MON REVEREND PERE,
La Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, en datte du quatriéme Mars, ne m’a esté envoyée avec une autre du Reverend Pere Charlet, en datte du troisiéme Avril, que depuis huit jours, en AT IV, 216 sorte qu’il semble que le Courrier de Rome à Paris ait moins tardé par les chemins que celuy d’Orleans, mais cela importe peu. Ie vous ay obligation de la faveur que vous m’avez faite de me mander vostre sentiment touchant mes Principes, mais i’eusse souhaitté que vous m’eussiez specifié vos difficultez, et ie vous avoüe que ie n’en puis concevoir aucune touchant la rarefaction ; Car il n’y a rien ce me semble de plus aisé à concevoir, que la façon dont une éponge se dilate dans l’eau, et se resserre en se sechant. Pour l’explication de la façon dont Iesus-Christ est au saint Sacrement, il est certain qu’il n’est nullement besoin de suivre celle que ie vous ay écrite pour l’accorder avec mes principes ; aussi ne l’avois-ie pas proposée à cette occasion, mais comme l’estimant assez commode pour éviter les objections des Heretiques, qui disent qu’il y a de l’impossibilité et contradiction à ce que l’Eglise croit. Vous ferez de ma Lettre ce qu’il vous plaira, et pource qu’elle ne vaut pas la peine d’estre gardée, ie vous prie seulement de la rompre, sans prendre la peine de me la renvoyer. Au reste ie souhaitterois que vous eussiez assez de loisir pour examiner plus particulierement mes Principes, i’ose croire que vous y trouveriez au moins de la liaison et de la suitte ; en sorte qu’il faut nier tout ce qui est contenu dans les deux dernieres parties, et ne AT IV, 217 le prendre que pour Clerselier III, 114 une pure hypothese, ou mesme pour une fable, ou bien l’approuver tout ; Et encore qu’on ne le prist que pour une hypothese, ainsi que ie l’ay proposé, il me semble neantmoins que iusques à ce qu’on en ait trouvé quelqu’autre meilleure, pour expliquer tous les Phainomenes de la Nature, on ne la doit pas rejetter. Mais ie n’ay pas sujet de me plaindre iusques icy des Lecteurs ; Car depuis que ce dernier traitté est publié, ie n’ay point appris que personne ait entrepris de le blasmer ; et il semble que i’ay au moins gaigné cela sur plusieurs, qu’ils doutent si ce que i’ay écrit ne pourroit point estre vray. Toutesfois ie ne sçay pas ce qui se dit en mon absence, et ie suis icy en un coin du monde, où ie ne laisserois pas de vivre fort en repos et fort content, encore que les iugemens de tous les doctes fussent contre moy. Ie n’ay nulle passion au regard de ceux qui me haïssent ; i’en ay seulement pour ceux qui me veulent du bien, lesquels ie desire servir en toutes sortes d’occasions ; et comme ie vous ay tousiours reconnu estre de ce nombre, aussi suis-ie de tout mon cœur,
Mon R. P.
Vostre tres-humble et tres-affectionné
serviteur, DESCARTES.