AU R. PERE MERSENNE.

LETTRE XXX. Version de la precedente

MON REVEREND PERE,
I’ay leu une partie de la Lettre qui vous a esté envoyée d’Angleterre, que Monsieur de Zuytlichem m’a fait la faveur de me prester, et ie me suis fort estonné de ce que celuy qui l’a écrite, paroissant par son stile homme d’esprit et sçavant, s’éloigne neantmoins de la verité en tout ce qu’il propose de luy-mesme. Ie ne répondray point au commencement de sa Lettre, où il parle de Dieu et de l’Ame comme de choses corporelles ; ny à ce qu’il dit de son esprit Interne, et de beaucoup d’autres choses qui ne me touchent point : Car bien qu’il dise que ma matiere subtile soit la mesme chose que son esprit Interne, ie ne le puis neantmoins reconnoistre. Premierement, parce qu’il veut que son esprit Interne soit la cause de la dureté, quoy que ma matiere subtile au contraire soit plustost la cause de sa mollesse. Et aussi parce que ie ne voy pas par quel moyen cét esprit, qui de sa nature Clerselier III, 123 est tres-mobile, peut-estre si bien renfermé dans les corps durs, qu’il n’en puisse iamais sortir, ny comment il se glisse et entre dans les corps mols, lors qu’ils deviennent durs. Mais ie viens aux raisons par lesquelles il tasche de refuter ma Dioptrique. Premierement, il dit que i’aurois parlé plus clairement, si au lieu de dire la determination, i’avois dit le mouvement determiné, en quoy ie ne suis pas de son advis. Car encore bien que l’on puisse dire que la vitesse de la balle qui va d’A vers B soit composée de deux autres vitesses, à sçavoir de celle d’A vers H, et de celle d’A vers C, i’ay crû neantmoins que ie devois m’abstenir de cette façon de parler, de peur que par là l’on ne vinst à entendre, que dans le mouvement ainsi composé, la quantité de ces vitesses, et la proportion de l’une à l’autre, demeure, ce qui n’est nullement vray. Car si cela estoit, si nous supposions par exemple, qu’une balle fust meuë d’A vers la droite avec un degré de vitesse, et de haut en bas pareillement avec un degré, elle parviendra au point B avec deux degrez de vitesse, dans le mesme temps qu’une autre balle qui seroit aussi meuë d’A vers la droite avec un degré de vitesse, et de haut en bas avec deux degrez, parviendra au point G avec trois degrez de vitesse ; d’où il s’ensuivroit que la proportion de la ligne AB à la ligne AG seroit comme 1. à 3. laquelle toutesfois est comme 2. à r. I0. etc.

Ce qu’il dit ensuitte, à sçavoir, que la terre oste, ou fait perdre la vitesse qui portoit la balle en bas, est contre mon hypothese ; car i’ay supposé tout au contraire que la balle ne perdoit rien du tout de sa vitesse ; Et mesme contre l’experience ; Car autrement une balle tombant perpendiculairement sur la terre iamais ne rejailliroit : Ie ne voy donc point que ma demonstration peche en quoy que ce soit. Mais il s’est luy-mesme grandement trompé, pour n’avoir pas distingué le mouvement d’avec la determination ; car il est certain que le mouvement ne se soit en aucune façon diminuer, Clerselier III, 124 pour faire que la reflexion se fasse à angles égaux.

De plus ce qu’il avance comme un Principe, à sçavoir, que ce qui ne cede point à la moindre force ne peut estre emporté par quelque force que ce soit, n’a aucune apparence de verité. Car qui croira, par exemple, que le bassin d’une balance chargé de cent livres, cede tant soit peu au poids d’une livre qui est mis de l’autre costé, à cause qu’il cede et peut estre enlevé par le poids de deux cens livres. Ie demeure pourtant bien d’accord que la partie de la terre sur laquelle tombe une balle cede ou preste tant soit peu, comme aussi que la partie de la balle qui touche la terre se recourbe aussi quelque peu en dedans ; Et mesme, de ce que la terre et la balle reprennent aussi-tost apres leur premiere situation, que cela est en partie cause du bond de la balle ; Mais ie soûtiens que le bond qu’elle fait, est tousiours plus empesché de ce que la balle et la terre cedent l’une à l’autre, qu’il n’est aidé par leur ressort ; Et que de là l’on peut demonstrer que la reflexion d’une balle, et des autres semblables corps qui ne sont pas entierement durs, ne se fait iamais precisément à angles égaux ; Mais cela se voit sans aucune demonstration par la seule experience, qui nous monstre que les balles les plus molles ne rebondissent pas si haut, ny par des angles si grands, que celles qui sont plus dures. D’où l’on voit combien vainement et inutilement il apporte pour raison de cette égalité des angles en la reflexion cette mollesse de la terre ; veu principalement que de là il s’ensuivroit, que si la terre et la balle estoient si dures qu’elles ne pussent en aucune façon prester ou se courber en dedans, il ne se feroit aucune reflexion ; ce qui est incroyable et contre le sens commun. Et cela fait voir aussi avec combien de raison i’ay supposé que la terre et la balle estoient parfaitement dures, afin de reduire la chose à un examen Mathematique.

