LA DESCRIPTION DES LUNETES.
Discours Neufiesme.

Il est besoin premierement de choisir vne matiere transparente, qui estant assés aysée à tailler, et neantmoins assés dure pour retenir la forme qu’on luy donnera, soit en outre la moins colorée, et qui cause le moins de reflection qu’il est possible. Et on n’en a point encore trouué qui ait ces qualités en plus grande perfection que le verre, lors qu’il est fort clair, et fort pur, et composé de cendres fort subtiles. Car encore que le cristal de montaigne semble plus net et plus transparent, toutes fois pource que ses superficies causent la reflexion de plus de rayons que celles du verre, ainsi que l’experience semble nous aprendre, il ne sera, peut estre, pas si propre à nostre dessein. Or afin que vous sçachiés la cause de cette reflexion, et pourquoy elle se fait plustost Maire, p. 122
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sur les superficies tant du verre que du cristal, que non pas en l’espaisseur de leur cors, et pourquoy elle s’y fait plus grande dans le cristal que dans le verre, il faut que vous vous souueniés de la façon, dont ie vous ay cydessus fait conceuoir la nature de la lumiere, lors que iay dit, qu’elle AT VI, 197 n’estoit autre chose dans les cors transparens que l’action ou inclination à se mouuoir d’vne certaine matiere tres subtile qui remplit leurs pores : et que vous pensiés que les pores de chascun de ces cors transparens sont si vnis et si droits que la matiere subtile qui peut y entrer coule facilement tout du long, sans y rien trouuer qui l’arreste. Mais que ceux de deux cors transparens de diuerse nature, comme ceux de l’air et ceux du verre ou du cristal, ne se rapportent iamais si iustement les vns aus autres, qu’il n’y ait tousiours plusieurs des parties de la matiere subtile, qui, par exemple, venant de l’air vers le verre, s’y refleschissent, à cause qu’elles rencontrent les parties solides de sa superficie : et tout de mesme, venant du verre vers l’air, se refleschissent et retournent au dedans de ce verre, à cause qu’elles rencontrent les parties solides de la superficie de cét air ; car il y en a aussy beaucoup en l’air qui peuuent estre nommées solides à comparaison de cette matiere subtile. Puis en considerant que les parties solides du cristal sont encore plus grosses que celles du verre, et ses pores plus serrés, ainsi qu’il est aysé à iuger de ce qu’il est plus dur plus pesant, on peut bien penser, qu’il doit causer ses reflexions encore plus fortes, et par consequent donner passage à moins de rayons que ne fait ny l’air ny le verre ; bien que cependant il le donne plus libre à Maire, p. 123
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ceux ausquels il le donne, suiuant ce qui à esté dit cydessus.

Ayant donc ainsi choisi le verre le plus pur, le moins coloré, et celuy qui cause le moins de reflexion qu’il est possible, si on veut par son moyen corriger le AT VI, 198 defaut de ceux qui ne voyent pas si bien les obiets vn peu esloignés, que les proches ; ou les proches, que les esloignés ; les figures les plus propres à cét effect sont celles qui se tracent par des hyperboles. Comme par exemple l’œil B, ou C, estant disposé à faire que tous les rayons, qui vienent du point H, ou I, s’assemblent exactement au milieu de son fonds, et non pas ceux du point V, ou X, il faut, pour luy faire voir distinctement l’obiet qui est vers V, ou X, mettre entre deux le verre O, ou P, dont les superficies, l’vne conuexe et l’autre concaue, ayant les figures tracées par deux hyperboles qui soyent telles qu’H, ou I, soit le point brulant de la concaue, qui doit estre tournée vers l’œil, V, ou Y, celuy de la conuexe.

