Clerselier III, 215

RESPONSE DE MONSIEUR ROHAULT
à la Lettre de M. de Fermat, page 178. qui
contient ses anciennes objections sur la
Dioptrique de Monsieur Descartes.

LETTRE XLVI.

MONSIEUR,
Ie ne sçay si le Pere Mersenne à qui cette Lettre estoit addressée l’a communiquée à Monsieur Descartes, et si l’ayant veuë ses occupations l’ont empesché d’y faire réponse ; Mais il paroist n’y avoir point répondu ; parce que Monsieur de Fermat, qui l’avoit écrite il y a environ vingt ans, repete encore à peu prés les mesmes difficultez dans une Lettre qu’il a ècrite depuis peu à un de mes amis. Ie m’en vas donc essayer d’y répondre, puisque vous le desirez. Et pour le faire plus commodément, ie suivray de point en point tous les articles de sa Lettre, que i’examineray les uns apres les autres.

Article premier, I’ay veu, etc.

Le premier article ne contient qu’un compliment, dont Monsieur de Fermat a voulu honorer Monsieur Descartes, et dont sa memoire luy sera tousiours redevable.

Article second, Ie tranche, etc.

Quand Monsieur Descartes auroit accommodé son Medium à sa conclusion, et qu’il auroit divisé la determination du mouvement d’une certaine maniere plustost que d’une autre, on ne le devroit non plus trouver étrange, que si un Geometre s’estoit servy d’une construction plustost que d’une autre pour l’execution d’un Probleme ; Et l’on ne conteste iamais la voye qu’il a choisie, pourveu qu’il soit Clerselier III, 216 venu à bout de ce qu’il avoit entrepris. Au reste, Monsieur Descartes a dû diviser la determination de la balle qui se meut dans la ligne AB, en une qui fust perpendiculaire à la superficie CBE, et en une autre qui luy fust parallele ; parce que celle-cy ne rencontrant aucune opposition, il estoit assuré qu’elle devoit demeurer la mesme ; Et cela luy a esté un moyen de trouver la verité qu’il cherchoit, ce qu’il n’auroit pû faire s’il eust suivy une autre methode.

Article troisiéme, Ie reconnois, etc.

Monsieur de Fermat semble favoriser Monsieur Descartes en avoüant qu’il est de son sentiment, touchant la difference qu’il establit entre le mouvement et la determination, et taschant mesme de le prouver ; Cependant il semble aussi qu’il y ait de l’addresse, parce qu’il impute à Monsieur Descartes une opinion qu’il n’a pas, à dessein ce semble de s’en servir contre luy dans la suitte.

C’est dans le second exemple, où il assure, qu’une balle poussée du point H au point B perpendiculairement sur la surface CBE, ne perd rien du tout de la determination qu’elle avoit à avancer vers BG, à cause dit-il, qu’en penetrant l’eau ou la toile, elle continuë de se mouvoir dans la mesme ligne droite. Mais il doit considerer que la determination d’un mobile doit estre reputée changer, non seulement quand il quitte la ligne dans laquelle il se mouvoit auparavant, ou quand il se meut à contre sens dans la mesme ligne, mais encore en se mouvant du mesme sens dans la mesme ligne droite, pourveu que ce soit plus ou moins loin qu’il n’estoit determiné d’aller en ce sens-là. Et c’est en cette troisiéme façon que la quantité de la determination de la balle est devenuë moindre, autant que le mouvement.

Article quatriéme, Ie viens maintenant, etc.

Cét article ne contient que le texte de M. Descartes.

Article cinquiéme, Ie remarque d’abord, etc.

Le manque de memoire qui est icy imputé à Monsieur Descartes, est fondé sur la croyance qu’a Monsieur de Fermat que la determination de haut en bas de l’exemple de la Clerselier III, 217 page 17. de la Dioptrique n’est point changée, qui est une erreur semblable à celle qui a esté remarquée sur l’article troisiéme. Et il ne sert de rien pour prouver sa pensée, de dire que la determination dans la ligne BI est composée en partie de celle qui fait aller le mobile de haut en bas, comme estoit celle qui le faisoit auparavant mouvoir vers le mesme costé dans la ligne AB ; Il y a en cela de l’equivoque ; Et encore qu’on remarque tousiours une determination de haut en bas, la seconde est autre que la premiere, de mesme que dix écus, sont une autre quantité d’écus que quinze écus, encore que ce soient tousiours des écus.