Il n’est pas plus heureux en ce qu’il dit touchant la Refraction, lors qu’il distingue celle qui se fait quand le corps qui est meu parcourt les deux milieux, d’avec celle qui se Clerselier III, 125 fait quand il ne les parcourt pas ; car l’une et l’autre se fait d’un mesme costé par un corps de mesme nature. Et il n’a pas assez bien conceu ce que i’ay écrit touchant cela ; Car ie ne dis pas que la lumiere se répande plus facilement dans un milieu dense que dans un rare ; mais qu’elle se transmet plus aisément dans un corps dur que dans un mol, soit que celuy-cy soit plus rare ou plus dense que l’autre ; à cause que dans un corps dur, la matiere subtile ne communique pas de son mouvement aux paroys des pores dans lesquels elle se trouve. Et i’ay de cecy l’experience et la raison pour moy, tant en ce qui est de la lumiere, qu’en ce qui est des autres corps sensibles et palpables. Et l’exception qu’il apporte, tirée de l’aspreté d’un tapis, n’est aucunement considerable ; car la mesme chose arrivera dans un tapis de soye ou de cuir, qui n’aura aucune aspreté. Pour ce qu’il dit avoir esté demonstré par un sien amy, ie ne l’ay point veu, et partant ie n’en puis rien iuger. Mais i’admire grandement qu’apres cela il adjoûte que ma demonstration n’est pas legitime, quoi que neantmoins il n’apporte autre chose pour la combattre, sinon qu’il dit qu’elle contient des choses qui ne s’accordent pas avec l’experience, lesquelles neantmoins y sont tres-conformes, et sont tres-veritables.

Mais il semble n’avoir pas bien remarqué la difference qui est entre la refraction d’une balle, ou des autres corps qui tombent dans l’eau, et celle de la lumiere ; quoy que neantmoins il y en ait deux fort considerables. La premiere est, que celle de la lumiere se fait en approchant de la perpendiculaire, et l’autre tout au contraire en s’en éloignant ; Et bien que les rayons de la lumiere passent plus facilement au travers de l’eau que de l’air, de la troisiéme partie ou environ de l’effort ou de l’impetuosité de leur mouvement, on ne doit pas pour cela s’imaginer qu’une balle doive se ralentir ou estre retardée par l’eau de la troisiéme partie de sa vitesse, n’y ayant aucun rapport ou convenance entre ces deux choses. La seconde est, qu’une lumiere foible et debile souffre une pareille refraction dans l’eau, qu’une lumiere Clerselier III, 126 plus forte ; Mais il n’en est pas de mesme d’une balle, laquelle estant iettée dans l’eau avec grande force, n’est pas retardée par elle d’une si grande partie de sa vitesse, que si elle estoit iettée avec une moindre force ; Et partant ce n’est pas merveille, s’il dit avoir experimenté qu’un boulet de canon, tiré à cinq degrez d’élevation estoit entré dans l’eau, et s’y estoit enfoncé au lieu de rejaillir, parce qu’alors peut-estre ne s’estoit-il pas affaibly de la milliéme partie de sa vitesse. Il veut apres cela faire accroire que i’aye supposé que toute la perte de la vitesse de la balle doit estre imputée au mouvement de haut en bas, où au contraire i’ay tousiours dit que cette perte devoit estre imputée à tout le mouvement, pris et consideré simplement. Et quant au moyen dont il se sert pour expliquer la cause de la refraction, il est aisé de voir qu’il n’est pas fort exact, puis qu’il repugne manifestement à ce qu’il a dit auparavant avoir esté demonstré par son amy ; C’est à sçavoir qu’en la refraction, comme le sinus de l’angle d’une inclinaison, est au sinus de l’angle de l’autre inclinaison ; ainsi le sinus de l’angle rompu en une inclinaison, est au sinus de l’angle rompu en l’autre inclinaison ; Car de son Parallelogramme mesme, il resulte tout-une autre proportion entre les sinus que celle-là, et mesme une proportion fort irrationnelle. Ie n’ay pas encore veu le reste de sa Lettre, c’est pourquoy ie ne puis icy y répondre.
Ie suis,