AT III, 469

AU R.P. MERSENNE.

LETTRE XXVIII.

MON REVEREND PERE,
Vos Lettres ont esté gelées par les chemins, car la datte m’apprend que ie les devois recevoir il y a quinze iours, ce qui est cause que ie n’ay pû y répondre plustost. Ie vous remercie de ce que vous m’écrivez de la part des Peres Iesuites, et vous verrez en ma Lettre Latine de quelle façon i’y répons ; mais ie vous prie de la faire voir à leur Provincial ; et ie voudrois bien qu’une autre fois, s’ils vous prient derechef de me faire sçavoir quelque chose de leur part, vous le rufusassiez, si ce n’est qu’ils le missent eux-mesmes par écrit ; à cause qu’ils peuvent mieux desavoüer leur parole que leur Clerselier III, 118 écriture ; Et ie prevoy desia qu’ils desavoüeront une partie de ce que vous m’avez cette fois écrit de leur part, et à quoy i’ay esté obligé de répondre ; mais n’importe, cela vous servira d’excuse pour ne vous plus charger de leurs commissions, s’ils ne les écrivent. Ie vous renvoye la Lettre du Pere Bourdin que i’ay trouvée peu iudicieuse, mais ie n’en ay pas AT III, 470 voulu toucher un seul mot, à cause que vous me l’aviez deffendu. Ie croy bien que son Provincial l’a envoyé pour vous demander s’il estoit vray que i’écrivisse contre eux, mais non pas pour me menacer de choses qu’ils sçavent bien que ie ne crains pas, et qui peuvent bien plus m’obliger à écrire, que m’en empescher. Il est certain que i’aurois choisi le Compendium du Pere Eustache, comme le meilleur, si i’en avois voulu refuter quelqu’un ; mais aussi est-il vray que i’ay entierement perdu le dessein de refuter cette Philosophie ; car ie voy qu’elle est si absolument et si clairement détruite, par le seul establissement de la mienne, qu’il n’est pas besoin d’autre refutation ; mais ie n’ay pas voulu leur en rien écrire, ny leur rien promettre, à cause que ie pourray peut-estre changer de dessein, s’ils m’en donnent occasion. Et cependant ie vous prie de ne craindre pour moy aucune chose ; car ie vous assure que si i’ay quelque interest d’estre bien avec eux, ils n’en ont peut-estre pas moins d’estre bien avec moy, et de ne se point opposer à mes desseins : Car s’ils le faisoient, ils m’obligeroient d’examiner quelqu’un de leurs Cours, et de l’examiner de telle sorte, que ce leur seroit une honte à iamais. I’ay feint de n’oser pas vous prier de faire voir ma Lettre au Pere Provincial ; mais ie serois pourtant bien marry qu’il ne la vist point.
Ie suis,
MON R. PERE,
Vostre tres-humble et tres-obéïssant
serviteur, DESCARTES. Le 22. Decembre 1641