Clerselier III, 231

RESPONSE DE MR CLERSELIER
aux deux precedentes de M. de Fermat.
Du 21. Aoust 1658.

LETTRE XLIX.

MONSIEUR,
Ie me trouve auiourd’huy plus empesché à répondre que ie n’estois la derniere fois ; aussi avez-vous changé de condition ; et de juge que vous estiez, vous estes devenu partie. Quand ie n’avois qu’à deffendre devant vous la cause de Monsieur Descartes contre vostre Sceptique, ie ne me promettois pas un succez moins favorable que celuy que i’ay eu ; I’avois une bonne cause à deffendre, des subtilitez à éclaircir, et un juge clair-voyant pour m’entendre et prononcer. Mais quand ie vous considere descendu de vostre siege, pour vous porter vous-mesme partie contre celuy que ie deffens, le respect que ie vous dois en quelque estat que vous paroissiez, la grande estime que i’ay tousiours conceuë pour vous, et qui s’augmente en moy à mesure que vous vous faites davantage connoistre, et le peu d’usage que i’ay dans la matiere que nous agitons, à comparaison de celuy que vous vous estes acquis, tout cela m’estonne, et fait que ie ne sçay encore quelle issuë me promettre de tout ce demeslé. Ie vous diray pourtant d’abord que si ie voulois agir avec moins de franchise, que ne m’oblige l’honneste procedé que vous gardez avec moy, ie pourrois user d’une exception, qui paroistroit peut-estre assez legitime et recevable, en vous accordant tout ce que vous dites, et pretendant que tout cela ne fait rien contre Monsieur Descartes, Clerselier III, 232 et ne combat en aucune façon sa doctrine touchant la Reflexion et la Refraction.

Car ie veux que la balle de la figure de la page 19. de la Dioptrique, selon la supposition que vous faites dans vostre premiere Lettre, se trouve empeschée (comme vous dites sans doute agreablement) à trouver quelque issuë pour prendre sa route ; Et ie veux mesme que le passe-port que vous luy avez donné par avance en vostre seconde, de peur que nous n’eussions pas assez de credit pour luy en obtenir un, et mesme que la route que vous avez eu la bonté de luy marquer en cét endroit, luy fust si aisée et si commode, qu’elle ne fist point de difficulté de la suivre ; Que pourroit-on conclure de là contre Monsieur Descartes ? lequel n’ayant apporté en ce lieu-là les exemples de la balle, que pour expliquer certains effets particuliers de la Lumiere, à sçavoir, celuy de la reflexion, qui se fait tousiours à angles égaux, et celuy de la refraction, qui se fait tousiours de la mesme sorte dans un mesme milieu, et qui change selon la proportion qui est entre le milieu d’où elle sort, et celuy où elle entre, ce qui fait que tantost elle s’approche et tantost elle s’éloigne de la perpendiculaire, qui, dis-ie, n’a eu aucune occasion d’expliquer le cas que vous proposez, pource qu’il n’a aucun rapport à son dessein.

Il n’y en avoit que trois qui y peussent servir, et il les a tous les trois expliquez, et à mon avis d’une maniere si claire et si simple, qu’il n’y a que ceux qui veulent trop subtiliser qui y puissent trouver de la difficulté.

Le premier cas qui explique la reflexion, est celuy d’une balle, qui estant poussée suivant la ligne AB, rencontre de biais dans son chemin un corps dur, impenetrable et inébranlable ; Qu’y a-t’il de plus simple et de plus clair, que cette balle, qui ne perd rien de sa vitesse, doit rejaillir à angles égaux, c’est à dire, remonter aussi viste qu’elle est descenduë, et avancer autant qu’elle faisoit vers le costé où ce corps dur n’est point du tout opposé.

