AT III, 248

AU R. PERE MERSENNE.
Du 3. Decembre 1640.

LETTRE XIV.

MON REVEREND PERE,
Ce que vous me mandez de saint Augustin et de saint Ambroise, que nostre cœur et nos pensées ne sont pas en AT III, 98 nostre pouvoir, et que mentem confundunt alioque AT III, 249 trahunt etc. ne s’entend que de la partie sensitive de l’ame, qui reçoit les impressions des objets, soit exterieurs, soit interieurs, comme les tentations etc. Et en cecy ie suis bien d’accord avec eux, et ie n’ay iamais dit que toutes nos pensées fussent en nostre pouvoir ; mais seulement que s’il y a quelque chose absolument en nostre pouvoir, ce sont nos pensées, à sçavoir, celles qui viennent de la volonté et du libre arbitre, en quoy ils ne me contredisent aucunement ; et ce qui m’a fait écrire cela, n’a esté que pour faire entendre que la juridiction de nostre libre arbitre n’estoit point absoluë sur aucune chose corporelle, ce qui est vray sans contredit.

I’admire qu’on vous ait fait lire le Pentalogos, et si c’est le mesme qui vous recommande le Livre Allemand, où il y a de si hautes pensées, ie n’en puis avoir bonne opinion ; En effet ie voy que si ceux des petites Maisons faisoient des Livres, ils n’auroient pas moins de Lecteurs que les autres ; Car ie ne tiens pas l’autheur du Pentalogos en autre rang. C’est un Chymiste Boëmien demeurant à La Haye, qui me semble m’avoir fait beaucoup d’honneur, en ce qu’ayant témoigné vouloir dire de moy tout le pis qu’il pouvoit, il n’en a rien sceu dire qui me touchast.

Ie suis extremement obligé à Monsieur Des-Argues, et ie veux bien croire que le Pere Bourdin n’avoit pas compris ma demonstration ; Car il n’y a gueres de gens au monde si effrontez, que de contredire à une demonstration AT III, 250 qu’ils entendent, quand ce ne seroit que de crainte d’estre repris par les autres qui l’entendent aussi ; et ie voy que mesme vos grands Geometres Messieurs Fer. et Rob. n’ont pas veu clair en celle-cy ; Mais cela n’empesche pas que la velitation du Pere Bourdin ne contienne des cavillations, qui n’ont pas esté inventées seulement par ignorance, mais par quelque subtilité que ie n’entens point. Et pour son encloüeure, que vous dites consister en ce qu’il ne pouvoit concevoir comment l’eau ne retarde point la bale de gauche à droite, aussi bien que de haut en bas, il me semble que ie l’avois assez Clerselier III, 99 prevenuë, en ce que page 18. i’avois fait considerer la refraction dans une toile pour monstrer qu’elle ne se fait point dans la profondeur de l’eau, mais seulement en sa superficie ; et en ce que i’avertis expressément à la fin de la page 18. qu’il faut seulement considerer vers quel costé se determine la bale en entrant dans l’eau, à cause que par apres, quelque resistance que l’eau luy fasse, cela ne peut changer sa determination ; Comme par exemple, si la bale qui est poussée d’A vers B, estant au point B, est determinée par la superficie CBE, à aller vers I, soit qu’il y ait de l’air au dessous de cette superficie, soit qu’il y ait de l’eau, cela ne changera point sa determination, mais seulement sa vitesse, qui diminuëra beaucoup plus dans l’eau que AT III, 251 dans l’air ; Mais ie croy que ce qui l’aura aussi embarrassé sera le mot de determination, qu’il aura voulu considerer sans aucun mouvement, ce qui est chymerique, et impossible ; au lieu qu’en parlant de la determination vers la droite, i’entens toute la partie du mouvement qui est determinée vers la droite ; toutesfois ie n’ay pas crû devoir faire mention du mouvement en cela, pour n’embarrasser point le Lecteur de ce calcul surprenant de la velitation, où il dit que 3. et 4. font 5. et ne perdre point de paroles à l’expliquer ; Car on peut assez voir dans ce que i’ay écrit, que i’ay tasché d’éviter les paroles superfluës.

I’ay veu la Philosophie de Monsieur de Raconis, mais elle est bien moins propre à mon dessein que celle du Pere Eustache ; et pour les Conimbres, ils sont trop longs ; mais ie souhaiterois bien de bon cœur, qu’ils eussent écrit aussi briévement que l’autre, et i’aimerois bien mieux avoir affaire à la grande Societé, qu’à un particulier : I’espere, avec l’aide de Dieu, que mes raisons seront aussi bien à l’épreuve de leurs argumens que de ceux des autres. Au reste la derniere Clerselier III, 100 Lettre que vous m’avez envoyée m’apprend la mort de mon Pere dont ie suis fort triste, et i’ay bien du regret de n’avoir pû aller cét Esté en France, afin de le voir avant qu’il mourust ; mais puisque Dieu ne l’a pas permis, ie ne croy point partir d’icy que ma Philosophie ne soit faite.
Ie suis,
Mon R. P.