AU R. PERE BOURDIN IESUITE.

LETTRE XVI. Version de la precedente

MON REVEREND PERE,
Ie ne receus vos dernieres dattées du septiéme Aoust, qu’avanthier, qui estoit le sixiéme Septembre. Et il y a trois semaines que ie fis réponse à vos precedentes, qui m’avoient Clerselier III, 102 aussi esté renduës plus tard qu’elles ne devoient, eu égard à la distance des lieux. Et ie m’estonne fort que vous n’ayez point fait de difficulté d’impugner, et mesme de condamner comme fausse et ridicule, une doctrine que vous dites vous avoir semblé douteuse, veu que vous me reprenez d’avoir refuté un écrit, que ie n’ay point douté estre absolument faux. Et il importe fort peu que cét écrit fust achevé, ou seulement commencé ; Car n’ay-ie pas trouvé dans le commencement assez d’argumens pour pouvoir hardiment le condamner de fausseté ; Et vous, n’avoüez-vous pas que dans le mien, qui estoit complet, vous n’en avez pû trouver assez, que pour vous faire douter de sa doctrine. I’obmets le reste du contenu de vostre Lettre, pource que i’y ay desia répondu dans mes precedentes. Mais i’ay une priere à vous faire, qui est, que comme i’ay fait imprimer vostre écrit, avec les notes que i’ay faites dessus, tel que ie l’avois receus, sans y changer une seule lettre, de mesme aussi, s’il vous prend envie d’écrire quelque chose contre mes remarques, ie vous prie de ne les point proposer estropiées et imparfaites, mais de les faire voir toutes entieres, et telles qu’elles sont, avec la Lettre que i’y ay jointe. Adjoûtez-y aussi, si bon vous semble, toutes vos autres questions ; Mais si vous en adjoûtez quelqu’une, gardez-vous bien d’oublier celle où vous devez parler de l’Existence de Dieu. Vous sçavez combien les Athées et les libertins sont malicieux et médisans ; Et si apres avoir rejetté mes argumens, vous n’en apportez point de meilleurs, sans doute qu’ils diront que vous n’en avez point ; et peut estre mesme (ce qu’à Dieu ne plaise) qu’ils rejetteront cét opprobre sur tout le Corps de vostre Societé. Enfin vous ne devez point craindre que de mon costé, ie tasche à faire en sorte qu’on vous empesche d’achever et de publier les écrits que vous voulez faire contre moy ; Car au contraire, si vous me voulez croire, ie vous conseille plustost de le faire, que de vous amuser plus long-temps à écrire des Lettres ; Car cela pourroit donner occasion à ceux qui vous voudroient du mal, de croire que vous cherchez à reculer, et à ruser, Clerselier III, 103 n’estant pas assez fort pour en venir à un combat ouvert. Ie n’apprehende point aussi l’aigreur du stile, ny la multitude ou la renommée de mes adversaires. Il y a long-temps que i’ay tasché de faire en sorte qu’on ne pust rien dire de moy de veritable, que ie ne voulusse bien entendre. Mais si quelques-uns usent de calomnies, i’espere qu’il me sera facile de découvrir leurs finesses, et ils ne le pourront faire sans s’exposer au mépris et à la risée de toutes les personnes sages, Et mesme plus le nombre de mes adversaires sera grand, et plus leur nom sera celebre, dautant plus aussi auray-ie sujet de me glorifier de la grandeur de leur envie. Mais pour ceux qui aiment la verité, tels que sont sans doute tous les Peres de vostre Societé, ie ne doute point qu’ils ne me soient tous amis. Et comme ie fais une estime toute particuliere de tous ceux qui excellent en pieté ou en doctrine, aussi suis-ie entierement au service de ceux qui me font l’honneur de me mettre au rang de leurs amis.
Ie suis,