MON REVEREND PERE,
Il y a desia quelques iours que i’ay receu vostre derniere du vingt-sixiéme Mars, où vous me mandez les exceptions de ceux qui soûtiennent l’écrit de Monsieur de Fermat De Maximis, etc. Mais elles ont si peu de couleur, que ie n’ay pas crû qu’elles valussent la peine que i’y répondisse. Toutesfois, pource que ie n’ay point eu depuis de vos nouvelles, et que ie crains que ce ne soit l’attente de ma Réponse qui vous fasse differer de m’écrire, i’aime mieux mettre pour une fois tout ce que i’en pense, afin de n’avoir iamais plus besoin d’en parler. Premierement, lors qu’ils disent qu’il n’y a point de Maximâ dans la parabole, et que Monsieur de Fermat trouve les tangentes par une regle du tout separée de celle dont il use pour trouver Maximam, ils luy font tort, en ce qu’ils veulent faire croire qu’il ait ignoré, que la regle qui enseigne à trouver les plus grandes, sert aussi à trouver les tangentes des lignes courbes, ce qui seroit une ignorance tres-grossiere, à cause que c’est principalement à cela qu’elle doit servir ; Et ils dementent son Escrit, où apres avoir expliqué sa Methode, pour trouver les plus grandes, il met expressément Ad superiorem Methodum, inventionem tangentium AT II, 124 ad data puncta in lineis quibuscunque curvis, reducimus. Il est vray qu’il ne l’a pas suivie en l’exemple qu’il en a donné touchant la parabole, mais la cause en est manifeste : Car estant défectueuse pour ce cas là, et ses semblables, (au moins en la façon qu’il la propose) il n’aura pû trouver son conte en la voulant suivre, ce qui l’aura obligé de prendre un autre chemin, par lequel rencontrant d’abord Clerselier III, 326 la conclusion qu’il sçavoit d’ailleurs estre vraye, il a pensé avoir bien operé, et n’a pas pris garde à ce qui manquoit en son raisonnement. Outre cela, lors qu’ils disent que la ligne EP, tirée au dedans de la parabole, est, absolument parlant, plus grande que la ligne EB, ils ne disent rien qui serve à leur cause : Car il n’est pas requis qu’elle soit plus grande absolument parlant, mais seulement sous certaines conditions, comme ils ont eux-mesmes définy au commencement de l’Escrit qu’ils m’ont envoyé, où ils disent que cette invention de Monsieur de Fermat, est touchant les plus grandes et les moindres lignes, ou les plus grandes et les moindres espaces que l’on puisse mener, ou faire sous certaines conditions proposées, et ils ne sçauroient nier que la ligne EB ne soit la plus grande qu’on puisse mener du point E iusques à la parabole, sous les conditions que i’ay proposées, à sçavoir, en sorte qu’elle n’aille que iusques à elle, sans la traverser ; comme ils ont assez dû entendre dés le premier coup. Mais pour AT II, 125 faire mieux voir que leur excuse n’est aucunement valable, ie donneray icy un autre exemple, où ie ne parleray ny de tangente ny de parabole, et où toutesfois la regle de Monsieur de Fermat manquera, en mesme façon qu’au precedent. Aussi bien vous vous plaignez, quand ie vous envoye du papier vuide, et vous ne m’avez point donné d’autre matiere pour remplir cette feüille.
Soit donné le cercle BDN, et que le point E, qui en est dehors soit aussi donné, et qu’il faille tirer du point E, vers ce cercle, une ligne droite, en sorte que la partie de cette ligne, qui sera hors de ce cercle, entre sa circonference et le point donné E, soit la plus grande. Voicy comme la regle donnée par Monsieur de Fermat enseigne qu’il y faut proceder. Ayant mené la ligne EDN par le centre du cercle, et sa partie ED estant nommée B, et sa partie DN qui est le Diametre estant C, Statuatur quilibet quæstionis terminus esse, A ; ce qui ne se peut mieux faire qu’en menant BC perpendiculaire sur DN et prenant A pour CD, Et inventa maximà, etc. Pour trouver donc cette maximam, à sçavoir BE, puisque Clerselier III, 327 DC est A, et DN est C, le quarré de BC est A in C-Aq, et puisque DC est A, et DE est B, le quarré de CE est Aq+Bq+A in Bbis, AT II, 126 lequel joint au quarré de BC, fait le quarré de la plus grande BE, qui est A in C+Bq+A in Bbis. Ponatur rursus idem qui prius terminus esse A+E, iterumque inveniatur maxima. Ce qui ne se peut faire autrement, en suitte de ce qui a precedé, qu’en posant A+E pour DC, et lors le quarré de BC est C in A+C in E–Aq-A in E bis–Eq. Puis le quarré de CE est Aq+A in Ebis+Eq+Bq+A in Bbis+E in Bbis, lequel estant joint à l’autre fait A in C+E in C+Bq+A in Bbis+E in Bbis, pour le quarré de la plus grande BE ; Adæquentur, c’est à dire, qu’il faut poser A in C+Bq+A in Bbis, égal à A in C+E in C+Bq+A in Bbis+E in Bbis. Et demptis æqualibus, il reste E in C+E in Bbis, égal à rien. Ce qui monstre manifestement l’erreur de la regle. Et afin qu’il ne puisse plus y avoir personne si AT II, 127 aveugle qu’il ne la voye, ie diray icy en quelle sorte on la peut corriger. Car bien que i’en aye touché un mot en ce que i’ay écrit à Monsieur Mydorge, il y est neantmoins en telle façon, que ie ne desirois pas encore que tout le monde le pust entendre. Premierement donc à ces mots. Et inventâ maximâ, il est bon d’adjoûter. Vel aliâ quælibet cujus ope possit posteà maxima