Maire, p. (79)
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AT VI, (79)

LA DIOPTRIQUE.

Maire, p. (80)
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AT VI, (80)
Maire, p. 1
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AT VI, (81)

LA DIOPTRIQVE
Discours Premier
DE LA LVMIERE.

Toute la conduite de nostre vie depend de nos sens, entre lesquels celuy de la veüe estant le plus vniuersel et le plus noble, il n’y a point de doute, que les inuentions qui seruent à augmenter sa puissance, ne soyent des plus vtiles qui puissent estre. Et il est malaisé d’en trouuer aucune qui l’augmente dauantage que celle de ces merueilleuses lunettes, qui n’estant en vsage que depuis peu, nous ont desia découuert de nouueaus astres dans le ciel, et d’autres nouueaus obiets dessus la terre en plus grand nombre que ne sont ceus, que nous y auions veus auparauant : en sorte que portant nostre veüe beaucoup plus loin que n’auoit coustume d’aller l’imagination de nos peres, elles semblent nous avoir ouuert le chemin, pour parvenir à vne connoissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite, qu’ils ne l’ont eue. Mais à la honte de nos sciences, cette inuention si vtile et si admirable, n’a premierement AT VI, 82 esté trouuée que par l’experience et la fortune. Il y a enuiron trente ans, qu’vn nommé Iaques Metius de la ville d’Alcmar en Hollande, homme qui n’auoit iamais estudié, bien qu’il eust vn pere et vn frere qui ont fait profession des Maire, p. 2
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mathematiques, mais qui prenoit particulierement plaisir à faire des miroirs et verres bruslans, en composant mesme l’hyuer auec de la glace, ainsi que l’experience a monstré qu’on en peut faire ; ayant à cete occasion plusieurs verres de diuerses formes, s’auisa par bonheur de regarder au trauers de deus, dont l’un estoit vn peu plus espais au milieu qu’aux extremités, et l’autre au contraire beaucoup plus espais aus extremités qu’au milieu, et il les appliqua si heureusement aus deux bouts d’vn tuyau, que la premiere des lunettes, dont nous parlons, en fut composée. Et c’est seulement sur ce patron, que toutes les autres qu’on a veües depuis, ont esté faites, sans que personne encore, que ie sçache, ait suffisanment determiné les figures que ces verres doiuent auoir. Car, bienqu’il y ait eu depuis quantité de bons esprits, qui ont fort cultiué cete matiere, et ont trouué à son occasion plusieurs choses en l’Optique qui valent mieux, que ce que nous en auoient laissé les anciens, toutefois à cause que les inuentions vn peu malaysées n’arriuent pas à leur dernier degré de perfection du premier coup, il est encore demeuré assés de difficultéz en celle cy, pour me donner sujet d’en escrire. Et d’autant que l’execution des choses que ie diray, doit dependre de l’industrie des artisans, qui pour l’ordinaire n’ont point estudié, ie tascheray de me rendre AT VI, 83 intelligible à tout le monde, et de ne rien omettre ny supposer, qu’on doiue auoir appris des autres sciences. C’est pourquoy ie cõmenceray par l’explication de la lumiere et de ses rayons, puis ayant fait vne brieue description des parties de l’œil, ie diray particulieremẽt en quelle sorte se fait la vision ; et en suite Maire, p. 3
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ayant remarqué toutes les choses qui sont capables de la rendre plus parfaite, i’enseigneray comment elles y peuuent estre adioustées par les inuentions que ie descriray.

Or n’ayant icy autre occasion de parler de la lumiere, que pour expliquer comment ses rayons entrent dans l’œil, et comment ils peuuent estre détournés par les divers cors qu’ils rencontrẽt, il n’est pas besoin que i’entreprene de dire au vray quelle est sa nature, et ie croy qu’il suffira que ie me serue de deus ou trois comparaisons, qui aydent à la conceuoir en la façon qui me semble la plus cõmode, pour expliquer toutes celles de ses proprietés, que l’experience nous fait connoistre, et pour deduire en suite toutes les autres qui ne peuuent pas si aysémẽt estre remarquées. Imitant en cecy les Astronómes, qui, bien que leurs suppositions soyent presque toutes fausses ou incertaines, toutefois à cause qu’elles se rapportent à diuerses obseruations qu’ils ont faites, ne laissent pas d’en tirer plusieurs consequences tres vrayes et tres assurées.

Il vous est bien sans doute arrivé quelque fois en marchãt de nuit sans flambeau, par des lieux vn peu difficiles, qu’il falloit vous ayder d’vn baston pour vous conduire, et vous aués pour lors pû remarquer, AT VI, 84 que vous sentiés par l’entremise de ce baston, les divers obiects qui se rencontroyent autour de vous, et mesme que vous pouuiés distinguer s’il y auoit des arbres, ou des pierres, ou du sable, ou de l’eau, ou de l’herbe, ou de la boüe, ou quelqu’autre chose de semblable. Il est vray que cette sorte de sentiment est vn peu confuse et obscure, en ceus, qui n’en ont pas vn long vsage : mais considerés la Maire, p. 4
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en ceus, qui estant nés aueugles, s’en sont seruis toute leur vie, et vous l’y trouuerés si parfaitte, et si exacte, qu’on pourroit quasi dire qu’ils voyent des mains, ou que leur baston est l’organe de quelque sixjesme sens, qui leur a esté donné au defaut de la veuë. Et pour tirer vne comparaison de cecy, ie desire que vous pensiés, que la lumiere n’est autre chose dans les corps qu’on nomme lumineux, qu’vn certain mouuement, ou vne action fort promte, et fort viue, qui passe vers nos yeux, par l’entremise de l’air et des autres corps transparens en mesme façon que le mouuement ou la resistence des corps, que rencontre cet aueugle, passe vers sa main, par l’entremise de son baston. Ce qui vous empeschera d’abord de trouuer estrange, que ceste lumiere puisse estendre ses rayons en vn instant, depuis le soleil jusques à nous : car vous sçaués que l’action, dont on meut l’vn des bouts d’vn baston, doit ainsy passer en vn instant iusques à l’autre, et qu’elle y deuroit passer en mesme sorte, encores qu’il y auroit plus de distance qu’il n’y en a depuis la terre iusques aux cieux. Vous ne trouverés pas estrange non plus, que par son moyen nous puissions voir toutes sortes de couleurs ; Et mesme AT VI, 85 vous croyrés peut estre que ces couleurs ne sont autre chose dans les corps qu’on nomme colorés, que les diuerses façons, dont ces corps la reçoyuent et la renuoyent contre nos yeux : si vous considerés que les differences, qu’vn aueugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses semblables, par l’entremise de son baston, ne luy semblent pas moindres, que nous font celles, qui sont entre le rouge, le jaune, le verd, et toutes Maire, p. 5
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les autres couleurs ; et toutefois que ces differences ne sont autre chose en tous ces corps, que les diuerses façons de mouuoir, ou de resister aux mouuemens de ce baston. En suite de quoy vous aurés occasion de iuger, qu’il n’est pas besoin de supposer qu’il passe quelque chose de materiel, depuis les obiects iusques à nos yeux, pour nous faire voir les couleurs et la lumiere, ny mesme qu’il y ayt rien en ces obiects, qui soit semblable aux idées, ou aux sentimens que nous en auons : tout de mesme qu’il ne sort rien des corps, que sent vn aueugle, qui doiue passer le long de son baston iusques à sa main, et que la resistence ou le mouuement de ces corps, qui est la seule cause des sentimens qu’il en a, n’est rien de semblable aux idées qu’il en conçoit. Et par ce moyen vostre esprit sera deliuré de toutes ces petites images voltigeantes par l’air, nommées des especes intentionnelles, qui trauaillent tant l’imagination des Philosophes. Mesme vous pourrés aysément decider la question, qui est entre eux, touchant le lieu d’ou vient l’action qui cause le sentiment de la veüe. car comme nostre aueugle peut sentir les corps qui sont autour de luy, non seulement AT VI, 86 par l’action de ces corps, lors qu’ils se meuuent contre son baston, mais aussy par celle de sa main, lors qu’ils ne font que luy resister : ainsy faut il auoüer, que les obiects de la veüe peuuent estre sentis, non seulement par le moyen de l’action, qui estant en eux, tend vers les yeux ; mais aussy par le moyen de celle, qui estant dans les yeux, tend vers eux. Toutefois pour ce que ceste action n’est autre chose que la lumiere, il faut remarquer qu’il n’y a que ceux qui peuuent voir pendant Maire, p. 6
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les tenebres de la nuit, cõme les chats, dans les yeux desquels elle se trouue : et que pour l’ordinaire des hommes, ils ne voyent que par l’action qui vient des obiects ; car l’experience nous monstre que ces obiects doiuent estre lumineux ou illuminés pour estre veus, et non point nos yeux pour les voir. Mais pour ce qu’il y a grãde differẽce entre le baston de cet aueugle, et l’air ou les autres corps transparens, par l’entremise desquels nous voyons ; il faut que je me serue encores icy d’vne autre comparaison.

Voyés vne cuue au temps de vendange, toute pleine de raisins à demi foulés, et dans le fons de laquelle on ait fait vn trou ou deux, comme A et B, par où le vin doux, qu’elle contient, puisse couler. Puis pensés que n’y ayant point de vuide en la Nature, ainsy que présque tous les Philosophes auouënt, et neantmoins y ayant plusieurs pores en tous AT VI, 87 les corps que nous apercfigeuons au tour de nous, ainsy que l’experience peut mõstrer fort clairement ; il est necessaire que ces pores soyent remplis de quelque matiere fort subtile et fort fluide, qui s’estende sans interruption depuis les Astres iusques à nous. Or ceste matiere subtile estant comparée auec le vin de ceste cuue, Maire, p. 7
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et les parties moins fluides ou plus grossieres tant de l’air, que des autres cors transparens, auec les grappes de raisins qui sont parmi : vous entendrés facilement, que comme les parties de ce vin, qui sont par exemple vers C, tendent à descendre en ligne droite par le trou A, au mesme instant qu’il est ouuert, et ensemble par le trou B, et que celles qui sont vers D, et vers E, tendent aussy en mesme tems à descendre par ces deux trous, sans qu’aucune de ces actions soit empeschée par les autres, ny aussy par la resistence des grappes qui sont en ceste cuue ; non obstant que ces grappes, estant soutenües l’vne par l’autre, ne tendent point du tout à descendre par ces trous A et B, comme le vin ; et mesme qu’elles puissent cependãt estre meües en plusieurs autres façons, par ceux qui les foulent. Ainsy toutes les parties de la matiere subtile, que touche le costé du Soleil qui nous regarde, tendent en ligne droite vers nos yeux au mesme instant qu’ils sont ouuers, sans s’empescher les vnes les autres, et mesme sans estre empeschées par les parties grossieres des cors transparẽs, qui sont entre deux : soit que ces cors se meuuent en d’autres façons, comme l’air, qui est presque tousieurs agité par quelque vent ; soit qu’ils soyent sans mouuement, comme peut estre le verre AT VI, 88 ou le cristal. Et remarqués icy qu’il faut distinguer entre le mouuement, et l’action ou inclination à se mouuoir. Car on peut fort bien conceuoir que les parties du vin, qui sont par exemple vers C, tendent vers B, et ensemble vers A, non obstant qu’elles ne puissent actuellement se mouuoir vers ces deus costés en mesme temps ; et qu’elles tendent exactement Maire, p. 8
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en ligne droite vers B et vers A, non obstant qu’elles ne se puissent mouuoir si exactement vers la en ligne droite, à cause des grapes de raisins qui sont entredeux : et ainsy pensant que ce n’est pas tant le mouuement, comme l’action des cors lumineus qu’il faut prendre pour leur lumiere, vous deués iuger que les rayons de cette lumiere ne sont autre chose, que les lignes, suiuant lesquelles tend cette action. En sorte qu’il y a vne infinité de tels rayons qui vienent de tous les poins des cors lumineus, vers tous les poins de ceus qu’ils illuminent, ainsy que vous pouués imaginer vne infinité de lignes droites, suiuant lesquelles les actions qui vienent de tous les poins de la superficie du vin CDE, tendent vers A, et vne infinité d’autres, suiuant lesquelles, les actions qui vienent de ces mesmes poins, tendent aussy vers B. sans que les unes empeschent les autres.

Au reste ces rayons doiuent bien estre ainsy tousiours imaginés exactement drois, lors qu’ils ne passent que par vn seul cors transparent, qui est par tout esgal à soymesme : mais lors qu’ils rencontrent quelques autres cors, ils sont sujets à estre détournés par eux, ou amortis, en mesme façon que l’est le mouuement d’vne balle, ou d’vne pierre iettée dans AT VI, 89 l’air, par ceux qu’elle rencontre. Car il est bien aysé à croire que l’action ou inclination à se mouuoir, que i’ay dit deuoir estre prise pour la lumiere, doit suiure en cecy les mesmes loys que le mouuement. Et afin que i’explique cette troisiesme comparaison tout au long, considerés que les corps, qui peuuent ainsy estre rencontrés par vne balle qui passe dans l’air, sont ou mous, ou durs, ou liquides ; et que s’ils Maire, p. 9
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sont mous, ils arrestẽt et amortissent tout à fait son mouuement : comme lors qu’elle donne contre des toiles, ou du sable, ou de la bouë ; au lieu que s’ils sont durs, ils la renuoyent d’vn autre costé sans l’arrester ; et ce en plusieurs diuerses façons : Car ou leur superficie est toute esgale et vnie, ou rabotteuse et inegale ; et derechef estant esgale, elle est ou platte, ou courbée : et estant inegale, ou son inégalité ne consiste, qu’en ce qu’elle est composée de plusieurs parties diuersement courbées, dont chacune est en soy assés vnie ; ou bien elle consiste outre cela, en ce qu’elle a plusieurs diuers angles ou pointes, ou des parties plus dures l’vne que l’autre, ou qui se meuuent, et ce auec des varietés qui peuuent estre imaginées en mille sortes. Et il faut remarquer que la bale, outre son mouuement simple et ordinaire, qui la porte d’vn lieu en l’autre, en peut encores auoir vn deuxiesme, qui la fait tourner autour de son centre, et que la vitesse de cestuy cy peut auoir plusieurs diuerses proportions auec celle de l’autre. Or quand plusieurs bales venant d’vn mesme costé, rencontrent vn cors, dont la superficie est toute vnie et esgale, elles se refleschissent esgalement, et en mesme AT VI, 90 ordre, en sorte que si cette superficie est toute plate, elles gardent entre elles la mesme distance, apres l’auoir rencontrée, qu’elles auoyent auparauant. Et si elle est courbée en dedans, ou en dehors, elles s’approchent, ou s’esloignẽt en mesme ordre les vnes des autres, plus ou moins, à raison de ceste courbure. Comme vous voyés icy les bales ABC, qui, apres avoir rencontré les superficies des cors DEF, se refleschissent vers GHI. Et si ces bales Maire, p. 10
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rencontrent vne superficie inesgale, comme L, ou M, elles se refleschissent vers diuers costés, chascune selon la situatiõ de l’endroit de ceste superficie qu’elle touche. Et elles ne changent rien que cela en la façon de leur mouuement, lors que son inesgalité ne consiste qu’en ce que ses parties sont courbées diuersement. Mais elle peut aussy consister en plusieurs autres choses et faire par ce moyen que si ces bales n’ont eu auparauant qu’vn simple mouuement droit, elles en perdent vne partie, et en acquerent au lieu vn circulaire, qui peut auoir diuerse proportion auec ce qu’elles retienent du droit, selon que la superficie du cors qu’elles rencontrent peut estre diuersement disposée. Ce que ceux AT VI, 91 qui iouent à la paume esprouuent assés, lors que leur bale rencontre de faux quareaux, ou bien qu’ils la touchent en biaisant de leur raquette, ce qu’ils nõment, ce me semble coupper ou friser. Enfin considerés que si vne bale qui se meut rencontre obliquement la superficie d’vn cors liquide, par lequel elle puisse passer plus ou moins facilement, que par celuy d’ou elle sort, elle se détourne et change son cours Maire, p. 11
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en y entrant : cõme par exemple, si estant en l’air au point A on la pousse vers B, elle va bien en ligne droite depuis A iusques à B, si ce n’est que sa pesanteur ou quelqu’autre cause particuliere l’en empesche, mais estant au point B où ie suppose qu’elle rencontre la superficie de l’eau CBE elle se detourne et prend son cours vers I, allãt derechef en ligne droite depuis B iusques à I, ainsy qu’il est aysé à verifier par l’experience. Or il faut penser en mesme façon, qu’il y a des cors qui estant rencontrés par les rayons de la lumiere les amortissent, et leur ostent toute leur force, à sçauoir ceux qu’on nõme noirs, lesquels n’ont point d’autre couleur que les tenebres. Et qu’il y en a d’autres qui les font refleschir, les vns au mesme ordre qu’ils les reçoiuent ; à sçauoir ceux qui ayant leur superficie toute polie peuuent seruir de miroirs tant plats que courbés, et les autres confusement vers plusieurs costés. Et que derechef AT VI, 92 entre ceux cy les vns font refleschir ces rayons sans aporter aucun autre changemẽt en leur action ; à sçauoir ceux qu’on nomme blancs : et les autres y aportent auec cela vn changement semblable à celuy que reçoit le mouuement d’une balle quand on la frize ; à sçauoir ceux qui sont rouges, ou iaunes, ou bleus, ou de quelq; autre telle couleur. Car ie pense pouuoir determiner en quoy Maire, p. 12
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consiste la Nature de chacune de ces couleurs, et le faire voir par experience ; mais cela passe les bornes de mon suiet. Et il me suffit icy de vous auertir, que les rayons, qui tombent sur les cors qui sont colorés, et non polis, se refleschissent ordinairement de tous costés, encores mesme qu’ils ne vienent que d’vn seul costé. Comme encore que ceux qui tombent sur la superficie du cors blanc AB, ne vienent que du flambeau C, ils ne laissent pas de se refleschir tellement de tous costés, qu’en quelque lieu qu’on pose l’œil, comme par exemple vers D, il s’en trouue tousiours plusieurs venans de chasque endroit de ceste superficie AB, qui tendent vers luy. Et mesme si l’on suppose ce cors fort delié comme vn papier ou vne toile, en sorte que le iour passe au trauers, encores que l’œil soit d’autre costé que le flambeau, comme vers E, il ne lairra pas de se refleschir vers luy quelques rayons de chacune des parties de ce cors. Enfin considerés que les rayons se detournent aussy, en mesme façon qu’il a esté dit d’vne bale, quand ils rencontrent obliquement la superficie d’vn cors transparant, AT VI, 93 par lequel ils penetrent plus ou moins facilement, que par celuy d’où ils vienent, et cette façon de se détourner s’apelle en eux Refraction.

