iuste raison de vous prier qu’il vous plust vous en enquerir ; I’y declaray aussi tres-expressément que ie ne voulois point me rendre partie contre luy, et que ie protestois d’injure en cas que vous voulussiez pretendre quelque droit de juridiction sur moy ; Et enfin ie m’offrois, en cas qu’il se trouvast quelque chose en mes écrits dont AT VIII-2, 216 vous desirassiez plus de preuves que ie n’en avois donné, de vous en donner de suffisantes, lors qu’il vous plairoit m’en avertir.
Apres une telle Réponse, ie ne pensois pas qu’il fust possible que vous eussiez aucune intention de me molester ; vû principalement que i’apprenois de divers lieux que mon Livre avoit esté lû soigneusement par une infinité de personnes, et mesme par plusieurs Magistrats des principales Villes de ces Provinces, sans qu’aucun y eust rien remarqué, dont Voëtius eust droit de se plaindre, ou vous occasion de me blâmer ; Et que ma cause estoit si generalement approuvée, que ceux qui en avoient oüy parler à plusieurs milliers de personnes, assuroient n’en avoir rencontré que deux, qui taschoient de persuader que i’avois tort ; et ces deux estoient reconnus pour les fauteurs de Voëtius, ou pour ses emissaires, comme parle Schoock, qui assure qu’il en a plusieurs, et il le doit bien sçavoir.
Ie m’estonnois neantmoins de ne recevoir plus de nouvelles d’Utrecht, ainsi que i’avois coustume auparavant ; et ie demeuray trois mois sans apprendre ce qui s’y passoit, au bout desquels i’en receu deux Lettres, l’une apres l’autre, écrites d’une main inconnuë, et sans nom, par lesquelles i’estois averty que vostre officier de justice m’avoit cité, pour comparoistre en personne comme criminel, et que ie Clerselier III, 12 n’estois pas mesme en seureté en cette Province, à cause que par un accord, qui est entre vous, les sentences qui se AT VIII-2, 217 donnent en la vostre, s’executent aussi en celle-cy. Ie pensay d’abord que c’estoit une raillerie, et ne m’en émûs point. I’allay neantmoins à La Haye pour m’en enquerir, et apprenant que la chose estoit telle qu’on ne l’avoit écrite, ie m’adressay à Monsieur l’Ambassadeur de la Thuillerie, qui fut tres-prompt à m’obliger, comme aussi generalement tous les autres à qui i’eus l’honneur de parler ; et ainsi ie n’eus aucune difficulté à obtenir ce que ie desirois.
Mais ie n’avois demandé autre chose, sinon que le cours de ces procedures extraordinaires fust arresté, parce que ie croyois que ce fussent les premieres, et ie ne sçavois rien de la sentence qu’on dit que vous aviez donnée avant ce temps-là contre moy. Ie n’en appris aucunes nouvelles, que quelques semaines apres, que me rencontrant en conversation avec quelques-uns de ces Esprits nobles et genereux, qui s’interessent pour la justice, encore mesme qu’ils n’ayent point de familiarité avec ceux ausquels ils se persuadent qu’on a fait tort, i’appris d’eux qu’on avoit publié contre moy une sentence en vostre nom, par laquelle les deux Escrits où i’avois parlé de Voëtius estoient condamnez, comme des libelles diffamatoires ; Et pource que ie faisois difficulté de le croire, sur ce que i’avois des amis en vostre Ville, qui ne m’en avoient aucunement averty, bien qu’ils n’eussent point manqué AT VIII-2, 218 auparavant de me donner avis de vostre publication du 13. Iuin, ils me répondirent que cette publication du 13. Iuin avoit esté faite d’une façon plus celebre que l’ordinaire, avec plus grande convocation de peuple, et qu’elle avoit esté imprimée, affichée, et envoyée avec soin en toutes les principales Villes de ces Provinces, en sorte que ce n’estoit pas merveille, que i’en eusse eu connoissance ; Mais que depuis la Réponse que i’y avois faite, on avoit entierement changé de style, et que mes ennemis avoient eu autant de soin d’empescher que ce qu’ils preparoient contre moy ne fust sceu, que si c’eust esté un dessein pour surprendre Clerselier III, 13 quelque ville de l’ennemy ; Qu’ils avoient voulu neantmoins observer quelques formes, et que pour ce sujet la sentence qu’ils avoient obtenuë de vous, avoit esté leüe en la maison de Ville, mais que ç’avoit esté à une heure ordinaire, apres d’autres écrits, et lors qu’on iugeoit qu’aucun de ceux qui m’en pouvoient avertir n’y prendroit garde ; et que pour les citations de vostre officier qui devoient suivre, ils ne s’en estoient pas tant mis en peine, pource qu’ils pensoient, que quand i’en serois averty, ie n’y pourrois plus apporter de remede, à cause que mes Livres estant desia condamnez, et moy cité en personne, ils se doutoient bien que ie ne comparoistrois pas, et que la sentence seroit donnée par défaut, laquelle ne pouvoit estre plus douce, sinon qu’on me banniroit de ces Provinces, qu’on me condamneroit à de grosses amandes, et que mes Livres seroient brûlez. Mesme quelques-uns assurent, que Voëtius avoit desia transigé avec le Bourreau, afin qu’il fist un si grand feu AT VIII-2, 219 en les brûlant, que la flamme en fust veüe de loin.
On adjoûtoit aussi que leur dessein estoit apres cela de faire imprimer sous le nom de vostre Academie, un long narré de tout ce qui auroit esté fait, et d’y adjoûter plusieurs témoignages, et plusieurs vers, tant pour loüer G. Voëtius, que pour me blâmer, et envoyerd’envoyer soigneusement des Exemplaires en tous les endroits de la terre, afin que ie ne pusse plus aller en aucun lieu, où ie ne trouvasse mon nom diffamé, et où la gloire du triomphe de Voëtius ne s’estendist.
Pour preuve de cela, on me disoit que depuis que le cours de ces procedures avoit esté arresté, on avoit encore publié au nom de vostre Academie, le narré de ce qui s’estoit passé avant mon premier Escrit, avec quelques-uns de ces témoignages en faveur de AT VIII-2, 220 Voëtius ; et que c’estoit le reste de sa poudre qu’il avoit voulu tirer, apres avoir perdu l’esperance de l’employer mieux.
Ie demandois quels fondemens ou quels pretextes on avoit eu pour proceder contre moy de la sorte ; mais on ne m’en pouvoit rien apprendre de certain. On disoit seulement Clerselier III, 14 que depuis vostre premiere publication, tous les fauteurs de Voëtius avoient esté continuellement occupez à médire de moy en toutes les assemblées, et en tous les lieux où ils avoient pû trouver quelqu’un pour les écoûter ; au moyen dequoy ils avoient tellement animé le peuple, qu’aucun de ceux qui sçavoient la verité, et avoient horreur de leurs calomnies, n’osoit rien dire à mon advantage ; principalement apres avoir veu de quelle sorte Monsieur Regius estoit traitté, duquel ie ne raconte point icy l’histoire, pource que vous la sçavez assez : Mais que neantmoins, lors qu’on examinoit toutes les choses que ces fauteurs de Voëtius disoient de moy, on trouvoit qu’elles se rapportoient à deux points ; l’un estoit que i’estois disciple des Iesuites, AT VIII-2, 221 que c’estoit pour les favoriser que i’avois écrit contre ce grand deffenseur de la Religion Reformée, G. Voëtius, et peut-estre mesme que i’avois esté envoyé par eux pour mettre des troubles en ce païs. L’autre point estoit, que ie n’avois iamais esté offensé par Voëtius, et qu’il n’estoit aucunement auteur du Livre écrit contre moy, mais Schoock seul, qui se trouvant aussi alors en vostre Ville, l’en avoit entierement déchargé, et vouloit en avoir tout l’honneur ou tout le blâme ; de façon que i’avois eu tres-grand tort d’en accuser Voëtius comme i’avois fait, pour avoir pretexte d’écrire contre luy, et ainsi apporter du scandale à vostre Religion. Ce qui donnoit occasion de iuger que vostre sentence avoit aussi esté fondée sur ces deux points ; Et il semble qu’on avoit raison, s’il est vray qu’elle soit telle qu’on l’a imprimée dans le libelle sans nom, intitulé Aengevangen proceduren etc. dont Schoock assure que leieune Voëtius est autheur.
Apres que i’eu appris toutes ces choses, ie pensay que ie devois rechercher les moyens de me justifier, et de faire sçavoir l’équité de ma cause, à tous ceux qui pouvoient en avoir mauvaise opinion. Mais pour le premier point, ie n’avois aucune difficulté à m’en excuser ; Car estant du païs et de la Religion dont ie suis, il n’y a que les ennemis de la France qui me puissent imputer à crime d’estre amy ou de Clerselier III, 15 rechercher l’amitié de ceux à qui nos Rois ont coustume de communiquer le plus interieur de leurs pensées, en les choisissant pour Confesseurs : Or chacun sçait que les Iesuites de France ont cét honneur ; et mesme que le AT VIII-2, 222 Reverend Pere Dinet (qui est le seul auquel on me reproche d’avoir écrit) fut choisi pour Confesseur du Roy peu de temps apres que i’eu publié la Lettre que ie luy addressois. Et si nonobstant cette raison, il y a des gens si partiaux, et si zelez pour la Religion de ce païs, qu’ils s’offensent qu’on ait communication avec ceux qui font profession de l’impugner, ils doivent trouver cela plus mauvais en Voëtius, qui voulant estre Ecclesiarum Belgicarum decus et ornamentum, ne laisse pas d’écrire à de nos Religieux, dont la regle est plus austere que celle des Iesuites, et de les appeller les deffenseurs de la verité, pour tascher d’acquerir leurs bonnes graces, que non pas en un François, qui fait profession d’estre de la mesme Religion que son Roy. Mais outre cela, pour vous faire voir combien Voëtius se plaist à tromper le monde, et à persuader à ceux qui le croyent, des choses qu’il ne croit pas luy-mesme, si vous prenez la peine de lire le petit Livre intitulé Septimæ objectiones, etc. qui contient la Lettre sur laquelle il s’est fondé pour m’objecter l’amitié des Iesuites, et dont il a obtenu de vous la condamnation, à ce qu’on dit ; ou bien s’il vous plaist seulement de demander à quelqu’un qui l’ait leu, de quoy c’est qu’il traitte, vous sçaurez que tout ce Livre est composé contre un Iesuite, duquel toutesfois ie fais gloire d’estre maintenant amy, et ie veux bien que l’on sçache que mes Maistres ne m’ont point AT VIII-2, 223 appris à estre irreconciliable ; vous sçaurez aussi que i’y avois écrit vingt fois plus de choses au desavantage de ce Iesuite, que ie n’avois fait au desavantage de Voëtius, duquel ie n’avois parlé qu’en passant, et sans le nommer ; En sorte que lors qu’il a esté cause que vous avez condamné ce Livre, il semble s’estre rendu le procureur des Iesuites, et avoir obtenu de vous, en leur faveur, plus qu’ils n’ont tasché ou esperé d’obtenir des Magistrats d’aucunes des Villes où l’on dit qu’ils ont le plus de pouvoir. Et il a pris Clerselier III, 16 pretexte sur quelques mots de civilité que i’avois mis en ce Livre, pour faire croire à ceux qui verroient seulement ces mots, sans lire le reste, que i’avois grande intelligence avec les Iesuites. Ce qui est le mesme, que si quelqu’un m’accusoit, non pas en France, où des accusations si frivoles seroient méprisées, mais en un païs où l’inquisition seroit fort severe, d’avoir grande amitié avec Voëtius, et qu’il le prouvast, parce que ie le nomme Celeberrimum virum, en l’inscription d’une longue Lettre que ie luy ay addressée ; car ie m’assure que ceux qui sçauroient ce que contient cette Lettre, verroient bien que celuy qui m’auroit ainsi accusé, auroit pris plaisir à mentir, et se seroit mocqué de ceux ausquels il auroit dit de telles choses.
