Clerselier III, 58 AT IV, 584

A UN REVEREND PERE IESUITE.
Du 14. Decembre 1646.

LETTRE V.

Mon Reverend Pere,
Encore que la Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire soit du 28. Septembre, ie ne l’ay neantmoins receüe que depuis huit jours, autrement ie n’aurois pas manqué d’y faire réponse plûtost, pour vous remercier des bons conseils que vous m’avez fait la faveur de me donner, dont ie vous suis extremement obligé, et pour vous assurer que i’ay dessein de les suivre tres-exactement. Ie vous remercie aussi tres-humblement des Aphorismi Physici, et du Sol Flamma qu’il vous a plû m’envoyer. Il n’y a que trois semaines que i’ay receu ce dernier, et outre que ie tiens à honneur d’y estre cité en la page cinquiéme, i’ay esté bien aise que les Peres de vostre Compagnie ne s’attachent pas tant aux anciennes opinions, qu’ils n’en osent aussi proposer de nouvelles. Pour les Aphorismi Physici, AT IV, 585 ie ne les ay point encore veus, mais on m’a promis de me les envoyer à la premiere occasion. Au reste ie vous diray, que lors que i’écrivis cy-devant au R. P. Charlet, ie n’avois point encore apris qu’il fust Provincial de France ; ie n’estois pas mesme assuré qu’il fust de retour de l’Amerique, et les choses dont ie luy parlois ne venoient point de Paris, mais de Brabant, de Rome, de La Fleche et d’ailleurs ; Et si ie me plaignois à luy, ce n’estoit point qu’il y eust aucuns écrits imprimez contre moy, car cela ne me sçauroit iamais offenser ; Au contraire de quelque stile, et de quelque façon qu’ils puissent estre, ie croiray tousiours qu’ils seront à mon advantage ; pource que s’ils Clerselier III, 59 sont bons, i’auray du plaisir à y apprendre, ou à y répondre, et s’ils ne le sont pas, ils ne serviront qu’à faire voir l’impuissance de ceux qui m’auront attaqué. Ainsi ie vous puis assurer que le Livre d’instances de Monsieur Gassendy ne m’a iamais tant deplû, que m’a plû le iugement qu’en fit le R. P. Mesland avant qu’il s’en allast aux Indes ; Car il m’écrivit qu’il l’avoit tout AT IV, 586 leu en fort peu de temps, pource qu’il n’y avoit rien trouvé contre mes opinions, à quoy il ne peust aisément répondre. Mais ce qui me desoblige le plus, sont des discours particuliers, contre lesquels ie vous avoüe que ie ne sçay point d’autre remede, que de faire sçavoir au public, que ceux qui les font me sont ennemis, afin qu’on y adjoûte moins de creance. Toutesfois ie ne suis pas si difficile, ny si injuste, que ie demande qu’un chacun suive mes sentimens, ou que ie m’offense, de ce que ceux qui en ont d’autres disent franchement ce qu’ils iugent ; I’ay crû seulement que ie devois m’opposer à ceux qui s’estudieroient à faire avoir mauvaise opinion aux autres, d’une chose de laquelle ils ne parleroient point du tout, s’ils n’en avoient eux-mesmes bonne opinion. Et pource que cela seroit contraire à la probité, ie n’ay garde d’imaginer rien de tel des Peres de vostre Compagnie, principalement de ceux de France, où i’ay le R. P. Charlet, de la particuliere affection et singuliere vertu duquel ie ne puis douter. Ie vous prie aussi de ne douter aucunement que ie ne sois tout à vous de cœur et d’affection, et de me croire,
Mon R. P.
De V. R. Le tres-humble et tres-obeïssant
serviteur, Descartes.