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DE LA REFRACTION.
Discours Second.

D’autant que nous aurons besoin cy aprés de sçauoir exactement la quantité de cette refraction, et qu’elle peut assés commodément estre entendue par la comparaison, dont ie viens de me seruir, ie croy qu’il est à propos, que ie tasche icy tout d’vn train de l’expliquer, et que ie parle premierement de la reflexion, afin d’en rendre l’intelligence d’autant plus aysée. Pensons donc, qu’vne bale estant poussée d’A vers B, rencontre au point B, la superficie de la terre CBE, qui l’empeschant de passer outre, est cause qu’elle se detourne ; et voyons vers quel costé. Mais afin de ne nous embarasser point en desde nouuelles difficultés, supposons que la terre est parfaitement platte et dure, et que la balle va tousiours d’esgale vitesse, tant en descendant, qu’en remontant, sans nous enquerir en aucune AT VI, 94 façon de la puissance, qui continue de la mouuoir, apres qu’elle n’est plus touchée de la raquette, ny considerer aucun effect de sa pesanteur, ny de sa grosseur, ny de sa figure. Car il n’est pas icy question d’y regarder de si prés, et il n’y a aucune Maire, p. 14
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de ces choses qui ait lieu en l’action de la lumiere à la quelle cecy se doit rapporter. Seulement faut il remarquer, que la puissance, telle qu’elle soit, qui fait cõtinuer le mouuemẽt de ceste balle, est differente de celle qui la determine à se mouuoir plustost vers vn costé, que vers vn autre, ainsy qu’il est trés aysé à cognoistre de ce que c’est la force dont elle a esté poussée par la raquette, de qui depend son mouuement, et que ceste mesme force l’auroit pû faire mouuoir vers tout autre costé, aussy facilement que vers B, au lieu que c’est la situation de ceste raquette qui la determine à tendre vers B, et qui auroit pû l’y determiner en mesme façon, encores qu’vne autre force l’auroit meue. Ce qui monstre desia qu’il n’est pas impossible que ceste balle soit détournee par la rencontre de la terre, et ainsy que la determination qu’elle auoit à tendre vers B soit changée, sans qu’il y ait rien pour cela de changé en la force de son mouuement, puis que ce sont deux choses diverses : et par consequent qu’on ne doit pas imaginer qu’il soit necessaire qu’elle s’areste quelque moment au point B auant que de retourner vers F, ainsy que font plusieurs de nos Philosophes ; car si son mouuement estoit vne foix interrompu par cet arrest, il ne se trouueroit aucune cause, qui le fist par aprés recommencer. De plus il faut remarquer, que la determination à se mouuoir vers quelque costé, peut aussy AT VI, 95 bien que le mouuement, et generalement que toute autre sorte de quantité estre diuisée en toutes les parties, desquelles on peut imaginer qu’elle est composée. et qu’on peut aysement imaginer que celle de la balle qui se meut d’A vers B est composée de deux autres, Maire, p. 15
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dont l’vne la fait descendre de la ligne AF vers la ligne CE, et l’autre en mesme temps la fait aller de la gauche AC, vers la droite FE, en sorte que ces deux iointes ensemble la conduisent iusques à B suiuant la ligne droite AB. Et en suite il est ayse à entendre, que la rencontre de la terre ne peut empescher que l’vne de ces deux determinations, et non point l’autre en aucune façon. Car elle doit bien empescher celle qui faisoit descendre la balle d’AF vers CE, à cause qu’elle occupe tout l’espace qui est au dessous de CE, mais pourquoy empescheroit elle l’autre, qui la faisoit auancer vers la main droite, vû qu’elle ne luy est aucunement opposée en ce sens-la ? Pour trouuer donc iustement vers quel costé ceste balle doit retourner, descriuons vn cercle du centre B, qui passe par le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis à se mouuoir depuis A iusques à B, elle doit infalliblement retourner depuis B iusques à quelq; point de la circonference de ce cercle, d’autãt que tous les points qui sont aussy distans de cestuy cy B, qu’en est A, se trouuent en ceste circonference, et que nous supposons le mouuemẽt AT VI, 96 de ceste balle estre toujours esgalemẽt viste. Puis à fin de sçauoir précisement au quel de tous les points de ceste circonference elle doit retourner, tirons trois lignes droites Maire, p. 16
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AC, HB, et FE perpendiculaires sur CE, et en telle sorte, qu’il n’y ait ni plus ni moins de distance entre AC, et HB, qu’entre HB, et FE : et disons, qu’en autant de temps, que la bale a mis à s’auancer vers le costé droit, depuis A, l’vn des poins de la ligne AC, iusques à B, l’vn de ceux de la ligne HB, elle doit aussy s’auancer depuis la ligne HB, iusques à quelque point de la ligne FE car tous les poins de ceste ligne FE, sont autant esloignés de HB en ce sens là, l’vn comme l’autre, et autant que ceux de la ligne AC, et elle est aussy autant determinée à s’auancer vers ce costé-là, qu’elle a esté auparauant. Or est il, qu’elle ne peut arriuer en mesme tems en quelque point de la ligne FE, et ensemble à quelque point de la circonference du cercle AFD, si ce n’est au point D, ou au point F, d’autant qu’il n’y a que ces deux, où elles s’entrecoupent l’vne l’autre ; si bien que la terre l’empeschant de passer vers D, il faut conclure qu’elle doit aller infalliblement vers F. Et ainsi vous voyés facilement, comment se fait la reflexion, à sçauoir selon vn angle tousiours esgal à celuy qu’on nomme l’angle d’incidẽce. Cõme si vn rayon, venant du point A, tombe au point B sur la superficie du miroir plat CBE, il se refleschist vers F, en sorte que l’angle de la reflexion FBE, n’est ne plus ne moins grand que celuy de l’incidence ABC.

Venons maintenant à la Refraction. Et premierement AT VI, 97 supposons qu’vne bale poussée d’A vers B, rencontre au point B, nõ plus la superficie de la terre, mais vne toile CBE, qui soit si foible et deliée que ceste bale ait la force de la rompre et de passer tout au trauers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, à sçauoir, par exemple, la Maire, p. 17
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moitié. Or cela posé, à fin de sçauoir quel chemin elle doit suiure, considerons derechef, que son mouuement differe entieremẽt de sa determination à se mouuoir plustost vers vn costé que vers vn autre, d’où il suit que leur quantité doit estre examinée separément. Et considerons aussy que des deux parties, dont on peut imaginer que ceste determination est composée, il n’y a que celle qui faisoit tendre la bale de haut en bas, qui puisse estre chãgée en quelque facon par la rencontre de la toile ; et que pour celle qui la faisoit tendre vers la main droite, elle doit tousiours demeurer la mesme qu’elle a esté, à cause que cette toile ne luy est aucunemẽt opposée en ce sens-là. Puis ayant descrit du centre B le cercle AFD, et tiré à angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu’il y ait deux fois autant de distance entre FE et HB, qu’entre HB et AC, nous verrons que ceste bale doit tendre vers le point I. Car puis qu’elle perd la moitie de sa vitesse, en trauersant la toile CBE, elle doit employer deux fois autant de AT VI, 98 tems à passer au dessous, depuis B, iusques à quelque point de la circonference du cercle AFD, qu’elle a fait au dessus à venir depuis A, iusques à B. Et puis qu’elle ne perd rien du tout de la determination qu’elle auoit à s’auancer Maire, p. 18
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vers le costé droit, en deux fois autant de temps, qu’elle en a mis à passer depuis la ligne AC, iusques à HB, elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce mesme costé, et par consequent arriuer à quelque point de la ligne droite FE, au mesme instant qu’elle arriue aussi à quelque point de la circonference du cercle AFD. Ce qui seroit impossible, si elle n’alloit vers I, d’autant que c’est le seul point au dessous de la toile CBE, où le cercle AFD, et la ligne droite FE, s’entrecoupent.

Pensons maintenant que la bale qui vient d’A, vers D, rencontre au point B, non plus vne toile, mais de l’eau, dont la superficie CBE luy oste iustement la moitie de sa vitesse ainsi que faisoit cette toile. Et le reste posé comme deuant, ie dis que ceste bale doit passer de B en ligne droite non vers D, mais vers I. Car premierement il est certain, que la superficie de l’eau la doit detourner vers là en mesme façon que la toile, vû qu’elle luy oste tout autant de sa force, et qu’elle luy est opposée en mesme sens. Puis pour le reste du cors de l’eau qui remplist tout l’espace qui est depuis B iusques à I, encores qu’il luy resiste plus AT VI, 99 ou moins que ne faisoit l’air que nous y supposions auparauant, ce n’est pas à dire pour cela qu’il doiue plus ou moins la detourner : car il se peut ouurir Maire, p. 19
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pour luy faire passage tout aussi facilement vers vn costé que vers vn autre, au moins si on suppose tousiours, comme nous faisons, que ny la pesanteur ou legereté de ceste bale, ny sa grosseur, ny sa figure, ny aucune autre telle cause estrangere ne change son cours. Et on peut icy remarquer, qu’elle est d’autant plus detournee par la superficie de l’eau ou de la toile, qu’elle la rencontre plus obliquement, en sorte que si elle la rencontre à angles droits, comme lors qu’elle est poussée d’H, vers B, elle doit passer outre en ligne droite vers G sans aucunement se detourner. Mais si elle est poussée suiuant vne ligne, comme AB, qui soit si fort inclinée sur la superficie de l’eau ou de la toile CBE, que la ligne FE estant tirée, comme tantost, ne coupe point le cercle AD, cete bale ne doit aucunement la penetrer, mais reiaillir de sa superficie B, vers l’air L, tout de mesme que si elle y auoit rencontré de la terre. Ce qu’on a quelque fois experimẽté auec regret, lors que faisant tirer pour plaisir des pieces d’Artillerie vers le fons d’vne riuiere, on a blessé ceux qui estoyent de l’autre costé sur le riuage.

Mais faisons encore icy vne autre supposition, et pensons que la bale ayant esté premierement poussée d’A, vers B, est poussée derechef estant au point B, AT VI, 100 par la raquette CBE, qui augmente la force de son mouuement, par exemple, d’vn tiers, en sorte qu’elle puisse Maire, p. 20
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faire par aprés autant de chemin en deux momens, qu’elle en faisoit en trois auparauant. Ce qui fera le mesme effect, que si elle rencontroit au point B vn cors de telle nature, qu’elle passast au trauers de sa superficie CBE, d’vn tiers plus facilement que par l’air. Et il suit manifestement de ce qui a esté desia demonstré, que si l’on descrit le cercle AD comme deuant, et les lignes AC, HB, FE, en telle sorte qu’il y ait d’vn tiers moins de distance entre FE et HB, qu’entre HB et AC, le point I, où la ligne droite FE, et la circulaire AD, s’entrecoupent, designera le lieu vers lequel ceste bale estant au point B, se doit detourner.

Or on peut prendre aussi le reuers de cette conclusion et dire que puis que la bale qui vient d’A en ligne droite iusques à B, se detourne estant au point B, et prend son cours de là vers I, cela signifie que la force ou facilité, dont elle entre dans le cors CBEI, est à celle, dont elle sort du cors ACBE, comme la distance qui est entre AC et HB, à celle qui est entre HB et FI, c’est à dire comme la ligne CB est à BE.

Enfin d’autant que l’action de la lumiere suit en cecy les mesmes loix que le mouuement de cette bale, il faut dire que lors que ses rayons passent obliquement Maire, p. 21
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d’vn cors transparant dans vn autre, qui les reçoit plus ou moins facilement que le premier, ils s’y detournent AT VI, 101 en telle sorte, qu’ils se trouuent tousiours moins inclinés sur la superficie de ces cors, du costé où est celuy qui les reçoit le plus aysement, que du costé où est l’autre : et ce iustement à proportion de ce qu’il les reçoit plus aysement que ne fait l’autre. Seulement faut-il prendre garde que cette inclination se doit mesurer par la quantité des lignes droites, comme CB ou AH, et EB ou IG, et semblables, comparées les vnes aux autres ; non par celle des angles, tels que sont ABH, ou GBI, ny beaucoup moins par celle des semblables à DBI, qu’on nomme les angles de Refraction. Car la raison ou proportion qui est entre ces angles, varie à toutes les diuerses inclinations des rayons ; au lieu que celle qui est entre les lignes AH et IG, ou semblables, demeure la mesme en toutes les refractions qui sont causées par les mesmes cors. Comme par exemple, s’il passe vn rayon dans l’air d’A, vers B, qui rencontrant au point B la superficie du verre CBR, se detourne vers I dans ce verre ; et qu’il en viene vn autre de K vers B, qui se detourne vers L ; et vn autre de P vers R, qui se detourne uers S ; il doit y auoir mesme proportion entre les Maire, p. 22
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lignes KM et LN, ou PQ et ST, qu’entre AH et IG, mais non pas la mesme entre les angles KBM et LBN, ou PRQ et SRT, qu’entre ABH et IBG.

Si bien que vous voyés maintenant en quelle sorte AT VI, 102 se doiuent mesurer les refractions ; et encores que pour determiner leur quantité, en tant qu’elle depend de la Nature particuliere des cors où elles se font, il soit besoin d’en venir à l’experience, on ne laisse pas de le pouuoir faire assés certainement et aysement, depuis qu’elles sont ainsi toutes reduites sous vne mesme mesure ; car il suffit de les examiner en vn seul rayon pour cognoistre toutes celles qui se font en vne mesme superficie, et on peut euiter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres. Comme si nous voulons sçauoir la quantité de celles qui se font en la superficie CBR, qui separe l’air AKP, du verre LIS ; nous n’auons qu’à l’esprouuer en celle du rayon ABI, en cherchant la proportion qui est entre les lignes AH et IG. Puis si nous craignons d’auoir failli en ceste experience, il faut encores l’esprouuer en quelques autres rayons, comme KBL, ou PRS, et trouuant mesme proportion de KM à LN, et de PQ à ST, que d’AH à IG, nous n’aurõs plus aucune occasiõ de douter de la verité.