Pour ce qui est de l’autre point, encore que i’eusse assez de témoins pour le refuter, si ie les eusse voulu nommer, ie pensay que le plus droit chemin que ie pouvois tenir, estoit de m’addresser à Schoock, afin qu’il pust estre puny en la place de Voëtius, s’il vouloit se charger de son crime, ou bien que, s’il n’estoit AT VIII-2, 224 pas assez charitable envers luy pour cela, et qu’il voulust meriter quelque excuse, il fust obligé de découvrir la verité.
La prudence, l’integrité, et la generosité de ceux qui gouvernent en la Province où il est, me fit esperer qu’ils ne me refuseroient pas justice, lors qu’elle leur seroit demandée, nonobstant que ie n’eusse iamais eu l’honneur de parler à aucuns d’eux avant ce temps-là, et que Schoock les eust tous pour amis, et mesme qu’il fust le Recteur de leur Université, lors que ie formay ma plainte contre luy ; Car comme il n’y a rien que la Iustice qui maintienne les Estats et les Empires ; que c’est pour l’amour d’elle que les premiers hommes ont quitté les grottes et les forests pour bâtir des Villes ; que c’est elle seule qui donne et qui maintient la liberté ; comme au contraire c’est de l’impunité des coupables, et de la condamnation des innocens, que vient la licence, qui selon la remarque de tous les politiques a toûjours esté la ruine des Republiques, ie ne doutois point que Clerselier III, 17 des Magistrats tres-prudens, qui desirent le bien de leur Estat, et sont jaloux de leur authorité, n’eussent grand soin de rendre la justice, lors que ie la leur aurois demandée.
Vous avez sceu depuis ce qui en est reüssi, et comment Messieurs les Professeurs de l’Université de Groningue, que Schoock a desiré avoir pour ses Iuges, ayant usé envers luy dautant de douceur qu’il en AT VIII-2, 225 pouvoit souhaitter, n’ont pas laissé neantmoins, par une singuliere prudence, de me donner toute la satisfaction que i’attendois, et que ie pouvois legitimement pretendre. Car les particuliers n’ont aucun droit de demander le sang, ou l’honneur, ou les biens de leurs ennemis, c’est assez qu’on les mette hors d’interest, autant qu’il est possible aux Iuges, le reste ne les touche point, mais seulement le public. Or le principal interest que i’avois en cette affaire, estoit que la fausseté des accusations qu’on avoit faites contre moy en vostre Ville fust découverte ; C’est pourquoy ils ne pouvoient avec justice me refuser les actes qui servoient à cét effet, et que Schoock leur avoit mis entre les mains pour s’excuser. Mais ces actes sont tels, et font voir si clairement le crime de Gisbert Voëtius, et de son collegue Dematius, ainsi que ie diray cy-apres, que lors que ie les eu receus, ie me persuaday que ces deux hommes n’auroient pas manqué de s’en estre fuïs hors de vostre Ville, si-tost qu’ils auroient esté avertis de ce qui s’estoit passé à Groningue ; C’est pourquoy ie me contentay de vous envoyer ces actes, sans vous faire aucune demande pour ce qui me regarde en particulier, à cause que ie ne voulois point, ny ne veux point encore, me rendre partie contre eux, et que ie pensay que vous aimeriez peut-estre mieux faire justice de vostre propre mouvement, en une cause si publique et si manifeste, que si vous y estiez exhortez par quelqu’un.
AT VIII-2, 226 Mais ie n’ay encore pû remarquer, que les avertissemens que i’eus l’honneur alors de vous envoyer ayent produit aucun effet, seulement quelques iours apres on me donna copie de cét acte.
De Vroetschap der stadt Utrecht interdiceert ende verbiedt Clerselier III, 18 wel scherpelz de Boeckdruckers en Boeck vercopers binnen de se stadt en de vrijheijt van dien te drucken oft te doen druchen, mitsgars te vercopen oft te doen vercopen einige boexkens oft geschriften pro oft contra Descartes, op arbitrale correctie, actum den 11. Iunij 1645. Et signé C. De Ridoler. De la Iustice de la Ville d’Utrecht, interdit et deffend fort rigoureusement aux Imprimeurs et vendeurs de Livres dans cette Ville et franchise de pouvoir imprimer ou faire imprimer, vendre ou faire vendre quelques petits livrets, ou Escrits pour ou contre Descartes, sous correction arbitraire, Fait le11. Juin 1645. Et signé : C. De Ridoler.
Cela m’eust donné occasion de iuger que vous vouliez entierement assoupir l’affaire, sinon que i’appris en mesme temps que Voëtius avoit un livret contre moy sous la presse, sçavoir une Lettre au nom de Schoock, dont il faisoit achever l’impression sans le AT VIII-2, 227 consentement de l’Autheur, pour tascher de luy nuire et de publier de nouvelles calomnies contre moy ; On a encore depuis imprimé plusieurs Livres au nom de son fils, qui ont tous esté contre moy (bien qu’ils ayent aussi esté contre d’autres) et ie m’assure que vous ne le nierez pas, puisque vous avez condamné un Livre, comme estant contre Voëtius, bien qu’il n’y eust contre luy que deux ou trois periodes, et que le reste fust contre un Iesuite ; Mais ie n’ay point appris que les Libraires, qui ont imprimé ou vendu ces Livres écrits contre moy, en ayent aucunement esté en peine.
Outre cela Voëtius et Dematius ont si peu de crainte de la Iustice, pour le crime dont ils sont convaincus par leurs propres écritures, qu’au lieu de s’en estre fuïs, ainsi que ie m’estois persuadé, ils ont intenté un procez d’injures contre Schoock, comme s’il les avoit calomniez, à cause qu’il n’a pas voulu persister en la malice qu’ils luy avoient enseignée, et qu’il a osé declarer la verité à ses Iuges legitimes, lors qu’il en a esté requis, et qu’il ne pouvoit éviter les peines AT VIII-2, 228 que meritent les calomniateurs, sinon en la declarant. Mais ce procez ayant esté au commencement debatu de part et Clerselier III, 19 d’autre avec assez d’ardeur, a esté tout à coup arresté, lors qu’il estoit presque en estat d’estre iugé, en sorte que depuis quelques mois, i’apprens qu’il ne se poursuit plus.
AT VIII-2, 229 Ce qui est cause que moy qui en attendois la decision, esperant qu’elle serviroit beaucoup à faire connoistre les torts que i’ay receus, ie pourrois AT VIII-2, 230 d’oresnavant estre appellé desertor causæ, comme les Voëtius me nomment desia, si ie differois davantage à faire tout mon possible pour tascher d’obtenir justice. Et à cét effet, ie croy estre obligé de vous dire icy en quelle sorte le ieune Voëtius parle des procedures qu’il dit avoir esté faites contre moy en vostre Ville, et de celles qui ont esté faites à Groningue contre Schoock, afin que comparant les unes avec les autres, vous puissiez remarquer s’il vous oblige ou non, en écrivant de telles choses, et que cela vous incite à me donner la satisfaction que ie pretens.
Entre les divers Livres que le ieune Voëtius a publiez pour son pere, pendant son procez contre Schoock, dont ie ne sçay pas le nombre, il y en a un intitulé Pietas in parentem, dans lequel depuis la quatriéme page de la feüille premiere iusques à la deuxiéme de la feüille K (les pages n’en sont pas autrement cottées) il parle expressement de la sentence qu’il assure que vous avez donnée contre mes Livres, et y dit entr’autres choses que toute l’affaire a esté commise à des deputez, ex ordine Senatorio et Collegio DD. Professorum, ou comme il parle en la page treiziéme de la feüille A, que res omnis per deputatos Politicos et Academicos peracta est. Mais quelque soin que i’aye eu de m’enquerir qui ont esté ces deputez, ie n’ay encore pû apprendre les noms d’aucun d’eux. Il dit aussi qu’ils ont fondé la question dont ils ont voulu s’enquerir, sur ce qu’en ma Réponse à vostre publication du AT VIII-2, 231 treiziéme Iuin, ie vous ay prié, que puisque vous faisiez Voëtius criminel, et que vous aviez dessein d’examiner sa vie, il vous plust entr’autres choses vous enquerir, s’il n’estoit pas complice des calomnies qui sont dans le Livre écrit sous le nom de Schoock contre moy. Clerselier III, 20 Ensuite dequoy il veut que l’on croye qu’ils ont supposé que i’assurois que Voëtius estoit autheur de ce Livre, quoy qu’il soit tres-certain que ie n’ay expressement assuré autre chose, sinon qu’il en estoit responsable, ayant esté fait pour luy, et de son consentement, et ainsi qu’ils m’ont fait l’accusateur, ou le demandeur, et Gisbert Voëtius le criminel, ou le deffendeur, nonobstant qu’en cette mesme Réponse, sur laquelle ils ont fondé leur question, à ce qu’il dit, i’avois tres expressement declaré que ie ne voulois point me rendre partie contre Voëtius, ny l’appeller en justice devant vous, et que vous n’aviez point de juridiction sur moy, et mesme que ie protestois d’injures en cas que vous en voulussiez usurper aucune.
