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AT VI, 130

DE LA VISION.
Discours sixiesme.

Or encores que cette peinture en passant ainsi iusques au dedans de nostre teste, retiene tousiours quelque chose de la resemblance des obiets dont elle procede ; il ne se faut point toutesfois persuader, ainsi que ie vous ay desia tantost assés fait entendre, que ce soit par le moyen de cette resemblance qu’elle face que nous les sentons, comme s’il y auoit derechef d’autres yeux en nostre cerueau, auec lesquels nous la pussions aperceuoir. Mais plustost que ce sont les mouuemens par lesquels elle est composée, qui agissans immediatement contre nostre ame tantd’autant qu’elle est vnie à nostre cors, sont institués de la nature pour luy faire auoir de tels sentimens. Ce que ie vous veux icy expliquer plus en detail. Toutes les qualités que nous aperceuons dans les obiets de la veuë, peuuent estre reduites à six principales, qui sont, la lumiere, la couleur, la situation, la distance, la grandeur, et la figure. Et premierement touchant la lumiere et la couleur, qui seules apartienent proprement au sens de la veuë, il faut penser que nostre ame est de telle nature, que la force des mouuemens, qui se trouuent dans les endroits du cerueau, d’où vienẽt les petits filets des nerfs optiques, luy fait auoir le sentiment de la lumiere ; et la façon de ces AT VI, 131 mouuemens, celuy de la couleur. ainsi que les mouuemens des nerfs qui respondent aux oreilles, luy font oüir les sons ; et ceux Maire, p. 52
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des nerfs de la langue, luy font gouster les saueurs ; et generalement, ceux des nerfs de tout le cors, luy font sentir quelque chatoüillement, quand ils sont moderés, et quand ils sont trop violents ; quelque douleur ; sans qu’il doiue, en tout cela, y auoir aucune resemblance entre les idées qu’elle conçoit, et les mouuemens qui causent ces idées. Ce que vous croirés facilement, si vous remarqués, qu’il semble à ceux qui reçoiuent quelque blessure dans l’œil, qu’ils voyent vne infinité de feux et d’esclairs deuant eux, nonobstant qu’ils ferment les yeux, ou bien qu’ils soyent en lieu fort obscur ; en sorte que ce sentiment ne peut estre attribué qu’a la seule force du coup, laquelle meut les petits filets du nerf optique, ainsi que feroit vne violente lumiere. Et cette mesme force touchant les oreilles, pourroit faire ouir quelque son ; et touchant le cors en d’autres parties, y faire sentir de la douleur. Et cecy se confirme aussy, de ce que si quelquefois on force ses yeux à regarder le soleil, ou quelqu’autre lumiere fort viue, ils en retienent aprés vn peu de temps l’impression, en telle sorte, que nonobstant mesme qu’on les tiene fermés, il semble qu’on voye diuerses couleurs, qui se changent et passent de l’vne à l’autre, à mesure qu’elles s’affoiblissent : car cela ne peut proceder que de ce que les petits filets du nerf optique, ayant esté meus extrordinairement fort, ne se peuuent arrester si tost que de coustume. Mais l’agitation, qui est encores en eux apres que les yeux sont AT VI, 132 fermés, n’estant plus assés grande, pour representer cette forte lumiere, qui l’a causée, represente des couleurs moins viues. Et ces couleurs se changent en s’affoiblissant, Maire, p. 53
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ce qui monstre que leur nature ne consiste qu’en la diuersité du mouuement, et n’est point autre que ie l’ay cy dessus supposée. Et enfin cecy se manifeste de ce que les couleurs paroissent souuent en des cors transparens, où il est certain, qu’il n’y a rien qui les puisse causer, que les diuerses façons, dont les rayons de la lumiere y sont receus. comme lors que l’arc-en-ciel paroist dans les nuës, et encores plus clairement, lors qu’on en voit la resemblance dans vn verre, qui est taillé à plusieurs faces.