Maire, p. 23
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Mais peutestre vous estonnerés vous en faisant ces experiences, de trouuer que les rayons de la lumiere s’inclinent plus dans l’air, que dans l’eau, sur les superficies où se fait leur refraction ; et encores plus dans l’eau que dans le verre, tout au contraire d’vne bale qui s’incline d’avantage dans l’eau que dans l’air, AT VI, 103 et ne peut aucunement passer dans le verre. Car par exemple, si c’est vne bale, qui estant poussée dans l’air d’A, vers B, rencontre au point B la superficie de l’eau CBE, elle se detournera de B vers V ; et si c’est vn rayon, il ira tout au contraire de B, vers I. Ce que vous cesserés toutesfois de trouuer estrange, si vous vous souuenés de la nature que i’ay attribuée à la lumiere, quand i’ay dit qu’elle n’estoit autre chose, qu’vn certain mouuement ou vne action receuë en vne matiere tres-subtile, qui remplist les pores des autres cors : et que vous consideriés, que comme vne bale perd d’avantage de son agitation, en donnant contre vn cors mou, que contre vn qui est dur ; et qu’elle roule moins aysement sur vn tapis, que sur vne table toute nuë. ainsi l’action de ceste matiere subtile, peut beaucoup plus estre empeschée par les parties de l’air, qui estant comme molles et mal-iointes, ne luy font pas beaucoup de resistance, que par celles de l’eau, qui luy en font d’auantage ; et encores plus par celles de l’eau, que par celles du verre, ou du cristal. Maire, p. 24
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En sorte que d’autant que les petites parties d’vn cors transparant sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent elles passer la lumiere plus aysement, car cette lumiere n’en doit pas chasser aucunes hors de leurs places, ainsi qu’vne bale en doit chasser de celles de l’eau, pour trouuer passage parmy elles.

Au reste, sçachant ainsi la cause des refractions qui AT VI, 104 se font dans l’eau, et dans le verre, et communement en tous les autres cors transparans qui sont autour de nous, on peut remarquer qu’elles y doiuent estre toutes semblables, quand les rayons sortent de ces cors, et quand ils y entrent.Voyés la figure en la page 22. Comme si le rayon qui vient d’A, vers B, se detourne de B, vers I, en passant de l’air dans le verre, celuy qui reviendra d’I, vers B, doit aussi se detourner de B, vers A. Toutesfois il se peut bien trouuer d’autres cors, principalement dans le ciel, où les refractions procedant d’autres causes, ne sont pas ainsi reciproques. Et il se peut aussy trouuer certains cas, ausquels les rayons se doiuent courber, encores qu’ils ne passent que par vn seul cors transparant. Ainsi que se courbe souuent le mouuement d’vne bale, pource qu’elle est detournée vers vn costé par sa pesanteur, et vers vn autre par l’action dont on l’a poussée ; ou pour diverses autres raisons. Car enfin i’ose dire que les trois comparaisons, dont ie viens de me seruir, sont si propres, que toutes les particularités qui s’y peuuent remarquer, se raportent à quelques autres qui se trouuent toutes semblables en la lumiere : mais ie n’ay tasché que d’expliquer celles qui faisoient le plus à mon suiet. Et ie ne vous veux plus faire icy considerer autre chose, si Maire, p. 25
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non que les superficies des cors transparens qui sont courbées, detournent les rayons qui passent par chacun de leurs AT VI, 105 poins, en mesme sorte que feroient les superficies plattes, qu’on peut imaginer toucher ces cors aux mesmes poins. Comme par exemple, la refraction des rayons AB, AC, AD, qui venans du flambeau A, tombent sur la superficie courbe de la boule de cristal BCD, doit estre considerée en mesme sorte, que si AB tomboit sur la superficie plate EBF, et AC sur GCH, et AD sur IDK, et ainsi des autres. D’où vous voyés que ces rayons se peuuent assembler, ou escarter diuersement, selon qu’ils tombent sur des superficies qui sont courbées diuersement. Et il est temps que ie commence à vous descrire, qu’elle est la structure de l’œil, afin de vous pouuoir faire entendre comment les rayons, qui entrent dedans, s’y disposent pour causer le sentiment de la veuë.

Maire, p. 26
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DE L’ŒIL.
Discours Troisiesme.

S’il estoit possible de couper l’œil par la moitie, sans que les liqueurs dont il est rempli s’escoulassent, ni qu’aucune de ses parties changeast de place, et que le AT VI, 106 plan de la section passast iustement par le milieu de la prunelle, il paroistroit tel qu’il est representé en ceste figure. ABCB, est vne peau assés dure et espaisse, qui compose comme vn vaze rond dans lequel toutes ses parties interieures sont contenues. DEF, est vne autre peau plus deliée, qui est tendue ainsi qu’vne tapisserie au dedans de la precedente. ZH, est le nerf nommé optique, qui est composé d’vn grand nombre de petits filets, dont les extremités s’estendent en tout l’espace GHI, où se meslant auec vne infinité de petites veines et arteres, elles composent vn espece de chair extremement tendre et delicate, laquelle est comme vne troisiesme peau, qui couure tout le fons de la seconde. KLM, sont trois sortes de glaires ou humeurs fort transparentes, qui remplissent tout l’espace contenu au dedans de ces peaux, et ont chacune la figure, en laquelle vous la voyés icy representée. Maire, p. 27
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Et l’experience monstre, que celle du milieu L, qu’on nomme l’humeur cristaline, cause à peu prés mesme refraction que le verre ou le cristal ; et que les deux autres K et M la causent vn peu moindre, environ cõme l’eau cõmune, en sorte que les rayons de la lumiere, passent plus facilement par celle deu milieu, que par les deux autres ; et encores plus facilement par ces deux, que par l’air. En la premiere peau, la partie BCB est transparẽte, et vn peu plus voutée que le reste BAB. En la seconde, la superficie AT VI, 107 interieure de la partie EF, qui regarde le fons de l’œil, est toute noire et obscure ; et elle a au milieu vn petit trou rond FF, qui est ce qu’on nomme la prunelle, et qui paroist si noir au milieu de l’œil, quand on le regarde par dehors. Ce trou n’est pas tousiours de mesme grandeur, et la partie EF de la peau en laquelle il est, nageant librement dans l’humeur K, qui est fort liquide, semble estre comme vn petit muscle, qui se peut estrecir et eslargir à mesure qu’on regarde des obiets plus ou moins proches, ou plus ou moins esclairés, ou qu’on les veut voir plus ou moins distinctement. Et vous pourrés voir facilement l’experience de tout cecy en l’œil d’vn enfant. Car si vous luy faites regarder fixement vn obiet proche, vous verrés que sa prunelle deuiendra vn peu plus petite, que si vous luy en faites regarder vn plus esloigné, qui ne soit point auec cela plus esclairé. Et derechef qu’encores qu’il regarde tousiours le mesme obiet, il l’aura beaucoup plus petite, estant en vne chambre fort claire, que si en fermant la plus part des fenestres on la rend fort obscure. Et enfin que demeurant au mesme iour, et regardant le mesme obiet, Maire, p. 28
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s’il tasche d’en distinguer les moindres parties, sa prunelle sera plus petite, que s’il ne le considere que tout entier, et sans attention. Et notés que ce mouuement doit estre appelé volontaire, non obstant qu’il soit ordinairement ignoré de ceux qui le font, car il ne laisse pas pour cela d’estre dependant, et de suiure de la volonté qu’ils ont de bien voir ; ainsi que les mouuemens des leures et de la langue qui seruẽt à prononcer les paroles, se nomment volontaires, à cause qu’ils suiuent de la volonté AT VI, 108 qu’on à de parler, nonobstant qu’on ignore souuent quels ils doiuent estre pour seruir à la prononciation de chaque lettre. EN, EN, sont plusieurs petits filets noirs, qui embrassent tout autour l’humeur marquée L, et qui naissans aussi de la seconde peau, en l’endroit où la troisiesme se termine, semblent autant de petits tendons, par le moyen desquels cette humeur L deuenant tantost plus voutée, tantost plus platte, selon l’intention qu’on a de regarder des obiets proches, ou esloignés, change vn peu toute la figure du cors de l’œil. Et vous pouués cognoistre ce mouuement par experience, car si lors que vous regardés fixement vne tour ou vne montaigne un peu esloignée, on presente vn liure deuant vos yeux, vous n’y pourrés voir distinctement aucune lettre, iusques à ce que leur figure soit vn peu changée. Enfin OO, sont six ou Maire, p. 29
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sept muscles attachés à l’œil par dehors, qui le peuuent mouuoir de tous costés, et mesme aussi, peut estre, en le pressant ou retirant, ayder à changer sa figure. Ie laisse à dessein plusieurs autres particularités qui se remarquent en ceste matiere, et dont les Anatomistes grossissent leurs liures ; car ie croy que celles que i’ay mises icy, suffiront pour expliquer tout ce qui sert à mon suiet, et que les autres que i’y pourrois adiouster, n’aydant en rien vostre intelligence, ne feroyent que diuertir vostre attention.

AT VI, 109

DES SENS EN GENERAL.
Discours Quatriesme.

Mais il faut que ie vous die maintenant quelque chose de la Nature des sens en general, afin de pouuoir d’autant plus aysement expliquer en particulier celuy de la veuë. On sçait desia assés que c’est l’áme qui sent, et non le cors : car on voit que lors qu’elle est diuertie par vne extase ou forte contemplation, tout le cors demeure sans sentiment, encores qu’il y ait diuers obiects qui le touchent. Et on sçait que ce n’est pas proprement, en tant qu’elle est dans les membres qui seruent d’organes aux sens exterieurs, qu’elle sent, mais en tant qu’elle est dans le cerueau, où elle exerce cette faculté qu’ils apellent le sens commun ; car on voit des blessures et maladies qui n’offensant que le cerueau seul, empeschent generalement tous les sens, encores que le reste du cors ne laisse point pour cela d’estre animé. En Maire, p. 30
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fin on sçait que c’est par l’entremise des Nerfs, que les impressions que font les obiets dans les membres exterieurs, paruienẽt iusques à l’ame dans le cerueau : car on voit diuers accidens, qui ne nuisant à rien qu’à quelque Nerf, ostent le sentiment de toutes les parties du cors, où ce Nerf enuoye ces branches, sans rien diminuer de celuy des autres. Mais pour sçauoir plus particulierement en quelle sorte l’ame demeurant dans le cerueau, peut AT VI, 110 ainsi par l’entremise des Nerfs, receuoir les impressions des obiets qui sont au dehors, il faut distinguer trois choses en ces Nerfs ; à sçauoir premierement les peaux qui les enuelopent, et qui prenant leur origine de celles qui enuelopent le cerueau, sont comme de petits tuyaux diuisés en plusieurs branches, qui se vont espandre ça et lâ par tous les membres, en mesme façon que les venes et les arteres. Puis leur substance interieure, qui s’estend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux, depuis le cerueau, d’où elle prend son origine, iusques aux extremités des autres membres, où elle s’attache ; en sorte qu’on peut imaginer en chacun de ces petits tuyaux, plusieurs de ces petits filets independans les vns des autres. Puis enfin les esprits animaux, qui sont comme vn air ou vn vent tres-subtil, qui venant des chambres ou concauités, qui sont dans le cerueau, s’escoule par ces mesmes tuyaux dans les muscles. Or les Anatomistes et Medecins auoüent assés, que ces trois choses se trouuent dans les Nerfs ; mais il ne me semble point qu’aucun d’eux en ait encores bien distingué les vsages. Car voyant que les Nerfs ne seruent pas seulement à donner le sentiment aux membres, mais Maire, p. 31
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aussi à les mouuoir, et qu’il y a quelque fois des paralysies, qui ostent le mouuement, sans oster pour cela le sentiment ; tantost ils ont dit, qu’il y auoit deux sortes de Nerfs, dont les vns ne seruoyent que pour les sens, et les autres que pour les mouuemens ; et tantost que la faculté de sentir, estoit dans les peaux ou membranes, et que celle de mouuoir, estoit dans la substance interieure des Nerfs ; qui sont choses fort repugnantes à AT VI, 111 l’experience et à la raison. Car qui a iammais pû remarquer aucun Nerf, qui seruist au mouuement, sans seruir aussi à quelque sens ? Et comment, si c’estoit des peaux que le sentiment despendist, les diuerses impressions des obiets pourroyent elles par le moyen de ces peaux paruenir iusques au cerueau ? Afin donc d’euiter ces difficultés, il faut penser que ce sont les esprits, qui coulans par les Nerfs dans les Muscles, et les enflans plus ou moins, tantost les vns, tantost les autres, selon les diuerses façons que le cerueau les distribue, causent le mouuement de tous les membres : et que ce sont les petits filets, dont la substance interieure de ces Nerfs est composée, qui seruent aus sens. Et d’autant que ie n’ay point icy besoin de parler des mouuemens, ie desire seulement que vous conceuiés, que ces petits filets estans enfermés, comme i’ay dit, en des tuyaux qui sont tousiours enflés et tenus ouuers par les esprits qu’ils contienent, ne se pressent ny empeschent aucunement les vns les autres, et sont estendus depuis le cerueau iusques aux extremités de tous les membres qui sont capables de quelque sentiment, en telle sorte que pour peu qu’on touche et face mouuoir l’endroit de ces mẽbres, où quelqu’vn d’eux est attaché, Maire, p. 32
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on fait aussi mouuoir au mesme instant l’endroit du cerueau d’où il vient, ainsi que tirant l’vn des bouts d’vne corde qui est toute tendue, on fait mouuoir au mesme instant l’autre bout. Car sçachant que ces filets sont ainsi enfermés en des tuyaux, que les esprits tienent tousiours vn peu enflés et entre ouuerts, il est aysé à entendre qu’encores qu’ils fussent beaucoup plus deliés, que ceux que filent les vers à soye, et plus foibles, AT VI, 112 que ceux des araignées, ils ne lairroyent pas de se pouuoir estendre, depuis la teste iusques aux membres les plus esloignés, sans estre en aucun hasard de se rompre, ny que les diuerses situations de ces membres empeschassent leurs mouuemens. Il faut outre cela prendre garde à ne pas supposer, que pour sentir, l’ame ait besoin de contempler quelques images qui soyent enuoyées par les obiects iusques au cerueau, ainsi que font communément nos Philosophes ; ou du moins il faut conceuoir la nature de ces images tout autrement qu’ils ne font. Car d’autant qu’ils ne considerent en elles autre chose, sinon qu’elles doiuent auoir de la resemblance auec les obiects qu’elles representent, il leur est impossible de nous monstrer, comment elles peuuent estre formées par ces obiects, et receues par les organes des sens exterieurs, et transmises par les Nerfs iusques au cerueau. Et ils n’ont eu aucune raison de les supposer, sinon que voyant que nostre pensée peut facilement estre excitée par vn tableau, à conceuoir l’obiect qui y est peint, il leur a semblé qu’elle deuoit l’estre en mesme façon, à conceuoir ceux qui touchent nos sens, par quelques petits tableaux qui s’en formassent en nostre Maire, p. 33
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teste. Au lieu que nous deuons considerer, qu’il y a plusieurs autres choses que des images, qui peuuent exciter nostre pensée ; comme par exemple, les signes et les paroles, qui ne resemblent en aucune façon aux choses qu’elles signifient. Et si pour ne nous esloigner que le moins qu’il est possible des opinions desia receues, nous aymons mieux auoüer, que les obiets que nous sentons, enuoyent veritablement leurs images iusques au AT VI, 113 dedans de nostre cerueau : il faut au moins que nous remarquions, qu’il n’y a aucunes images, qui doiuent en tout resembler aux obiets qu’elles representent, car autrement il n’y auroit point de distinction entre l’obiet et son image : mais qu’il suffit qu’elles leur resemblent en peu de choses ; et souuent mesme que leur perfection depend de ce qu’elles ne leur resemblent pas tant qu’elles pourroyent faire. Comme vous voyés que les taille-douces n’estant faites que d’vn peu d’encre posée çà et là sur du papier, nous representent des forets, des villes, des hommes, et mesme des batailles, et des tempestes, bien que d’vne infinité de diuerses qualités qu’elles nous font conceuoir en ces obiets, il n’y en ait aucune que la figure seule, dont elles ayent proprement la resemblance. Et encores est-ce vne resemblance fort imparfaite, vû que sur vne superficie toute plate, elles nous representent des cors diuersement releués et enfoncés. Et que mesme, suiuant les regles de la perspectiue, souuent elles representent mieux des cercles, par des ouales, que par d’autres cercles ; et des quarrés par lozanges que pardes lozanges que par d’autres quarrés, et ainsi de toutes les autres figures. en sorte que souuent pour estre plus Maire, p. 34
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parfaites en qualité d’images, et representer mieux vn obiect, elles doiuent ne luy pas resembler. Or il faut que nous pensions tout le mesme des images qui se forment en nostre cerueau, et que nous remarquions, qu’il est seulement question de sçauoir, comment elles peuuent donner moyen à l’ame, de sentir toutes les diuerses qualités des obiets ausquels elles se raportent, et non point, comment elles ont en soy leur resemblance. Comme AT VI, 114 lors que l’Aueugle, dont nous auons parlé cydessus, touche quelques cors de son baston, il est certain que ces cors n’enuoyent autre chose iusques à luy, sinon que faisant mouuoir diuersement son baston, selon les diuerses qualités qui sont en eux, ils meuuent par mesme moyen les nerfs de sa main, et en suite les endroits de son cerueau d’où vienent ces nerfs ; ce qui donne occasion à son ame, de sentir tout autant de diuerses qualités en ces cors, qu’il se trouue de varietés dans les mouuemens, qui sont causés par eux en son cerueau.