De plus, il assure que son pere n’a iamais esté oüy en cette affaire, et mesme qu’il ne l’a aucunement sollicitée ou procurée. Nunquam (dit-il) amplissimus Senatus parentem super hoc negotio interrogavit, nec parens illi quicquam respondit, nec unquam judicium Senatus de famosis Cartesij libellis sollicitavit, aut procuravit. Et il change entierement la question ; car en vostre publication du treiziéme Iuin, vous avez declaré que si les choses que i’avois écrites de Voëtius estoient vrayes, il estoit indigne des charges qu’il a en vostre Ville, et mesme qu’il y estoit grandement nuisible, AT VIII-2, 232 et que pour ce sujet vous vouliez prendre l’affaire à cœur, et en rechercher la verité ; Ce qui ne souffre point d’autre interpretation, sinon que vous vouliez vous enquerir, si entre les choses que i’avois écrites de luy, celles que vous iugiez le rendre indigne de ses charges, et luy devoir estre imputées à crime, estoient vrayes. Mais la seule chose que le ieune Voëtius dit que ces deputez ont examinée (à sçavoir, si son pere estoit autheur du Livre qui porte le nom de Schoock) n’est point de ce nombre ; Car vous n’avez aucunement consideré ce Livre, comme un crime au regard de celuy ou de ceux qui l’ont composé : ainsi qu’il paroist de ce que Schoock s’en declaroit ouvertement l’autheur, lors qu’il estoit en vostre Ville, et s’en chargeoit pour en descharger Clerselier III, 21 Voëtius, sans que vous ou vos deputez l’en ayez repris ; et mesme encore à present, en tous les écrits que publient le ieune Voëtius, il loüe et deffend au nom de son pere tout ce qu’il y a de plus mauvais en ce Livre, sans toutesfois en estre puny. De façon, qu’au lieu que vous aviez auparavant declaré, que vous vouliez vous enquerir, si Voëtius estoit coupable des crimes que ie luy avois imposez, il assure que ces deputez se sont seulement enquis d’une chose, que ny luy ny eux n’ont point tenuë pour un crime, et ainsi qu’ils m’ont condamné, pource qu’ils ont supposé que i’avois accusé Voëtius d’une chose, pour laquelle on ne l’auroit point condamné, encore qu’il en eust esté convaincu ; bien qu’il soit tres-vray qu’il en est coupable, et tres-faux que ie l’en eusse accusé ; Car i’avois declaré que ie ne AT VIII-2, 233 voulois point me rendre partie contre luy ; Et dans mes Escrits i’assure seulement que ce Livre a esté fait pour luy, et luy le sçachant, ce qu’il ne desavoüe en aucune façon.
Outre cela toutes les preuves qu’il dit qu’on a cherchées ne sont autres, sinon qu’on a examiné les raisons que i’avois mises en mon Livre, pour prouver que son pere estoit autheur de celuy qui porte le nom de Schoock, et qu’on ne les a pas trouvées suffisantes. Mais il n’adjoûte pas que ie n’avois point assuré que son pere en fust l’autheur, et au contraire que i’avois mis expressement en la page 261. de l’Edition Latine de ce Livre, que ie ne le voulois point persuader aux Lecteurs, mais seulement qu’il avoit esté fait pour luy, luy le sçachant et y consentant ; qui sonrsont des choses qu’il avoüe, et qu’il dit que son pere n’a iamais niées.
Par quelle regle est-ce donc qu’il veut persuader, ie ne diray pas que i’estois obligé de prouver autre chose que ce que i’avois écrit ; mais ce qui est encore plus estrange, supposer que i’avois esté obligé de mettre dans mon Livre assez de raisons pour prouver une chose que ie n’assurois pas estre vraye.
Il n’adjoûte pas aussi que dans ma Réponse à vostre publication du treiziéme Iuin, sur laquelle Réponse il dit que Clerselier III, 22 ces deputez se sont reglez, i’avois mis expressement, que s’il y avoit quelque chose dans mes écrits qui fust d’importance, et dont on iugeast que ie n’eusse pas donné assez de preuves, ie m’offrois d’en donner davantage en cas que i’en fusse AT VIII-2, 234 requis. D’où il suit, qu’ils ne pouvoient Methodo à me ibi præscripta insistere, comme il dit qu’ils ont voulu faire, sinon en me demandant si ie n’avois point d’autres preuves que celles que i’avois données.
Enfin, il dit que son pere, ad abundantiorem cautelam, et sans qu’il en fust besoin, avoit donné à l’un des deputez les declamations ou témoignages de cinq personnes : à sçavoir, celuy de Schoock, auquel on a veu depuis combien il falloit adjoûter de foy, ayant declaré devant ses Iuges à Groningue, qu’il a esté sollicité par Voëtius, Dematius et Waeterlaet, de donner ce témoignage, et qu’il avoit souvent souhaitté, ut in formâ de specialibus interrogaretur, juxta conscientiam de illis responsurus, d’estre interrogé des circonstances suivant les formes de Iustice, afin de pouvoir descharger sa conscience ; Puis celuy du Libraire qui est affidé aux Voëtius, et qui a encore imprimé depuis peu leur Tribunal iniquum ; en sorte que s’il n’a rien deposé de faux pour l’amour d’eux, ce que ie ne puis dire, à cause que ie n’ay pas veu son témoignage, il est aisé à croire qu’il n’a aussi rien declaré, que ce qu’il leur a pleu, et qu’il a tû le reste ; puisque ce sont eux, et non les Iuges, qui luy ont fait écrire ce témoignage. Le troisiéme est celuy de Waeterlaet, que Schoock assure avoir esté employé par Voëtius et Dematius pour aider à le AT VIII-2, 235 corrompre, et ainsi qu’il n’a pas eu besoin d’estre corrompu ; outre que c’est un si reverend personnage, que bien qu’il soit Intimæ admissionis apud Voëtium, neantmoins Schoock s’estime trop bon, pour avoir quelque chose à deméler avec luy. Le quatriéme témoignage est de celuy qui se dit autheur d’un ie ne sçay quel Livre intitulé Retorsio calumniarum, etc. Mais cét homme ne peut avoir declaré autre chose, sinon que c’est luy qui est autheur de ce Livre, et non pas Voëtius, auquel ie ne l’ay Clerselier III, 23 point expressement attribué ; i’ay seulement dit que plusieurs l’en soupçonnoient ; et quand ie luy aurois attribué, cela ne me pourroit estre imputé à crime, pource qu’il ne croit aucunement que ce soit un crime de l’avoir fait, et qu’il le loüe et le deffend encore à present le plus qu’il peut. Le dernier est d’un ie ne sçay quel Estudiant, qui ne sçauroit aussi avoir témoigné autre chose, sinon que c’est luy, et non pas Voëtius qui est autheur de certains Vers injurieux distribuez en vôtre Academie en sa faveur, et en sa presence, pendant des disputes : Mais ie ne l’ay iamais accusé d’estre mauvais Poëte, i’ay seulement dit qu’il avoit fait faire ces Vers, ou du moins qu’il avoit permis qu’ils fussent faits ; Et cela ne peut estre nié ; outre que des Vers de telle sorte, sont si peu criminels au iugement des Voëtius, que le fils en a encore depuis peu fait imprimer d’autres, en des Theses qui sont de ce mesme Estudiant, et autant injurieux que les precedens ; Mesme il y fait cét honneur à vostre Academie, que de dire de quelqu’un, qu’on sçait estre du nombre de vos AT VIII-2, 236 Professeurs, qu’il est mon singe, ce qu’il exprime en ces termes, Simia mendacis Galli ; mendacior ipse. Et il est aisé à voir que ces deux derniers témoignages n’ont esté joints aux trois precedens, que pour faire nombre ; et afin que Voëtius pust dire, que la sentence n’a pas seulement esté fondée sur ce que ie luy ay attribué un Livre qu’il n’a point fait, mais sur ce que ie luy en ay attribué plusieurs ; et ainsi que ceux qui sçauroient la justice de ma cause, touchant chacun de ces Livres, peussent penser que ie l’ay peut-estre encore accusé à tort de quelques autres, suivant une regle, que luy et son fils ont coûtume de pratiquer, et que toutesfois ils reprochent aux autres, en disant, Dolus versatur in generalibus. Mais si leurs deputez ne se sont fondez, comme ils disent, que sur ma Réponse à vostre publication, ils n’ont pû s’enquerir que du Livre qui porte le nom de Schoock, pource que ie n’y ay parlé que de celuy-là : Et il est certain que ie n’ay point assuré que G. Voëtius fust autheur ny de celuy-là, ny d’aucun autre, auquel il n’ait point mis son nom, et que ie ne Clerselier III, 24 l’ay soupçonné d’aucun, qu’il n’ait rendu sien en le loüant et le deffendant, ainsi que parle son fils en sa Pietas in parentem, feüille B. page 14. ligne 9.
Vous voyez donc, Messieurs, que suivant la description que le ieune Voëtius fait de vostre sentence (en quoy ie ne le veux nullement croire, si ce n’est que vous m’y obligiez) elle a esté composée par des deputez AT VIII-2, 237 qui n’ont oüy aucune des parties, ny aucuns témoins ; Qui ont fait accusateur celuy qu’ils ont condamné, nonobstant qu’il eust declaré qu’il ne se vouloit point rendre partie, et qu’il ne fust aucunement sujet à vostre juridiction ; Qui ont fait cela sans l’en avertir, ny mesme vouloir estre connus de luy, nonobstant qu’il se fust offert à donner d’autres preuves que celles qu’il avoit écrites, si on luy en demandoit ; Qui ont changé la question sur laquelle vous aviez fondé vostre premiere publication, et n’ont examiné qu’une chose qu’ils ont supposée, que l’accusateur avoit écrite, bien qu’il ne l’eust pas écrite ; qu’ils ont declaré estre fausse, bien qu’elle soit vraye ; qu’ils n’ont point considerée comme un crime au regard de celuy qui l’avoit faite, mais seulement au regard de celuy qu’ils supposoient l’en avoir accusé ; et enfin qui ne se sont pas contentez d’absoudre le criminel, en iugeant que ce dont on l’avoit accusé estoit faux, mais outre cela ont condamné celuy qu’ils avoient rendu accusateur.
Et toutesfois ie vous prie icy de remarquer, qu’il ne s’ensuit point d’aucunes loix, que de ce que le criminel est absous, l’accusateur doive estre condamné ; si ce n’est qu’on puisse prouver, qu’il a entrepris l’accusation Animo calumniandi, et sans avoir raison de croire ce qu’il disoit : En sorte que bien qu’il eust esté faux que Voëtius fust autheur des principales calomnies de ce Livre, ce qui neantmoins estoit vray ; et bien que ie l’en eusse accusé, ce que ie n’avois pas fait, et qu’ils eussent iugé que l’autheur de ces calomnies estoit punissable, ce qu’ils n’ont aucunement fait paroistre, et que i’eusse esté sujet à leur juridiction, et enfin qu’ils AT VIII-2, 238 eussent oüy les deux parties et les témoins, et observé toutes Clerselier III, 25 les formes d’un procez legitime, ils n’auroient eu pour cela aucun sujet de me condamner ; pource que les presomptions, qui sont tres-notoires à un chacun, estoient suffisantes pour prouver que ie ne l’avois point accusé, Animo calumniandi, et que i’avois eu iuste raison de le faire.
On dira peut-estre que ie n’ay pas esté condamné pour l’avoir accusé d’avoir fait ce Livre, mais pource que i’ay écrit de luy plusieurs autres choses qu’on auroit punies en luy, si elles eussent esté vrayes, lesquelles ayant esté estimées fausses, on s’estoit seulement enquis s’il avoit fait le Livre qu’on a écrit contre moy, afin que s’il en eust esté l’autheur, on pust m’excuser de ce que ie l’avois injurié le dernier. Mais si cela estoit, ils devoient donc specifier quelque mot de mes Escrits par lequel il pust pretendre d’avoir esté injurié, et m’en avertir ; afin que si ie ne l’avois pas encore assez verifié, ie pusse en donner d’autres preuves. Or cela n’a point esté fait ; Et ie puis assurer que les deux Escrits, qu’on dit que vous avez condamnez, ne contiennent aucune chose, non seulement qui ne soit tres-vraye, mais mesme qui fust assez d’importance pour fonder un procez d’injures, si elle avoit esté fausse, excepté une, qui est que ie l’ay nommé calomniateur et menteur ; Mais ie l’ay si clairement prouvé, au lieu mesme où ie l’ay écrit, qu’il ne luy auroit pas esté avantageux de s’en plaindre ; Et si on m’en eust AT VIII-2, 239 demandé des témoins, i’en avois, non pas un ou deux, mais iusques à treize entierement irreprochables, tous de vostre Religion, et des plus qualifiez de la ville de Boisleduc, qui assurent qu’il les a calomniez ; et ils ont rendu leur témoignage public, en le faisant imprimer.