Et si on suppose le point I, ou V, assés esloigné, comme seulement à quinze Maire, p. 124
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ou vingt pieds de distance, il suffira, au lieu de l’hyperbole dont il deuroit estre le point bruslant, de se seruir d’vne ligne droite, et ainsi de faire l’vne des superficies du verre toute plate ; à sçauoir l’interieure qui regarde vers l’œil, si c’est I qui soit assés esloigné ; ou l’exterieure, si c’est V. Car lors vne partie de l’obiet de la grandeur de la prunelle pourra tenir lieu d’vn seul point, à cause que son image n’occupera gueres plus AT VI, 199 d’espace au fonds de l’œil, que l’extremité de l’vn des petits filets du nerf optique. Et mesme il n’est pas besoin de se seruir de verres differens à chasq; fois qu’on veut regarder des obiets vn peu plus ou moins esloignés l’vn que l’autre ; mais c’est assés pour l’vsage d’en auoir deux, dont l’vn soit proportionné à la moindre distãce des choses qu’on a coustume de regarder, et l’autre à la plus grande ; ou mesme seulement d’en auoir vn, qui soit moyen entre ces deux. Car les yeux ausquels on les veut approprier, n’estans point tout à fait inflexibles, peuuent aysement assés changer leur figure, pour l’accommoder à celle d’vn tel verre.

Que si on veut par le moyen aussy d’vn seul verre faire que les obiets accessibles, c’est à dire ceux qu’on peut approcher de l’œil autant qu’on veut, paroissent beaucoup plus grands, et se voyent beaucoup plus distinctement que sans lunetes : le plus commode sera de faire celle des superficies de ce verre qui doit estre tournée vers l’œil toute plate, et donner à l’autre la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant soit au lieu où on voudra mettre l’obiect. Mais notés que ie dis le plus commode, car i’aduoue bien que donnant à la superficie de ce verre la figure d’vne Ellipse, dont le point bruslant Maire, p. 125
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soit aussy au lieu où on voudra mettre l’obiet, et à l’autre celle d’vne partie de Sphere, dont le centre soit au mesme lieu que ce point bruslant, l’effect en pourra estre vn peu plus grand : mais en reuanche vn tel verre ne pourra pas si commodement estre taillé. Or ce point bruslant, soit de l’hyperbole, soit de l’ellipse, doit estre si proche, que l’obiet, qu’il faut supposer AT VI, 200 fort petit, y estant mis, il ne reste entre luy et le verre, que iustement autant d’espace, qu’il en faut, pour donner passage à la lumiere qui doit l’esclairrer. Et il faut enchasser ce verre en telle sorte, qu’il n’en reste rien de découuert que le milieu, qui soit enuiron de pareille grandeur que la prunelle, ou mesme vn peu plus petit. Et que la matiere en quoy il sera enchassé soit toute noire du costé qui doit estre tourné vers l’œil, où mesme aussy il ne sera pas inutile qu’elle soit garnie tout au tour d’vn bord de panne ou velours noir, afin qu’on la puisse commodement appuier tout contre l’œil, et ainsi empescher qu’il n’aille vers luy aucune lumiere, que par l’ouuerture du verre. Mais en dehors il sera bon qu’elle soit toute blanche, ou plustost toute polie, et qu’elle ait la figure d’vn miroir creux, en sorte qu’elle renuoye sur l’obiect tous les rayons de la lumiere qui vienent vers elle. Et pour soustenir cét obiet en l’endroit où il doit estre posé pour estre vû, ie ne desapprouue pas ces petites fioles de verre ou de cristal fort transparent, dont l’vsage est desia en France assés commun. Mais pour rendre la chose plus exacte, il vaudra encore mieux qu’il y soit tenu ferme, par vn ou deux petits ressors en forme de bras, qui sortent du chassis de la lunete. Enfin pour ne manquer point de lumiere il faudra Maire, p. 126
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en regardant cét obiet le tourner tout droit vers le soleil. Comme si A est le verre, C la partie interieure de la matiere en la quellelaquelle AT VI, 201 il est enchassé, D l’exterieure, E l’obiet, G le petit bras qui le soustient, H l’œil, et I le soleil, dont les rayons ne vont point en l’œil directement, à cause de l’interposition tant de la lunete que de l’obiet, mais donnans contre le cors blanc, où le miroir D, ils se refleschissent premierement de là vers E, puis d’E ils se refleschissent vers l’œil.

