AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XCV. Version de la precedente.

MON REVEREND PERE,
Ie ne prens iamais la plume qu’avec quelque sorte de Clerselier III, 528 déplaisir, quand ie ne puis, sans faire violence à la verité, porter un iugement des écrits qu’on m’a donné à examiner, qui puisse plaire à leurs Autheurs ; En quoy ie puis dire sans feintise, que ie suis fort éloigné de l’humeur de certaines personnes qui ne sçauroient se taire, que lors qu’ils ne trouvent rien qu’ils puissent reprendre. Et c’est ce qui m’a empesché iusques icy de vous dire le iugement que ie fais de cét Arsitarque supposé, que vous m’avez envoyé à ce dessein par deux diverses voyes, et dont i’ay receu depuis longtemps les Exemplaires. Mais puisque vous m’en priez derechef, et que vous me faites la grace de m’avertir que celuy qui en est l’Autheur dit avoir trouvé quelque chose à redire dans ce que i’ay publié depuis neuf ans touchant la Geometrie ; pour l’obliger à me faire voir les fautes qu’il dit estre dans mon écrit, ie veux bien vous dire icy en peu de mots ce qu’il me semble du sien.

Toutes et quantesfois que nous avançons ou supposons quelque chose pour en expliquer une autre, ce que nous avançons et supposons ainsi, doit tousiours estre plus probable, plus evident, et plus simple, ou enfin plus connu en quelque maniere que ce soit, que cette autre que nous voulons expliquer par son moyen, autrement cela ne peut servir à la faire mieux connoistre ; Que si quelqu’un pour chaque chose qu’il a voulu expliquer, en a non seulement supposé autant d’autres aussi inconnuës, mais un plus grand nombre, et mesme moins croyables, et qu’avec cela ce qu’il a voulu conclure ne suive pas de ses suppositions, certainement il ne doit pas pretendre d’avoir rien fait qui soit digne de recommandation.

Ie n’ay remarqué dans tout ce Livre que trois choses qui appartiennent au systeme du monde, et trois autres qui ne luy appartiennent pas proprement, dont l’Autheur a tasché de dire ou d’expliquer les causes. La premiere, que le Soleil, la Terre, et les autres plus considerables parties du Monde, gardent entr’elles une certaine situation ; La seconde, qu’elles se meuvent toutes circulairement ; La troisiéme, Clerselier III, 529 que neantmoins leurs mouvemens ne sont pas parfaitement circulaires, mais un peu irreguliers ; A quoy se rapporte tout ce qu’il a dit avec beaucoup de dicours de la declinaison de la Lune, des Apogées, des Perigées, et de la precession ou avancement des Equinoxes. Les 3. autres choses sont du flus et du reflus de la Mer, de la generation des Cometes (qu’il considere comme des Meteores) et de l’apparence de leur queuë ; Tout le reste de ce qui est contenu dans ce Livre, n’est qu’un extrait de ce qui se trouve dans Copernic et dans Kepler, et n’est soûtenu ou illustré d’aucune raison, mais est supposé comme vray et indubitable ; Par exemple, que la matiere des Cieux est fluide ; Que toutes les Planettes se meuvent autour du Soleil ; Que la Terre doit estre mise au rang des Planettes, et choses semblables.

Or pour expliquer le premier point, qui concerne la situation des parties de l’Univers, il suppose premierement que le Soleil est extremement chaud, ou plustost qu’il a une grande vertu d’échauffer ; et que la matiere dont le monde est composé est fluide, liquide, permeable, et transparente, qui a cela de propre de pouvoir estre rarefiée ou condensée, selon que la chaleur est plus forte ou plus foible. 2. Qu’un corps dense plongé dans un liquide plus rare n’y peut demeurer, mais qu’il se porte vers les parties plus denses du liquide, si ce liquide a des parties d’une différente densité. 3. Que toute la matiere de l’Univers et chacune de ses parties, a une certaine proprieté, par la vertu de laquelle toute cette matiere s’unit et s’assemble en un seul corps continu, dont toutes les parties ont inclination, et font effort pour se joindre les unes aux autres, en s’attirant reciproquement l’une l’autre, pour estre le plus etroittement jointes qu’il est possible. 4. Que toutes et chacunes les parties de la terre, de l’eau, et de l’air, ont aussi une proprieté toute semblable, par laquelle elles s’attirent aussi reciproquement l’une l’autre, et font effort pour se joindre ; En sorte que chacunes d’elles (et ce que ie dis icy des parties de la terre, ou de l’air, se doit aussi entendre de celles qui composent Clerselier III, 530 ou qui environnent les autres Planettes) ont en soy ces deux vertus, l’une qui les joint avec les autres parties de leur Planete, et l’autre qui les unit avec le reste des parties de l’Univers. Toutes lesquelles choses sont sans doute beaucoup moins intelligibles, que la seule situation des parties de l’Univers, qu’il a eu dessein d’expliquer par leur moyen.

