AT I, 459 MONSIEUR,
I’ay eu beaucoup de joye et d’admiration de voir la belle regle que vous avez trouvée pour resoudre les problemes solides avec l’hyperbole ; ie ne croy pas qu’il soit possible d’en trouver aucune plus courte, ny plus belle que celle-là. Mais ie n’ay pas eu moins de honte des complimens trop extraordinaires, et des termes trop excedans en courtoisie, dont vous avez usé en mon endroit ; obligez-moy de me traitter plus humainement une autre fois, et en sorte que ie puisse croire que ce soit à moy que vous écrivez, c’est à dire, à une personne qui ne reconnoist en soy aucune qualité extraordinaire, ny qui merite le moindre des titres que vous luy donnez, mais qui seroit bien-aise de vous rendre service, et qui pour vous monstrer un exemple de naïveté vous dira icy tout simplement ce qu’il iuge de ce que vous luy avez envoyé. La regle de l’hyperbole ne sçauroit estre mieux qu’elle est, et AT I, 460 ie voy en tout le reste, que vous estes sans comparaison plus avancé que ie n’aurois crû ; i’approuve bien aussi que vous vous portiez à chercher les choses plus difficiles, comme de resoudre en nombre les equations de six dimensions, et en lignes celles de huit ; Mais à cause qu’il s’y trouvera peut-estre plus de difficultez que vous n’en avez preveu, ie croy qu’il y faut venir par degrez, et que vous pourriez auparavant faire des regles pour soudre les Problemes solides, avec telle section conique donnée qu’on voudra ; et aussi examiner le second Livre de ma Geometrie, car vous y trouverez quelque chose de la Nature des lignes Courbes ; Et il faut prendre garde aux solutions des Problemes, Clerselier III, 117 qu’on n’y doit iamais employer des lignes Courbes d’un genre composé, que lors qu’il est impossible de faire ce qui est requis avec des lignes de plus simple genre. I’ay aussi remarqué beaucoup d’esprit en vos considerations touchant la bataille, nonobstant que ce soit une matiere où l’experience et la prudence naturelle avec la presence de l’esprit, que perdent ceux qui ont peur dans les occasions, servent plus que les preceptes. Et enfin i’ay trouvé vostre stile Latin si beau et si net, que ie n’en aurois iamais attendu de tel d’un homme de vostre profession ; Ie vous conseille de continuer à cultiver ces belles qualitez, et si i’y puis contribuer en quoy ce soit, vous me ferez faveur de m’employer. Ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble et tres-affectionné
serviteur, DESCARTES.