Que si on veut faire vne lunete la plus parfaitte qui puisse estre pour seruir à voir les Astres ou autres obiets fort esloignés et inaccessibles ; On la doit composer de deux verres hyperboliques, l’vn conuexe et l’autre concaue, mis dans les deus bouts d’vn tuyau en la façon que vous voyés icy representée. Et premierement abc la superficie du verre concaue abcdef, doit auoir la figure d’vne hyperbole, qui ait son point bruslant à la distance à la quelle l’œil, pour lequel on prepare cette lunete, peut voir le plus distinctement ses obiets. Comme icy l’œil G estant disposé à voir plus distinctement les obiets qui sont vers H, qu’aucuns autres, H doit estre le point bruslant de l’hyperbole abc : et pour les vieillars, qui voyent mieux les obiets fort esloignés, que les proches, cette superficie abcdoit estre toute plate ; au lieu que pour ceux qui ont la veuë fort courte, elle doit estre Maire, p. 127
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assés concaue. Puis l’autre superficie def doit auoir la figure d’vne autre hyperbole, dont le point bruslant I soit esloigné d’elle de la largeur d’vn pouce, ou enuiron, en sorte qu’il se rencontre vers le fonds de l’œil lors que ce verre est appliqué tout contre sa superficie. Notés toutes fois que ces proportions ne sont pas si absolument necessaires, qu’elles ne puissent beaucoup estre Maire, p. 128
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changées, AT VI, 202 en sorte que sans tailler autrement la superficie abc pour ceux qui ont la veuë courte, ou longue, que pour les autres, on peut assés commodement se seruir d’vne mesme lunete pour toutes sortes d’yeux, en allongeant seulement ou accourcissant le tuyau. Et pour la superficie def, peut estre qu’à cause de la difficulté qu’on aura à la creuser tant comme i’ay dit, il sera plus aysé de luy donner la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant soit vn peu plus esloigné. Ce que l’experience enseignera mieux que mes raisons. Et ie puis AT VI, 203 seulement dire en general que les autres choses, estant esgales, d’autant que ce point I sera plus proche, d’autant les obiets paroistront plus grands, à cause qu’il faudra disposer l’œil comme s’ils estoient plus prés de luy ; et que la vision, pourra estre plnus forte et plus claire, à cause que l’autre verre pourra estre plus grand ; mais qu’elle ne sera pas si distincte, si on le rend par trop proche, à cause qu’il y aura plusieurs rayons qui tomberont trop obliquement sur sa superficie au pris des autres. Pour la grandeur de ce verre, la portion qui en demeure découuerte, lors qu’il est enchassé dans le tuyau KLM, n’a besoin d’exceder que de fort peu la plus grande ouuerture de la prunelle. Et pour son espaisseur elle ne sçauroit estre trop petite ; car encore qu’en l’augmentant on puisse faire que l’image des obiets soit vn peu plus grande, à cause que les rayons qui vienent de diuers poins s’escartent vn peu plus du costé de l’œil, on fait aussy en reuanche qu’ils paroissent en moindre quantité et moins clairs. Et l’auantage de faire que leurs images deuienent plus grandes se peut mieux gaigner par autre Maire, p. 129
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moyen. Quant au verre conuexe NOPQ, sa superficie NQP qui est tournée vers les obiets, doit estre toute plate ; et l’autre NOP doit auoir la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant I tombe exactement au mesme lieu que celuy de l’hyperbole def de l’autre verre, et soit d’autant plus esloigné du point O qu’on veut auoir vne lunete plus parfaitte. En suite de quoy la grandeur de son diametre NP se determine par les deux lignes droites IdN, IfP, tirées du point bruslant I, par d, et f, les extremités du diametre du verre hyperbolique