Ie puis assurer aussi que bien que les Voëtius ayent publié plusieurs libelles depuis mon second Escrit, intitulé Epistola ad celeberrimum virum, etc. dans lesquels ils taschent de le refuter, ils n’y ont toutesfois sceu specifier aucune chose en quoy ils pretendent que ie leur aye fait tort, sinon que i’ay dit que G. Voëtius estoit coupable du Livre de Schoock ; Et que pour persuader à ceux qui ne le liroient qu’en Flamend, Clerselier III, 26 qu’il y a beaucoup d’injures dans le Latin, qui ont esté obmises par l’interprete, ils ont remarqué que scurrilia dicteria n’a pas esté bien tourné par Poetische schimpwoorden. Mais outre que ç’a esté la faute de l’Imprimeur, qui a mis poetische au lieu de poetsighe, ils se plaignent en cela de n’avoir pas esté assez battus, plûtost que de l’avoir trop esté.
AT VIII-2, 240 Ainsi, Messieurs, vous pouvez voir qu’ils se vantent d’avoir obtenu de vous la condamnation d’un Escrit, dans lequel ils ne peuvent remarquer eux-mesmes aucun sujet de se plaindre. Et afin que vous sçachiez que lors qu’ils décrivent les particularitez de cette condamnation, en disant que G. Voëtius ne l’a point sollicitée ny procurée, qu’il n’a iamais esté oüy par vos deputez, qu’il a luy-mesme donné à l’un d’eux les declarations des témoins, qui n’ont point aussi esté ouïs, et plusieurs autres choses semblables, ce n’est pas pour vous faire honneur, ny pour persuader leur innocence ou mon crime à ceux qui liront leurs Escrits, (car on sçait bien que si i’avois le moindre tort, i’aurois esté appellé devant mes Iuges legitimes, et que G. Voëtius et vous, si vous desiriez entreprendre sa cause, auriez eu assez de credit pour obtenir d’eux la justice, sans suivre des voyes si extraordinaires) mais que c’est plûtost pour faire gloire du pouvoir qu’ils ont auprés de vous, et pour se rendre formidables à ceux qui sont vos sujets, sçachant que la connoissance qu’on a de leurs crimes les rendra d’oresnavant méprisables au reste du monde, ie vous prie de vouloir considerer que dans le mesme Livre où le ieune Voëtius écrit de vous toutes ces choses, et encore dans un autre intitulé Tribunal iniquum, qu’il a fait depuis tout exprés, pour calomnier Messieurs de Groningue, à cause de la Iustice qu’ils m’ont renduë, il leur reproche impudemment, et sans aucune raison, les mesmes choses qu’il declare que vous avez faites, et prend de là sujet de les injurier et blâmer, avec toutes les plus odieuses invectives qu’il puisse inventer.
AT VIII-2, 241 I’en mettray seulement icy deux ou trois exemples tirez de ce Tribunal iniquum. Le premier est en l’Epistre p. 9. où Clerselier III, 27 il dit ces paroles : Licebit protestari contra iniquam illam sententiam, ac judicium in quo nihil est judicij, imo in quo tot ferè nullitates, quot ab imperitissimis rerum juridicarum committi possent : quales sunt judicis incompetentia, allegationum falsitates, neglectæ citationes partium, litis contestatio, et plura alia, quæ in libro meo notata reperiuntur. Ainsi il appelle cela une sentence inique, et un iugement qu’on a fait sans iugement, pource qu’il suppose que le Iuge a esté incompetent, les allegations fausses, la citation des parties negligée, et où la cause n’a point esté debatuë. En la quinziéme page du Livre il prononce contre eux ces sentences : Quicunque nocentem justificat, ac innocentem condemnat, uterque Deo abominatio, et suppliciis ille dignus, qui cum debuerit vindicare oppressum, ipsum opprimere reperitur. Et dans les pages 31. 32. et 33. il nomme et décrit chacun des Iuges en particulier, en feignant d’eux tout le pis qu’il peut, pour tascher de les rendre suspects. Ie ne croy pas qu’aucun de vous, ou de Messieurs vos deputez, fust bien-aise d’estre décrit de la sorte ; Et i’aurois peur de vous ennuyer, si ie m’arrestois icy davantage à remarquer combien il vous offense lors qu’il écrit toutes ces choses.
Mais ie suis obligé de vous representer combien il offense Messieurs de Groningue par l’iniquité de ses calomnies. Et premierement, pour l’incompetance AT VIII-2, 242 qu’il leur reproche, elle est hors de toute apparence : Car ma cause a esté addressée et recommandée par Monsieur l’Ambassadeur, à Messieurs les Estats de la Province, en laquelle Schoock, dont ie me plaignois, est Professeur, et elle a esté decidée par les autres Professeurs, qui selon les privileges de leur Academie estoient ses Iuges legitimes ; et qui par consequent en cela n’ont pas simplement agi comme Professeurs, mais comme Magistrats ; Outre cela, leur iugement a esté reveu, examiné, et confirmé par Messieurs les Curateurs de la mesme Academie, qui sont des Estats de la Province ; Et toutesfois le ieune Voëtius ose écrire tout un Livre contre ce iugement, avec un titre si odieux que de le nommer Tribunal iniquum, et se Clerselier III, 28 fie tant en vostre protection, qu’il ne craint pas d’offenser par ce moyen toute la souveraineté d’une Province.
Il dira peut-estre que i’ay aussi osé écrire contre un iugement de vostre Academie : Mais il n’y a aucune comparaison de l’un à l’autre ; Car en ce iugement pretendu de vos Professeurs, il n’estoit question ny du civil ny du criminel (dequoy aussi vos Professeurs n’ont aucun pouvoir de iuger) mais seulement de la Philosophie, touchant laquelle, ie m’assure que plusieurs estiment que ie suis iuge aussi competent pour le moins que toute vostre Academie ; Et il y a autant de difference entre le iugement qu’impugne le ieune Voëtius, et celuy que i’ay cy-devant impugné, qu’il y a entre les vrais combats qui se font en guerre, où AT VIII-2, 243 l’on est en hazard de sa vie, et les combats des Theatres, ou bien les disputes qu’on fait contre des Theses en vostre Academie, sans aucune effusion de sang, et mesme sans aucunement se fascher, quand ceux qui disputent sont gens d’honneur. Iamais on n’a veu que des Migistrats se soient mélez des disputes qui arrivent ainsi entre les gens de Lettres, touchant des matieres de Philosophie ; comme au contraire ie n’ay iamais veu, ny oüy dire, que quelqu’un ait impugné insolemment, avec des faussetez manifestes, et des calomnies insupportables, un iugement fait par des Iuges legitimes, qui sont amis et confederez de ceux ausquels il est sujet, sans en estre rigoureusement puny.
Or le ieune Voëtius ne peut estre excusé des reproches qu’il fait à Messieurs de Groningue, sur ce que son pere n’est pas de leur juridiction, et qu’on ne l’a pas cité, ny debatu la cause avec luy : Car son pere n’a esté ny demandeur ny deffendeur en cette affaire, et on n’a rien du tout iugé contre luy, on a receu seulement les depositions de Schoock, comme on fait en tous les procez criminels, lors que ces depositions peuvent servir pour excuser le crime de celuy qui est accusé. Par exemple, si on se plaint de quelqu’un, pour avoir receu de luy un payement en fausse monnoye, et que cettuy-cy pour s’excuser, die qu’il n’a point sceu que Clerselier III, 29 cette monnoye fust fausse, et que ce n’est pas luy qui l’a faite, mais qu’elle luy a esté donnée par un autre, si cét autre n’est pas de mesme juridiction, ses Iuges n’ont pas droit de le citer, ny de luy faire son procez ; mais ils ne peuvent pour cela AT VIII-2, 244 refuser de recevoir les depositions qui sont faites contre luy, ny mesme d’en examiner la verité, entant qu’elle sert pour la descharge de celuy dont ils doivent iuger : Et si elles contiennent des preuves si claires que cela les oblige à luy pardonner, ils doivent faire part de ces preuves à celuy à qui cette fausse monnoye a esté donnée en payement, afin qu’il puisse avoir son recours contre celuy qui l’a fabriquée.
Les injures et calomnies qui sont dans le Livre de Schoock, peuvent à bon droit estre comparées à cette fausse monnoye ; Et pource que, lors que ie me suis plaint de luy à l’occasion de ces injures, il a voulu s’excuser sur ce que ce n’est pas luy, mais G. Voëtius, qui les a fabriquées, et que ne me connoissant pas il a ignoré qu’elles estoient fausses, ses Iuges ont esté obligez de considerer s’il disoit vray, avant que de le condamner ou de l’absoudre, et il a mis de tels actes en leurs mains, qu’ils ne pouvoient me rendre la justice que ie leur avois demandée, sinon en me les envoyant.
Le ieune Voëtius n’a point aussi sujet de se plaindre, de ce que le procez n’a pas duré fort long-temps, que ie n’ay agi que par une Lettre, sans avoir ny Advocat ny Procureur ; et enfin qu’on n’a pas usé de toutes les formalitez que la chicane a inventées, pour rendre les procez immortels : Car ces formalitez ne peuvent estre requises, que lors que le droit est douteux ; Et c’est l’ordinaire en toutes les Cours de Iustice, que lors qu’une des parties a si mauvais droit qu’on voit par son propre plaidoyé qu’elle doit perdre sa cause, AT VIII-2, 245 on ne prend pas la peine d’ouïr les repliques de l’autre : Ainsi on a bien donné à Schoock autant de loisir qu’il en a desiré pour consulter son affaire, et pour la deffendre ; Il ne se plaint point qu’on luy ait fait aucun tort en cela ; et il ne peut dire aussi que l’eloquence de mes Advocats, ou la subtilité de mes Procureurs, ait surpris ses Iuges, il n’y a eu que Clerselier III, 30 l’evidence de mon bon droit qui ait plaidé pour moy ; mais les Iuges ont esté si equitables, et ma demande si moderée et si iuste, qu’ils me l’ont entierement accordée.