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DES IMAGES QVI SE FORMENT SUR LE FONDS DE L’ŒIL.
Discours Cinquiesme.

Vous voyés donc assés que pour sentir, l’ame n’a pas besoin de contempler aucunes images, qui soyent semblables aux choses qu’elle sent. Mais cela n’empesche pas qu’il ne soit vray, que les obiets que nous regardons, en impriment d’assés parfaites dans le fonds de nos yeux ; ainsi que quelques vns ont desia tres-ingenieusement expliqué, par la cõparaison de celles qui paroissent dans vne chambre, lors que l’ayant toute fermée, reserué vn seul trou, et ayant mis au deuant de ce trou vn verre en forme de lentille, AT VI, 115 on estend derriere, à certaine distance, vn linge blanc, sur qui la lumiere, qui vient des obiets de dehors, forme ces images. Car ils disent que cette chambre represente l’œil ; ce trou, la prunelle ; ce verre, l’humeur cristaline, ou plustost toutes celles des parties de l’œil qui causent quelque refraction ; et ce linge, la peau interieure, qui est composée des extremités du nerf optique.

Mais vous en pourrés estre encores plus certain, si prenant l’œil d’vn homme fraischement mort, ou au defaut, celuy d’vn bœuf, ou de quelqu’autre gros animal, vous coupés dextrement vers le fonds les trois peaux qui l’enuelopent, en sorte qu’vne grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure decouuerte, sans qu’il Maire, p. 36
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y ait rien d’elle pour cela qui se respende. Puis l’ayant recouuerte de quelque cors blanc, qui soit si delié, que le iour passe au trauers, comme par exemple d’vn morceau de papier ou de la coquille d’vn œuf, RST, que vous mettiés cet œil dans le trou d’vne fenestre fait exprés, comme Z, en sorte qu’il ait le deuant, BCD, tourné vers quelque lieu où il y ait diuers obiets, comme VXY, esclairés par le soleil ; et le derriere où est le cors blanc, RST, vers le dedans de la chambre, P, où vous serés, et en laquelle il ne doit entrer aucune lumiere, que celle qui pourra penetrer au trauers de cet œil, dont vous sçaués que toutes les parties, depuis C iusques à S, sont transparentes. Car cela fait, si vous regardés sur ce cors blanc RST, vous y verrés non peut-estre sans admiration, et plaisir, vne peinture, qui representera fort naïuement en perspectiue tous les obiets, qui seront au dehors vers AT VI, 116 VXY. Au moins si vous faites en sorte que cet œil retiene sa figure naturelle, proportionnée à la distance AT VI, 117 de ces obiets : car pour peu que vous le pressiés plus ou moins que de raison, ceste peinture en deuiendra moins distincte. Et il est à remarquer, qu’on doit le presser vn peu d’auantage, et rendre sa figure vn peu plus longue, lors que les obiets sont fort proches, que lors qu’ils sont plus esloignés. Mais il est besoin que i’explique icy plus au long, comment se forme ceste peinture, car ie pourray par mesme moyen vous faire entendre plusieurs choses qui apartienent à la vision.

Considerés donc premierement, que de chasque point des obiets VXY, il entre en cet œil autant de Maire, p. 38
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rayons, qui penetrent iusques au cors blanc RST, que l’ouuerture de la prunelle FF en peut comprendre, et que suiuant ce qui a esté dit icy dessus, tant de la nature de la refraction, que de celle des trois humeurs K, L, M, tous ceux de ces rayons, qui vienent d’vn mesme point, se courbent en trauersant les trois superficies BCD, 1 2 3, et 4 5 6, en la façon qui est requise pour se rassembler derechef enuiron vers vn mesme point. Et il faut remarquer, qu’afin que la peinture, dont il est icy question, soit la plus parfaite qu’il est possible, les figures de ces trois superficies doiuent estre telles, que tous les rayons, qui vienent de l’vn des points des obiets, se rassemblent exactement en l’vn des points du cors blanc RST. Comme vous voyés icy que ceux du point X, s’assemblent au point S ; en suite de quoy ceux qui vienent du point V, s’assemblent aussi à peu prés au point R ; et ceux du point Y, au point T. Et que reciproquement, il ne viene aucun rayon vers S, que du point X ; ny quasi AT VI, 118 aucun vers R, que du point V ; ny vers T, que du point Y, et ainsi des autres. Or cela posé, si vous vous souuenés de ce qui a esté dit cydessus, de la lumiere et des couleurs en general, et en particulier des cors blancs, il vous sera facile à entendre, qu’estant enfermé dans la chambre P, et iettant vos yeux sur le cors blanc RST, vous y deués voir la resemblance des obiets VXY. Car premierement la lumiere, c’est à dire, le mouuement ou l’action dont le soleil ou quelqu’autre des cors qu’on nomme lumineux, pousse vne certaine matiere fort subtile, qui se trouue en tous les cors transparents, Maire, p. 39
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Maire, p. 40
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estant repoussée vers R, par l’obiet V, que ie suppose par exemple, estre rouge, c’est à dire, estre disposé, à faire que les petites parties de cette matiere subtile, qui ont esté seulement poussées en lignes droites, par les cors lumineux, se meuuent aussi en rond autour de leurs centres, aprés les auoir rencontrées, et que leurs deux mouuemens ayent entre eux la proportion, qui est requise pour faire sentir la couleur rouge ; il est certain, que l’action de ces deux mouuemens ayant rencontré au point R, vn cors blanc ; c’est à dire, vn cors disposé à la renuoyer vers tout autre costé sans la changer, doit de là se refleschir vers vos yeux par les pores de ce cors, que i’ay supposé à cet effect fort delié, et comme percé à iour de tous costés, et ainsi vous faire voir le point R, de couleur rouge. Puis la lumiere estant aussi repoussée de l’obiet X, que ie suppose iaune, vers S ; et d’Y, que ie suppose bleu, vers T, d’où elle est portée vers vos yeux ; elle vous doit faire paroistre S de couleur iaune, et T de couleur bleuë. Et ainsi les trois poins R, S, T, paroissans des AT VI, 119 mesmes couleurs, et gardans entre eux le mesme ordre, que les trois V, X, Y, en ont manifestement la AT VI, 120 resemblance. Et la perfection de cette peinture depend principalement de trois choses, à sçauoir, de ce que la prunelle de l’œil ayant quelque grandeur, il y entre plusieurs rayons de chasque point de l’obiet, comme icy XB 14 S, XC 25 S, XD 36 S, et tout autant d’autres qu’on en puisse imaginer entre ces trois, y vienent du seul point X. Et de ce que ces rayons souffrent dans l’œil de telles refractions, que ceux qui vienent de diuers Maire, p. 41
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poins, se rassemblent à peu prés en autant d’autres diuers points sur le cors blanc RST. Et enfin de ce que tant les petits filets EN, que le dedans de la peau EF, estant de couleur noire, et la chambre P, toute fermée et obscure, il ne vient d’ailleurs que des obiets VXY, aucune lumiere qui trouble l’action de ces rayons. Car si la prunelle estoit si estroite, qu’il ne passast qu’vn seul rayon de chasque point de l’obiet, vers chasque point du cors RST, il n’auroit pas assés de force pour se refleschir de là, dans la chambre P, vers vos yeux. Et la prunelle estant vn peu grande, s’il ne se faisoit dans l’œil aucune refraction, les rayons qui viendroient de chasque point des obiets, s’espandroyent ça et là en tout l’espace RST, en sorte que, par exemple, les trois points VXY, enuoyeroient trois rayons vers R, qui se refleschissans de là tous ensemble vers vos yeux, vous feroient paroistre ce point R, d’vne couleur moyenne entre le rouge, le iaune, et le bleu, et tout semblable aux points S et T, vers lesquels les mesmes points VXY, enuoyeroient aussi chacun vn de leurs rayons. Et il arriueroit aussi quasi le mesme, si la refraction qui se fait en l’œil, estoit plus ou moins grande qu’elle ne doit, à raison AT VI, 121 de la grandeur de cet œil. car estant trop grande, les rayons qui viendroient, par exemple du point X, s’assembleroient auant que d’estre paruenus iusques à S, comme vers M. Et au contraire estant trop petite, ils ne s’assembleroient qu’au delà, comme vers P ; si bien qu’ils toucheroient le cors blanc RST, en plusieurs points, vers lesquels il viendroit aussi d’autres rayons des autres parties de Maire, p. 42
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l’obiet. Enfin ; si les cors EN, EF, n’estoyent noirs, c’est à dire, disposés à faire que la lumiere qui donne de contre, s’y amortisse, les rayons qui viendroient vers eux du cors blanc RST, pourroient de là retourner ceux de T vers S, et vers R ; ceux de R, vers T, et vers S ; et ceux de S, vers R, et vers T : au moyen de quoy, ils troubleroient l’action les vns des autres, et le mesme feroient aussy les rayons qui viendroient de la chambre P, vers RST, s’il y auoit quelque autre lumiere en cette chambre, que celle qu’y enuoyent les obiets VXY.

Mais apres vous auoir parlé des perfections de cette peinture, il faut aussi que ie vous face considerer ses defauts. dont le premier et le principal est, que quelques figures que puissent auoir les parties de l’œil, il est impossibilele, qu’elles facent que les rayons qui vienent de diuers poins, s’assemblent tous en autant d’autres diuers points, et que tout le mieux qu’elles puissent faire, c’est seulement que tous ceux qui vienent de quelque point, comme d’X, s’assemblent en vn autre point, comme S, dans le milieu du fonds de l’œil ; en quel cas il n’y en peut auoir que quelques vns de ceux du point V, qui s’assemblent iustement au point R, ou du point Y, qui s’assemblent AT VI, 122 iustement au point T ; et les autres s’en doiuent escarter quelque peu, tout à l’entour, ainsi que i’expliqueray AT VI, 123 cy aprés. Et cecy est cause que cette peinture n’est iamais si distincte vers ses extremités qu’au milieu, comme il a esté assés remarqué par ceux qui ont escrit de l’Optique. Car c’est pour cela qu’ils ont dit, que la vision se fait principalement suiuant la ligne droite, qui passe par les centres de l’humeur cristaline Maire, p. 44
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et de la prunelle, telle qu’est icy la ligne XKLS, qu’ils nomment l’aissieu de la vision. Et notés, que les rayons, par exemple, ceux qui vienent du point V, s’escartent autour du point R, d’autant plus que l’ouuerture de la prunelle est plus grande : et ainsi que si sa grandeur sert à rendre les couleurs de cette peinture plus viues et plus fortes, elle empesche en reuanche que ses figures ne soyent si distinctes, d’où vient qu’elle ne doit estre que mediocre. Notés aussi que ses rayons s’escarteroient encores plus autour du point R, qu’ils ne font, si le point V, d’où ils vienent, estoit beaucoup plus proche de l’œil, comme vers 10, ou beaucoup plus esloigné, comme vers 11, que n’est X, à la distance duquel ie suppose, que la figure de l’œil est proportionnée ; de sorte qu’ils rendroyent la partie R, de cette peinture encores moins distincte qu’ils ne font. Et vous entendrés facilement les demonstrations de tout cecy, lors que vous aurés vû cy aprés, quelles figures doiuent auoir les cors transparents, pour faire que les rayons qui vienent d’vn point, s’assemblent en quelqu’autre point, aprés les auoisr trauersés. Pour les autres defauts de cette peinture, ils consistent en ce que ses parties sont renuersées, c’est à dire, en position toute contraire à celle des obiets ; et en ce qu’elles sont apetissées et racourcies, AT VI, 124 les vnes plus, les autres moins, à raison de la diuerse distance, et situation des choses qu’elles representent, quasi en mesme façon que dans vn tableau de perspectiue. Comme vous voyés icy clairement, que T, qui est vers le costé gauche, represente Y, qui est vers le droit, et que R, qui est vers le droit, represente V, qui est vers Maire, p. 45
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le gauche. Et de plus que la figure de l’obiet V, ne doit pas occuper plus d’espace vers R, que celle de l’obiet 10, qui est plus petit, mais plus proche ; ny moins que celle de l’obiet 11, qui est plus grand, mais à proportion plus esloigné, si non en tant qu’elle est vn peu plus distincte. Et enfin que la ligne droite VXY, est representée par la courbe RST.

Or ayant ainsi vû ceste peinture dans l’œil d’vn animal mort, et en ayant consideré les raisons, on ne peut douter qu’il ne s’en forme vne toute semblable en celuy d’vn homme vif, sur la peau interieure, en la place de laquelle, nous auions substitué le cors blanc RST, et mesme qu’elle ne s’y forme beaucoup mieux, à cause que ses humeurs estant plaines d’esprits sont plus transparentes, et ont plus exactement la figure qui est requise à cet effect. Et, peut-estre aussi, qu’en l’œil d’vn bœuf, la figure de la prunelle, qui n’est pas ronde, empesche que cette peinture n’y soit si parfaite.

On ne peut douter non plus que les images qu’on fait paroistre sur vn linge blanc dans vne chambre obscure, ne s’y forment tout de mesme, et pour la mesme raison qu’au fonds de l’œil. mesmes à cause qu’elles y sont ordinairement beaucoup plus grandes, et s’y forment en plus de façons, on y peut plus commodement AT VI, 125 remarquer diuerses particularités, dont ie desire icy vous auertir, afin que vous en faciés l’experience, AT VI, 126 si vous ne l’aués encores iamais faite. Voyés donc premierement, que si on ne met aucun verre audeuant du trou qu’on aura fait en cette chambre, il paroistra bien quelques images sur le linge, pouruû que le trou soit fort estroit, Maire, p. 47
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mais qui seront fort confuses et imparfaites, et qui le seront d’autant plus, que ce trou sera moins estroit. Et qu’elles seront aussi d’autant plus grandes, qu’il y aura plus de distance entre luy et le linge. en sorte que leur grandeur doit auoir à peu prés, mesme proportion auec cette distance, que la grandeur des obiets, qui les causent, auec la distance qui est entre eux et ce mesme trou. Comme il est euident que si ACB est l’obiet, D le trou, et EGF l’image ; EG est à FD, comme AB est à CD. Puis ayant mis vn verre en forme de lentille au deuant de ce trou, considerés qu’il y a certaine distance determinée à laquelle tenant le linge, les images paroissent fort distinctes, et que pour peu qu’on l’esloigne, ou qu’on l’aproche d’auantage du verre, elles commencent à l’estre moins ; Et que cette distance doit estre mesurée par l’espace qui est, non pas entre le linge et le trou, mais entre le linge et le verre : en sorte que si l’on met le verre vn peu au delà du trou de part ou d’autre, le linge en doit aussi estre d’autant aproché ou reculé ; Et qu’elle depend en partie de la figure de ce verre, et en partie aussy de l’esloignement des obiets : Car en laissant l’obiet en mesme lieu, moins les superficies AT VI, 127 du verre sont courbées, plus le linge en doit estre esloigné, et en se seruant du mesme verre, si les obiets en sont fort Maire, p. 48
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proches, il en faut tenir le linge vnvn peu plus loin, que s’ils en sont plus esloignés ; Et que de ceste distance depend la grandeur des images, quasi en mesme façon que lors qu’il n’y a point de verre au deuant du trou. Et que ce trou peut estre beaucoup plus grand, lors qu’on y met vn verre, que lors qu’on le laisse tout vuide, sans que les images en soyent pour cela de beaucoup moins distinctes. Et que plus il est grand, plus elles paroissent claires et illuminées : en sorte que si on couure vne partie de ce verre, elles paroistront bien plus obscures qu’auparauant, mais qu’elles ne lairront pas pour cela d’occuper autant d’espace sur le linge. Et que plus ces images sont grandes et claires, plus elles se voyent parfaitement : en sorte que si on pouuoit aussi faire vn œil, dont la profondeur fust fort grande, et la prunelle fort large, et que les figures de celles de ses superficies qui causent quelque refraction, fussent proportionées à cette grandeur, les images s’y formeroient d’autant plus visibles. Et que si ayant deux ou plusieurs verres en forme de lentilles, mais assés plats, on les ioint l’vn contre l’autre, ils auront à peu prés le mesme effect, qu’auroit vn seul, qui seroit autant vouté ou conuexe qu’eux deux ensemble car le nombre des superficies où se font les refractions n’y fait pas grand chose. Mais que si on esloigne ces verres à certaines distances les vns des autres, le second pourra redresser l’image, que le premier aura renuersée, et le troisiesme la renuerser derechef, et ainsi de suite. Qui sont toutes choses dont AT VI, 128 les raisons sont fort aysées à deduire de ce que Maire, p. 49
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i’ay dit, et elles seront bien plus vostres, s’il vous faut vser d’vn peu de reflexion pour les conceuoir, que si vous les trouuiés icy mieux expliquées.

