Clerselier III, 348 (béquet) AT II, 406

A MONSIEUR DE FERMAT.

LETTRE LXIV.

MONSIEUR,
Ie sçay bien que mon approbation n’est point necessaire, pour vous faire iuger quelle opinion vous devez avoir de vous-mesme, mais si elle y peut contribuer quelque chose, ainsi que vous me faites l’honneur de m’écrire, ie pense estre obligé de vous avoüer icy franchement, que ie n’ay iamais connu personne, qui m’ait fait paroistre qu’il sceust tant que vous en Geometrie. La tangente de la ligne courbe, que décrit le mouvement d’une roulette, qui est la derniere Clerselier III, 349 chose que le Reverend Pere Mersenne a pris la peine de me communiquer de vostre part, en est une preuve tres-assurée ; Car dautant qu’elle semble dependre du rapport qui est entre une ligne droite et une circulaire, il n’est pas aisé d’y appliquer les regles qui servent aux autres ; Et Monsieur de Roberval qui l’avoit proposée, qui est sans doute aussi l’un des premiers Geometres de nostre siecle, confessoit ne la sçavoir pas, et mesme AT II, 407 ne connoistre aucun moyen pour y parvenir. Il est vray que depuis il a dit aussi qu’il l’avoit trouvée, mais ç’a esté iustement le lendemain apres avoir sceu que vous et moy luy envoyïons ; et une marque certaine qu’il se mécontoit, est, qu’il disoit avoir trouvé en mesme temps que vostre construction estoit fausse, lors que la base de la courbe estoit plus ou moins grande que la circonference du cercle ; Ce qu’il eust pû dire tout de mesme de la mienne, sinon qu’il ne l’avoit pas encore veuë, car elle s’accorde entierement avec la vostre. Au reste, Monsieur, ie vous prie de croire, que si i’ay témoigné cy-devant n’approuver pas tout à fait certaines choses particulieres qui venoient de vous, cela n’empesche point que la declaration que ie viens de faire ne soit tres-vraye. Mais comme on remarque plus soigneusement les petites pailles des diamans, que les plus grandes taches des pierres communes, ainsi i’ay crû devoir regarder de plus prés à ce qui venoit de vostre part, que s’il fust venu d’une personne moins estimée. Et ie ne craindray pas de vous dire que cette mesme raison me console, lors que ie voy que de bons Esprits s’estudient à reprendre les choses que i’ay écrites, en sorte qu’au lieu de leur en sçavoir mauvais gré, ie pense estre obligé de les en remercier. Ce qui peut, ce me semble, servir à vous assurer que c’est veritablement, et sans fiction, que
ie suis, etc.