Le ieune Voëtius n’a point non plus de raison de tascher de rendre ce iugement suspect, sur ce qu’il contient un mot ou deux qui ne luy sont pas agreables ; à sçavoir, Scelerata manus, et scenæ servire ; ny aussi sur ce que l’un des Iuges m’est amy, et n’est pas amy de son pere. Car pour les mots qu’il trouve rudes ce sont les plus doux dont pouvoient user des Iuges vertueux, et qui ont les vices en horreur, pour exprimer le crime dont il estoit question ; Outre que ces mots ne sont mis que comme des depositions de Schoock, qui apparemment en avoit dit beaucoup d’autres plus odieux au regard de G. Voëtius, pour se descharger en l’accusant ; Et pour exprimer l’iniquité de ceux qui avoient inseré dans son Livre, sans qu’il en sceust rien, des calomnies assez criminelles pour le mettre en peine, que pouvoit-il moins que de dire sans nommer personne, que ces calomnies avoient AT VIII-2, 246 esté inserées a scelerata manu ? Ainsi, puisque G. Voëtius prend cela pour soy, c’est seulement son crime qui l’offense, et non pas ceux qui l’ont nommé.
Que peut-on dire aussi de plus doux, que de comparer à une comedie, non point vostre iugement (comme Voëtius tasche de vous persuader, afin de vous engager en ses querelles en vous animant contre Messieurs de Groningue, ainsi qu’il vous a voulu cy-devant animer contre moy) mais les intrigues dont il s’est servy, en fabriquant de faux témoins, et faisant toutes les autres choses qu’il doit avoir faites pour obtenir de vous la sentence qu’il a obtenuë, et pouvoir apres cela se vanter, comme il fait, qu’il ne l’a iamais sollicitée ny procurée.
Pour ce qui est de l’amitié qu’il pretend que i’ay avec l’un des Iuges, il me fait tort de penser qu’il n’y en ait qu’un qui me soit amy, car ie m’assure qu’ils le sont tous, comme aussi de mon costé, il n’y a aucun d’eux que ie n’estime et que ie n’honore. Mais l’amitié qui est entre eux et moy, n’est pas Clerselier III, 31 de mesme espece que celle que G. Voëtius a contractée avec Schoock, Dematius, Waeterlaet, et semblables, qu’il engage peu à peu en ses querelles, et oblige à sa deffense, en les rendant ses complices, et les poursuivant à outrance, comme de tres-cruels ennemis, lors qu’ils témoignent avoir envie de se repentir ; comme il a paru en l’exemple de Schoock, qu’il avoit appellé en justice pour ce sujet ; Et apres s’estre reciproquement menacez, qu’ils découvriroient les secrets l’un de l’autre, la crainte qu’on ne sçache ces misteres, semble les avoir ralliez AT VIII-2, 247 Il n’y a point de tels secrets, entre Messieurs les Professeurs de Groningue et moy, leur bien-veillance n’est fondée sur aucun interest, ny mesme sur aucune conversation : Car ie n’ay iamais parlé que deux fois à celuy dont il me reproche particulierement l’amitié, et ie ne luy ay point écrit durant cette affaire, pource qu’il avoit témoigné ne vouloir pas s’en méler.
La haine aussi que le ieune Voëtius dit que le mesme porte à son pere est si iuste, et G. Voëtius l’a si bien meritée, que ie ne la sçaurois nier ; Toutesfois celuy qu’il prend ainsi pour son ennemy, a tasché tant de fois de se reconcilier avec luy, qu’il a monstré n’avoir point de haine pour la personne de Voëtius, mais seulement pour ses vices ; Et ie croy que cette mesme haine a esté aussi en tous les autres, et qu’il n’y en a aucun qui n’ait eu de l’horreur et de l’aversion pour le crime de G. Voëtius, lors qu’ils ont veu les actes que Schoock a produits : Car ces actes sont tels, que par le propre témoignage du fils, plusieurs ont creu, lors qu’ils les ont veus, que ny luy ny Dematius ne pourroient plus d’oresnavant estre receus au nombre des gens d’honneur ; Mais cette bien-veillance et cette haine n’ayant esté fondées que sur le zele de la justice, dautant plus qu’elles ont esté grandes, et qu’elles ont rendu ma cause plus favorable, et celle de Voëtius plus odieuse, à ceux qui en ont eu connoissance, dautant mieux prouvent elles l’equité de leur iugement.
Quoy qu’il en soit, ce ne peut estre ny l’amitié ny AT VIII-2, 248 la haine des Iuges qui ont rendu G. Voëtius et Dematius criminels ; Clerselier III, 32 ce sont les actes écrits de leur main, lesquels ils n’ont point iusques icy desavoüez, qui les rendent manifestement coupables d’avoir tasché de corrompre Schoock, et mesme de l’avoir corrompu, pour donner un faux témoignage contre moy. Car premierement pour connoistre ce que Voëtius a voulu que Schoock assurast en justice, il faut seulement considerer, que dans le principal de ces actes, qui est une forme de témoignage écrite de la main de Voëtius, et qu’il a envoyée à Schoock, pour la suivre, il veut expressement qu’il assure que c’est motu proprio et sponte sua, de son propre mouvement qu’il a entrepris d’écrire contre moy ; Et qu’il a fait son Livre partie à Utrecht, et partie à Groningue, Et quidem solum, ita ut nec D. Voëtius nec quisquam alius eius auctor, sive in totum sive ex parte fuerit, aut quod ad materiam, aut quod ad dispositionem, aut quod ad stylum : Et ainsi qu’il nie que Voëtius luy ait fourny aucune matiere. A quoy on peut adjoûter une Lettre du mesme Voëtius écrite à Schoock, en datte du 21. Ianvier 1645. laquelle Messieurs du Senat Academique de Groningue ont fait imprimer, dans le Bonæ fidei sacrum, page 35. où sont ces mots : Summa huc redit. Te ex re consilium cepisse, et statuisse AT VIII-2, 249 (à sçavoir d’écrire contre moy) teque opus illud quod ad materiam, formam, methodum, stylum, inchoasse, absolvisse ; chartas et schedas à me tibi nullas suppeditatas aut submissas, nec ullam vel mininiam pagellam præformatam, quam in describendo tuam feceris, etc.
Puis afin de sçavoir que ces choses (qui ne consistent qu’en deux articles, le premier est que Schoock a écrit contre moy de son propre mouvement et sans que Voëtius l’y ait exhorté ; l’autre qu’il ne luy a point du tout fourny de matiere pour écrire) sont tres-fausses, il suffit de voir une autre Lettre du mesme Voëtius à Schoock, qui est aussi dans le Bonæ fidei sacrum, page 28. en datte du 2. ou 3. nonas Iunij 1642. car d’abord on y trouve ces mots : Non pigebit denuò te hortari, ut in disputationibus contra scepticos pergas, et quidem quam primùm, sequestratis tantisper reliquis tuis meditationibus. Erit hæc pulcherrima occasio furiosi et ventosi istius pro Clerselier III, 33 missoris R. Descartes, hiatum obstruere : Appendix illa ad Meditationes primæ Philosophiæ edita Amstelredami, in primis te ad operis huius delineationem exstimulare debet. Est illa tot furiosis et contradicentibus mendaciis ac calumniis in hanc AT VIII-2, 250 Academiam nostram, meamque imprimis professionem delibuta, ut ferream quorumvis Lectorum patientiam vincat. Voilà comme il parle d’un innocent écrit, où ie n’avois rien mis de luy qu’il n’eust merité au double. Et cecy monstre evidemment que Voëtius a exhorté Schoock à écrire contre moy ; car il use mesme des mots hortari et exstimulare ; et qu’il l’y a exhorté plus d’une fois, car il dit denuò te hortari ; et que ç’a esté à l’occasion de ce qu’il nomme, Appendix ad Meditationes primæ Philosophiæ, qui est l’Escrit contre lequel est fait le Livre de Schoock. Ie sçay bien qu’il répond à cela, qu’il l’exhortoit par cette Lettre à continüer d’écrire des Theses contra scepticos et d’impugner mes opinions dans ces Theses ; mais le titre du Livre que Schoock a fait depuis contre moy, n’estant pas encore alors inventé, il ne pouvoit plus expressement l’exhorter à l’écrire, qu’en l’exhortant à m’impugner ; Et bien qu’il donnast alors le nom de Theses, ou de disputes, à ce qu’il vouloit estre fait contre moy, et dont il a luy-mesme depuis inventé le titre, ainsi que declare Schoock, ce ne laissoit pas d’estre en effet le mesme Livre, pource qu’il n’est aucunement question du nom, mais de la chose, à sçavoir, des calomnies dont ie m’estois plaint.
Et afin que ie puisse mieux éclaircir cecy, ie vous prie de vouloir remarquer que trois divers Escrits ont esté publiez en cette occasion pour Voëtius ; à sçavoir, le Livre intitulé Admiranda methodus, ou bien Philosophia Cartesiana, qui n’est autre chose qu’un amas AT VIII-2, 251 d’invectives contre moy, sous pretexte d’impugner mes opinions ; puis la Preface de ce mesme Livre, avec ses Paralipomenes, où l’on tasche expressement de répondre à ce que i’avois écrit de Voëtius ; et le troisiéme la Narration historique qui a parû au nom de vostre Academie, où il est traitté des choses qui se sont passées au regard de Monsieur Regius. Or on voit clairement Clerselier III, 34 par la Lettre du troisiéme Iuin 1642. que Voëtius avoit dés-lors dessein de m’impugner en ces trois façons ; Car outre la premiere, à laquelle il exhorte Schoock, par les paroles que i’ay desia citées, voicy comme il parle des deux autres : De iis quæ Academiam nostram tangunt, videbunt DD. Professores, nec patientur eum conqueri nos esse ipsi debitores. De iis quæ in me immerentem congerit maledictis retundendis, etiamnum deliberamus. Ut silentio litemus, nemo ex Collegis, quod sciam, consulit ; Sed per quem aut qua ratione respondendum sit, ἐν δοίν μάλα θύμοσ Sunt qui me, sunt qui filium, sunt qui te designant : Sed de hoc amplius. Interim quæ ad veritatem historiæ pertinent, consignabantur ; etiam, ubi opus, testimoniis confirmabuntur. Ainsi, il avoit deslors intention de faire que ses DD. Professores s’interessassent en son party ; Et pour ce qui le regardoit en particulier, qui est ce que contient la Preface du Livre de Schoock, il estoit bien resolu de ne se pas taire : Car il dit, Ut silentio litemus nemo consulit ; Mais il estoit encore incertain, si ce qu’il écriroit ou feroit écrire sur ce sujet, devoit paroistre AT VIII-2, 252 sous son nom, ou sous celuy de son fils, ou plustost sous celuy de Schoock ; Et il dit luy-mesme, Sed de hoc ampliùs. Ce qui est proprement à dire, que les autres luy conseillent d’écrire luy-mesme, ou de faire écrire son fils, mais que son desir à luy est que ce soit Schoock qui écrive. Et apres cela, il a voulu que Schoock declarast en justice, que c’estoit motu proprio, et sans y estre incité par Voëtius, qu’il avoit écrit.