Au reste les images des obiets ne se forment pas seulement ainsi au fonds de l’œil, mais elles passent encores au delà iusques au cerueau, comme vous entendrés facilement, si vous pensés, que par exemple, les rayons qui Maire, p. 50
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vienent dans l’œil de l’obiet V, touchent au point R l’extremité de l’vn des petits filets AT VI, 129 du nerf optique, qui prend son origine de l’endroit 7 de la superficie interieure du cerueau 789 ; et ceux de l’obiet X, touchent au point S l’extremité d’vn autre de ces filets, dont le commencement est au point 8 ; et ceux de l’obiet Y, en touchent vn autre au point T, qui respond à l’endroit du cerueau marqué 9. Et ainsi des autres. Et que la lumiere n’estant autre chose qu’vn mouuement, ou vne action qui tend à causer quelque mouuement, ceux de ses rayons, qui vienent d’ V vers R, ont la force de mouuoir tout le filet R7, et par consequent l’endroit du cerueau marqué 7 ; et ceux qui vienent d’X vers S, de mouuoir tout le nerf S8, et mesme de le mouuoir d’autre façon que n’est meu R7, à cause que les obiets X et V sont de deux diuerses couleurs, et ainsi que ceux qui vienent d’Y, meuuent le point 9. D’où il est manifeste qu’il se forme derechef vne peinture 789, assés semblable aux obiets VXY, en la superficie interieure du cerueau qui regarde ses concauités. Et de là ie pourois encores la transporter iusques à vne certaine petite glande, qui se trouue enuiron le milieu de ces concauités, et est proprement le siege du sens commun. Mesme ie pourois encores plus outre vous monstrer cõment quelquefois, elle peut passer de là par les arteres d’vne fẽme enceinte, iusques à quelq; membre determiné de l’enfant qu’elle porte en ses entrailles, et y former ces marques d’enuie, qui causent tant d’admiration à tous les Doctes.

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AT VI, 130

DE LA VISION.
Discours sixiesme.

Or encores que cette peinture en passant ainsi iusques au dedans de nostre teste, retiene tousiours quelque chose de la resemblance des obiets dont elle procede ; il ne se faut point toutesfois persuader, ainsi que ie vous ay desia tantost assés fait entendre, que ce soit par le moyen de cette resemblance qu’elle face que nous les sentons, comme s’il y auoit derechef d’autres yeux en nostre cerueau, auec lesquels nous la pussions aperceuoir. Mais plustost que ce sont les mouuemens par lesquels elle est composée, qui agissans immediatement contre nostre ame tantd’autant qu’elle est vnie à nostre cors, sont institués de la nature pour luy faire auoir de tels sentimens. Ce que ie vous veux icy expliquer plus en detail. Toutes les qualités que nous aperceuons dans les obiets de la veuë, peuuent estre reduites à six principales, qui sont, la lumiere, la couleur, la situation, la distance, la grandeur, et la figure. Et premierement touchant la lumiere et la couleur, qui seules apartienent proprement au sens de la veuë, il faut penser que nostre ame est de telle nature, que la force des mouuemens, qui se trouuent dans les endroits du cerueau, d’où vienẽt les petits filets des nerfs optiques, luy fait auoir le sentiment de la lumiere ; et la façon de ces AT VI, 131 mouuemens, celuy de la couleur. ainsi que les mouuemens des nerfs qui respondent aux oreilles, luy font oüir les sons ; et ceux Maire, p. 52
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des nerfs de la langue, luy font gouster les saueurs ; et generalement, ceux des nerfs de tout le cors, luy font sentir quelque chatoüillement, quand ils sont moderés, et quand ils sont trop violents ; quelque douleur ; sans qu’il doiue, en tout cela, y auoir aucune resemblance entre les idées qu’elle conçoit, et les mouuemens qui causent ces idées. Ce que vous croirés facilement, si vous remarqués, qu’il semble à ceux qui reçoiuent quelque blessure dans l’œil, qu’ils voyent vne infinité de feux et d’esclairs deuant eux, nonobstant qu’ils ferment les yeux, ou bien qu’ils soyent en lieu fort obscur ; en sorte que ce sentiment ne peut estre attribué qu’a la seule force du coup, laquelle meut les petits filets du nerf optique, ainsi que feroit vne violente lumiere. Et cette mesme force touchant les oreilles, pourroit faire ouir quelque son ; et touchant le cors en d’autres parties, y faire sentir de la douleur. Et cecy se confirme aussy, de ce que si quelquefois on force ses yeux à regarder le soleil, ou quelqu’autre lumiere fort viue, ils en retienent aprés vn peu de temps l’impression, en telle sorte, que nonobstant mesme qu’on les tiene fermés, il semble qu’on voye diuerses couleurs, qui se changent et passent de l’vne à l’autre, à mesure qu’elles s’affoiblissent : car cela ne peut proceder que de ce que les petits filets du nerf optique, ayant esté meus extrordinairement fort, ne se peuuent arrester si tost que de coustume. Mais l’agitation, qui est encores en eux apres que les yeux sont AT VI, 132 fermés, n’estant plus assés grande, pour representer cette forte lumiere, qui l’a causée, represente des couleurs moins viues. Et ces couleurs se changent en s’affoiblissant, Maire, p. 53
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ce qui monstre que leur nature ne consiste qu’en la diuersité du mouuement, et n’est point autre que ie l’ay cy dessus supposée. Et enfin cecy se manifeste de ce que les couleurs paroissent souuent en des cors transparens, où il est certain, qu’il n’y a rien qui les puisse causer, que les diuerses façons, dont les rayons de la lumiere y sont receus. comme lors que l’arc-en-ciel paroist dans les nuës, et encores plus clairement, lors qu’on en voit la resemblance dans vn verre, qui est taillé à plusieurs faces.

Mais il faut icy particulierement considerer, en quoy consiste la quantité de la lumiere, qui se voit, c’est à dire, de la force dont est meu chacun des petits filets du nerf optique, car elle n’est pas tousiours esgale à la lumiere, qui est dans les obiets, mais elle varie à raison de leur distance, et de la grandeur de la prunelle, et aussy à raison de l’espace que les rayons, qui vienent de chasque point de l’obiet, peuuent occuper au fonds de l’œil. Comme par exempleVoyés la figure en la page suiuante., il est manifeste que le point X enuoyeroit plus de rayons dans l’œil B, qu’il ne fait, si la prunelle FF estoit ouuerte iusques à G ; et qu’il en enuoye tout autant en cet œil B, qui est proche de luy, et dont la prunelle est fort estroitte, qu’il fait en l’œil A, dont la prunelle est beaucoup plus grande, mais qui est à proportion plus esloigné. Et encores qu’il n’entre pas plus de rayons des diuers points de l’obiet AT VI, 133 VXY, considerés tous ensemble, dans le fonds de l’œil A, que dans celuy de l’œil B, toutes fois pource que ces rayons ne s’y estendent qu’en l’espace TR, qui est plus petit que n’est HI, dans lequel ils s’estendent au fonds de l’œil B, ils y doiuent Maire, p. 54
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agir auec plus de force, contre chacune des extremités du nerf optique qu’ils y touchent, ce qui est fort aisé à calculer. Car si par exemple, l’espace HI est quadruple de TR, et qu’il contiene les extremités de quatre mille des petits filets du nerf optique, TR, ne contiendra que celles de mille, et par consequent chacun de ces petits filets sera meu dans le fonds de l’œil A, par la milliesme partie des forces, qu’ont tous les rayons qui y entrent, iointes ensemble ; et dans le fonds de l’œil B, par le quart de la milliesme partie seulement. Il faut aussy considerer, qu’on ne peut discerner les parties des cors qu’on regarde, qu’en tant qu’elles different en quelque façon de couleur : et que la vision distincte de ces couleurs, ne depend pas seulement de ce que tous les rayons, qui vienent de chasque point de l’obiet, se rassemblent à peu prés en autant d’autres diuers points ; au fonds de l’œil ; et de ce qu’il n’en vient aucuns autres d’ailleurs, vers ces mesmes poins, ainsi qu’il a esté tantost amplement expliqué : mais aussy de la multitude des petits filets du nerf optique, qui Maire, p. 55
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sont en l’espace qu’occupe l’image au fonds de l’œil. Car si par exemple l’obiet VXY, est AT VI, 134 composé de dix mille parties, qui soyent disposées à enuoyer des rayons, vers le fonds de l’œil RST, en dix mille façons differentes, et par consequent à faire voir en mesme temps dix mille couleurs, elles n’en pourront neantmoins faire distinguer à l’ame que mille tout au plus, si nous supposons qu’il n’y ait que mille, des filets du nerf optique, en l’espace RST, d’autant que dix des parties de l’obiet, agissant ensemble contre chacun de ces filets, ne le peuuent mouuoir que d’vne seule façon, composée de toutes celles dont elles agissent, en sorte que l’espace qu’occupe chacun de ces filets ne doit estre consideré que comme vn point. Et c’est ce qui fait que souuent vne prairie qui sera peinte d’vne infinité de couleurs toutes diuerses, ne paroistra de loin que toute blanche, ou toute bleuë. Et generalement que tous les cors se voyent moins distinctement de loin, que de prés. Et enfin que plus on peut faire que l’image d’vn mesme obiet occupe d’espace au fonds de l’œil, plus il peut estre vû distinctement. Ce qui sera cy aprés fort à remarquer.

Pour la situation, c’est à dire, le costé vers lequel est posée chasque partie de l’obiet au respect de nostre cors, nous ne l’aperceuons pas autrement par l’entremise de nos yeux, que par celle de nos mains ; et sa cognoissance ne depend d’aucune image, ny d’aucune action qui viene de l’obiet ; mais seulement de la situation des petites parties du cerueau d’où les nerfs Maire, p. 56
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prenent leur origine. Car cette situation se changeant tant soit peu, à chasque fois que se change celle des membres, où ces nerfs sont inserés, est instituée AT VI, 135 de la nature, pour faire, non seulement que l’ame cognoisse, en quel endroit est chasque partie du cors qu’elle anime, au respect de toutes les autres ; mais aussy qu’elle puisse transferer de là son attention, à tous les lieux contenus dans les lignes droites, qu’on peut imaginer estre tirées de l’extremité de chacune de ces parties, et prolongées à l’infini. Comme lors que l’Aueugle, dont nous auons desia tant parlé cy dessus, tourne sa main A, vers E, ou C, aussy vers E, les nerfs inserés en cette main, causent vn certain changement en son cerueau, qui donne moyen à son ame de connoistre, non seulement le ieulieu A, ou C, mais aussy tous les autres qui sont en la ligne droite AE, ou CE, en sorte qu’elle peut porter son attention iusques aux obiets B et D, et determiner les lieux où ils sont, sans connoistre pour cela ny penser aucunement à ceux où sont ses deux mains. Et ainsi lors que nostre œil, ou nostre teste, se tournent vers quelque costé, nostre ame en est auertie par le changement, que les nerfs inserés dans les muscles, qui seruent à ces mouvemens, causent en nostre cerueau. Comme icy en l’œil RST, il faut penser que la situation, du petit filet du nerf optique, qui est au point R, ou S, ou T ; est suiuie d’vne autre certaine situation, de la partie du cerueau 7, ou 8, ou 9, qui fait que l’ame peut Maire, p. 57
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connoistre tous les lieux, qui sont en la ligne RV, ou SX, ou TY. De façon que vous ne devés pas trouuer estrange, que les obiets puissent estre veus en leur vraye situation, AT VI, 136 non obstant que la peinture, qu’ils impriment dans l’œil, en ait vne toute contraire. Ainsi que nostre aueugle peut sentir en mesme temps l’obiet B, qui est à droite, par l’entremise de sa main gauche ; et D, Maire, p. 58
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qui est à gauche, par l’entremise de sa main droite. Et comme cet aueugle ne iuge point qu’vn cors soit double, encore qu’il le touche de ses deux mains, ainsi lors que nos yeux sont tous deux disposés en la AT VI, 137 façon qui est requise pour porter nostre attention vers vn mesme lieu, ils ne nous y doiuent faire voir qu’vn seul obiet, non obstant qu’il s’en forme en chascun d’eux vne peinture.

La vision de la distance, ne depend non plus, que celle de la situation d’aucunes images enuoyées des obiets. Mais premierement de la figure du cors de l’œil ; car, comme nous auons dit, ceste figure doit estre vn peu autre, pour nous faire voir ce qui est proche de nos yeux, que pour nous faire voir ce qui en est plus esloigné. Et à mesure que nous la changeons pour la proportionner à la distance des obiets, nous changeons aussy certaine partie de nostre cerueau, d’vne façon qui est instituée de la nature pour faire aperceuoir à nostre ame cette distance. Et cecy nous arriue ordinairement sans que nous y facions de reflexion ; tout de mesme que lors que nous serrons quelque cors, de nostre main, nous la conformons à la grosseur et à la figure de ce cors, et le sentons par son moyen, sans qu’il soit besoin pour cela que nous pensions à ses mouuemens. Nous cognoissons en second lieu la distance par le rapport qu’ont les deux yeux l’vn à l’autre. Car comme nostre aueugle tenant les deux bastons AE, CE, dont ie suppose qu’il ignore la longueur, et sçachant seulement l’intervale qui est entre Maire, p. 59
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ses deux mains A et C, et la grandeur des angles ACE, CAE, peut de là, comme par vne Geometrie naturelle cognoistre où est le point E. Ainsi, quand nos deux yeux RST et rst, sont tournés vers X, la grandeur de la ligne Ss, et celle des deux angles XSs et XsS nous font sçauoir où est le point X. AT VI, 138 Nous pouuons aussy le mesme par l’aide d’vn œil seul en luy faisant Maire, p. 60
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changer de place, comme si le tenant tourné vers X, nous le mettons premierement au point S et incontinent apres au point s, cela suffira pour faire que la grandeur de la ligne Ss et des deux angles XSs et XsS se trouuent ensemble en nostre fantaisie, et nous facent aperceuoir la distance du point X. Et ce par vne action de la pensée, qui n’estant qu’vne imagination toute simple, ne laisse point d’enueloper en soy vn raisonnement tout semblable à celuy que font les Arpenteurs, lors que par le moyen de deux differentes stations ils mesurent les lieux inaccessibles. Nous auons encores vne autre façon d’aperceuoir la distance, à sçauoir, par la distinction ou confusion de la figure, et ensemble par la force ou debilité de la lumiere. Comme pendant que nous regardons fixement vers X, les rayons qui vienent des obiets 10 et 12, ne s’assemblent pas si exactement vers R, et vers T, au fonds de nostre œil, que si ces obiets estoyent aux points V, et Y ; d’où nous voyons, qu’ils sont plus esloignés, ou plus proches de nous, que n’est X. Puis de ce que la lumiere, qui vient de l’obiet 10 vers nostre œil, est plus forte, que si cet obiet estoit vers V, nous le iugeons estre plus proche : et de ce que celle qui vient de l’obiet 12, est plus foible, que s’il estoit vers Y, nous le iugeons plus esloigné. Enfin quand nous imaginons desia d’ailleurs la grandeur d’vn obiet, ou sa situation, ou la distinction de sa figure et de ses couleurs, ou seulement la force de la lumiere qui vient de luy, cela nous peut seruir, non pas proprement AT VI, 139 à voir, mais à imaginer sa distance. Comme regardant de loin quelque cors, que nous auons accoustumé AT VI, 140 de Maire, p. 61
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voir de prés, nous en iugeons bien mieux l’esloignement, que nous ne ferions si sa grandeur nous estoit moins connuë. Et regardant vne montaigne exposée au soleil, au delà d’vne forest couuerte d’ombre, ce n’est que la situation de cette forest, qui nous la fait iuger la plus proche. Et regardant sur mer deux vaisseaux, dont l’vn soit plus petit que l’autre, mais plus proche à proportion, en sorte qu’ils paroissent esgaux, nous pourrons par la difference de leurs figures, et de leurs couleurs, et de la lumiere qu’ils enuoyent vers nous, iuger lequel sera le plus loin.