Le second, qui se rapporte à la refraction, lors qu’elle Clerselier III, 233 s’éloigne de la perpendiculaire, est celuy de la mesme balle, qui estant poussée comme dessus, rencontre aussi de biais un autre milieu dans lequel elle penetre, et qui luy fait perdre une partie de sa vitesse. Quoy de plus clair et de plus simple, que de dire que cette balle ne pouvant plus aller si viste qu’elle faisoit auparavant, doit pourtant conserver toute la determination qu’elle avoit à avancer vers le costé à laquelle ce milieu n’est aucunement opposé, et à quoy la perte qu’elle a soufferte en sa vitesse ne resiste point, et se peut accommoder. Pourquoy vouloir obliger cette balle à faire plus qu’elle ne doit, puisque la Nature ne fait rien en vain.

Enfin le troisiéme cas, qui se rapporte à la refraction, lors qu’elle s’approche de la perpendiculaire, et le seul qu’il restoit à Monsieur Descartes à éclaircir, s’explique heureusement par la mesme balle, qui estant poussée comme auparavant, rencontre aussi de biais dans son chemin un autre milieu, dans lequel elle penetre avec une égale facilité de tous costez, et qui augmente sa vitesse d’une certaine quantité. Que peut-on penser de plus simple et de plus naturel, que de dire que cette balle devant aller plus viste qu’elle ne faisoit auparavant, n’avance pourtant pas davantage, selon cette determination à laquelle ce corps par qui sa vitesse a esté augmentée n’est point du tout opposé.

Le cas que vous proposez outre cela dans vostre premiere Lettre est superflu, et ne peut servir à expliquer aucun de ces Phainomenes de la Lumiere, et par consequent il n’est icy d’aucune consideration ; Et quelque inconvenient qui en pust suivre, cela ne pourroit prejudicier à ce que Monsieur Descartes a auparavant prouvé, et par quoy il a expliqué si intelligiblement ces effets merveilleux de la Lumiere ; qui ne laisseroient pas d’estre vrais, et tels qu’il les a demonstrez, quand vostre supposition seroit difficile à expliquer par ses principes, ce que ie ne desespere pourtant pas de faire ; et quand elle se devroit expliquer suivant les vostres ce que ie n’estime pas.

Clerselier III, 234 Mais pource que c’est en cecy que consiste toute nostre dispute, il faut que i’éclaircisse une fois pour toutes un point qui vous semble n’avoir pas esté prouvé par Monsieur Descartes, à cause que sa preuve n’est pas purement Geometrique, mais qu’elle est en partie fondée sur quelques principes de la Nature, si clsirs qu’ils ne demandent aucune explication. Ces principes sont, premierement que chaque chose demeure en l’estat qu’elle est, pendant que rien ne la change. Secondement, que lors que deux corps se rencontrent, qui ont en eux des modes incompatibles, il se doit veritablement faire quelque changement en ces modes pour les rendre compatibles, mais que ce changement est tousiours le moindre qui puisse estre. Troisiémement, qu’un corps ne peut resister, ou causer du changement dans un autre, qu’entant qu’il luy est opposé.