AT VI, 204 def, que ie suppose esgaler celuy de la prunelle. Où toutes fois il faut remarquer qu’encore que le diametre de ce verre NOPQ soit plus petit, les obiets n’en paroistront que d’autant plus distincts ; n’en paroistront pas moindres pour cela, ny en moindre quantité, mais seulement moins esclairés. C’est pourquoy lors qu’ils le sont trop, on doit auoir diuers cercles de carton noir, ou autre telle matiere, comme 123, pour couurir ses bords, et le rendre par ce moyen le plus petit que la force de la lumiere qui vient des obiets pourra permettre. Pour ce qui est de l’espaisseur de ce verre, elle ne peut de rien profiter, ny aussy de rien nuire, sinon en tant que le verre n’est iamais si pur, et si net, qu’il n’empesche tousiours le passage de quelque peu plus de rayons que ne fait l’air. Pour le tuyau KLM, il doit estre de quelque matiere assés ferme et solide, afin que les deux verres enchassés en ses deux bouts y retienent tousiours exactement leur mesme situation. Et il doit estre tout noir par le dedans, et mesme auoir vn bord de pane ou velours noir vers M, affin qu’on puisse Maire, p. 130
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en l’appliquant tout contre l’œil, empescher qu’il n’y entre aucune lumiere que par le verre NOPQ. Et pour sa longueur et sa largeur, elles sont assés determinées par la distance et la grandeur des deux verres. Au reste il est besoin que ce tuyau soit attaché sur quelque machine, comme RST, par le moyen de la quelle il puisse estre commodement tourné de tous costés, et aresté vis à vis des obiets qu’on veut regarder. Et à cét effect il doit y auoir aussy vne mire ou deux pinnules, comme VV, sur cette machine. Et mesme outre cela, pour ce que d’autant que ces lunetes font AT VI, 205 que les obiets paroissent plus grands, d’autant en peuuent elles moins faire voir à chasque fois, il est besoin, d’en ioindre auec les plus parfaittes quelques autres de moindre force, par l’ayde desquelles on puisse, comme par degrés, venir à la connoissance du lieu, où est l’obiet que ces plus parfaittes font aperceuoir. Comme sont icy XX, et YY, que ie suppose tellement aiustées auec la plus parfaite QLM, que si on tourne la machine en telle sorte, que par exemple la planete de Iupiter paroisse au trauers des deus pinnules VV, elle paroistra aussy au trauers de la lunete XX, par la quelle outre lupiter, on pourra aussy distinguer ces autres moindres planetes qui l’accompaignent ; Et si on fait que quelqu’vne de ces moindres planetes se rencontre iustement au milieu de cette lunete XX, elle se verra aussy par l’autre YY, où paroissant seule et beaucoup plus grande que par la precedente, on y pourra distinguer diuerses regions : et derechef entre ces diuerses regions, celle du melieu se verra par la lunete KLM, et on y pourra distinguer plusieurs choses Maire, p. 131
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particulieres par son moyen ; mais on ne pourroit sçauoir, que ces choses fussent en tel endroit de la telle des planetes qui accompaignent lupiter, sans l’ayde des deux autres, ny aussy la disposer à monstrer ce qui est en tout autre endroit determiné vers lequel on veut regarder.

On pourra encore adiouster vne ou plusieurs autres lunetes plus parfaittes auec ces trois, au moins, si l’artifice des hommes peut passer si auant. Et il n’y a point de difference entre la façon de ces plus parfaittes, et de celles qui le sont moins, sinon que leur AT VI, 206 verre conuexe doit estre plus grand, et leur point bruslant plus esloigné. En sorte, que si la main des ouuriers ne nous manque, nous pourrons par cette inuention voir des obiets, aussy particuliers, et aussy petits, dans les Astres, que ceux que nous voyons communement sur la terre.