Au reste pour la façon dont nous voyons la grandeur, et la figure des obiets, ie n’ay pas besoin d’en rien dire de particulier, d’autant qu’elle est toute comprise, en celle dont nous voyons la distance, et la situation de leurs parties. À sçauoir leur grandeur s’estime, par la connoissance, ou l’opinion, qu’on a de leur distance, comparée auec la grandeur des images qu’ils impriment au fonds de l’œil ; et non pas absolument par la grandeur de ces images. ainsi qu’il est assés manifeste de ce que encore qu’elles soyent, par exemple, cent fois plus grandes, lors que les obiets sont fort proches de nous, que lors qu’ils en sont dix fois plus esloignés, elles ne nous les font point voir pour cela cent fois plus grãds, mais presque esgaux, au moins si leur distance ne nous trompe. Et il est manifeste aussy, que la figure se iuge par la cognoissance, ou opinion, qu’on a de la situation des diuerses parties des obiets ; et non par la resemblance des peintures qui sont dans l’œil. Car ces peintures ne contienent ordinairement que des ouales et des lozanges, AT VI, 141 lors qu’elles Maire, p. 63
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nous font voir des cercles et des quarrés.

Mais afin que vous ne puissiés aucunement douter, que la vision ne se face ainsi que ie l’ay expliquée, ie vous veux faire encore icy considerer les raisons, pourquoy il arriue quelquefois qu’elle nous trompe. Premierement à cause que c’est l’ame qui voit, et non pas l’œil, et qu’elle ne void immediatement que par l’entremise du cerueau, de là vient que les frenetiques, et ceux qui dorment, voyent souuent, ou pensent voir, diuers obiets qui ne sont point pour cela deuant leurs yeux : à sçauoir quand quelques vapeurs remuant leur cerueau, disposent celles de ses parties, qui ont coustume de seruir à la vision, en mesme façon que feroyent ces obiets s’ils estoyent presens. Puis à cause que les impressions, qui vienent de dehors, passent vers le sens commun par l’entremise des nerfs, si la situation de ces nerfs est contrainte par quelque cause extrordinaire, elle peut faire voir les obiets en d’autres lieux qu’ils ne sont. Comme si l’œil rst, estant disposé de soy à regarder vers X, est cõtraint par le doigt N, à se tourner vers M, les parties du cerueau d’où vienent ses nerfs, ne se disposeront pas tout à fait en mesme sorte, que si c’estoyent ses muscles qui le tournassent vers M ;Voyés la figure en la page 59. ny aussy en mesme sorte, que s’il regardoit veritablement vers X ; mais d’vne façon moyenne entre ces deux, à sçauoir, comme s’il regardoit vers Y ; et ainsi l’obiet M paroistra au lieu où est Y, par l’entremise de cet œil, et Y au lieu où est X, et X au lieu où est V, et ces obiets paroissans aussy AT VI, 142 en mesme temps en leurs vrais lieux, par l’entremise de l’autre œil RST, ils sembleront doubles. En mesme façon que touchant la Maire, p. 64
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petite boule G, des deux doigts A et D croisés l’vn sur l’autre, on en pense toucher deux ; à cause que pendant que ces doigts se retienent l’vn l’autre ainsi croisés, les muscles de chacun d’eux tendent à les escarter, A vers C, et D vers F, au moyen de quoy, les parties du cerueau d’où vienent les nerfs, qui sont inserés en ces muscles, se trouuent disposées en la façon qui est requise, pour faire qu’ils semblent estre, A vers B, et D vers E, et par consequent y toucher deux diuerses boules, H, et I. De plus, à cause que nous sommes accoustumés de iuger, que les impressions qui meuuent nostre veuë, vienent des lieux vers lesquels nous deuons regarder pour les sentir, quand il arriue qu’elles vienent d’ailleurs, nous y pouuons facilement estre trompés. Comme ceux qui ont les yeux infectés de la iaunisse, ou bien qui regardent au trauers d’vn verre iaune, ou qui sont enfermés dans vne chambre où il n’entre aucune lumiere que par de tels verres, attribuent ceste couleur à tous les cors qu’ils regardent. Et celuy qui est dans la chambre obscure que Voyés la figure en la page 61.i’ay tantost descrite, attribue au cors blanc RST les couleurs des obiets VXY, à cause que c’est seulement vers luy qu’il dresse sa veuë. Et les yeux A, B, C, D, E, F, voyans les obiets T, V, X, Y, Z, &, au trauers des verres N, O, P, et dans les miroirs QRS, les iugent estre aux points G, H, I, K, L, M ; et AT VI, 143 V, Z, estre plus petits, et X, &, plus grands qu’ils ne sont : ou bien aussy X, &, plus petits & auec cela renuersés, à sçavoir, lors qu’ils sont vn peu loin des yeux CF, d’autant que ces verres et ces Maire, p. 65
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miroirs detournent les rayons qui vienent de ces obiets, en telle sorte, que ces yeus ne les peuuent voir distinctement, qu’en se disposant comme ils doiuent estre pour regarder vers les points G, H, I, K, L, M, ainsi que Maire, p. 66
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connoistront facilement ceux qui prendront la peine de AT VI, 144 l’examiner. Et ils verront par mesme moyen, combien les anciens se sont abusés en leur Catoptrique, lors qu’ils ont voulu determiner le lieu des images, dans les miroirs creux, et conuexes. Il est aussy à remarquer que tous les moyens qu’on a pour connoistre la distance, sont fort incertains, car quant à la figure de l’œil, elle ne varie quasi plus sensiblement lors que l’obiet est a plus de quatre ou cinq pieds loin de luy, et mesme elle varie si peu lors qu’il est plus proche, qu’on n’en peut tirer aucune connoissance bien precise. Et pour les angles, compris entre les lignes tirées des deus yeux l’vn à l’autre et delà vers l’obiet, ou de deus stations d’vn mesme obiet, ils ne varient aussy presque plus lors qu’on regarde tant soit peu loin. En suite de quoy nostre sens commun mesme ne semble pas estre capable de receuoir en soy l’idée d’vne distance plus grande qu’enuiron de cent ou deus cens pieds. ainsi qu’il se peut verifier de ce que la lune et le soleil, qui sont du nombre des cors les plus esloignés que nous puissions voir, et dont les diametres sont à leur distance à peu prés comme vn à cent, n’ont coustume de nous paroistre que d’vn ou deus pieds de diametre tout au plus, nonobstant que nous sçachions assés par raison, qu’ils sont extremement grands, et extremement esloignés. Car cela ne nous arriue pas, faute de les pouuoir conceuoir plus grands que nous ne faisons, vû que nous conceuons bien des tours et des montaignes beaucoup plus grandes, mais pource que ne les pouuant conceuoir plus esloignés que de cent ou deus cens pieds, il suit de là que leur diametre ne nous doit Maire, p. 67
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paroistre que d’vn ou de deus AT VI, 145 pieds. En quoy la situation ayde aussy à nous tromper, car ordinairement ces Astres semblent plus petits lors qu’ils sont fort hauts vers le midy, que lors que se leuant, ou se couchant, il se trouue diuers obiets entre eus et nos yeus, qui nous font mieus remarquer leur distance. Et les Astronomes esprouuent assés en les mesurant auec leurs instrumens, que ce qu’ils paroissent ainsi plus grands vne fois que l’autre, ne vient point de ce qu’ils se voyent sous vn plus grand angle, mais de ce qu’ils se iugent plus esloignés. d’où il suit que l’axiome de l’anciene Optique, qui dit, que la grandeur apparente des obiets est proportionnée à celle de l’angle de la vision, n’est pas tousiours vray. On se trompe aussy en ce que les cors blancs ou lumineus, et generalement tous ceus qui ont beaucoup de force pour mouuoir le sens de la veuë, paroissent tousiours quelque peu plus proches et plus grands, qu’ils ne feroient s’ils en auoient moins. Or la raison qui les fait paroistre plus proches, est que le mouuement dont la prunelle s’estrecist pour euiter la force de leur lumiere, est tellement ioint auec celuy qui dispose tout l’œil à voir distinctement les obiets proches, et par lequel on iuge de leur distance, que l’vn ne se peut gueres faire, sans qu’il se face aussy vn peu de l’autre. En mesme façon qu’on ne peut fermer entierement les deus premiers doigts de la main, sans que le troisiesme se courbe aussy quelque peu comme pour se fermer auec eus. Et la raison pourquoy ces cors blancs ou lumineus paroissẽt plus grands, ne consiste pas seulement en ce que l’estime qu’on fait de leur grandeur depend de celle AT VI, 146 de leur distance, Maire, p. 68
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mais aussy en ce que leurs images s’impriment plus grandes dans le fonds de l’œil. Car il faut remarquer que les bouts des filets du nerf optique qui le couurent, encores que trés petits, ont neantmoins quelque grosseur ; en sorte que chacun d’eus peut estre touché en l’vne de ses parties par vn obiet, et en d’autres par d’autres ; et que n’estant toutesfois capable d’estre meu que d’vne seule façon à chasque foix, lors que la moindre de ses parties est touchée par quelqu’obiet fort esclattant, et les autres par d’autres qui le sont moins, il suit tout entier le mouuement de celuy qui est le plus esclatant, et en represente l’image, sans representer celle des autres. Comme si les bouts de ces petits filets sont 1 2 3, et que les rayons qui vienent, par exemple ; tracer l’image d’vne estoile sur le fonds de l’œil, s’y estendent sur celuy qui est marqué 1, et tant soit peu au dela tout autour sur les extremités des six autres marqués 2, sur lesquels ie suppose qu’il ne vient point d’autres rayons, que fort foibles, des parties du ciel voisines à cette estoile, son image s’estendra en tout l’espace qu’occupent ces six marqués 2, et mesme peut estre encores en tout celuy qu’occupent les douze marqués 3, si la force du mouuement est si grande, qu’elle se communique aussy à eus. Et ainsi vous voyés que les Estoiles, quoy qu’elles paroissent assés petites ; paroissent neantmoins beaucoup plus grandes qu’elles ne deuroient à raison de leur extreme distance ; Et qu’encores qu’elles ne seroient pas entierement rondes, elles ne lairroient pas de paroistre telles. Comme AT VI, 147 aussy vne tour quarrée estant veüe de loin paroist ronde. Et tous les cors qui Maire, p. 69
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ne tracent que de fort petites images dans l’œil, n’y peuuent tracer les figures de leurs angles. Enfin pour ce qui est de iuger de la distance par la grandeur, ou la figure, ou la couleur, ou la lumiere, les tableaus de Perspectiue nous monstrent assés, combien il est facile de s’y tromper. Car souuent, parce que les choses, qui y sont peintes, sont plus petites, que nous ne nous imaginons qu’elles doiuent estre, et que leurs lineamens sont plus confus, et leurs couleurs plus brunes, ou plus foibles, elles nous paroissent plus esloignées qu’elles ne sont.

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DES MOYENS DE PERFECTIONNER LA VISION.
Discours Septiesme.

Maintenant que nous auons assés examiné comment se fait la vision, receuueillons en peu de mots, et nous remettons deuant les yeux toutes les conditions, qui sont requises à sa perfection ; afin que considerant en quelle sorte il a desia esté pourvû à chacune par la Nature, nous puissions faire vn denombrement exact, de tout ce qui reste encore à l’art à y adiouster. On peut reduire toutes les choses, ausquelles il faut auoir icy esgard, à trois principales, AT VI, 148 qui sont, les obiets, les organes interieurs qui reçoiuent les actions de ces obiets, et les exterieurs qui disposent ces actions à estre receues comme elles doiuent. Et touchant les obiets, il suffit de sçauoir, que les vns sont proches ou accessibles, et les autres esloignés et inaccessibles ; et auec cela les vns plus, les autres moins illuminés : afin que nous soyons auertis que pource qui est des accessibles, nous les pouuons approcher ou esloigner, et augmẽter ou diminuer la lumiere qui les esclaire, selon qu’il nous sera le plus commode ; mais que pour ce qui concerne les autres, nous n’y pouuons changer aucune chose. Puis touchant les organes interieurs, qui sont les nerfs et le cerueau, il est certain aussy, que nous ne sçaurions rien adiouter par Maire, p. 71
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art à leur fabrique ; car nous ne sçaurions nous faire vn nouueau cors ; et si les medecins y peuuent ayder en quelque chose, cela n’apartient point à nostre suiet. Si bien qu’il ne nous reste à considerer que les organes exterieurs, entre lesquels ie comprens toutes les parties transparentes de l’œil, aussy bien que tous les autres cors qu’on peut mettre entre luy et l’obiet. Et ie trouue que toutes les choses ausquelles il est besoin de pouruoir auec ces organes exterieurs, peuuent estre reduites à quattre points. Dont le premier est, que tous les rayons, qui se vont rendre vers chacune des extremités du nerf optique, ne vienent autant qu’il est possible que d’vne mesme partie de l’obiet, et qu’ils ne reçoiuent aucun changement en l’espace qui est entre deus : car sans cela les images qu’ils forment, ne sçauroient estre ny bien semblables à leur original, AT VI, 149 ny bien distinctes. Le second, que ces images soient fort grandes ; non pas en estendue de lieu, car elles ne sçauroient occuper que le peu d’espace qui se trouue au fonds de l’œil ; mais en l’estendue de leurs lineamens ou de leurs trais. car il est certain qu’ils seront d’autant plus aysés à discerner qu’ils seront plus grands. Le troisiesme, que les rayons qui les forment soyent assés forts pour mouuoir les petits filets du nerf optique, et parcepar ce moyen estre sentis ; mais qu’ils ne le soyent pas tant qu’ils blessent la veuë. Et le quatriesme, qu’il y ait le plus d’obiets qu’il sera possible, dont les images se forment dans l’œil en mesme temps, afin qu’on en puisse voir le plus qu’il sera possible tout d’vne veuë.