Ainsi donc, si une balle se meut d’A vers B, dans la figure de la page 15. avec une certaine vitesse, elle continüera toûjours d’aller avec la mesme vitesse dans la mesme ligne, si rien ne la change. Mais si vous luy opposez le corps dur, impenetrable, et inébranlable CBE, pource que les modes de ces deux corps, l’un qui tend de B vers D, et l’autre qui s’oppose à cette route, sont incompatibles, mais qui ne s’oppose point à sa vitesse, il faut qu’il arrive du changement en l’un de ces modes, mais le moindre qui puisse estre ; C’est pourquoy la balle changera de determination, et gardera sa vitesse ; Et dautant que le corps CBE n’est opposé qu’à l’une des deux determinations, dont il est vray que celle de la balle est composée, eu égard au corps CBE sur lequel elle tombe, à sçavoir, à celle qui la faisoit descendre, et non point à celle de gauche à droite, ce corps ne peut apporter de changement qu’à celle-là, et non point à l’autre, à laquelle il n’est point opposé ; Clerselier III, 235 C’est pourquoy il oblige la balle de remonter, et la laisse continuer à s’avancer vers la droite comme elle faisoit auparavant ; à quoy il ne change rien, le mode de son corps n’ayant rien d’incompatible et d’opposé à celuy-là. Il ne faut plus adjoûter à ce raisonnement que ce qui appartient à la Geometrie et la preuve sera achevée. Si vous n’appellez pas cela une preuve demonstrative, ie ne sçay plus de quelles raisons il faudra se servir pour en composer une ; mais pour moy ie me contente de pareilles demonstrations. Or le mesme raisonnement que ie viens de faire se peut accommoder à la figure de la page 17. et à celle de la page 19. et à tous les cas qui se peuvent proposer, et ie ne voy rien de different que les differentes suppositions ; à sçavoir, que le corps CBE tantost est dur et tantost liquide ; tantost penetrable et tantost impenetrable ; que la vitesse tantost diminuë, tantost augmente, et tantost demeure la mesme ; et que la balle tantost continuë de descendre et tantost est obligée de remonter ; et mesme que tantost on peut opposer un corps au cours de la balle, et tantost non.

Examinons maintenant ces cas l’un apres l’autre suivant ces principes, et voyons ce qui doit arriver ; Et ie m’assure que l’on ne trouvera point que la chose doive aller comme vous dites, mais bien comme dit Monsieur Descartes, et cela répondra en mesme temps à toutes vos nouvelles difficultez.

Premierement, vous dites fort bien au commencement de vostre seconde Lettre, que si l’on suppose que la balle qui va dans la ligne droite AB diminuë sa vitesse de moitié en arrivant au point B, elle ira tousiours en ligne droite vers D, si elle continuë d’aller dans le mesme milieu, et que le plan CBE ne luy soit point opposé ; avec cette difference seulement qu’elle employera depuis B iusques à D, le double du temps qu’elle avoit mis auparavant depuis A iusques à B ; Et cela à cause qu’un corps doit tousiours demeurer dans le mesme estat où il est, ou auquel on suppose qu’il soit, si rien ne le change. Or n’y ayant rien qui change en la balle Clerselier III, 236 que la vitesse, ny rien par quoy la determination doive estre alterée plus d’un costé que d’un autre, tout cela fait qu’elle doit continuer dans la mesme ligne ; et aller seulement moins viste selon cette determination ; De mesme que lors qu’un corps tombe perpendiculairement de l’air dans l’eau, il continuë d’aller suivant la ligne de sa cheute, et va seulement dautant moins viste que sa vitesse est diminuée à la rencontre de l’eau.

Si pourtant i’eusse esté d’humeur à vouloir chicaner, (ce qui n’arrivera iamais lors que i’auray affaire à une personne d’honneur et de merite comme vous) i’aurois pû nier que le cas que vous proposez fust concevable et admissible, à sçavoir, qu’un mobile sans changer de milieu puisse tout d’un coup passer d’une vitesse à une autre, sans passer par les degrez qui sont entre deux ; Ce que vous dites vous-mesme estre contraire aux lois inviolables de la pure Geometrie ; Et qui mesme est contraire à cette loy de la Nature, qui est, Que chaque corps continuë tousiours de demeurer dans le mesme estat autant qu’il se peut, et que iamais il ne le change que par la rencontre des autres. Le moyen donc de concevoir qu’un corps puisse tout d’un coup estant arrivé au point B perdre la moitié de sa vitesse, lors qu’il ne rencontre rien qui la luy puisse faire perdre. Mais ie veux bien vous accorder toutes vos suppositions, et ne vous rien nier que ce qui ne se pourra absolument admettre, à moins de renverser toutes les loix de la Nature, et toutes les notions claires et simple qui sont en nous.