Enfin si on veut auoir vne lunete qui face voir les obiets proches et accessibles le plus distinctement qu’il se peut, et beaucoup plus que celle que i’ay tantost descrite pour mesme effect, on la doit aussy composer de deux verres hyperboliques, l’vn concaue et l’autre conuexe, enchassés dans les deux bouts d’vn tuyau, et dont le concaue abcdef soit tout semblable à celuy de la precedente. Comme aussy NOP la superficie interieure du conuexe. Mais pour l’exterieure NRP, au lieu qu’elle estoit toute plate, elle doit icy estre fort conuexe, et auoir la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant exterieur Z soit si proche, que l’obiet y estant mis, il ne reste entre luy et le verre qu’autant d’espace, qu’il en faut pour donner passage à la lumiere qui doit l’esclairer. Maire, p. 132
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Puis le diametre de ce verre n’a pas besoin d’estre si grand que pour la lunete precedente, ny ne doit pas aussy estre si petit que celuy du verre A de l’autre d’auparauantVoyés en la page 126.. il doit à peu prés estre tel que la ligne droite NP passe par le point bruslant interieur de l’hyperbole NRP : car estant moindre, il receuroit moins de rayons de l’obiet Z ; et estant plus grand, il n’en receuroit que fort peu d’auantage ; en sorte que son espaisseur deuant estre à proportion beaucoup plus augmentée qu’auparauant, elle AT VI, 207 leur osteroit bien autant de leur force que sa grandeur leur en donneroit, et outre cela l’obiet ne pourroit pas estre tant esclairé. Il sera bon aussy Maire, p. 133
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de poser cette lunete sur quelque machine comme ST, qui la tiene directement tournée vers le soleil. Et il faut enchasser le verre NOPR dans le milieu d’vn miroir creux parabolique, comme CC, qui rassemble tous les rayons du soleil au point Z, sur l’obiet, qui doit y estre soustenu par le petit bras G, qui sorte de quelqu’endroit de ce miroir. Et ce bras doit aussy soustenir, autour de cét obiet, quelque cors noir et obscur, comme HH, iustement de la grandeur du verre NOPR, afin qu’il empesche qu’aucuns des rayons du soleil ne tombent directement sur ce verre ; car de là entrans dans le AT VI, 208 tuyau, quelques vns d’eux se pourroient refleschir vers l’œil et affoiblir d’autãt la vision, pource qu’encore que ce tuyau doiue estre tout noir par le dedans, il ne le peut estre toutesfois si parfaitement que sa matiere ne cause tousiours quelque peu de reflexion, lors que la lumiere est fort viue, ainsi qu’est celle du soleil. Outre cela ce cors noir HH, doit auoir vn trou au milieu marqué Z, qui soit de la grandeur de l’obiet, afin que si cét obiet est en quelque façon transparent, il puisse aussy estre esclairé par les rayons qui vienent directement du soleil ; Ou mesme encore si besoin est, par ces rayons ramassés au point Z par vn verre bruslant, comme II, de la grandeur du verre NOPR, en sorte qu’il viene de tous costés autant de lumiere sur l’obiet, qu’il en peut souffrir sans en estre consumé. Et il sera aysé de couurir vne partie de ce miroir CC, ou de ce verre II, pour empescher qu’il n’y en puisse venir trop. Vous voyés bien pourquoy i’ay icy tant de soin de faire que l’obiet soit fort esclairé, et qu’il viene beaucoup de ses rayons vers l’œil. car le verre Maire, p. 134
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NOPR qui en cette lunete fait l’office de la prunelle, et dans lequel se croisent ceux de ces rayons qui vienent de diuers poins, estant beaucoup plus proche de l’obiet que de l’œil, est cause qu’ils s’estendent sur les extremités du nerf optique, en vn espace beaucoup plus grand que n’est la superficie de l’obiet d’où ils vienent ; et vous sçaués qu’ils y doiuent auoir d’autant moins de force, qu’ils y sont plus estendus, cõme on voit au contraire qu’estans rassemblés en vn plus petit espace par vn miroir ou verre bruslant, ils en ont plus. Et c’est de là que depend la longueur AT VI, 209 de cette lunete, c’est à dire, la distance qui doit estre entre l’hyperbole NOP eet son point bruslant. Car d’autant qu’elle est plus longue, d’autant l’image de l’obiet est plus estendue dans le fonds de l’œil, ce