Mais il faut icy particulierement considerer, en quoy consiste la quantité de la lumiere, qui se voit, c’est à dire, de la force dont est meu chacun des petits filets du nerf optique, car elle n’est pas tousiours esgale à la lumiere, qui est dans les obiets, mais elle varie à raison de leur distance, et de la grandeur de la prunelle, et aussy à raison de l’espace que les rayons, qui vienent de chasque point de l’obiet, peuuent occuper au fonds de l’œil. Comme par exempleVoyés la figure en la page suiuante., il est manifeste que le point X enuoyeroit plus de rayons dans l’œil B, qu’il ne fait, si la prunelle FF estoit ouuerte iusques à G ; et qu’il en enuoye tout autant en cet œil B, qui est proche de luy, et dont la prunelle est fort estroitte, qu’il fait en l’œil A, dont la prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est à proportion plus esloigné. Et encores qu’il n’entre pas plus de rayons des diuers points de l’obiet AT VI, 133 VXY, considerés tous ensemble, dans le fonds de l’œil A, que dans celuy de l’œil B, toutes fois pource que ces rayons ne s’y estendent qu’en l’espace TR, qui est plus petit que n’est HI, dans lequel ils s’estendent au fonds de l’œil B, ils y doiuent Maire, p. 54
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agir auec plus de force, contre chacune des extremités du nerf optique qu’ils y touchent, ce qui est fort aisé à calculer. Car si par exemple, l’espace HI est quadruple de TR, et qu’il contiene les extremités de quatre mille des petits filets du nerf optique, TR, ne contiendra que celles de mille, et par consequent chacun de ces petits filets sera meu dans le fonds de l’œil A, par la milliesme partie des forces, qu’ont tous les rayons qui y entrent, iointes ensemble ; et dans le fonds de l’œil B, par le quart de la milliesme partie seulement. Il faut aussy considerer, qu’on ne peut discerner les parties des cors qu’on regarde, qu’en tant qu’elles different en quelque façon de couleur : et que la vision distincte de ces couleurs, ne depend pas seulement de ce que tous les rayons, qui vienent de chasque point de l’obiet, se rassemblent à peu prés en autant d’autres diuers points ; au fonds de l’œil ; et de ce qu’il n’en vient aucuns autres d’ailleurs, vers ces mesmes poins, ainsi qu’il a esté tantost amplement expliqué : mais aussy de la multitude des petits filets du nerf optique, qui Maire, p. 55
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sont en l’espace qu’occupe l’image au fonds de l’œil. Car si par exemple l’obiet VXY, est AT VI, 134 composé de dix mille parties, qui soyent disposées à enuoyer des rayons, vers le fonds de l’œil RST, en dix mille façons differentes, et par consequent à faire voir en mesme temps dix mille couleurs, elles n’en pourront neantmoins faire distinguer à l’ame que mille tout au plus, si nous supposons qu’il n’y ait que mille, des filets du nerf optique, en l’espace RST, d’autant que dix des parties de l’obiet, agissant ensemble contre chacun de ces filets, ne le peuuent mouuoir que d’vne seule façon, composée de toutes celles dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne doit estre consideré que comme vn point. Et c’est ce qui fait que souuent vne prairie qui sera peinte d’vne infinité de couleurs toutes diuerses, ne paroistra de loin que toute blanche, ou toute bleuë. Et generalement que tous les cors se voyent moins distinctement de loin, que de prés. Et enfin que plus on peut faire que l’image d’vn mesme obiet occupe d’espace au fonds de l’œil, plus il peut estre vû distinctement. Ce qui sera cy aprés fort à remarquer.