Passons à vostre seconde supposition, qui est à mon gré une des plus adroites que l’on pust faire en ce genre, et dont sans doute i’aurois eu peine à appercevoir la subtilité, n’étoit qu’estant accoustumé à suivre des voyes fort simples dans mes raisonnemens, ie me defie de tout ce que ie voy qui s’en écarte.

Vous supposez apres cela que la balle perdant comme auparavant la moitié de sa vitesse au point B, le plan CBE impenetrable se trouve entre deux, et empesche que la balle Clerselier III, 237 ne passe au dessous ; et vous dites que la balle refléchira aussi bien à angles égaux, que si la vitesse ou le mouvement demeuroit le mesme ; Et certainement ie confesse que vous le prouvez d’une maniere la plus ingenieuse qu’il est possible ; Mais permettez-moy aussi de vous dire qu’elle est captieuse, et souffrez que ie vous fasse voir en quoy ie pense que vous vous estes mépris.

Quand en l’exemple cy-dessus ie suis demeuré d’accord que la balle perdant au point B la moitié de sa vitesse, ne laissoit pas de continuer son chemin suivant la ligne BD, avec cette seule difference qu’elle alloit de moitié moins viste, ç’a esté parce que ne changeant point de milieu, et aucun plan ne luy estant opposé, on ne pouvoit pas dire que la determination de la balle suivant la ligne AB fust composée de deux determinations, non plus que lors qu’une balle tombe perpendiculairement sur un plan. Mais icy où vous supposez que le plan CBE luy est opposé, il est certain qu’à son égard la determination de la balle sur la route AB, est composée de deux autres, l’une qui la fait descendre vers luy, et l’autre qui la fait avancer vers la droite, ou horisontalement, et que ce plan s’oppose à celle-là et non point à celle-cy.

Maintenant de deux choses l’une, où vous supposez qu’apres que la balle est venuë avec deux degrez de vitesse depuis A iusques à B, estant au point B elle rencontre le plan CBE qui luy fait perdre la moitié de sa vitesse ; ou bien vous supposez, que sans que ce plan y contribuë, ayant perdu la moitié de sa vitesse au point B, elle rencontre le plan CBE ; Et si i’ay bien compris le sens de vostre seconde Lettre, c’est principalemnent à ce dernier cas qu’elle se rapporte. (Mais remarquez encore icy en passant que ie vous accorde plus que ie ne devrois ; Car le moyen de concevoir qu’une balle Clerselier III, 238 perde la moitié de sa vitesse au point B, sans la rencontre d’aucun corps qui la luy fasse perdre).

Au premier cas il est aisé de voir, qu’il ne faut (comme vous avez fait dans vostre premiere Lettre) que transferer le raisonnement de la figure de la page 17. au dessus du plan, et dire que puisque la balle ne perd rien du tout de la determination qu’elle avoit à avancer vers la droite, elle doit (toutes les autres conditions estant gardées) arriver au point O, ainsi que vous avez fort bien remarqué. C’est pourquoy ie n’aurois garde de dire comme vous faites, pourquoy de grace le raisonnement de Monsieur Descartes conclura-t’il au dessous, s’il ne conclud pas au dessus ? Ce qui est une demonstration en un cas, deviendra-t’il un Paralogisme en l’autre ? Non sans doute, l’un et l’autre conclud également bien.

Au second cas, la balle peut suivre la route que vous avez marquée dans vostre seconde Lettre, et refléchir tousiours à angles égaux, de quelque maniere et en quelque proportion que la vitesse ou le mouvement change au point B ; Mais non pas à la verité par la raison que vous dites ; Car la mesme proportion ne doit pas estre gardée par une balle qui rencontrant de biais un plan impenetrable est obligée de refléchir, que celle qui est gardée par une autre balle que l’on suppose n’en point rencontrer ; A cause qu’une balle qui ne rencontre aucun plan n’a qu’une seule determination, elle ne va ny à gauche ny à droite ; au lieu qu’une balle qui tombe de biais sur un plan, y va tousiours avec deux determinations, à l’une desquelles ce plan est opposé, et à l’autre non ; et cette circonstance en doit changer l’effet, selon les principes cy-devant posez.