Article sixiéme, Mais donnons que, etc.

Apres que Monsieur de Fermat semble avoir accordé comme par forme de passe-droit une chose qu’il auroit eu tort de contester, il s’efforce de prouver que M. Descartes ne s’est pas apperceu que la determination de gauche à droite estoit aussi bien changée que celle de haut en bas ; ce qui veritablement rendroit nulle sa demonstration. La raison qu’il en apporte, c’est parce, dit-il, qu’on ne sçauroit dire que la determination de haut en bas soit changée, sinon parce que depuis que le mobile se meut dans la ligne BI, sa quantité n’a plus la mesme raison avec celle de gauche à droite, qu’elle avoit quand il estoit porté dans la ligne AB. Ie ne sçay si Monsieur de Fermat parle icy tout de bon ; dautant qu’il raisonne à peu prés comme feroit une personne, qui apres avoir mis quinze écus dans l’une de ses pochettes, et trente dans l’autre, et en ayant perdu par ie ne sçay quel accident quelques-uns des quinze, reconnoistroit cette perte par cela seulement que ce qui luy reste des quinze, n’est plus la moitié de la somme qu’il a de l’autre costé ; et qui apres cela, pour se consoler de sa perte, viendroit à croire que la somme qu’il avoit de l’autre costé est augmentée, parce qu’elle fait en recompense plus du double de l’autre. M. Descartes raisonne d’une autre façon, et à peu prés comme pourroit faire un ieune homme qui sans avoir iamais appris ce que c’est que proportion, sçauroit simplement conter : Car Clerselier III, 218 comme celuy-cy iugeroit qu’il auroit perdu une partie de ses quinze écus, en comparant ce qui luy resteroit, avec ce qu’il avoit auparavant dans la mesme pochette, sans se soucier de les comparer avec les trente de l’autre ; De mesme Monsieur Descartes iuge du changement arrivé en la determination de haut en bas, parce que sa quantité n’est plus la mesme, depuis que le mobile est au dessous de la surface CBE, qu’elle estoit quand il estoit au dessus. Et il a raison d’assurer que la determination de gauche à droite n’est pas changée, parce que sa quantité est la mesme, le mobile estant dans la ligne BI, qu’elle estoit quand il estoit porté dans la ligne AB.

Article septiéme, Mais donnons encore, etc.

Monsieur de Fermat semble encore accorder icy gratuitement une chose qu’il auroit aussi tort de contester, comme il se voit par la remarque precedente. Ce qu’il y a de plus dans cét article n’est que le propre texte de M. Descartes.

Article huitiéme, Voyez comme il retombe, etc.

Monsieur Descartes est icy accusé de tomber pour la seconde fois dans une mesme faute, pour ne s’estre pas souvenu de la difference qu’il y a entre la determination et le mouvement ; Mais cette accusation n’est fondée que sur ce que Monsieur de Fermat prend icy un peu rigoureusement les paroles de Monsieur Descartes : Car quand il dit Que la balle doit faire deux fois autant de chemin vers le mesme costé, cela ne signifie pas que la balle doive se mouvoir dans une ligne deux fois aussi grande qu’auparavant ; Mais que quelle que soit la longueur de cette ligne, la determination vers la droite doit tellement s’accommoder avec la vitesse qui luy reste, que la balle avance de ce costé-là deux fois autant qu’elle avoit fait ; C’est là le sens qu’il falloit donner aux paroles de Monsieur Descartes, et non pas celuy par lequel on pretend qu’il confond deux choses diverses. Et cela estoit assez evident, puisque là mesme il suppose que le mouvement total de la balle est diminué de moitié. Ce qui suit de cét article, et l’absurdité que Monsieur de Fermat y conclud, Clerselier III, 219 ne fait rien contre Monsieur Descartes, qui nieroit tout franc que la determination de haut en bas demeure la mesme, suivant ce qui a esté remarqué sur l’article troisiéme, et ainsi tout cét appareil de raisonnement s’en va en fumée.

Article 9. 10. 11. 12.

Ie passe pour vray tout ce qui est contenu dans ces articles ; mais cela ne fait rien du tout au sujet, et n’a servy qu’à tromper Monsieur de Fermat, qui y parle du mouvement composé, en un autre sens que n’a fait Monsieur Descartes.

