AT IV, 140 MON REVEREND PERE,
Ayant enfin publié les principes de cette Philosophie, qui a donné de l’ombrage à quelques-uns, vous estes un de ceux à qui ie desire le plus de l’offrir, tant à cause que ie vous suis obligé de tous les fruits que ie puis tirer de mes estudes, veu les soins que vous avez pris de mon institution en ma ieunesse, comme aussi à cause que ie sçay combien vous pouvez, pour empescher que mes bonnes intentions ne soient mal interpretées par ceux de vostre Compagnie que ne me connoissent pas. Ie ne crains point que mes Escrits soient blasmez ou méprisez par ceux que les examineront ; Car ie seray tousiours bien-aise de reconnoistre mes fautes, et de les corriger, lors qu’on me fera la faveur de me les apprendre ; Mais ie desire éviter autant que ie pourray les faux prejugez de ceux à qui c’est assez de sçavoir que i’ay écrit quelque chose, touchant la Philosophie (en quoy ie n’ay pas entierement suivy le stile commun) pour en concevoir une mauvaise opinion. Et pource que ie voy desia par experience que les choses que i’ay écrites ont eu le bonheur d’estre receuës et approuvées d’un assez grand nombre de personnes, ie n’ay pas beaucoup à craindre qu’on refute Clerselier III, 107 mes opinions. Ie voy mesme que ceux AT IV, 141 qui ont le sens commun assez bon, et qui ne sont point encore imbus d’opinions contraires, sont tellement portez à les embrasser, qu’il y a apparence qu’elles ne pourront manquer avec le temps d’estre receuës de la pluspart des hommes, et i’ose mesme dire des mieux sensez. Ie sçay qu’on a crû que mes opinions estoient nouvelles ; et toutesfois on verra icy que ie ne me sers d’aucun principe, qui n’ait esté receu par Aristote, et par tous ceux qui se sont iamais meslez de philosopher. On s’est aussi imaginé que mon dessein estoit de refuter les opinions receuës dans les Escoles, et de tascher à les rendre ridicules, mais on verra que ie n’en parle non plus, que si ie ne les avois iamais apprises. Enfin on a esperé que lors que ma Philosophie paroistroit au iour, on y trouveroit quantité de fautes, qui la rendroient facile à refuter ; et moy au contraire ie me promets, que tous les meilleurs Esprits la iugeront si raisonnable, que ceux qui entreprendront de l’impugner, n’en recevront que de la honte, et que les plus prudens feront gloire d’estre des premiers à en porter un favorable iugement, qui sera suivy par apres de la posterité s’il se trouve veritable. A quoy si vous contribuez quelque chose par vostre authorité et vostre conduite, comme ie sçay que vous y pouvez beaucoup, ce sera un surcroist aux grandes obligations que ie vous ay desia, et qui me rendent, etc.