Mais voicy comme la balle peut suivre la route que vous avez marquée, et refléchir à angles égaux ; à savoir, il Clerselier III, 239 faut supposer que la balle estant au point B, et ayant perdu la moitié de sa vitesse (ou telle autre quantité qu’il vous plaira) commence là à suivre la route qu’elle suivroit si elle avoit commencé à ce point-là à se mouvoir avec la vitesse qui luy reste ; Or il est constant, que si sans avoir égard à la ligne AB, qu’elle a parcouruë avec deux degrez de vitesse, elle commençoit à se mouvoir en B, avec la vitesse qu’on suppose qui luy reste, et suivant la direction qu’elle a veritablement au point B, elle iroit vers D, avec un degré de vitesse, et y arriveroit en deux fois autant de temps qu’il luy en a fallu pour venir d’A en B, si rien ne s’opposoit à son mouvement. Et si au lieu de luy opposer le plan CBE au point B, on luy opposoit au point D, il est evident, par ce que nous avons dit cy-dessus, que ce plan l’empeschant seulement de passer outre, et non point d’avancer vers la droite, et ne diminuamt ny n’augmentant la vitesse à laquelle elle seroit venuë vers luy depuis B, elle rejailliroit vers G, et feroit un angle de reflexion DKgDK, égal à celuy d’incidence BDL, lequel se trouveroit égal à celuy de la premiere incidence ABC. Or est-il qu’il doit arriver au point B, le mesme changement en la determination de la balle, que celuy qui arriveroit au point D, si le plan CBE luy estoit opposé en ce point-là, puisque dés le point B la balle a toute la mesme vitesse et la mesme determination qu’elle auroit au point D, apres avoir parcouru la ligne BD ; Et partant la balle, selon vostre supposition, doit au point B rejaillir suivant un angle égal à celuy d’incidence. Non point, comme i’ay dit, par la raison que vous dites ; Car il n’est pas vray que l’interposition du plan CBE n’empeschant que l’une des parties dont la determination est composée, celle de gauche à droite reste la mesme qu’elle estoit quand la balle n’avoit aucun plan qui luy fust opposé ; Car en ce dernier cas, la balle n’avoit qu’une determination, et l’on ne peut pas dire qu’elle avançoit vers la droite. C’est pourquoy la conclusion que vous en tirez n’est pas non plus veritable ; Donc dites-vous la balle a dû avancer autant au dessus vers la Clerselier III, 240 droite, qu’elle eust fait au dessous, si le plan n’eust pas empesché sa route ; Et comme lors qu’elle seroit au point D au dessous, elle auroit avancé en deux momens vers la droite depuis B iusques en E ; de mesme aussi pour avancer en deux momens autant au dessus vers la droite, elle doit aller au point F, qui est autant avancé vers la droite que le point D, et qui couppe le cercle au dessus, en mesme proportion que D le couppe au dessous, et fait un angle de reflexion égal à celuy d’incidence. Car toute cette proportion de gauche à droite, que vous dites devoir estre gardée au dessus, comme elle eust esté au dessous, si le plan CBE n’eust pas empesché sa route, n’est qu’une proportion imaginaire ; puis qu’au dessous, quand il n’y a aucun plan interposé, la balle n’a aucune direction vers la droite, cette direction ou determination vers la droite estant tousiours relative au plan qu’on luy interpose ; Et par exemple, si le plan CBE luy eust esté opposé d’un autre sens, comme en cette figure, où seroit tout vostre raisonnement vers la droite ; Mais cela doit arriver dans vostre supposition mesme, et dans toute autre, par la raison que i’ay dite, qui est conforme aux loix de la Nature, et aux principes cy-devant establis.