Pour la situation, c’est à dire, le costé vers lequel est posée chasque partie de l’obiet au respect de nostre cors, nous ne l’aperceuons pas autrement par l’entremise de nos yeux, que par celle de nos mains ; et sa cognoissance ne depend d’aucune image, ny d’aucune action qui viene de l’obiet ; mais seulement de la situation des petites parties du cerueau d’où les nerfs Maire, p. 56
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prenent leur origine. Car cette situation se changeant tant soit peu, à chasque fois que se change celle des membres, où ces nerfs sont inserés, est instituée AT VI, 135 de la nature, pour faire, non seulement que l’ame cognoisse, en quel endroit est chasque partie du cors qu’elle anime, au respect de toutes les autres ; mais aussy qu’elle puisse transferer de là son attention, à tous les lieux contenus dans les lignes droites, qu’on peut imaginer estre tirées de l’extremité de chacune de ces parties, et prolongées à l’infini. Comme lors que l’Aueugle, dont nous auons desia tant parlé cy dessus, tourne sa main A, vers E, ou C, aussy vers E, les nerfs inserés en cette main, causent vn certain changement en son cerueau, qui donne moyen à son ame de connoistre, non seulement le ieulieu A, ou C, mais aussy tous les autres qui sont en la ligne droite AE, ou CE, en sorte qu’elle peut porter son attention iusques aux obiets B et D, et determiner les lieux où ils sont, sans connoistre pour cela ny penser aucunement à ceux où sont ses deux mains. Et ainsi lors que nostre œil, ou nostre teste, se tournent vers quelque costé, nostre ame en est auertie par le changement, que les nerfs inserés dans les muscles, qui seruent à ces mouvemens, causent en nostre cerueau. Comme icy en l’œil RST, il faut penser que la situation, du petit filet du nerf optique, qui est au point R, ou S, ou T ; est suiuie d’vne autre certaine situation, de la partie du cerueau 7, ou 8, ou 9, qui fait que l’ame peut Maire, p. 57
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connoistre tous les lieux, qui sont en la ligne RV, ou SX, ou TY. De façon que vous ne devés pas trouuer estrange, que les obiets puissent estre veus en leur vraye situation, AT VI, 136 non obstant que la peinture, qu’ils impriment dans l’œil, en ait vne toute contraire. Ainsi que nostre aueugle peut sentir en mesme temps l’obiet B, qui est à droite, par l’entremise de sa main gauche ; et D, Maire, p. 58
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qui est à gauche, par l’entremise de sa main droite. Et comme cet aueugle ne iuge point qu’vn cors soit double, encore qu’il le touche de ses deux mains, ainsi lors que nos yeux sont tous deux disposés en la AT VI, 137 façon qui est requise pour porter nostre attention vers vn mesme lieu, ils ne nous y doiuent faire voir qu’vn seul obiet, non obstant qu’il s’en forme en chascun d’eux vne peinture.

La vision de la distance, ne depend non plus, que celle de la situation d’aucunes images enuoyées des obiets. Mais premierement de la figure du cors de l’œil ; car, comme nous auons dit, ceste figure doit estre vn peu autre, pour nous faire voir ce qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus esloigné. Et à mesure que nous la changeons pour la proportionner à la distance des obiets, nous changeons aussy certaine partie de nostre cerueau, d’vne façon qui est instituée de la nature pour faire aperceuoir à nostre ame cette distance. Et cecy nous arriue ordinairement sans que nous y facions de reflexion ; tout de mesme que lors que nous serrons quelque cors, de nostre main, nous la conformons à la grosseur et à la figure de ce cors, et le sentons par son moyen, sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions à ses mouuemens. Nous cognoissons en second lieu la distance par le rapport qu’ont les deux yeux l’vn à l’autre. Car comme nostre aueugle tenant les deux bastons AE, CE, dont ie suppose qu’il ignore la longueur, et sçachant seulement l’intervale qui est entre Maire, p. 59