Or la nature a employé plusieurs moyens à pouruoir Maire, p. 72
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à la premiere de ces choses. Car premierement remplissant l’œil de liqueurs fort transparentes, et qui ne sont teintes d’aucune couleur, elle a fait que les actions qui vienent de dehors, peuuent passer iusques au fonds sans se changer. Et par les refractions que causent les superficies de ces liqueurs, elle a fait qu’entre les rayons, suiuant lesquels ces actions se conduissentcõduisent, ceux qui vienent d’vn mesme point, se rassemblent en vn mesme point contre le nerf ; et en suite, que ceux qui vienent des autres points, s’y rassemblent aussy en autant d’autres diuers points, le plus exactement qu’il est possible. Car nous deuons supposer que la nature a fait en cecy tout ce qui est possible, d’autant que l’experience ne nous y fait rien aperceuoir au contraire. Et mesme nous voyons, que pour rendre d’autant moindre le defaut, qui ne peut AT VI, 150 en cecy estre totalement euité, elle a fait qu’on puisse restrecir la prunelle quasi autant que la force de la lumiere le permet. Puis par la couleur noire, dont elle a teint toutes les parties de l’œil opposées au nerf, qui ne sont point transparentes, elle a empesché qu’il n’allast aucuns autres rayons vers ces mesmes points. Et enfin par le changement de la figure du cors de l’œil, elle a fait qu’encore que les obiets en puissent estre plus ou moins esloignés vne fois que l’autre, les rayons qui vienent de chacun de leurs points, ne laissent pas de s’assembler tousiours, aussy exactement qu’il se peut, en autant d’autres points au fonds de l’œil. Toutefois elle n’a pas si entierement pourvû à cette derniere partie, qu’il ne se trouue encore quelque chose à y adiouter : car outre que communement à tous, elle ne Maire, p. 73
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nous a pas donné le moyen de courber tant les superficies de nos yeux, que nous puissions voir distinctement les obiets qui en sont fort proches, comme à vn doigt ou vn demi doigt de distance : Elle y a encore manqué d’auantage en quelques vns, à qui elle a fait les yeux de telle figure, qu’ils ne leur peuuent seruir qu’a regarder les choses esloignées, ce qui arriue principalement aus vieillars ; Et aussy en quelques autres, à qui au contraire elle les a faits tels, qu’ils ne leur seruent qu’a regarder les choses proches, ce qui est plus ordinaire aux ieunes gens. En sorte qu’il semble que les yeux se forment au commencement vn peu plus longs et plus estrois qu’ils ne doiuẽt estre, et que par aprés pendãt qu’on vieillist, ils deuienẽt plus plats et plus larges. Or afin que nous puissions remedier par art à ces defauts, AT VI, 151 il sera premierement besoin que nous cherchions les figures, que les superficies d’vne piece de verre ou de quelq; autre cors transparent doiuent auoir, pour courber les rayons, qui tombent sur elles, en telle sorte que tous ceux qui vienẽt d’vn certain point de l’obiet, se disposẽt en les trauersant, tout de mesme que s’ils estoient venus d’vn autre point, qui fust plus proche, ou plus esloigné : à sçauoir, qui fust plus proche, pour seruir à ceux qui ont la veuë courte ; et qui fust plus esloigné, tant pour les vieillars, que generalement pour tous ceux, qui veulẽt voir des obiets plus proches que la figure de leurs yeux ne le permet. Car par exẽple l’œil B, ou C, estant disposé à faire que tous les rayons qui vienẽt du point H, ou I, s’assemblent au milieu de son fonds ; et ne le pouuant estre, à faire aussy que ceux du point V, ou X, s’y assemblent ; il est euident, que si on met au deuãt de Maire, p. 74
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luy le verre O, ou P, qui face que tous les rayons du point V, ou X, entrent dedans, tout de mesme que s’ils venoyent du point H, ou I, on suppleera par ce moyen à son defaut. Puis à cause qu’il peut y auoir des verres de plusieurs diuerses figures, qui ayent en cela exactement le mesme effect, il sera besoin, pour choisir les plus AT VI, 152 propres à nostre dessein, que nous prenions encore garde principalement à deux cõditions. Dont la premiere est, que ces figures soyent les plus simples et les plus aysées à descrire et à tailler qu’il sera possible. Et la seconde, que par leur moyen les rayons qui vienent des autres points de l’obiet, comme EE, entrent dans l’œil à peu prés de mesme, que s’ils venoient d’autant d’autres points, comme FF. Et notés que ie dis seulement icy à peu prés, non autant qu’il est possible ; car outre qu’il seroit peut estre assés mal-aysé à determiner par Geometrie, entre vne infinité de figures qui peuuent seruir à ce mesme effect, celles qui y sont exactement les plus propres, il seroit entierement inutile ; à cause que l’œil mesme ne faisant pas, que tous les rayons qui vienent de diuers Maire, p. 75
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points, s’assemblent iustement en autant d’autres diuers points, elles ne seroyent pas sans doute pour cela les plus propres à rendre la vision bien distincte. Et il est impossible en cecy de choisir autrement qu’a peu prés, à cause que la figure precise de l’œil ne nous peut estre cognue. De plus nous aurons tousiours à prendre garde, lors que nous appliquerons ainsi quelque cors au deuant de nos yeux, que nous imitions autant qu’il sera possible la nature, en toutes les choses que nous voyons qu’elle a obserué en les construisant : et que nous ne perdions aucun des auantages qu’elle nous a donnés, si ce n’est pour en gaigner quelque autre plus important.

Pour la grandeur des images, il est à remarquer, qu’elle depend seulement de trois choses. à sçauoir, de la distance qui est entre l’obiet, et le lieu où se AT VI, 153 croisent les rayons, qu’il enuoye de diuers de ses poins vers le fonds de l’œil ; puis de celle qui est entre ce mesme lieu, et le fonds de l’œil ; et enfin de la refraction de ces rayons. Comme il est euident que l’image RST seroit plus grande qu’elle n’est, si l’obiet VXY estoit plus proche du lieu K, où se croysent les rayons VKR et YKT, ou plustost de la superficie BCD, qui est proprement le lieu où ils commencent à se croiser, ainsi que vous verrés cyaprés : Ou bien si on pouuoit faire que le cors de l’œil fust plus long, en sorte qu’il y eust plus de distance qu’il n’y a, depuis sa superficie BCD, qui fait que ces rayons s’entrecroysent, iusques au fonds RST : Ou enfin si la refraction ne les courboit pas tant en dedans vers le milieu S, mais plustost, s’il estoit possible, en dehors. Et quoy qu’on imagine outre ces trois choses, il n’y a rien Maire, p. 76
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Maire, p. 77
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qui puisse rendre cette image plus grande. Mesme la derniere n’est quasi point du tout considerable, à cause qu’on ne peut iamais augmenter l’image par son moyen que de fort peu, et ce auec tant de difficulté, qu’on le peut tousiours plus aysement par l’vne des autres, ainsi que vous sçaurés tout maintenãt. Aussy voyons nous que la nature l’a negligée, car faisant que les rayons, cõme VKR et YKT se courbent en dedans vers S, sur les superficies BCD et 123 ; elle a rendu l’image RST vn peu plus petite, que si elle auoit fait qu’ils se courbassent en dehors, comme ils font vers 5 sur la superficie 456 ; ou qu’elle les eust laissé estre tous droits. On n’a point besoin aussy de considerer la premiere de ces trois choses AT VI, 154 lors que les obiets ne sont point du tout accessibles : mais lors qu’ils le sont, il est euident que d’autant que nous les regardons de plus prés, d’autant leurs images se forment plus grandes au fonds de nos yeux. Si-bien que la nature ne nous ayant pas donné le moyen de les regarder de plus prés, qu’enuiron à vn pied ou demi pied de distance, afin d’y adiouster par art tout ce qui se peut, il est seulement besoin d’interposer vn verre, tel que celuy qui est marqué P, Voyés en la page 74.dont il a esté parlé tout maintenant ; qui face que tous les rayons, qui vienent d’vn point le plus proche qu’il se pourra, entrent dans l’œil, comme s’ils venoient d’vn autre point plus esloigné. Or tout le plus qu’on puisse faire par ce moyen c’est qu’il n’y aura que la douze ou quinziesme partie d’autant d’espace entre l’œil et l’obiet, qu’il y en deuroit auoir sans cela : et ainsi que les rayons qui viendront de divers poins de cet obiet, se croissanscroisans douze ou quinze fois Maire, p. 78
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plus prés de luy ; ou mesme quelque peu d’auantage, à cause que ce ne sera plus sur la superficie de l’œil qu’ils commenceront à se croiser, mais plustost sur celle du verre, dont l’obiet sera vn peu plus proche ; ils formeront vne image, dont le diametre sera douze ou quinze fois plus grand qu’il ne pourroit estre si on ne se seruoit point de ce verre : et par consequent sa superficie sera enuiron deus cens fois plus grande, ce qui fera que l’obiet paroistra enuiron deux cent fois plus distinctement. au moyen de quoy, il paroistra aussy beaucoup plus grand, non pas deus cent fois iustement, mais plus ou moins à proportion de AT VI, 155 ce qu’on le iugera estre esloigné. Car par exemple, si en regardant l’obiet X au trauers du verre P, on Voyés en la page 74.dispose son œil C, en mesme sorte qu’il deuroit estre pour voir vn autre obiet, qui seroit à 20 ou 30 pas loin de luy, et que n’ayant d’ailleurs aucune cognoissance du lieu où est cet obiet X, on le iuge estre veritablement à trente pas, il semblera plus d’vn milion de fois plus grand qu’il n’est. en sorte qu’il pourra deuenir d’vne puce vn elephant ; car il est certain que l’image que forme vne puce au fonds de l’œil, lors qu’elle en est si proche, n’est pas moins grande, que celle qu’y forme vn elephant, lors qu’il en est à trente pas. Et c’est sur cecy seul qu’est fondée toute l’inuention de ces petites lunetes à puce composées d’vn seul verre, dont l’vsage est par tout assés commun : bien qu’on n’ait pas encores connu la vraye figure qu’elles doiuent auoir : et pource qu’on sçait ordinairement que l’obiet est fort proche, lors qu’on les employe à le regarder, il ne peut paroistre si grand, qu’il seroit, si on l’imaginoit plus esloigné.

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II ne reste plus qu’vn autre moyen pour augmenter la grandeur des images, qui est de faire que les rayons qui vienent de diuers points de l’obiet, se croisent le plus loin qu’il se pourra du fonds de l’œil. mais il est bien sans cõparaison, le plus important et le plus considerable de tous. Car c’est l’vnique qui puisse seruir pour les obiets inaccessibles, aussy bien que pour les accessibles, et dont l’effet n’a point de bornes : en sorte qu’on peut en s’en seruant augmenter les images de plus en plus iusques à vne grandeur indefinie. Comme par exemple, d’autãt que la premiere AT VI, 156 des trois liqueurs dont l’œil est rempli, cause à peu prés mesme refraction que l’eau commune, si on applique tout contre vn tuyau plein d’eau, comme EF, au bout duquel il y ait vn verre GHI, dont la figure soit toute semblable à celle de la peau BCD qui couure cette liqueur, et ait mesme rapport à la distance du fonds de l’œil ; il ne se fera plus aucune refraction à l’entrée de cet œil ; mais celle qui s’y faisoit auparauant, et qui estoit cause que tous les rayons qui venoient d’vn mesme point de l’obiet commencoient à se courber dés cet Maire, p. 80
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endroit-la, pour s’aller assembler en vn mesme point sur les extremités du nerf optique, et qu’en suite tous ceux qui venoyent de diuers points s’y croisoient, pour s’aller rendre sur diuers points de ce nerf, se fera des l’entrée du tuyau GI : si bien que ces rayons se croisans dés là, formeront l’image RST beaucoup plus grande, que s’ils ne se croisoient que sur la superficie BCD ; et ils la formeront de plus en plus grande selon que ce tuyau sera plus long. Et ainsi l’eau EF, faisant l’office de l’humeur K ; le verre GHI, celuy de la peau BCD ; et l’entrée du tuyau GI, celuy de la prunelle, la vision se fera en mesme façon que si la nature auoit fait l’œil AT VI, 157 plus long qu’il n’est, de toute la longeur de ce tuyau. Sans qu’il y ait autre chose à remarquer, sinon que la vraye prunelle sera pour lors, non seulement inutile, mais mesme nuisible, en ce qu’elle exclura, par sa petitesse, les rayons qui pourroient aller vers les costés du fonds de l’œil, et ainsi empeschera que les images ne s’y estendent, en autant d’espace qu’elles feroient, si elle n’estoit point si estroite. Il ne faut pas aussy que ie m’oublie de vous auertir, que les refractions particulieres, qui se font vn peu autrement dans le verre GHI, que dans l’eau EF, ne sont point icy considerables, à cause que ce verre estant par tout esgalement espais, si la premiere de ses superficies fait courber les rayons, vn peu plus que ne feroit celle de l’eau, la seconde les redresse d’autant à mesme temps. Et c’est pour cette mesme raison, que cydessus ie n’ay point parlé des refractions que peuuent causer les peaus qui enueloppent les humeurs de l’œil, mais seulement de celles de ses humeurs.

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Or d’autant qu’il y auroit beaucoup d’incommodité à ioindre de l’eau contre nostre œil, en la façon que ie vien d’expliquer ; et mesme que ne pouuant sçauoir precisement quelle est la figure de la peau BCD qui le couure, on ne sçauroit determiner exactement celle du verre GHI, pour le substituer en sa place ; il sera mieux de se seruir d’vne autre inuention. Et de faire par le moyen d’vn ou de plusieurs verres, ou autres cors transparens, enfermés aussy en vn tuyau, mais non pas ioints à l’œil si exactement qu’il ne demeure vn peu d’air entre deux, que des l’entrée de ce tuyau, les rayons qui vienent d’vn mesme point de l’obiet se AT VI, 158 plient, ou se courbent, en la façon qui est requise, pour faire qu’ils aillent se rassembler en vn autre point, vers l’endroit où se trouuera le milieu du fonds de l’œil, quand ce tuyau sera mis au deuant. Puis de rechef que ces mesmes rayons en sortant de ce tuyau se plient et se redressent en telle sorte qu’ils puissent entrer dans l’œil tout de mesme que s’ils n’auoient point du tout esté pliés, mais seulement qu’ils vinsent de quelque lieu qui fust plus proche. Et en suite, que ceux qui viendront de diuers points, s’estant croisés dés l’entrée de ce tuyau, ne se decroysent point à la sortie, mais qu’ils aillent vers l’œil en mesme façon que s’ils venoient d’vn obiet qui fust plus grand, ou plus proche. Comme si le tuyau HF est rempli d’vn verre tout solide, dont la superficie GHI soit de telle figure, qu’elle face que tous les rayons qui vienent du point X, estant dans le verre tendent vers S ; et que son autre superficie KM les plie de rechef en telle sorte, qu’ils tendent delà vers l’œil en mesme façon que s’ils venoient Maire, p. 82
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du point x, que ie suppose en tel lieu, que les lignes xC, et CS, ont entre elles mesme proportion que XH, et HS ; ceux qui viendront du point V les croyseront necessairement en la superficie GHI, de façon que se trouuant desia esloignés d’eus lors qu’ils seront à l’autre bout du tuyau, la superficie KM ne les en pourra pas rapprocher, principalement si elle est concaue, ainsi que ie la suppose, mais elle les renuoyra vers l’œil, à peu prés en mesme sorte que s’ils venoient du point y. au moyen de quoy ils formeront l’image RST d’autant plus grande, que le tuyau sera plus long. Et il ne sera point besoin, pour determiner AT VI, 159 les figures des cors transparents dont on voudra se seruir à cet effect, de sçauoir exactement quelle est celle de la superficie BCD.

Mais pour ce qu’il y auroit de rechef de l’incommodité à trouuer des verres ou autres tels cors qui fussent assés espais pour remplir tout le tuyau HF, et assés clairs et transparens pour n’empescher Maire, p. 83
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point pour cela le passage de la lumiere : on pourra laisser vuide tout le dedans de ce tuyau, et mettre seulement deux verres à ses deux bouts, qui facent le mesme effet que ie vien de dire que les deux superficies GHI et KLM deuoient faire. Et c’est sur cecy seul qu’est fondée toute l’inuention de ces lunetes composées de deux verres mis aus deux bouts d’vn tuyau, qui m’ont donné occasion d’escrire ce Traite.

Pour la troisiesme condition qui est requise à la perfection de la veuë de la part des organes exterieurs, à sçauoir, que les actions qui meuuent chasque filet du nerf optique, ne soient ny trop fortes ny trop foibles, la nature y a fort bien pourvû, en nous donnant le pouuoir d’estrecir et d’eslargir les prunelles de nos yeux. Mais elle a AT VI, 160 encore laissé à l’art quelque chose à y adiouster. Car premierement lors que ces Actions sont si fortes, qu’on ne peut assés estrecir les prunelles pour les souffrir, comme lors qu’on veut regarder le soleil, il est aysé d’y apporter remede en se mettant contre l’œil quelque cors noir, dans lequel il n’y ait qu’vn trou fort estroit, qui face l’office de la prunelle ; ou bien en regardant au trauers d’vn crespe, ou de quelqu’autre tel cors vn peu obscur, et qui ne laisse entrer en l’œil qu’autant de rayons de chasque partie de l’obiet, qu’il en est besoin pour mouuoir le nerf optique sans le blesser. Et lors que tout au contraire ses actions sont trop foibles pour estre senties, nous pouuons les rendre plus fortes, au moins quand les obiets sont accessibles, en les exposant aux rayons du soleil, tellement ramassés par l’ayde d’vn miroir ou verre bruslant, qu’ils ayent le plus de force Maire, p. 84
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qu’ils puissent auoir pour les illuminer sans les corrompre.