qui fait que toutes ses petites parties y sont plus distinctes. Mais cela mesme affoiblist aussy tellement leur action, qu’enfin elle ne pourroit plus estre sentie si cette lunete estoit par trop longue. En sorte que sa plus grande longueur ne peut estre determinée que par l’experience, et mesme elle varie, selon que les obiets peuuent plus ou moins auoir de lumiere, sans en estre consumés. le sçay bien qu’on pourroit encore adiouster quelques autres moyens pour rendre cette lumiere plus forte, mais outre qu’ils seroient plus malaysés à mettre en pratique, à peine trouueroit on des obiets qui en peussent souffrir d’auantage. On pourroit bien aussy au lieu du verre hyperbolique NOPR, en trouuer d’autres qui receuroient quelque peu plus grande quantité de rayons ; mais ou ils ne feroient pas que ces rayons venans de diuers poins de l’obiet s’assemblassent si exactement vers l’œil en autant Maire, p. 135
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d’autres diuers poins ; ou il faudroit y employer deux verres au lieu d’vn, en sorte que la force de ces rayons ne seroit pas moins diminuée par la multitude des superficies de ces verres, qu’elle seroit augmentée par leurs figures, et enfin l’execution en seroit de beaucoup plus difficile. Seulement vous veus-ie encore auertir que ces lunetes ne pouuãt estre appliquées qu’a vn seul œil, il sera mieux de bander l’autre, ou le couurir de quelque voile fort obscur, afin que sa prunelle demeure la plus ouuerte qu’il se pourra, que de AT VI, 210 le laisser exposé à la lumiere, ou de le fermer par l’ayde des muscles qui meuuent ses paupieres ; car il y a ordinairemẽt telle connexion entre les deux yeux, que l’vn ne sçauroit gueres se mouuoir en aucune façon, que l’autre ne se dispose à l’imiter. De plus il ne sera pas inutile non seulement d’appuier cette lunete tout contre l’œil, en sorte qu’il ne puisse venir vers luy aucune lumiere que par elle, mais aussy d’auoir auparauant attendri sa veuë en se tenant en lieu obscur, et d’auoir l’imagination disposée comme pour regarder des choses fort esloignées et fort obscures, afin que la prunelle s’ouure d’autant plus, et ainsi qu’on en puisse voir vn obiet d’autant plus grand. Car vous sçaués que cette action de la prunelle ne suit pas immediatement de la volonté qu’on a de l’ouurir, mais plustost de l’idée ou du sentiment qu’on a de l’obscurité et de la distance des choses qu’on regarde.

Au reste si vous faites vn peu de reflexion sur tout ce qui a esté dit cydessus, particulierement sur ce que nous auons requis de la part des organes exterieurs pour rendre la vision la plus parfaitte qu’elle puisse estre, il ne Maire, p. 136
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vous fsera pas malaysé à entendre que par ces diuerses façons de lunetes on y adiouste tout ce que l’art y peut adiouster. sans qu’il soit besoin que ie m’arreste à vous en deduire la preuue plus au lõg. Il ne vous sera pas malaysé non plus à connoistre, que toutes celles qu’on a euës iusques icy, n’ont pû aucunement estre parfaittes, vû qu’il y a tres-grande difference entre la ligne circulaire et l’hyperbole, et qu’on a seulement tasché en les faisant à se seruir de celle là, pour les effects ausquels i’ay demonstré AT VI, 211 que cellecy estoit requise. en sorte qu’on n’a iamais sceu rencontrer que lors qu’on a failli si heureusement, que pensant rendre spheriques les superficies des verres qu’on a taillés, on les a rendues hyperboliques, ou de quelqu’autre figure equiualente. Et cecy a principalement empesché qu’on n’ait pû bien faire les lunetes qui seruent à voir les obiets inaccessibles, car leur verre conuexe doit estre plus grand que celuy des autres : et outre qu’il est moins aysé de rencontrer en beaucoup qu’en peu, la difference qui est entre la figure hyperbolique et la spherique est bien plus sensible vers les extremités du verre que vers son centre. Mais à cause que les artisans iugeront peut estre qu’il y a beaucoup de difficulté à tailler les verres exactement suiuant cette figure hyperbolique, ie tascheray encore icy de leur donner vne inuention, par le moyen de laquelle ie me persuade qu’ils en pourront assés commodement venir à bout.