inveniri. Car souvent en cherchant ainsi la plus grande, on s’engage en beaucoup de calculs superflus. Toutesfois cela n’est pas un point essentiel. Mais le principal, et celuy qui est le fondement de toute la regle, est obmis en l’endroit où sont ces mots : Adæquentur duo Homogenea, maximæ et minimæ æqualia, lesquels ne signifient autre chose, sinon que la somme qui explique Maximam in terminis sub A gradu utlibet involutis, doit estre supposée égale à celle qui l’explique, Clerselier III, 328 In terminis sub A et E gradibus, utlibet coefficientibus. Et vous demanderez, s’il vous plaist, à ceux qui la soûtiennent, si ce n’est pas ainsi qu’ils l’entendent, avant que de les avertir de ce qui doit y estre adjoûté. A sçavoir, au lieu de dire simplement, Adæquentur, il falloit dire Adæquentur tali modo, ut quantitas per istam æquationem invenienda, sit quidem una, cum ad maximam aut minimam refertur, sed emergens ex duabus quæ per eandem æquationem possent inveniri, essentque inæquales, si ad minorem maxima, vel ad majorem minima referrentur. Ainsi, en l’exemple que ie viens de donner, ce n’est pas assez de chercher le quarré de la plus grande AT II, 128 en deux façons ; Mais outre cela, il faut dire, comme ce quarré, lors qu’il est A in C+Bq+A in Bbis, est au mesme quarré, lors qu’il est A in C+E in C+Bq+A in B bis+E in Bbis, ainsi C in A–Aq, qui est le quarré de BC, est à C in A+C in E–Aq-A in Ebis–Eq, qui est aussi le mesme quarré. Puis, multipliant le premier de ces quarrez par le quatriéme, on le doit supposer égal au second multiplié par le troisiéme, et apres en demeslant cette équation suivant la regle, on trouve son conte, à sçavoir, que CD est , comme il doit estre.
Tout de mesme en l’exemple de la parabole qui avoit esté pris par Monsieur de Fermat, et que i’avois suivi en mon premier Escrit, voicy comme il faut operer. Soit BDN la parabole donnée, dont DC est le diametre, et que du point donné B, il faille tirer la ligne droite BE, AT II, 129 qui rencontre DC au point E, et qui soit la plus grande qu’on puisse tirer du mesme point E iusques à la parabole, (à sçavoir au dehors de cette parabole, Clerselier III, 329 comme ceux qui ne sont point sours volontaires entendent assez, de ce que ie la nomme la plus grande) ie prens B pour BC, et D pour DC, d’où il suit, que le costé droit est , et sans m’arrester à chercher la plus grande, ie cherche seulement le quarré de BC, en d’autres termes que ceux qui sont connus, en prenant A pour la ligne CE, et par apres, en prenant A+E pour la mesme, à sçavoir, ie la cherche premierement par le triangle BCE ; Car comme A est à B, ainsi A+E est à , qui par consequent represente BC. Et son quarré est . Puis ie cherche par la parabole, car quand EC, est A+E, DC est D+E, et le quarrré de BC, est , qui doit estre égal au precedent, à sçavoir, , égal à . D’où l’on trouve en suivant la regle, que A, c’est à dire CE, est double de D, c’est à dire CD, comme elle doit estre. Or il est à remarquer que cette condition qui estoit obmise, est la mesme que i’ay expliquée en la page 346 comme le fondement de la methode dont ie me suis servy pour trouver les tangentes, et qu’elle est aussi tout le fondement sur lequel la regle de Monsieur de Fermat doit estre appuyée. En sorte que l’ayant obmise, il fait paroistre qu’il n’a trouvé sa regle qu’à tâtons, ou du moins qu’il n’en a pas conceu clairement les principes. Et ce n’est point merveille AT II, 130 qu’il l’ait pû former sans cela, car elle reüssit en plusieurs cas, nonobstant qu’on ne pense point à observer cette condition, à sçavoir, en ceux où l’on ne peut venir à l’équation, qu’en l’observant, et la plus part sont de ce genre. Pour ce qui est de l’autre article, où i’ay repris la façon dont se sert Monsieur de Fermat pour trouver la tangente de la parabole, vous dites qu’ils assurent tous, qu’il faut prendre une proprieté specifique de l’hyperbole, ou de l’ellipse, pour en trouver les tangentes, en quoy nous sommes d’accord ; car i’assure aussi la mesme chose, et i’ay apporté expressément les exemples de l’ellipse et de l’hyperbole, qui concluent Clerselier III, 330 tres-mal, pour monstrer que Monsieur de Fermat conclud mal aussi touchant la parabole, dont il ne donne point de proprieté specifique. (Car de dire qu’il y a plus grande proportion de CD à DI, que du quarré de BC au quarré de OI, ce n’est nullement une proprieté specifique de la parabole, veu qu’elle convient à toutes les ellipses, et à une infinité d’autres lignes courbes, au moins lors qu’on AT II, 131 prend le point O, entre les points B et E, comme il a fait, et s’il l’eust pris au delà, elle eust convenu aux Hyperboles.) De façon que pour la rendre specifique, il ne falloit pas simplement dire Sumendo quodlibet punctum in recta BE, mais il y falloit adjoûter Sive sumatur illud intra puncta B et E, sive ultra punctum B, in linea EB producta. Et cela ne peut estre sous-entendu en son discours, à cause qu’il y décrit la ligne BE, comme terminée des deux costez, à sçavoir, d’un costé par le point B, qui est donné, et de l’autre par la rencontre du diametre CD.