On voit aussi par la mesme Lettre qu’il luy a fourny de la matiere, autant qu’il en a esté capable ; Car un peu apres, il y parle ainsi de mes opinions : Operæ pretium feceris, si omnia istius farinæ paradoxa excerpseris, et cum antiquorum scepticis aliisque hæreticis (apud August. et Epiphanium de hæresibus et Gennadium) teratologiis comparata, refutaris ; primò sacris Litteris ; secundo rationibus, tum directis, tum ducentibus ad absurdum, et hominem in contradictionem adigentibus ; tertiò consensu patrum ; quartò consensu antiquorum Philosophorum, Scholasticorum, et recentium Theologorum, ac Philosophorum, Clerselier III, 35 scilicet reformatorum, Lutheranorum, Pontificiorum, ut appareat esse communem causam Christianismi, et omnium scholarum. Hoc autem ubique notandum, nihil novi eum producere, sive quid sani, sive quid insani ostentet, etc. Ce sont de ces belles matieres que AT VIII-2, 253 le Livre de Schoock est composé ; Et on le peut encore voir par une autre Lettre du mesme Voëtius, écrite cinq mois apres ; à sçavoir, le 25. Novembre 1642. lors que le Livre de Schoock estoit sous la presse ; car on y trouve ces mots : Particulares opiniones Cartesij ventilare, alterius est operis et instituti. Tu modò remitte nobis nec verba nec promissa, sed excerpta illa et chartas quas tecum hinc abstulisti. Lacuna si quæ sit in generali sciographia huius methodi, nos dabimus operam ut hic suppleamus, nisi tu suppleveris : Et hæc abundè sufficient hac vice ; particulares disputationes non curamus Quid ergo ? mera convicia ? Ainsi, l’on voit que le dessein de tout le Livre n’a pas dependu de la volonté de Schoock, qui eust desiré d’impugner mes opinions en particulier, et cela auroit esté plus honneste, mais de celle de Voëtius, qui a seulement voulu qu’on parlast de moyen general, et qu’on employast tous ces lieux communs d’invectives, pour tascher de me rendre odieux ; et que par consequent il en est l’autheur principal.
Si ces preuves, qui ne consistent qu’en des actes écrits de la main de Voëtius, et qu’il ne desavoüe point, ne sont pas suffisantes pour le convaincre, mille AT VIII-2, 254 témoins n’y suffiroient pas : Mais outre cela, Schoock a declaré qu’il garde encore tout le modele de la Preface, écrit de la main de Voetius ; et c’est une Preface qui contient plus de soixante pages, et qui est la plus criminelle partie de tout le Livre ; Il a declaré le mesme de la comparaison avec Vaninus, qui est le seul fondement qu’ils prennent pour m’accuser d’Atheisme, à sçavoir, que i’ay écrit contre les Athées, et que Vaninus avoit feint d’écrire contre eux, bien qu’il fust Athée en effet ; d’où ils concluent que i’enseigne secrettement l’Atheisme ; Et il a expressement declaré que les mots qui assurent que Clerselier III, 36 subdolè atque admodum occultè Atheismi venenum allis affrico, ont esté écrits d’une autre main que de la sienne, c’est à dire, à sceleratâ illâ manu, dont i’ay parlé cy dessus ; et c’est principalement de ces mots que ie me suis plaint, pource qu’ils contiennent la plus noire et la plus punissable calomnie qu’on sçauroit imaginer, et que selon les loix, il faut AT VIII-2, 255 determiner certum crimen pour se pouvoir plaindre en justice, non pas vagari in incertum comme fait Voëtius, lors qu’il dit que ie l’ay calomnié dans mes Escrits, sans que toutesfois il ait encore iamais pû specifier aucun mot, en quoy ie luy aye fait tort.
De plus, les Paralipomenes adjoûtez à la Preface, dont la derniere periode seule contient autant d’aigreur et autant d’amertume que tout le reste du Livre, ont esté dés le commencement desavoüez de Schoock, et ne l’ont point esté de Voëtius.
Ie n’aurois iamais fait, si ie voulois icy ramasser toutes les preuves qui monstrent que le témoignage suggeré ou prescrit par luy est faux. Mais ie vous prie de considerer que toutes celles que i’ay mises icy sont réelles, et ne dependent point de la relation de Schoock ; car pour le modelle de la Preface, et les autres Escrits qu’il dit avoir entre ses mains, et qui n’ont point esté imprimez, s’il n’estoit pas vray qu’il les eust, on sçait bien que le procez de Voëtius contre luy, n’auroit pas manqué d’estre poursuivy : Ce qui monstre combien est AT VIII-2, 256 impudente la calomnie du ieune Voëtius, lors qu’il reproche à Messieurs de Groningue, qu’ils ont iugé sur la deposition d’un seul témoin, qui est ce qu’il leur reproche le plus ; Car quand ils n’auroient eu aucun égard aux paroles de Schoock, ils ont eu assez de preuves sans cela. Et toutesfois il est evident que la declaration faite à Groningue, est incomparablement plus croyable que celle qu’il avoit donnée auparavant à Utrech ; car en celle d’Utrech, outre qu’elle luy avoit esté suggerée, il ne deposoit que les choses qu’il pensoit estre à son advantage, à sçavoir, qu’il estoit autheur d’un Livre, auquel il avoit desia Clerselier III, 37 mis son nom, et il n’estoit point en la presence des Iuges, il n’avoit point peur d’estre repris, encore que ce qu’il declaroit ne fust pas vray, il le donnoit seulement par écrit à un amy, qu’il estimoit assez puissant pour le pouvoir tirer de peine, encore que sa fausseté fust découverte ; au lieu qu’à Groningue, il a deposé ce qu’il avoit honte qu’on sceust, et qui devoit grandement déplaire à ses plus intimes amis ; et il ne l’a pas deposé en secret, mais ç’a esté en la presence des Iuges ; Et ainsi, on peut s’assurer qu’il n’y a eu que la reverence de la justice, et la crainte d’estre chastié, s’il mentoit, et s’il se chargeoit du crime d’un autre, qui l’a obligé à dire ce qu’il a dit ; Mesme il a declaré qu’il eust confessé dés Utrech les mesmes choses, s’il eust esté serieusement interrogé par des Iuges ; Et il arrive presque tousiours, lors qu’on examine un criminel, ou un témoin, qui a quelque interest à celer la verité de ce qu’on luy demande, que la deposition qu’il fait en iugement, est contraire à ce AT VIII-2, 257 qu’il a dit hors de la presence des Iuges, sans qu’on laisse pour cela de la croire.
Mais ce n’est pas assez d’avoir prouvé que le témoignage que Voëtius a prescrit à Schoock estoit faux, il ne croira pas estre convaincu, si on ne prouve qu’il l’a sollicité et importuné à donner un tel témoignage ; C’est pourquoy ie vous prie de considerer qu’il ne l’en a pas seulement prié, mais qu’il a fait pis, et qu’il luy a expressement commandé ; car il a mis ces mots au bas du témoignage : Stylum facies tuum, ubi opus fuerit, interim testimonij αϰρίβεια servatà ubique, quantum per Latinitatem illud fieri poterit, imprimis ubi subvirgulavi. Ainsi il vouloit que ce fust la voix de Jacob, et les mains d’Esaü ; le style de Schoock, et les menteries de Voëtius. Il luy commandoit de changer le style, mais de retenir exactement le sens de tout ce qu’il luy prescrivoit, principalement celuy des mots, au dessous desquels il avoit tiré des lignes ; Et il en avoit tiré au dessous de tous les mots que i’ay cy-dessus rapportez. Ceux qui connoissent Voëtius sçavent combien cette façon de prier, ou de commander, est importune, principalement au regard de ceux qu’il croit luy Clerselier III, 38 estre inferieurs, ou obligez, comme estoit Schoock ; et on en a veu depuis l’experience, en ce qu’il l’a poursuivy en justice, à cause qu’il n’avoit pas persisté à maintenir ce témoignage.
Puis outre cela, n’est ce pas à Voëtius qu’on doit attribuer toutes les allées et venües de Waeterlaet, et tout ce qu’a fait Dematius, pour induire Schoock peu AT VIII-2, 258 à peu à former son témoignage, suivant le modelle qu’il luy avoit prescrit ? Car ces deux n’y avoient aucun interest, que comme estant amis de Voëtius ; Et neantmoins Schoock assure que Waeterlaet est allé plusieurs fois le trouver pour ce sujet, et qu’il luy a envoyé à Groningue le modelle du témoignage que Voëtius desiroit ; mais que sa conscience ne luy permettant pas de donner un tel témoignage, il leur en avoit envoyé un autre plus conforme à la verité. En effet on peut connoistre par ce qui a esté fait depuis, que dans le témoignage que Schoock avoit envoyé à Voëtius, il avoit omis les mots qui contenoient la principale fausseté, à sçavoir : Et quidem solum, ita ut nec D. Voëtius, nec quisquam alius, eius autor, sive in totum sive ex parte fuerit, quoad materiam, et qu’il en avoit mis quelques autres en leur place ; Et que pour le motu proprio, et presque tout le reste il avoit tasché de le sauver par un equivoque, en mettant par tout Methodum, où Voëtius avoit mis Librum, afin de ne signifier par Methodum, que l’ordre des chapitres et le style, dont il vouloit bien estre autheur, et ne rien assurer des injures et de la matiere, ainsi qu’il a declaré depuis. Et Voëtius ne se mettoit pas en peine de cét equivoque : car le Livre estant intitulé Admiranda Methodus, il ne doutoit point que tous ceux qui verroient ce témoignage, ne prissent Methodum pour tout le Livre. Mais il semble que les autres choses, en quoy Schoock n’avoit pas suivy son modelle, ne le contentoient pas assez, et particulierement l’omission du mot Et quidem solum, etc. Car il garda ce témoignage plusieurs semaines, sans s’en servir, iusques à ce que Schoock estant allé à Utrech, AT VIII-2, 259 il eust plus de commodité pour le faire induire à le reformer. A quoy derechef on employa Waeterlaet ; Clerselier III, 39 qui luy apporta ce billet écrit de la main de Dematius.
Revere. vir, velim in testimonio tuo quæpiam mutari ; quænam autem illa sint paucis accipe. Linea 21. et 22. deleantur omnia quibus linea subscripta, et scribatur meque illum solum absolvisse.
Lineâ 30. Tantùm hæc retineantur, vix esse poteram ex amicis, quæsivisse et didicisse.
Lineâ 31. Deleantur, ab alienâ manu esse ; et scribatur ; alterius authoris sunt, qui ubi necessum erit, ut puto, nomen suum aperiet, vel simile quidpiam.