Pour éclaircir cecy encore davantage, supposons pour troisiéme cas, comme a fait Monsieur Descartes à la fin de la page 19. de la Dioptrique, que la balle ayant esté premierement poussée d’A vers B, rencontre au point B le plan CBE, qui augmente la force de son mouvement, ou sa vitesse, d’un tiers, en sorte qu’elle puisse faire par apres autant de chemin en deux momens, qu’elle en faisoit en trois auparavant ; Et il suit manifestement qu’elle doive rejaillir en F, puisque la determination vers la droite ne peut estre augmentée par le plan CBE, à laquelle il n’est aucunement opposé ; et non pas en K, comme elle devroit faire, si vostre raisonnement estoit veritable ; Mais qui ne le peut estre, puis qu’il est contraire Clerselier III, 241 aux loix de la Nature ; et mesme contre l’experience, qui nous monstre que la reflexion d’une balle, et celle des autres semblables corps qui ne sont pas parfaitement durs, ou qui tombent sur d’autres qui affoiblissent leur mouvement, ne se fait iamais à angles égaux ; ainsi les balles les plus moles ne rebondissent pas si haut, ny ne font pas des angles de reflexion si grands que celles qui sont plus dures.

Et remarquez que puis qu’il est naturellement aisé de concevoir que pour faire que la reflexion se fasse à angles égaux, le mouvement ne doit en aucune façon estre augmenté ny diminué par la rencontre du plan, il semble que la raison nous doive aussi naturellement porter à croire, que lors que ce plan l’augmente ou la diminuë, l’angle de reflexion doit estre à proportion ou plus grand ou plus petit que celuy d’incidence, et non pas qu’il doive estre tousiours égal, comme il suit de vostre raisonnement, qui pour cela vous doit estre suspect, quoy qu’il soit tres-ingenieux.

Mais me direz-vous que deviendra donc la balle dans la supposition que i’ay faite à la fin de ma premiere Lettre, à l’occasion de la figure de la page 19. Car c’est icy le point de la difficulté, et enfin il la faut tirer de ce point fatal, où elle paroist malheureusement engagée ; C’est aussi ce que ie pretens faire maintenant à l’honneur de Monsieur Descartes, et sans faire changer de biais à sa Logique, en me servant, dans le cas que vous proposez icy, du mesme raisonnement dont ie me suis desia servy, quand i’ay passé à vostre seconde supposition.

Si donc la balle estant arrivée au point B rencontre de biais le plan dur impenetrable et inébranlable CBE, et qu’elle perde à ce point B une telle partie de sa vitesse que la ligne FE estant tirée comme aux exemples precedens, soit hors du cercle AD. Ie dis que, où vous entendez que le Clerselier III, 242 plan CBE contribuû à la perte de sa vitesse, où vous entendez qu’il n’y contribuë rien. S’il n’y contribuë rien, on ne peut pas concevoir autre chose, sinon que la balle apres avoir perdu les deux tiers de sa vitesse, et ayant dans cét estat une direction determinée à aller vers D, en un certain temps, à proportion de la force ou de la vitesse qui luy reste, et par consequent d’avancer aussi selon cette force d’une certaine quantité vers la droite à l’égard du plan CBE qu’on luy oppose, lequel pourtant n’est point opposé à cette direction vers la droite, elle doit rejaillir estant au point B, comme elle feroit au point D, ainsi que i’ay dit cy-dessus. Et voila la route que ie luy aurois marquée, qui se trouve conforme à la vostre, mais par une autre raison, qui ne m’oblige point à changer de Logique.

Mais remarquez que cette supposition mesme est impossible, qu’une balle perde les deux tiers de sa vitesse, sans la rencontre d’aucun corps qui la luy fasse perdre.