Outre cela il falloit faire deux équations, et monstrer qu’on trouve la mesme chose, en supposant EI estre A+E, que lors qu’on le suppose estre A–E ; Car sans cela le raisonnement de cette operation est imparfait, et ne conclud rien. Voila serieusement la verité de cette affaire.
Au reste, pour ce que vous adjoûtez que ces Messieurs qui ont pris connoissance de nostre entretien, ont envie de nous rendre amis Monsieur de Fermat et moy, vous les assurerez, s’il vous plaist, qu’il n’y a personne au monde qui recherche ny qui cherisse l’amitié des honnestes gens plus que ie fais, et que ie ne croy pas qu’il me puisse Clerselier III, 331 sçavoir mauvais gré, de ce que i’ay dit franchement mon opinion de son Escrit, veu qu’il m’y avoit provoqué. C’est un exercice entierement contraire à mon humeur, que de reprendre les autres, et ie ne sçache point l’avoir encore iamais tant pratiqué qu’en cette occasion. Mais ie ne la pouvois éviter apres son défi, AT II, 132 sinon en le méprisant, ce qui l’eust sans doute plus offensé que ma Réponse. Ie suis,
Billet adjoûté à la Lettre precedente
Pour entendre parfaitement la troisiéme page de ma Lettre, et par mesme moyen le défaut de la regle de Monsieur de Fermat, il faut considerer ces trois figures, et penser que lors qu’il dit, Statuatur idem qui prius terminus esse A+E, Cela signifie qu’ayant posé EC pour A, et EI pour A+E, il imagine EI estre égal à EC, comme on voit en la troisiéme figure, et que neantmoins il en fait le calcul tout de mesme que si elles estoient inégales, comme on le voit en la premiere et seconde figures, en cherchant premierement EB par EC, qu’il nomme A, puis EO par EI Clerselier III, 332 qu’il AT II, 133 nomme A+E, et cela va fort bien ; Mais la faute est ; en ce qu’apres les avoir ainsi calculées, il dit simplement Adæquentur. Et on la peut voir clairement par la premiere figure, Notez que ie suppose icy que c’est le point E qui est donné, et non le point B. où si l’on suppose la ligne EO estre égale à EB, [a margine : Notez que ie suppose icy que c’est le point E qui est donné, et non le point B], il n’y a rien qui determine les deux points B et O, à s’assembler en un endroit de la circonference du cercle, plutost qu’en l’autre, sinon que toute cette circonference ne fust qu’un seul point, d’où vient que toutes les quantitez qui demeurent en l’équation se trouvent égales à rien. Mais pour faire que ces deux points B et O, ne se puissent assembler qu’en un seul endroit, à sçavoir en celuy où EB est la plus grande qu’elle puisse estre sous la condition proposée, il faut considerer la seconde figure ; et à cause des deux triangles semblables ECB et EIO, il faut dire, comme EC ou BC est à EB, ainsi EI ou OI est à EO ; au moyen AT II, 134 dequoy, on fait qu’amesure que la quantité EB est supposée plus grande, la quantité EO est supposée plus petite, à cause que les points EBO sont tousiours là en mesme ligne droite ; et ainsi lors que EB est supposée égale à EO, elle est supposée la plus grande qu’elle puisse estre ; C’est pourquoy on y trouve son conte. Et c’est là le fondement de la regle qui est obmis ; Mais ie croy que ce seroit pecher de l’enseigner à ceux qui pensent sçavoir tout, et qui auroient honte d’apprendre d’un ignorant comme ie suis, vous en ferez toutesfois ce qu’il vous plaira.