Rationes, quare ita faciendum censeo, non expono, coram dicturus. Vale
Et le mot meque illum (à sçavoir Librum, ou bien illam methodum) solum absolvisse, est icy tres-remarquable ; Car il contient ce solum, pour exclure Voëtius, qui est le fondement de toute leur fourbe. L’autre mot, vix esse poteram, ex amicis, etc. ne pourroit pas estre si facilement entendu, si Dematius luy-mesme ne l’avoit expliqué par un Escrit où il tasche de se deffendre, qui est inseré dans le Tribunal iniquum, depuis la page 117. iusques à la page 126. Mais là il vous apprend, page 120. et 121. que Schoock avoit mis en son témoignage, qu’il avoit appris, partie de Voëtius et partie de ses autres amis, les choses particulieres qu’il avoit écrites AT VIII-2, 260 touchant ce qui s’estoit passé à Utrech, ainsi qu’il luy avoit esté prescrit par Voëtius ; et que luy Dematius ne croyant pas que Schoock eust aucun autre amy à Utrech que Voëtius duquel il eust rien appris de ces choses, avoit iugé qu’il ne devoit pas mettre partim à D. Voëtio, partim ab aliis amicis, mais effacer le nom de Voëtius, et mettre seulement ab amicis. Dequoy il se deffend plaisamment : Si quid hîc à me peccatum esset (dit il) peccatum in eo statuendum esset, quòd collegæ mei, mihi charissimi et cui Ecclesia plurimum debet, innocentiæ, cautelâ fortè superabundante, nemini tamen noxiâ, imò aliquibus utili (ut quæ occasionem peccandi tolleret) cavendum esse judicavi. Ainsi ce saint homme appelle cautelam nemini noxiam de suborner des témoins pour tromper des Iuges, en leur faisant imaginer alios amicos, au lieu de Clerselier III, 40 Voëtius, en une chose qu’il sçavoit ne venir que du seul Voëtius, et par ce moyen faire condamner un innocent, pour luy oster l’honneur, les biens, et mesme la vie, s’il en avoit eu le pouvoir. Et on ne peut dire que ce Dematius, qui avoit en cela plus de soin que Voëtius mesme pour tromper les Iuges, ne sçavoit point que Schoock eust esté induit à écrire ; Car puis qu’il sçavoit que c’estoit de Voëtius seul qu’il avoit appris ce qui s’estoit passé à Utrech, il ne pouvoit ignorer le reste, ny luy persuader de mettre en son témoignage meque illum solum absolvisse, qu’il ne sceust bien que ces mots contenoient une fausseté. Outre que par la deposition de Schoock, qui est dans le Bonæ fidei sacrum page 4. on apprend que ç’a esté dans un festin, en la presence de Dematius, que le premier dessein de ce Livre a esté pris, en voicy les mots : Nimirum cùm AT VIII-2, 261 anno 1642. more suo (Schoockius) per ferias caniculares ultrajectum ad visendos amicos excurrisset, à Domino Voëtio unà cum Clarissimus eius Academiæ Professoribus, nonnullisque allis honestis viris, lauto atque opiparo omninò convivio fuisse exceptum. In eo mensis iam sublatis à Clarissimo D. Dematio aliisque injectam mentionem Epistolæ Cartesij ad Dinetum, in quâ Dominus Voëtius, Præceptor eius, graviter omnino vapularet ; rogatumque se atque instanti hortatu invitatum à D. Voëtio, ut pro se, Præceptore suo, calamum in Cartesium stringeret.
N’est-ce pas une chose admirable, que ce qui a esté fait si publiquement en des festins, en presence de plusieurs personnes qui doivent avoir soin de leur conscience et de leur honneur (car ie ne veux pas croire que tous ceux qui frequentent Voëtius deviennent semblables à luy) et qui est de soy si probable, que ceux mesme qui n’en iugent que par conjecture ne doutent point qu’il ne soit vray que Voëtius a sollicité Schoock à écrire contre moy, n’est-ce pas dis-ie une chose admirable et surprenante, que cela ait esté choisi par luy, pour estre nié devant des Iuges, et pour servir de fondement à une sentence par laquelle il avoit dessein de me perdre. Et on n’a aucun sujet de douter de la verité de Clerselier III, 41 cette deposition faite par Schoock devant ses Iuges ; car elle n’a pas mesme esté contredite par ses adversaires dans leur procez contre luy, où ils ont fourré tant d’autres choses hors de propos et de moindre importance, qu’ils n’auroient pas obmis celle-là, s’ils n’eussent eu peur d’estre convaincus par les témoignages de ceux qui estoient de ce festin.
Mais cecy ne suffit pas pour convaincre Dematius ; AT VIII-2, 262 il veut qu’on luy prouve qu’il a importunément sollicité Schoock à suivre le billet qu’il luy avoit prescrit : Car toute sa deffense est de dire, Nulla hic importunæ sollicitationis species. Comme si ce n’estoit pas assez importuner un homme, apres qu’un autre luy a prescrit un témoignage qu’il n’a pas entierement voulu suivre nonobstant que cét autre eust beaucoup d’authorité sur luy, de luy envoyer un billet avec ces mots, Velim in testimonio tuo quædam mutari, etc. Ce qui est si manifestement contre les bonnes mœurs, et contre les loix, que quand bien ce billet ne contiendroit rien qui ne fust vray, ceux qui l’ont envoyé ne loisseroient pas de meriter d’en estre repris. Mais outre cela, il dit luy-mesme qu’il n’avoit aucune familiarité avec Schoock ; et toutesfois il confesse qu’apres luy avoir envoyé ce billet, il l’alla trouver le lendemain, entre les six et sept heures du matin ; ce qui monstre, ce me semble, une sollicitation tres-importune. Un homme âgé, Professeur en Theologie, va de grand matin au logis d’un autre plus ieune, avec lequel il n’a aucune familiarité, pour le prier d’une chose à laquelle il n’a point d’autre interest, comme il le declare, que pour faire plaisir à son amy, et mesme de laquelle cét amy a déja esté refusé. On n’a pas coustume d’aller trouver quelqu’un de cette façon pour luy parler d’une affaire, que ce ne soit à dessein de l’en prier à bon escient, et de joindre ses raisons et ses instances avec celles de l’amy par qui on est envoyé.
Mais i’advoüe que ie ne sçay point pourquoy Voëtius AT VIII-2, 263 n’y alloit pas luy-mesme, sinon qu’il vouloit en cela, aussi bien qu’en faisant écrire Schoock contre moy, imiter le singe qui se servoit de la patte du chat pour tirer les marons du feu ; Clerselier III, 42 Ou bien peut-estre qu’apres avoir desia fait de son costé tout ce qu’il avoit pû sans en estre venu à bout, il esperoit que les persuasions et l’authorité de plusieurs seroient plus efficaces que celles d’un seul ; et qu’il falloit que Voëtius et Dematius, deux Vieillards de reputation, et qui comme ie croy composoient alors toute la faculté Theologique de vostre Academie, pource que le troisiéme mourut en ce temps-là, joignissent ensemble leurs artifices, pour corrompre la chasteté de cette Suzane.
Mais s’il vous semble que toutes les preuves que vous pouvez avoir contre ces deux hommes, dont ie n’ay pû écrire icy qu’une partie, ne soient pas suffisantes pour les convaincre, ie vous prie de considerer que celles du ieune Daniel contre ces deux autres Vieillards de tres-grande authorité et les Iuges du peuple, qui avoient tasché comme eux de faire par de faux témoignages que l’innocent fust condamné, estoient bien moindres : Car Daniel ne donna point d’autres preuves contr’eux, sinon qu’ils ne s’estoient pas accordez touchant le nom de l’arbre sous lequel ils pretendoient que Suzane avoit peché ; Sur quoy il est croyable que ces Vieillards ne manquerent pas de AT VIII-2, 264 trouver diverses excuses, en disant qu’ils n’y avoient pas pris garde, qu’ils ne sçavoient point les noms des arbres, qu’ils n’avoient pas assez bonne veuë pour les reconnoistre de loin, qu’ils ne s’en souvenoient plus, ou choses semblables, qui avoient beaucoup plus d’apparence qu’aucune de celles que Voëtius et Dematius ont alléguées en la deffense de leur cause, et toutesfois ils ne laisserent pas d’estre condamnez.
En un fait où les présomptions sont contraires aux preuves, on a sujet d’user de beaucoup de circonspection, avant que de rien determiner : Mais icy les preuves sont si claires et si certaines (à sçavoir, des Escrits de la main des criminels, et qui ne sont point desavoüez par eux) qu’on seroit obligé de les croire, encore que les presomptions fussent contraires ; Outre cela, les presomptions s’accordent entierement avec elles ; Et enfin ces presomptions sont si fortes, que Clerselier III, 43 suivant le iugement du plus sage de tous les Rois, elles suffiroient pour faire condamner Voëtius, encore qu’on n’eust point d’autres preuves. Car Salomon ayant à iuger laquelle de deux femmes estoit la vraye mere d’un enfant, pour lequel elles estoient en dispute, ne fit aucune difficulté de le donner à celle qui luy témoignoit le plus d’affection, encore qu’il n’eust rien du tout pour prouver qu’elle en fust la mere, sinon cette seule conjecture. Il est question tout de mesme de sçavoir, lequel des deux, Schoock ou Voëtius, est le vray pere du Livre intitulé, Admiranda Methodus, ou bien Philosophia Cartesiana (car ce Livre a deux noms, à cause qu’il semble avoir eu deux peres) Or Schoock le desavoüe, AT VIII-2, 265 et le renonce, en sorte qu’il a mesme declaré qu’il ne deteste rien tant de toutes les actions de sa vie, que de ce qu’il s’est employé à l’écrire, Ex omnibus actionibus suis nihil magis detestari, quàm quòd illi negotio se immiscere unquam passus sit. Mais Voëtius au contraire continuë tousiours constamment à loüer et à deffendre ce Livre, ou à le faire deffendre par son fils, et particulierement ce qu’il contient de plus criminel ; à sçavoir, leur calomnie touchant l’Atheisme. Car le fils dit expressément, dans son Livre, Pietas in parentem, feüille H page 11. Nec puderet parentem, si (uti non fecit) scriptionis partem ipse præformasset ; imprimis etiam illam, qua vertiginosi scepticism, et consequenter Atheismi, absurdis Cartesiana philosophia premitur ; et en plusieurs autres endroits de tous les Livres qu’il a publiez depuis, il a eu soin de faire sçavoir aux Lecteurs que son pere approuve et deffend ce Livre. Et neantmoins il se vante que vous m’avez condamné, pource que ie l’en avois accusé ; comme si ç’avoit esté une grande calomnie, d’avoir dit qu’il a fait une chose, laquelle il estime bonne, et qu’il n’auroit point de honte d’avoir faite ; Mesme il veut qu’on croye qu’il a tant de pouvoir en vostre Ville, qu’il a obtenu cette condamnation sans l’avoir sollicitée ny procurée.
Ie ne veux point continuer à mettre icy des exemples de la Bible, bien que celle du Roy Assuerus, qui estant averty Clerselier III, 44 qu’Aman avoit abusé de sa faveur luy fit souffrir le supplice qu’il avoit preparé à Mardochée, seroit peut-estre fort à propos.