Que si maintenant le corps CBE contribuë à la perte de la vitesse, cela ne se peut faire en supposant que le corps CBE parfaitement dur, impenetrable et inébranlable. Car le mouvement de la balle ne peut estre diminué par la rencontre d’un corps, qu’entant que la balle luy transfere de son mouvement ; Et si elle luy en transfere, cela ne se peut faire que du sens auquel le corps CBE luy est opposé ; et par consequent elle ne luy peut transferer de son mouvement, que selon cette partie de sa direction, qui la fait tendre vers luy, et iamais la rencontre du corps CBE (que l’on doit supposer parfaitement uny) ne peut diminuer sa direction vers la droite, ou parallele ; Or il est aisé de conclure que si la balle au point B, a transferé au corps CBE, tout le mouvement qui la faisoit tendre en bas, elle doit Clerselier III, 243 continuer son mouvement parallele, et rouler sur luy en avançant autant vers la droite, qu’elle faisoit auparavant.

Que si nonobstant cela vous voulez contre toute raison faire cette supposition impossible, qu’elle perde une telle partie de sa vitesse au point B, qu’elle ne puisse plus avancer autant vers la droite qu’elle faisoit auparavant, et par consequent qu’elle ait aussi perdu une partie du mouvement qui la faisoit avancer vers la droite, alors ie vous diray qu’elle roulera sur le Diametre avec la vitesse qui luy reste ; tout de mesme que, lors que vous supposez que sans rencontrer aucun plan elle vient à perdre de sa vitesse, elle doit continuer son chemin dans la mesme ligne droite qu’elle avoit commencé à parcourir. Et ainsi il arrivera la mesme chose à cette balle, que si ayant esté muë avec une certaine vitesse le long du plan CBE, il arrivoit qu’estant au point B (par une supposition impossible et sans aucune cause) elle vinst à perdre une partie de sa vitesse, elle continueroit son chemin sur le mesme plan avec la vitesse qui luy resteroit.

Mais remarquez que pour trouver quelque chose de defectueux aux raisonnemens de Monsieur Descartes, il en faut venir à des suppositions impossibles, et partant ce ne seroit pas merveille quand d’une impossibilité posée, il s’ensuivroit une absurdité.