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ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de là, comme par vne Geometrie naturelle cognoistre où est le point E. Ainsi, quand nos deux yeux RST et rst, sont tournés vers X, la grandeur de la ligne Ss, et celle des deux angles XSs et XsS nous font sçauoir où est le point X. AT VI, 138 Nous pouuons aussy le mesme par l’aide d’vn œil seul en luy faisant Maire, p. 60
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changer de place, comme si le tenant tourné vers X, nous le mettons premierement au point S et incontinent apres au point s, cela suffira pour faire que la grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouuent ensemble en nostre fantaisie, et nous facent aperceuoir la distance du point X. Et ce par vne action de la pensée, qui n’estant qu’vne imagination toute simple, ne laisse point d’enueloper en soy vn raisonnement tout semblable à celuy que font les Arpenteurs, lors que par le moyen de deux differentes stations ils mesurent les lieux inaccessibles. Nous auons encores vne autre façon d’aperceuoir la distance, à sçauoir, par la distinction ou confusion de la figure, et ensemble par la force ou debilité de la lumiere. Comme pendant que nous regardons fixement vers X, les rayons qui vienent des obiets 10 et 12, ne s’assemblent pas si exactement vers R, et vers T, au fonds de nostre œil, que si ces obiets estoyent aux points V, et Y ; d’où nous voyons, qu’ils sont plus esloignés, ou plus proches de nous, que n’est X. Puis de ce que la lumiere, qui vient de l’obiet 10 vers nostre œil, est plus forte, que si cet obiet estoit vers V, nous le iugeons estre plus proche : et de ce que celle qui vient de l’obiet 12, est plus foible, que s’il estoit vers Y, nous le iugeons plus esloigné. Enfin quand nous imaginons desia d’ailleurs la grandeur d’vn obiet, ou sa situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la force de la lumiere qui vient de luy, cela nous peut seruir, non pas proprement AT VI, 139 à voir, mais à imaginer sa distance. Comme regardant de loin quelque cors, que nous auons accoustumé AT VI, 140 de Maire, p. 61
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voir de prés, nous en iugeons bien mieux l’esloignement, que nous ne ferions si sa grandeur nous estoit moins connuë. Et regardant vne montaigne exposée au soleil, au delà d’vne forest couuerte d’ombre, ce n’est que la situation de cette forest, qui nous la fait iuger la plus proche. Et regardant sur mer deux vaisseaux, dont l’vn soit plus petit que l’autre, mais plus proche à proportion, en sorte qu’ils paroissent esgaux, nous pourrons par la difference de leurs figures, et de leurs couleurs, et de la lumiere qu’ils enuoyent vers nous, iuger lequel sera le plus loin.

Au reste pour la façon dont nous voyons la grandeur, et la figure des obiets, ie n’ay pas besoin d’en rien dire de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise, en celle dont nous voyons la distance, et la situation de leurs parties. À sçauoir leur grandeur s’estime, par la connoissance, ou l’opinion, qu’on a de leur distance, comparée auec la grandeur des images qu’ils impriment au fonds de l’œil ; et non pas absolument par la grandeur de ces images. ainsi qu’il est assés manifeste de ce que encore qu’elles soyent, par exemple, cent fois plus grandes, lors que les obiets sont fort proches de nous, que lors qu’ils en sont dix fois plus esloignés, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grãds, mais presque esgaux, au moins si leur distance ne nous trompe. Et il est manifeste aussy, que la figure se iuge par la cognoissance, ou opinion, qu’on a de la situation des diuerses parties des obiets ; et non par la resemblance des peintures qui sont dans l’œil. Car ces peintures ne contienent ordinairement que des ouales et des lozanges, AT VI, 141 lors qu’elles Maire, p. 63
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nous font voir des cercles et des quarrés.

