MON REVEREND PERE,
Ie ne vous sçaurois exprimer combien i’ay de ressentiment des obligations que ie vous ay, lesquelles AT IV, 159 sont extremes, en ce que ie me persuade que vostre faveur et vostre conduite sont causes, qu’au lieu de l’aversion de toute vostre Compagnie, Clerselier III, 111 dont il sembloit que les preludes du Reverend Pere Bourdin m’avoient menacé, i’ose maintenant me promettre sa bien-veillance. I’ay receu des Lettres du Reverend Pere Charlet qui me la font esperer, et outre que mon inclination, et les obligations que i’ay à vous et aux vostres de l’institution de ma ieunesse me la font desirer avec affection, il faudroit que ie fusse depourveu de sens, pour ne la pas desirer pour mon interest : Car m’estant meslé d’écrire une Philosophie, ie sçay que vostre Compagnie seule peut plus que tout le reste du monde, pour la faire valoir ou mépriser ; C’est pourquoy ie ne crains pas que des personnes de iugement, et qui ne m’en croyent pas entierement depourveu, doutent que ie ne fasse tousiours tout mon possible pour la meriter. Ie n’ay pas peu de satisfaction d’apprendre que vous avez pris la peine de la lire, et qu’elle ne vous est pas desagreable ; Ie sçay combien les opinions fort éloignées des vulgaires choquent d’abord, et ie n’ay pas esperé que les miennes receussent du premier coup l’approbation de ceux qui les liroient ; mais bien ay-ie esperé que peu à peu on s’accoustumeroit à les gouster, et que plus on les examineroit, plus on les trouveroit croyables et raisonnables. I’estois allé cét Esté en France pour mes affaires domestiques, mais les ayant promptement terminées, ie suis revenu en ces païs de Hollande, où toutesfois aucune raison ne me retient, sinon que i’y AT IV, 160 puis vacquer plus commodement à mes divertissemens d’estude, pource que la coustume de ce païs ne porte pas qu’on s’entrevisite si librement qu’on fait en France ; Mais en quelque lieu du monde que ie sois, ie seray passionnément toute ma vie, etc.