Article treiziéme, Cela ainsi supposé, etc.

Monsieur de Fermat estime que dans la page 20. de la Dioptrique, la supposition de Monsieur Descartes est, que l’accroissement d’un tiers de mouvement qui arrive à la balle soit simplement de haut en bas, ou selon la ligne BG, au lieu que c’est à le mesurer dans la ligne qu’elle a à décrire ou parcourir actuellement ; Et cela est assez aisé à entendre ; parce que si cela estoit, Monsieur Descartes n’auroit pas supposé comme il a fait, que la force du mouvement de la balle est augmentée d’un tiers, mais auroit supposé que la determination de haut en bas est augmentée d’un tiers, et n’auroit pas parlé du mouvement total. Il ne faut donc pas dire qu’au sens de M. Descartes ; la balle qui se meut en BI, s’y meuve d’un mouvement composé de celuy qu’elle avoit vers BD, et d’un nouveau vers BG, qui augmente d’un tiers la force qu’elle avoit desia en ce sens-là ; Mais bien que le mouvement actuel de la balle est d’un tiers plus viste qu’auparavant ; laissant au raisonnement à définir quel changement doit suivre de là, en la determination de haut en bas.

Article quatorziéme, Imaginons en suitte, etc.

Ce que Monsieur de Fermat conclud dans cét article est vray dans sa supposition, laquelle (comme ie viens de remarquer) estant differente de celle de Monsieur Descartes, Clerselier III, 220 il ne faut pass’estonner s’ils establissent tous deux des proportions differentes, l’une desquelles par consequent enne sçauroit destruire l’autre.

Article 15. D’ailleurs la principale raison, etc.

Il est vray que Monsieur Descartes entend que le mouvement d’un mobile accroist tousiours d’une pareille quantité, en penetrant un mesme milieu, quoy qu’il tombe sur sa surface avec des inclinaisons differentes ; Et cela est bien raisonnable, puisque l’augmentation de vitesse, ou la facilité à se mouvoir, que le mobile acquiert au point de rencontre qui separe les deux milieux, depend de la nature du second milieu, laquelle ne change point, mais est tousiours la mesme dans toutes les inclinaisons. Et la principale faute que commet icy Monsieur de Fermat est fondée sur ce qu’il croit que le mouvement composé en BI n’est pas tousiours également viste, comme s’il dependoit de la direction ou determination des deux forces mouvantes, au lieu que c’est à elle à s’accommoder à la force du mouvement, lequel est composé, et non pas la determination ; Et c’est ce qui a trompé Monsieur de Fermat, et qui luy a fait faire tous ses faux raisonnemens ; Et c’est peut-estre encore ce qui l’empesche à present de recevoir la demonstration de Monsieur Descartes. Aussi ce qu’il adjoûte en suitte, et qu’il dit avoir demonstré estre faux, n’est vray que dans sa supposition ; qu’il croyoit estre celle de Monsieur Descartes ; mais qui pourtant comme i’ay monstré en est fort differente.

Article 16. Ce n’est pas que, etc.

Monsieur de Fermat avoüe qu’il n’est pas assuré qu’il faille suivre sa proportion, plustost que celle qu’il tasche de combattre ; Mais ie ne fais pas difficulté d’avoüer qu’il faudroit retenir la sienne, si l’acceleration ou le ralentissement du mouvement dependoit icy de l’angle compris sous les lignes de direction des deux forces mouvantes ; Mais parce qu’il depend de la nature du second milieu que le corps a à parcourir, de faciliter ou de retarder son mouvement, il est evident ce me semble que l’on doit retenir celle de M. Descartes.

Clerselier III, 221 Nous sçaurons quand il plaira à Monsieur de Fermat les pensées qu’il a touchant la refraction ; Mais ie puis desia dire icy par avance, que ce que i’en ay veu dans sa Lettre à Monsieur de la Chambre, m’a paru fort ingenieux, et digne de luy.

Si vous luy faites voir cecy, ie vous prie de luy taire mon nom, ou si vous trouvez à propos de le luy declarer, ie vous prie aussi qu’il sçache que ce n’est pas d’auiourd’huy que le bruit de son nom est venu iusques à moy ; que i’estime beaucoup son merite, et que ie tiendray à honneur s’il daigne me faire la grace de me mettre au rang de ses tres-humbles serviteurs.