Pour tout ce que dessus, il paroist que ce que vous dites dans vostre seconde Lettre tombe de soy-mesme, et n’a pas besoin de réponse ; A sçavoir, que si Monsieur Descartes eust pris garde qu’en quelque maniere que la vitesse change, c’est à dire, augmente ou diminuë au point B, la reflexion ne laisse pas de se faire à angles égaux ; il n’eust pas esté en peine, ny ses amis non plus, de tirer la balle du point B, où ils l’ont veuë malheureusement engagée dans l’exemple de ma derniere Lettre ; il n’eust pas soûtenu que la vitesse venant à changer au point B, la balle ne laisse pas d’avancer vers la droite autant qu’elle faisoit auparavant ; et n’eust pas deduit d’un fondement non seulement incertain, mais encore faux, sa proportion des refractions ; Tout cela dis-ie Clerselier III, 244 n’estant plus appuyé d’aucunes raisons valables se détruit de soy mesme ; aussi bien que ce que vous adjoûtez à la fin de la mesme Lettre ; à sçavoir, que le second milieu se pouvant, comme i’ay dit, ouvrir avec une égale facilité de tous costez pour faire passage à la balle, et que la balle ayant tousiours une mesme aisance à penetrer le second milieu en toutes sorte d’inclinations, il doit suivre, dites-vous, dans l’application du raisonnement de Monsieur Descartes, qu’en toute sorte de cas la reflexion se fera à angles égaux, et que la penetration se fera de même en tous les cas en ligne droite, le mouvement de dessous en ligne droite suivant les mesmes loix, et répondant iustement au mouvement de dessus à angles égaux. Car si ie me suis assez bien fait entendre, vous devez maintenant tirer d’autres conclusions que celles-là des principes de Monsieur Descartes, et devez aussi, si ie ne me trompe moy.mesme, avoir reconnu l’erreur du raisonnement duquel vous les aviez tirées. Et partant ne dites plus que le mouvement de la balle et la refraction ne se ressemblent que par la comparaison imaginaire de Monsieur Descartes ; Car c’est peut-estre la plus iuste et la plus claire que l’on puisse apporter pour l’expliquer ; Mais pour cela il faut considerer la balle sans pesanteur, sans grosseur, sans figure, et sans changement en sa vitesse dans toutes les lignes qu’elle parcourt ; toutes lesquelles choses peuvent causer une infinité de varietez dans la reflexion et la refraction d’une balle ; Mais pource qu’elles n’ont point de lieu en l’action de la Lumiere, à laquelle se doit rapporter tout ce qu’il dit, Monsieur Descartes ne les a point considerées dans le mouvement de cette balle dont il parle ; Et principalement il n’a point consideré cette circonstance, que ie vous prie de remarquer, qui est la plus commune, et qui peut donner le plus d’occasion de douter de ce qu’a dit Monsieur Descartes ; c’est à sçavoir, que dautant que le milieu que parcourt une balle luy oste pour l’ordinaire à tous momens une partie de sa vitesse, par le transport qu’elle luy en fait, de là arrive qu’une balle peut avoir perdu au Clerselier III, 245 point de la reflexion la moitié, par exemple, de la vitesse qu’elle avoit au commencement, qu’elle ne laissera pas de refléchir à angles égaux, à cause qu’au moment qu’elle vient à toucher le plan, la vitesse a desia esté diminuée par le milieu qu’elle a parcouru, et que la direction qu’elle a alors ne laisse pas de la determiner d’aller suivant la mesme ligne, où sa premiere direction la portoit quand elle est sortie de la main, ou de dessus la raquette, (pourveu que sa pesanteur, ou sa grosseur, ou sa figure n’ayent rien changé en cela.) Et ce que ie dis de la vitesse quand le milieu la diminuë, se doit aussi entendre quand elle est augmentée à tous momens par sa pesanteur ; Comme lors qu’une balle tombe le long d’un plan incliné, elle rejaillira aussi alors à angles égaux, encore que sa vitesse se trouve augmentée au point de la reflexion, et cela par la mesme raison, à sçavoir, que cette augmentation ne luy vient pas du plan, mais qu’elle l’avoit avant que de le rencontrer ; Et ainsi vous voyez combien les principes de Monsieur Descartes sont fermes, et ses raisonnemens bien suivis, Ce qui monstre que la veritable raison des refractions se doit tirer du mouvement et des determinations composées, en les examinant comme Monsieur Descartes a fait. Et sans mentir Monsieur Descartes estoit un homme de trop-bon sens, et qui prenoit garde de trop prés aux choses, pour tomber dans des fautes ou visibles ou grossieres ; Et il me semble qu’il nous a donné sujet d’avoir assez bonne opinion de luy, pour croire plustost que nous nous méprenons, en ne comprenant pas son sens et ses raisons, que non pas de croire qu’il se soit trompé, au moins quand l’erreur où nous croyons qu’il soit tombé est apparente et grossiere. A quoy i’adjoûteray seulement que puisque les diverses experiences qu’a fait icy Monsieur Petit (que vous connoissez) en toutes sortes de corps transparens, s’accordent toutes avec la proportion que Monsieur Descartes a trouvée, il est à croire que les raisons qui la luy ont fait trouver sont veritables : Car le moyen d’arriver en tant de differens cas si iustement au vray par un mesme raisonnement, Clerselier III, 246 si ce raisonnement estoit faux.

Que si apres tout cela vous ne voulez pas admettre les conclusions que i’ay tirées des principes que Monsieur Descartes a establis, recevez au moins pour vraye la conclusion de cette Lettre, et croyez que si mes raisonnemens sont fautifs, les protestations de mon cœur sont sinceres, quand ie vous assure que ie veux estre,