Car premierement, l’experience ne nous apprend pas moins que le Soleil échauffe, que la matiere du monde est fluide, liquide, permeable, et diaphane, et que plusieurs corps peuvent estre rarefiez par la chaleur, que nous sçavons par la mesme experience, que le Soleil et les autres Astres gardent entr’eux la situation qu’ils ont en effet. Et nous comprenons bien plus aisément, comment de cela seul que dés le commencement du monde ils ont eu cette situation, et que l’on n’apporte point de raison pourquoy ils l’ayent dû changer par apres, il suit qu’ils doivent encore la retenir, que nous ne comprenons comment le Soleil échauffe, et comment la rarefaction est une suitte ou un effet de sa chaleur. Car nous voyons bien qu’il a esté necessaire que dés le commencement du monde tous les corps ayent eu entr’eux quelque situation ; et pour ce que nous ne voyons point de raison pourquoy ils ayent dû en avoir une autre plustost que celle qu’ils ont, on ne doit point aussi demander pourquoy ils ont celle-là plustost qu’une autre. Mais nous ne voyons pas si clairement que le Soleil ait dû avoir la vertu d’échauffer, ny ce que c’est que la chaleur, ny ce que c’est que d’estre fluide, liquide, permeable, et diaphane ; ou ce que c’est que la rarefaction, ny comment elle suit de la chaleur : Car au contraire, l’experience mesme nous monstre que certains corps se condensent par la chaleur, bien loin de se rarefier ; comme on peut voir dans la glace, laquelle estant mediocrement échauffée se convertit en eau, qui est plus dense qu’elle. § Mais ce qu’il suppose en suitte est bien plus absurde, c’est à sçavoir, qu’un corps dense plongé dans un liquide plus rare n’y peut demeurer, mais qu’il se porte vers les parties Clerselier III, 531 plus denses du liquide : Car pour concevoir cela, il faut s’imaginer que chaque corps, ou chaque partie de la matiere de l’Univers, qui peut estre plus dense ou plus rare que celle qui luy est voisine, a en soy-mesme un principe de mouvement, c’est à dire, est animée d’une Ame qui luy est particuliere ; Car l’on dit ordinairement que l’Ame est le principe du mouvement.

Enfin ce qu’il adjoûte est tres-absurde, c’est à sçavoir, que chaque partie de la matiere dont l’Univers est composé, a une certaine proprieté, au moyen de laquelle elles se portent toutes les unes vers les autres, et s’attirent reciproquement l’une l’autre ; Et de mesme, que chacune des parties de la terre a une autre proprieté toute pareille, à l’égard des autres parties terrestres, laquelle neantmoins n’empesche point l’effet de la premiere. Car pour concevoir cela, il ne faut pas seulement supposer que chaque partie de la matiere de l’Univers est animée, et mesme animée de plusieurs diverses Ames qui ne s’empeschent point l’une l’autre ; mais mesme que ces Ames sont intelligentes, et toutes divines, pour pouvoir connoistre ce qui se passe en des lieux fort éloignez d’elles, sans aucun courrier qui les en avertisse, et pour y exercer leur pouvoir.

Car il suppose qu’elles ont une telle vertu, que si par exemple, S est le Soleil, T la Terre, AA l’Air qui Clerselier III, 532 environne la terre, DD des parties du Ciel plus épaisses, et rr plus rares ; Que, dis-ie, chacune des parties de la terre T, tendent vers DD, et qu’au contraire toutes celles de l’air d’allentour tendent vers rr ; Quoy que pourtant elles ne laissent pas de demeurer suspenduës, comme on les voit icy depeintes, entre DD et rr, par la force de certaines autres vertus, qui attachant toutes les parties de l’air à la terre, empeschent qu’elles ne se separent et ne se déjoignent d’ensemble. Or par quel instinct toutes les parties de la terre peuvent-elles deviner qu’elles doivent tendre vers DD, plustost que vers rr, où tend tout l’air qui l’environne ; Et par quelle force ou vertu peuvent-elles reciproquement attirer la matiere qui est vers DD, si elles ne sont doüées d’une connoissance et d’une puissance toute divine.

S’il est ainsi permis de feindre toutes sortes de vertus dans chaque corps, certainement il ne sera pas difficile d’en inventer de telles, qu’on puisse par leur moyen expliquer tres-facilement toutes sortes de Phainomenes. Mais neantmoins, toutes celles que nostre Autheur a supposées ne sont pas suffisantes pour inferer ce qu’il en a voulu conclure ; à sçavoir, que toute la matiere de l’Univers se doit assembler en un globe parfait, au centre duquel soit le Soleil qui rarefie cette matiere inégalement, c’est à dire, qui rarefie davantage celle qui est proche de luy, que celle qui en est plus éloignée : Car de là, au contraire, on doit conclure que toutes les parties plus denses de la matiere doivent se rendre vers le centre, et que celles qui sont plus rares se doivent porter vers la circonference. En sorte que si le corps du Soleil est tant soit peu dur, tel qu’il le suppose estre par apres, la figure du monde doit estre bossuë ou enflée, et le Soleil doit estre placé au sommet de cette bosse, ou tumeur. Par exemple, si O est le centre du monde, vers lequel se soient renduës et écoûlées les parties plus denses de la matiere, il doit à la verité y avoir autant de matiere entre ce centre et la circonference du monde CC d’un costé que de l’autre ; Mais neantmoins cette circonference doit estre Clerselier III, 533 plus éloignée du centre du costé où est le Soleil S, qu’aux autres endroits, à cause que le Soleil rend toute la matiere qui est plus proche de luy plus rare, et par consequent estenduë dans un plus grand espace.

Tout ce qui est contenu dans le reste du Livre ne vaut pas mieux, comme ie le feray voir aisément, si iamais il en est besoin ; mais n’ayant presque icy examiné que les quatre premieres pages de son Livre, si i’avois entrepris d’examiner le reste avec une pareille exactitude, nous ne pourrions sans ennuy, moy écrire, et vous lire tant de choses ; C’est pourquoy pour cette fois ie n’adjoûteray icy rien de plus, sinon que
ie suis entierement à vous.