Clerselier III, 380 Clerselier III, 380 (béquet) AT II, 116

A MONSIEUR DESCARTES.

LETTRE LXVII.

MONSIEUR,
Quant au sieur de Roberval, il a trouvé quantité de belles speculations nouvelles, tant Geometriques que Mechaniques, et entr’autres ie vous en diray une, à sçavoir, qu’il a demonstré que l’espace compris par la ligne courbe ACB, et la droite AB est triple du cercle ou de la roüe, ou roulette AEF ; Or ledit espace est fait par la roulette qui se meut depuis A iusques à B, sur le plan, ou sur la ligne AB, lors que la ligne AB AT II, 117 est égale à la circonference de ladite roulette. Et puis il a demonstré la proportion de cét espace avec ledit cercle, lors que la roulette décrit AB plus grande, ou plus petite que sa circonference, In quacunque ratione datâ.

2. Or agréez, s’il vous plaist, que ie vous propose deux difficultez, dont ie suis en controverse avec ledit sieur de Roberval, lesquelles vous me ferez plaisir de resoudre, si vous le pouvez. La premiere est, supposé que Dieu n’eust rien creé, il pretend qu’il y auroit encore le mesme espace Clerselier III, 381 solide réel, qui est maintenant, et fonde la verité eternelle de la Geometrie sur cét espace, tel que seroit l’espace où sont tous les corps enfermez dans le Firmament, si Dieu anneantissoit tous ces corps. Et moy ie dis qu’il n’y auroit nul espace réel, autrement il y auroit quelque Estre réel qui ne dependroit point de Dieu.

3. La seconde difficulté, laquelle il me semble desia vous avoir touchée autrefois, est d’une Arbaleste, à sçavoir, si la corde estant bandée depuis A iusques à D, si se decochant de D, elle ne va pas plus viste de D à C, que de C à A, en achevant son chemin. Ie dis, que puis qu’elle endure plus de violence en D qu’en C, elle ira plus viste en partant de D, qu’en passant et chemin faisant par C ; et luy dit qu’elle ira plus viste en C, et encore plus viste en arrivant en A où est son terme. Ce qui fait pour luy, est que si elle alloit plus viste en D, supposé que la corde fust arrestée en C, le AT II, 118 trait poussé de D en C, iroit plus viste que lors qu’il est tout en A ; Et aussi que le triangle EDF, est plus grand que ECF, et ainsi qu’il luy faut plus de temps pour mouvoir et attirer la corde de D à C, que de C à A ; Mais ie m’appuye sur la plus grande force, ou le plus fort bandement de la corde en D. Il adjoûte que comme la corde GH, attachée en G, et tirée de H en I, descend, et se meut plus lentement, en commençant son mouvement en I, et plus viste en H, par où elle passe qu’en aucun autre endroit, de mesme la corde partant de D va plus lentement qu’en aucun autre lieu du fust de l’Arbaleste D A, et en A plus viste qu’en aucun Clerselier III, 382 autre lieu. Or ce qui m’estonne icy, est, que la corde frappant aussi viste et aussi fort la fléche en A, lors qu’elle ne viendroit que de C en A, elle n’envoyeroit pas la fléche si loin, que si la corde venoit de D, ou de plus loin ; C’est à dire, qu’un Arc, quoy que moins viste, et frappant la fléche moins fort, l’envoye plus loin, quand il est plus grand ; De sorte que si avec la mesme fléche vous bandez un Arc deux fois plus grand que les precedens, il envoyera la fléche beaucoup plus loin, encore que vous ayez moins de peine à bander le grand Arc que le petit, et par consequent AT III, 119 encore que le petit frappe la fléche plus viste et plus fort ; de sorte que la longueur de la conduitte de la corde de l’Arc semble imprimer de nouvelles forces à la fléche, et que ce n’est pas la plus grande vitesse de la corde frappante qui la fait aller plus loin, mais la longueur du chemin que la corde accompagne la fléche. Que seroit-ce donc, si la corde accompagnoit une toise de long ladite fléche ? Ie croy neantmoins que cét accompagnement n’y apporte plus rien, apres un certain espace, comme il arrive que les Canons, apres une certaine longueur passée, diminuent plustost la longueur des portées qu’ils ne l’augmentent ; Mais il n’est peut estre pas possible de determiner la longueur de cét accompagnement, et où finit son utilité.

4. Finalement, nous sommes aussi en grande difficulté, pourquoy la balle d’Arquebuze n’a pas tant d’effet à quinze ou vingt pieds de la bouche du canon, qu’à cinquante, puis qu’il semble qu’elle va plus viste les vingts premiers pieds, qu’apres ; C’est de mesme d’une pierre qu’on iette, si à la sortie de la main elle rencontroit vostre corps, elle ne vous blesseroit pas tant qu’apres dix ou douze pas ; Donc ce n’est pas la seule vitesse des missiles qui fait la plus grande impression, ou bien ils ne vont pas si viste au commencement qu’apres, ce qui est contre vostre opinion aussi bien que contre la mienne. Et ie sçay qu’un tour de chambre, fait tout doucement, vous suffira pour nous dire ce qui est de ces difficultez.

Clerselier III, 383 EXTRAIT D’UNE LETTRE
de Monsieur de Fermat, inserée en celle
du R. Pere Mersenne.

AT II, 120 5. Esto parabolicus Conoïs OBAu, cuius axis IA, basis circulus circa diametrum CIu. Quærere centrum gravitatis, perpetua et constanti, quâ, maximam et minimam et tangentes linearum curvarum investigavimus, methodo, ut, novis exemplis, et novo usu, eoque illustri, pateat falli eos, qui fallere methodum existimant.

Ie seray bien-aise de sçavoir le iugement de Messieurs de Roberval et Pascal sur mon Isagoge topique, et sur l’Appendix, s’ils ont veu l’un et l’autre, et pour leur faire envie de quelque chose d’excellent, il faut estendre les lieux d’un point à plusieurs in infinitum ; Et par exemple, au lieu qu’on dit d’ordinaire trouver une parabole, en laquelle prenant quelque point qu’on voudra, il produise tousiours un mesme effet, AT II, 121 ie veux proposer.

Trouver une parabole en laquelle prenant tels 2, 3, 4, 5, etc. points que vous voudrez, ils produisent tousiours un mesme effet, et ainsi à l’infiny.

Bien plus, ie puis encore donner la resolution de cette question.

Trouver autant de lignes courbes qu’on voudra, en chacune desquelles prenans tels nombres de points qu’on voudra, tous ces points ensemble produisent un mesme effet.

Clerselier III, 384 6. Au reste, i’ay encore une difficulté disputéé depuis peu de iours entre Monsieur Des-Argues et moy, dont ie vous prie de me donner la solution, si vous la sçavez ; C’est sur un globe qui roule sur un plan, à sçavoir, si se mouvant d’un point à un autre, comme il arriveroit joüant à la courte boule sur un plan parfait avec une boule parfaitement ronde, iusques à ce qu’il revienne au mesme point, il décrira une ligne sur le plan égale à sa circonference. La raison d’en douter, est, que nulle partie de la ligne courbe ne peut convenir avec ce plan pour la toucher ; donc elle n’est AT II, 122 touchée que par les seuls points du globe, et non par ses parties ; Et partant sur la ligne plate, il y aura autant de hiatus, ou de vuides que de points, et par consequent ce ne sera pas une ligne continuë.