Mais afin que vous ne puissiés aucunement douter, que la vision ne se face ainsi que ie l’ay expliquée, ie vous veux faire encore icy considerer les raisons, pourquoy il arriue quelquefois qu’elle nous trompe. Premierement à cause que c’est l’ame qui voit, et non pas l’œil, et qu’elle ne void immediatement que par l’entremise du cerueau, de là vient que les frenetiques, et ceux qui dorment, voyent souuent, ou pensent voir, diuers obiets qui ne sont point pour cela deuant leurs yeux : à sçauoir quand quelques vapeurs remuant leur cerueau, disposent celles de ses parties, qui ont coustume de seruir à la vision, en mesme façon que feroyent ces obiets s’ils estoyent presens. Puis à cause que les impressions, qui vienent de dehors, passent vers le sens commun par l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque cause extrordinaire, elle peut faire voir les obiets en d’autres lieux qu’ils ne sont. Comme si l’œil rst, estant disposé de soy à regarder vers X, est cõtraint par le doigt N, à se tourner vers M, les parties du cerueau d’où vienent ses nerfs, ne se disposeront pas tout à fait en mesme sorte, que si c’estoyent ses muscles qui le tournassent vers M ;Voyés la figure en la page 59. ny aussy en mesme sorte, que s’il regardoit veritablement vers X ; mais d’vne façon moyenne entre ces deux, à sçauoir, comme s’il regardoit vers Y ; et ainsi l’obiet M paroistra au lieu où est Y, par l’entremise de cet œil, et Y au lieu où est X, et X au lieu où est V, et ces obiets paroissans aussy AT VI, 142 en mesme temps en leurs vrais lieux, par l’entremise de l’autre œil RST, ils sembleront doubles. En mesme façon que touchant la Maire, p. 64
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petite boule G, des deux doigts A et D croisés l’vn sur l’autre, on en pense toucher deux ; à cause que pendant que ces doigts se retienent l’vn l’autre ainsi croisés, les muscles de chacun d’eux tendent à les escarter, A vers C, et D vers F, au moyen de quoy, les parties du cerueau d’où vienent les nerfs, qui sont inserés en ces muscles, se trouuent disposées en la façon qui est requise, pour faire qu’ils semblent estre, A vers B, et D vers E, et par consequent y toucher deux diuerses boules, H, et I. De plus, à cause que nous sommes accoustumés de iuger, que les impressions qui meuuent nostre veuë, vienent des lieux vers lesquels nous deuons regarder pour les sentir, quand il arriue qu’elles vienent d’ailleurs, nous y pouuons facilement estre trompés. Comme ceux qui ont les yeux infectés de la iaunisse, ou bien qui regardent au trauers d’vn verre iaune, ou qui sont enfermés dans vne chambre où il n’entre aucune lumiere que par de tels verres, attribuent ceste couleur à tous les cors qu’ils regardent. Et celuy qui est dans la chambre obscure que Voyés la figure en la page 61.i’ay tantost descrite, attribue au cors blanc RST les couleurs des obiets VXY, à cause que c’est seulement vers luy qu’il dresse sa veuë. Et les yeux A, B, C, D, E, F, voyans les obiets T, V, X, Y, Z, &, au trauers des verres N, O, P, et dans les miroirs QRS, les iugent estre aux points G, H, I, K, L, M ; et AT VI, 143 V, Z, estre plus petits, et X, &, plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussy X, &, plus petits & auec cela renuersés, à sçavoir, lors qu’ils sont vn peu loin des yeux CF, d’autant que ces verres et ces Maire, p. 65
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miroirs detournent les rayons qui vienent de ces obiets, en telle sorte, que ces yeus ne les peuuent voir distinctement, qu’en se disposant comme ils doiuent estre pour regarder vers les points G, H, I, K, L, M, ainsi que Maire, p. 66
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connoistront facilement ceux qui prendront la peine de AT VI, 144 l’examiner. Et ils verront par mesme moyen, combien les anciens se sont abusés en leur Catoptrique, lors qu’ils ont voulu determiner le lieu des images, dans les miroirs creux, et conuexes. Il est aussy à remarquer que tous les moyens qu’on a pour connoistre la distance, sont fort incertains, car quant à la figure de l’œil, elle ne varie quasi plus sensiblement lors que l’obiet est a plus de quatre ou cinq pieds loin de luy, et mesme elle varie si peu lors qu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connoissance bien precise. Et pour les angles, compris entre les lignes tirées des deus yeux l’vn à l’autre et delà vers l’obiet, ou de deus stations d’vn mesme obiet, ils ne varient aussy presque plus lors qu’on regarde tant soit peu loin. En suite de quoy nostre sens commun mesme ne semble pas estre capable de receuoir en soy l’idée d’vne distance plus grande qu’enuiron de cent ou deus cens pieds. ainsi qu’il se peut verifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des cors les plus esloignés que nous puissions voir, et dont les diametres sont à leur distance à peu prés comme vn à cent, n’ont coustume de nous paroistre que d’vn ou deus pieds de diametre tout au plus, nonobstant que nous sçachions assés par raison, qu’ils sont extremement grands, et extremement esloignés. Car cela ne nous arriue pas, faute de les pouuoir conceuoir plus grands que nous ne faisons, vû que nous conceuons bien des tours et des montaignes beaucoup plus grandes, mais pource que ne les pouuant conceuoir plus esloignés que de cent ou deus cens pieds, il suit de là que leur diametre ne nous doit Maire, p. 67