Au reste afin de conclure ce discours, ie ne veux AT VIII-2, 267 point vous representer que par vostre publication du 13. Iuin 1643. qui fut si celebre, que la memoire en durera plusieurs siecles, vous aviez expressément declaré que vous vouliez vous enquerir des mœurs de Voëtius, pource que si elles estoient telles que ie les avois décrites, vous le iugeriez tres-nuisible à vostre Ville, et que maintenant elles se trouvent pires que ie n’avois dit ; en sorte que vous estes obligez de tenir en cela vostre parole. Ie ne veux point vous animer contre luy, en disant qu’il s’est mocqué de la justice, lors qu’il a voulu joüer le personnage d’un criminel, sans estre iamais interrogé ; et me faire joüer celuy d’accusateur, sans que i’en sceusse rien ; et feindre que ie l’avois calomnié, pour avoir dit qu’il a fait une chose qu’il estime bien faite ; et enfin me faire condamner par des deputez dont ie n’ay iamais pû sçavoir les noms ; Ce qui ne merite rien moins, que d’estre fait une fois criminel de telle façon, qu’il n’ait pas sujet de s’en mocquer. Ie ne veux point aussi vous animer contre son fils, en disant que lors qu’il publie toutes ces choses, il se rend pour le moins aussi coupable que Monsieur Regius, qu’on dit avoir esté au hazard de perdre sa profession, pource qu’il estoit soupçonné de m’avoir averty de ce qui s’estoit passé en vostre Academie ; bien que i’eusse interest de le sçavoir, et que ce ne fussent point des secrets de la Republique, comme Voëtius vouloit persuader. Ie ne veux point tascher de rendre ces Voëtius odieux, en disant qu’ils sont tellement endurcis, et que la coustume de pecher sans estre punis, les a rendus si effrontez, que non seulement ils se mocquent de la justice, mais aussi de leurs crimes ; Et AT VIII-2, 267 comme si des témoignages apertement faux, écrits de la main de Voëtius et de Dematius, pour induire Schoock à les deposer en justice, et tromper les Iuges, estoient des choses de peu d’importance, le ieune Voëtius les appelle Amuleta, des Clerselier III, 45 bagatelles de nulle vertu, que Messieurs de l’Université de Groningue m’ont envoyées ; Et il ne se contente pas de faire un saint Paul de son pere, en disant que, nullius est sibi conscius, nonobstant que ces crimes soient connus par plusieurs milliers de personnes, et qu’il ne puisse rien apporter que des injures et des impertinences pour les excuser ; Mais mesme il va iusques à l’impudence de le comparer à Iesus-Christ, en disant de Monsieur Desmarestz et de moy, que Herodes et Pilatus amici facti ut innoxiæ famæ, ac per Dei gratiam illibatæ (huius scilicet Christi) maculam aspergerent. Enfin ie ne veux point vous demander justice contre ces calomniateurs et ces faussaires ; c’est à vous à iuger s’il vous est honneste ou utile que leurs crimes demeurent impunis ; ie n’y ay point d’interest. Ie ne croy pas qu’il y ait d’oresnavant personne qui adjoûte foy à ce qu’ils diront ou écriront contre moy ; toutes leurs machinations seront ridicules et sans effet ; les enfans mesme s’en mocqueront, pourveu qu’ils ne soient point fortifiez par vostre protection : Car leurs vices sont maintenant assez connus ; ou bien s’ils ne le sont pas encore assez, i’ay interest de les faire sçavoir à tous ceux qui pourront ouïr leurs menteries en ce siecle icy, ou aux suivans, afin qu’elles ne me nuisent pas ; et ie tascheray de n’omettre rien de ce qui sera de mon devoir.
AT VIII-2, 268 Mais ie vous prie de trouver bon, qu’avec tout l’honneur et le respect que ie dois, et que ie veux rendre aux Magistrats d’une Ville comme la vostre, ie me plaigne à vous de vous-mesmes, à cause que par vos procedures, et par la sentence que mes ennemis se vantent d’avoir obtenuë de vous contre moy, vous avez donné autant d’authorité et autant de credit à leurs calomnies, qu’il a esté en vostre pouvoir : C’est pourquoy ie puis dire avec iuste raison, que c’est de vous seuls que ie me dois plaindre. Ce n’est pas que ie pretende pour cela vous donner aucun blasme des choses que vous avez faites ; Ie sçay que les meilleurs Iuges du monde peuvent estre trompez par de fausses depositions de témoins ; Et ie ne sçay point toutes les intrigues et toutes les ruses Clerselier III, 46 dont G. Voëtius s’est servy pour obtenir les choses qu’il a obtenuës ; Ie ne sçay pas mesme certainement, s’il les a obtenuës ; Ie sçay seulement qu’un homme de son humeur, et qui a le credit qu’il a en vostre Ville, y peut obtenir beaucoup de choses. Mais pource que la raison veut et que la justice demande qu’on dedommage, et qu’on mette hors d’interest, autant qu’on en a le pouvoir, non seulement ceux qu’on a offensez volontairement, mais aussi ceux à qui on a fait quelque tort sans le sçavoir, ou mesme avec intention de bien faire ; Et pource que c’est l’ordinaire des hommes vertueux, qui sont jaloux de leur reputation et de leur honneur, d’avoir beaucoup de soin de reparer les torts qu’ils ont ainsi faits sans le sçavoir, afin d’empescher qu’on ne se persuade qu’ils ont eu mauvaise intention en les faisant ; comme au contraire ce ne sont que les ames AT VIII-2, 269 basses, lasches et stupides, qui ayant fait du mal à quelqu’un, bien que ç’ait peut-estre esté sans y penser, continüent apres de luy nuire le plus qu’ils peuvent, pour cela seul qu’ils croyent avoir merité d’en estre haïs ; ou bien que s’estant une fois mépris, ils ont honte de ne pas maintenir ce qu’ils ont fait, bien qu’en eux-mesmes ils le desaprouvent ; Enfin pource que ie vous estime tres-genereux, tres-vertueux, et tres-prudens, Ie ne doute point que maintenant que les faussetez de mes ennemis sont découvertes, et que vous ne les pouvez plus ignorer, vous ne soyez bien-aises d’avoir occasion de me donner la satisfaction que ie vous demande.
C’est pourquoy, ie vous prie de considerer le tort et le prejudice que vous m’avez fait ; Premierement par vostre publication du 13. Iuin 1643. en me citant au son de la cloche, et par des affiches, qui furent mesmes envoyées avec soin de tous costez en ces Provinces, comme si i’eusse esté un vagabond, ou un fugitif, qui auroit commis le plus grand et le plus odieux de tous les crimes. Car encore qu’on n’en specifiast point d’autre, sinon que i’avois écrit contre Voëtius, toutesfois à cause que c’est une chose entierement inouïe, et sans exemple, de voir citer quelqu’un d’une façon Clerselier III, 47 si extraordinaire, pour avoir écrit contre un particulier ; et que le menu peuple, et genera lement tous ceux qui n’ont point estudié, ne sçavent pas iusqu’où se peut estendre le peché de faire des Livres, vous leur donniez sujet de penser que i’avois commis en cela un si grand crime, qu’il estoit aussi sans exemple. Et l’injure que AT VIII-2, 270 ie recevois estoit dautant plus grande que ie l’avois moins meritée : Car au fonds ie n’avois fait autre chose, sinon que ie m’estois deffendu, avec beaucoup plus de moderation que ie n’avois esté obligé d’en observer, contre les plus outrageuses calomnies qui puissent estre imaginées ; et ausquelles la prudence ne permettoit pas que ie differasse plus long-temps de m’opposer. Car outre que i’ay fait voir cy-dessus, que Voëtius avoit un dessein formé de longue-main, pour persuader que i’estois Athée, i’ay iuste raison de penser qu’il m’en vouloit mesme accuser en justice, et tascher de m’opprimer par de faux témoignages ; pource que ce n’est point luy faire tort, que de dire qu’il est capable de corrompre des témoins, et que Schoock assure que lors que ce Voëtius luy recommandoit de m’objecter principalement l’Atheisme en son Livre, il luy promettoit, tales testes aliquando prodituros (à sçavoir, pour me convaincre de ce crime) qui possent reuerà assidui sive classici testes haberi ; mais depuis qu’il a veu que ie veillois pour me deffendre, il n’en a sceu produire aucun. La seconde chose par laquelle vous m’avez grandement prejudicié, est la sentence qu’on dit que vous avez renduë, en laquelle condamnant mes Escrits, vous donniez expressément action contre moy à vostre officier de Iustice, pour m’oster entierement l’honneur et les biens, autant qu’il estoit en vostre pouvoir. I’adjoûte pour la troisiéme, non seulement l’acte du AT VIII-2, 271 11. Iuin 1645. par lequel vous deffendiez aux Libraires d’imprimer ou vendre les Escrits qui seroient pour moy et en ma faveur, au mesme temps que ie receus le iugement de Messieurs de Groningue, en datte du 10. Avril de la mesme année, lequel servoit à me justifier, et pendant que Voëtius faisoit imprimer une Lettre de Schoock, pour confirmer ses calomnies Clerselier III, 48 contre moy ; Mais aussi, toute la protection que vous avez donnée depuis quatre ans aux injures de Voëtius, et de tous les autres qu’il a suscitez pour me nuire ; Iusques-là qu’il a esté un temps qu’aucun amy que i’eusse en vostre Ville, n’osoit sans contrefaire son écriture, et celer son nom, m’avertir des choses qui s’y faisoient à mon prejudice, bien qu’elles ne pussent estre faites legitimement, sans que i’en fusse averty ; Et que pendant que Schoock obeïssoit aux passions de Voëtius, en écrivant pour luy complaire toutes les plus criminelles calomnies qu’on puisse inventer, il estoit le bien venu en vostre Ville ; et le témoignage qu’on avoit tiré de luy contre moy y estoit receu pour bon en justice, bien qu’il fust remply de contradictions, et d’équivoques, ainsi qu’il declare luy-mesme, et que son Livre fait auparavant contre moy le deust rendre entierement suspect ; Mais apres qu’il a eu confessé quelques veritez à mon avantage, on luy a fait un procez d’injures AT VIII-2, 272 pour ce sujet ; Et bien qu’il les ait prouvées si évidemment, que Messieurs de Groningue ne les ont aucunement mises en doute, il n’a pû toutesfois encore chez vous en estre absous. En sorte qu’il semble que vous ayez fait depuis quatre ans, tout vostre possible pour me lier les mains, et empescher que ie ne me deffendisse, pendant que mon ennemy me battoit, et qu’il deschargeoit toute sa colere et toute sa rage sur moy.
Mais ie mettray aussi s’il vous plaist entre les raisons pour lesquelles i’attens de vous une iuste et entiere satisfaction, que ie n’ay point voulu rompre ces liens dont vous me reteniez, bien qu’il m’eust esté tres-facile ; et que i’ay souffert patiemment toutes les injures que i’ay receües de Voëtius depuis ce temps-là, sans m’en revancher, pour cette seule consideration, que i’ay veu que vous le couvriez tellement de vostre Corps, que ie ne pouvois pas aisément le frapper sans vous toucher, et que ie ne voulois pas vous offenser. Ausquelles choses ie vous supplie de vouloir avoir égard, afin que ie puisse recevoir de vous la satisfaction que ie pretens. Et si ie n’en puis obtenir d’autre, qu’il vous plaise au moins Clerselier III, 49 m’octroyer, ce qu’on n’a pas coustume de refuser aux plus criminels, et de trouver bon que ie sçache quelle est la sentence qu’on dit avoir esté donnée contre moy, par quels Iuges elle a esté donnée, sur quoy ils se sont fondez, et quelles sont toutes les charges ou les preuves qu’ils ont euës pour me condamner ; Sur quoy ie prie Dieu AT VIII-2, 273 qu’il vous inspire les conseils qui seront les plus utiles à sa gloire, et desquels vous puissiez le plus estre loüez et estimez par tous ceux qui aiment la vertu, afin que i’aye juste raison de me dire,
Messieurs,
Vostre tres-humble et tres-obligé
serviteur, Descartes.