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paroistre que d’vn ou de deus AT VI, 145 pieds. En quoy la situation ayde aussy à nous tromper, car ordinairement ces Astres semblent plus petits lors qu’ils sont fort hauts vers le midy, que lors que se leuant, ou se couchant, il se trouue diuers obiets entre eus et nos yeus, qui nous font mieus remarquer leur distance. Et les Astronomes esprouuent assés en les mesurant auec leurs instrumens, que ce qu’ils paroissent ainsi plus grands vne fois que l’autre, ne vient point de ce qu’ils se voyent sous vn plus grand angle, mais de ce qu’ils se iugent plus esloignés. d’où il suit que l’axiome de l’anciene Optique, qui dit, que la grandeur apparente des obiets est proportionnée à celle de l’angle de la vision, n’est pas tousiours vray. On se trompe aussy en ce que les cors blancs ou lumineus, et generalement tous ceus qui ont beaucoup de force pour mouuoir le sens de la veuë, paroissent tousiours quelque peu plus proches et plus grands, qu’ils ne feroient s’ils en auoient moins. Or la raison qui les fait paroistre plus proches, est que le mouuement dont la prunelle s’estrecist pour euiter la force de leur lumiere, est tellement ioint auec celuy qui dispose tout l’œil à voir distinctement les obiets proches, et par lequel on iuge de leur distance, que l’vn ne se peut gueres faire, sans qu’il se face aussy vn peu de l’autre. En mesme façon qu’on ne peut fermer entierement les deus premiers doigts de la main, sans que le troisiesme se courbe aussy quelque peu comme pour se fermer auec eus. Et la raison pourquoy ces cors blancs ou lumineus paroissẽt plus grands, ne consiste pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur depend de celle AT VI, 146 de leur distance, Maire, p. 68
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mais aussy en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans le fonds de l’œil. Car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf optique qui le couurent, encores que trés petits, ont neantmoins quelque grosseur ; en sorte que chacun d’eus peut estre touché en l’vne de ses parties par vn obiet, et en d’autres par d’autres ; et que n’estant toutesfois capable d’estre meu que d’vne seule façon à chasque foix, lors que la moindre de ses parties est touchée par quelqu’obiet fort esclattant, et les autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouuement de celuy qui est le plus esclatant, et en represente l’image, sans representer celle des autres. Comme si les bouts de ces petits filets sont 1 2 3, et que les rayons qui vienent, par exemple ; tracer l’image d’vne estoile sur le fonds de l’œil, s’y estendent sur celuy qui est marqué 1, et tant soit peu au dela tout autour sur les extremités des six autres marqués 2, sur lesquels ie suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort foibles, des parties du ciel voisines à cette estoile, son image s’estendra en tout l’espace qu’occupent ces six marqués 2, et mesme peut estre encores en tout celuy qu’occupent les douze marqués 3, si la force du mouuement est si grande, qu’elle se communique aussy à eus. Et ainsi vous voyés que les Estoiles, quoy qu’elles paroissent assés petites ; paroissent neantmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne deuroient à raison de leur extreme distance ; Et qu’encores qu’elles ne seroient pas entierement rondes, elles ne lairroient pas de paroistre telles. Comme AT VI, 147 aussy vne tour quarrée estant veüe de loin paroist ronde. Et tous les cors qui Maire, p. 69
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ne tracent que de fort petites images dans l’œil, n’y peuuent tracer les figures de leurs angles. Enfin pour ce qui est de iuger de la distance par la grandeur, ou la figure, ou la couleur, ou la lumiere, les tableaus de Perspectiue nous monstrent assés, combien il est facile de s’y tromper. Car souuent, parce que les choses, qui y sont peintes, sont plus petites, que nous ne nous imaginons qu’elles doiuent estre, et que leurs lineamens sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes, ou plus foibles, elles nous paroissent plus esloignées qu’elles ne sont.