Puis outre cela, lors qu’on se sert des lunetes dont nous venons de parler, d’autant qu’elles rendent la prunelle inutile, et que c’est l’ouuerture par où elles reçoiuent la lumiere de dehors qui fait son office, c’est elle aussy qu’on doit eslargir ou estrecir, selon qu’on veut rendre la vision plus forte ou plus foible. Et il est à remarquer, que si on ne faisoit point cette ouuerture plus large qu’est la prunelle, les rayons agiroient moins fort contre chasque partie du fonds de l’œil, que si on ne se seruoit point de lunetes : et ce en mesme proportion, que les images qu’ils y formeroient seroient plus grandes : sans conter ce que les superficies des verres interposés ostent de leur force. AT VI, 161 Mais on peut la rendre beaucoup plus large, et ce d’autant plus, que le verre qui redresse les rayons, est situé plus proche du point vers lequel celuy qui les a pliés les faisoit tendre. Comme si le verre GgHi fait que tous les rayons qui vienent du point qu’on veut regarder tendent vers S, et qu’ils soient redressés par le verre KLM, en sorte que de là de la ils tendent paralleles vers l’œil : pour trouuer la plus grande largeur que puisse auoir l’ouuerture du tuyau, il faut faire la distance, qui est entre les points K et M, esgale au diametre de la prunelle ; puis tirant du point S deus lignes droites qui passent par K et M, à sçauoir SK, qu’il faut prolonger iusques à g ; et SM, iusques ài ; on aura gi, pour le diametre qu’on cherchoit. Car il est manifeste que si on la faisoit plus grande, il n’entreroit point pour cela dans l’œil plus de rayons du point vers lequel Maire, p. 85
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on dresse sa veuë, et que pour ceux qui y viendroient de plus des autres lieus, ne pouuans ayder à la vision, ils ne feroient que la rendre plus confuse. Mais si au lieu du verre KLM, on se sert de klm, qui à cause de sa figure doit estre mis plus proche du point S, on prendra de rechef la distance entre les points k et m esgale au diametre de la prunelle ; puis tirant les lignes droites SlkG, et SmI, on aura GI, pour le diametre de l’ouuerture cherchée, AT VI, 162 qui comme vous voyés est plus grand que gi, en mesme proportion que la ligne SL surpasse Sl. Et si cette ligne Sl n’est pas plus grande que le diametre de l’œil, la vision sera aussy forte à peu prés, et aussy claire, que si on ne se seruoit point de lunetes, et que les obiets fussent en recõpense plus proches qu’ils ne sont, d’autant qu’ils paroissent plus grands. En sorte que si la longeur du tuyau fait, par exemple, que l’image d’vn obiet esloigné de trente lieues se forme aussy grande dans l’œil, que s’il n’estoit esloigné que de trente pas ; la largeur de son entrée estant telle que ie viens de la determiner, fera que cet obiet se verra aussy clairement, que si, n’en estant veritablement esloigné Maire, p. 86
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que de trente pas, on le regardoit sans lunetes. Et si on peut faire cette distance entre les points S et lencore moindre, la vision sera encore plus claire.

Mais cecy ne sert principalement que pour les obiets inaccessibles ; car pour ceus qui sont accessibles l’ouuerture du tuyau peut estre d’autant plus estroite qu’on les en aproche d’auantage, sans pour cela que la vision en soit moins claire. Comme vous voyés qu’il n’entre pas moins de rayons du point X dans le petit verre gi, que dans le grand GI. Et enfin elle ne peut estre plus large que les verres qu’on y applique, lesquels à cause de leurs figures ne doiuent point exceder certaine grandeur, que ie determineray cyapres.

Que si quelquefois la lumiere qui vient des obiets est trop forte, il sera bien aysé de l’affoiblir, en couurant tout autour les extremités du verre qui est à AT VI, 163 l’entrée du tuyau : ce qui vaudra mieus que de mettre audeuant quelques autres verres plus troubles ou colorés, ainsi que plusieurs ont coustume de faire pour regarder le soleil : car plus cette entrée sera estroite, plus la vision sera distincte. ainsi qu’il a esté dit cydessus de la prunelle. Et mesme il faut obseruer, qu’il sera mieux de couurir le verre par le dehors que par le dedans, afin que les reflexions, qui se pouroient faire sur les bords de sa superficie, n’enuoyent vers l’œil aucuns rayons : car ces rayons ne seruans point à la vision, y pouroient nuire.

Il n’y a plus qu’vne condition qui soit desirée de la part des organes exterieurs, qui est de faire qu’on aperçoiue Maire, p. 87
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le plus d’obiets qu’il est possible en mesme temps. Et il est à remarquer qu’elle n’est aucunement requise pour la perfection de voir mieux ; mais seulement pour la commodité de voir plus ; estet mesme qu’il est impossible de voir plus d’vn seul obiet à la fois distinctement : en sorte que cette commodité, d’en voir cependant confusement plusieurs autres, n’est principalement vtile, qu’afin de sçauoir vers quel costé il faudra par aprés tourner ses yeux, pour regarder celuy d’entre eux qu’on voudra mieux considerer. Et c’est à quoy la nature a tellement pourvû, qu’il est impossible à l’art d’y adiouster aucune chose : mesme tout au contraire, d’autant plus que par le moyen de quelques lunetes on augmente la grandeur des lineamens de l’image qui s’imprime au fonds de l’œil ; d’autant fait on qu’elle represente moins d’obiets : à cause que l’espace qu’elle occupe ne peut aucunement estre augmenté, si ce n’est peut estre de fort peu en la renuersant, AT VI, 164 ce que ie iuge estre à reietter pour d’autres raisons. Mais il est aysé, si les obiets sont accessibles, de mettre celuy qu’on veut regarder en l’endroit où il peut estre vû le plus distinctement au trauers de la lunete ; et s’ils sont inaccessibles, de mettre la lunete sur vne machine, qui serue à la tourner facilement vers tel endroit determiné qu’on voudra. Et ainsi il ne nous manquera rien de ce qui rend le plus cette quatriesme condition considerable.

Au reste, afin que ie n’obmette icy aucune chose, i’ay encore à vous auertir, que les defauts de l’œil, qui consistent en ce qu’on ne peut assés changer la figure de l’humeur cristaline, ou bien la grandeur de la prunelle, se Maire, p. 88
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peuuent peu à peu diminuer et corriger par l’vsage ; à cause que cette humeur cristaline, et la peau qui contient cette prunelle, estant de vrais muscles, leurs fonctions se facilitent et s’augmentent lors qu’on les exerce ; ainsi que celles de tous les autres muscles de nostre cors. Et c’est ainsi que les chasseurs et les matelots en s’exerçant à regarder des obiets fort esloignés ; et les graueurs ou autres artisans, qui font des ouurages fort subtils, à en regarder de fort proches ; acquerent ordinairement la puissance des les voir plus distinctement que les autres hommes. Et c’est ainsi aussy, que ces Indiens qu’on dit auoir pû fixement regarder le soleil, sans que leur veuë en fust offusquée, auoient deu sans doute auparauant, en regardant souuent des obiets fort esclatans, accoustumer peu à peu leurs prunelles à s’estrecir plus que les nostres. Mais ces choses apartienent plustost à la Medecine, dont la fin est de remedier aus defauts de AT VI, 165 la veuë par la correction des organes naturels, que non pas à la Dioptrique, dont la fin n’est que de remedier aus mesmes defauts par l’application de quelques autres organes artificiels.

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DES FIGVRES QVE DOIVENT
auoir les cors transparens pour detourner les rayons par refraction en toutes les façons qui seruent à la veuë.
Discours Huictiesme.

Or afin que ie vous puisse tantost dire plus exactement en quelle sorte on doit faire ces organes artificiels, pour les rendre les plus parfaits qui puissent estre ; il est besoin que i’explique auparauant les figures que doiuent auoir les superficies des cors transparens pour plier et detourner les rayons de la lumiere en toutes les façons qui peuuent seruir à mon dessein. En quoy si ie ne me puis rendre assés clair et intelligible pour tout le monde, à cause que c’est vne matiere de Geometrie vn peu difficile ; ie tascheray au moins de l’estre assés pour ceux qui auront seulement AT VI, 166 appris les premiers Elemens de cette science. Et d’abord afin de ne les tenir point en suspens, ie leur diray, que toutes les figures dont i’ay icy à leur parler, ne seront composées que d’Ellipses ou d’Hyperboles, et de cercles ou de lignes droites.

L’Ellipse ou l’Ouale est vne ligne courbe que les Mathematiciens ont accoustumé de nous exposer en coupant de travers vn Cone ou vn Cylindre, et que i’ay vu aussy quelquefois employer par des Iardiniers dans les Maire, p. 90
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compartimens de leurs parterres, où ils la descriuent d’vne façon qui est veritablement fort grossiere et peu exacte, mais qui fait, ce me semble, mieux comprendre sa nature, que la section du Cylindre ny du Cone. Ils plantent en terre deux picquets, comme par exemple, l’vn au point H, l’autre au point I, et ayant noüé ensemble les deux bouts d’vne corde ils la passent autour d’eux, en la façon que vous voyés icy BHI. Puis mettant le bout du doigt en cette corde, ils le conduisent tout autour de ces deux picquets, en la tirant tousiours à eux d’esgale force, afin de la tenir tendue esgalement, et ainsi descriuent sur la terre la ligne courbe DBK, qui est vne Ellipse. Et si sans changer la longueur de cette corde BHI, ils plantent seulement leurs picquets H et I vn peu plus proches l’vn de l’autre, ils descriront derechef vne Elipse, mais qui sera d’autre espece que la precedente : et s’ils les plantent encore vn peu plus proches, AT VI, 167 ils en descriront encore vne autre : et enfin s’ils les ioignent ensemble tout à fait, ce sera vn cercle qu’ils descriront. au lieu que s’ils diminuent la longueur de la corde en mesme proportion que la distance de ces picquéts, ils descriront bien des Ellipses, qui seront diuerses en grandeur, mais qui seront toutes de mesme espece. Et ainsi vous voyés qu’il y en peut auoir d’vne infinité d’especes toutes diuerses, en sorte qu’elles ne different pas moins l’vne de Maire, p. 91
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l’autre, que la derniere fait du cercle ; et que de chasque espece, il y en peut auoir de toutes grandeurs. Et que si d’vn point, comme B, pris à discretion dans quelqu’vne de ces Ellipses, on tire deux lignes droites, vers les deux points H et I, où les deus picquets doiuent estre plantés pour la descrire : ces deux lignes BH, et BI, iointes ensemble, seront esgales à son plus grand diametre DK. ainsi qu’il se prouue facilement par la construction. Car la portion de la corde qui s’estend d’I vers B et delà se replie iusques à H, est la mesme qui s’estend d’I vers K ou vers D et delà se replie aussy iusques à H : en sorte que DH est esgale à IK ; et HD plus DI, qui valent autant que HB plus BI, sont esgales à la toute DK. Et enfin les Ellipses qu’on descrit en mettant tousiours mesme proportion entre leur plus grand diametre DK et la distance des points H et I, sont toutes d’vne mesme espece. Et à cause de certaine proprieté de ces points H et I, que vous entendrés cyaprés, nous les nommerons les points bruslans, l’vn interieur, et l’autre exterieur ; à sçauoir si on les rapporte à la moitié de l’Ellipse qui est vers D, I sera l’exterieur ; et si on les rapporte à l’autre AT VI, 168 moitié qui est vers K, il sera l’interieur. Et quand nous parlerons sans distinction du point bruslant, nous entendrons tousiours parler de l’interieur. Puis outre cela il est besoin que vous sçachiés, que si par ce point B on tire les deux lignes droites LBG et CBE, qui se couppent l’vne l’autre à angles droits, et dont l’vne LG, diuise l’angle HBI en deux parties esgales, l’autre CE touchera cette Ellipse en ce point B sans la coupper. de quoy ie ne mets pas la demonstration pource que les Geometres la sçauent Maire, p. 92
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assés, et que les autres ne feroyent que s’ennuyer de l’entendre. Mais ce que i’ay icy particulierement dessein de vous expliquer, c’est que si on tire encore de ce point B, hors de l’Ellipse, la ligne droite BA, parallele au plus grand diametre DK, et que l’ayant prise esgale à BI, des points A et I on tire sur LG les deux perpendiculaires AL et IG, ces deux dernieres AL et IG auront entre elles mesme proportion que les deux DK et HI. En sorte que si la ligne AB est vn rayon de lumiere, et que cette Ellipse DBK soit en la superficie d’vn cors transparent tout solide, par lequel, suiuant ce qui a esté dit cydessus, les rayons passent plus aysement que par l’air, en mesme proportion que la ligne DK est plus grande que HI : Ce rayon AB sera tellement detourné au point B, par la superficie de ce cors transparent, qu’il ira delà vers I. Et pource que ce point B est pris à discretion AT VI, 169 dans l’Ellipse, tout ce qui se dit icy du rayon AB, se doit entendre generalement de tous les rayons, paralleles à l’aissieu DK, qui tombent sur quelque point de cette Ellipse, à sçauoir qu’ils y seront tous tellement detournés, qu’ils iront se rendre delà vers le point I.

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Or cecy se demonstre en cette sorte. Premierement si on tire du point B, la ligne BF perpendiculaire sur KD, et que du point N, où LG et KD s’entrecoupent, on tire aussy la ligne NM perpendiculaire sur IB, on trouuera que AL est à IG, comme BF est à NM. Car d’vne part les triangles BFN et BLA sont semblables, à cause qu’ils sont tous deux rectangles, et que NF et BA estans paralleles, les angles FNB et ABL sont esgaus ; et d’autre part les triangles NBM et IBG sont aussy semblables, à cause qu’ils sont rectangles, et que l’angle vers B est commun à tous deux. Et outre cela les deux triangles BFN et BMN ont mesme rapport entre eux que les deux ALB et BGI, à cause que comme les bases de ceux-cy BA et BI sont esgales, ainsi BN qui est la base du triangle BFN est esgale à soy mesme en tant qu’elle est aussy la base du triangle BMN. D’où il suit euidemment que comme BF est à NM, ainsi AL celuy des costés du triangle ALB qui se rapporte à BF, dans le triangle BFN, c’est à dire qui est la subtendue du mesme angle, est à IG, celuy des costés du triangle BGI qui se rapporte AT VI, [170] au costé NM du triangle BNM. Puis BF est à NM comme BI est à NI, à cause que les deux triangles BIF et NIM, estans rectangles, et ayans le mesme angle vers I, sont semblables. De plus si on tire HO parallele à NB, et qu’on prolonge IB iusques à O, on verra que BI est à NI, comme OI est à HI, à cause que les triangles BNI et OHI sont semblables. Enfin les deux angles HBG et GBI estant esgaus par la construction, HOB qui est esgal à GBI Maire, p. 94
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est aussy esgal à OHB, à cause que cetuy cy est esgal à HBG. et par consequent le triangle HBO est isoscele, et la ligne OB estant esgale à HB, la toute OI est esgale à DK, d’autant que les deux ensemble HB et IB luy sont esgales. Et ainsi pour reprendre du premier au dernier, AL est à IG comme BF est à NM, et BF à NM comme BI à NI, et BI à NI comme OI à HI, et OI est esgale à DK ; donc AL est à IG comme DK est à HI.

Si bien que si pour tracer l’Ellipse DBK, on donne aux lignes DK et HI, la proportion qu’on aura connu par experience estre AT VI, 171 celle, qui sert à mesurer la refraction de tous les rayons, qui passent obliquement de l’air dans quelque verre, ou autre matiere transparente qu’on veut employer : et qu’on face vn cors de ce verre qui ait la figure que descriroit cette Ellipse si elle se mouuoit circulairement autour de l’aissieu DK ; les rayons qui seront dans l’air paralleles à cét aissieu comme AB, ab, entrans dans ce verre, s’y detourneront en telle sorte, qu’ils iront tous s’assembler au point bruslant I, qui des deux H et I est le plus esloigné du lieu d’où ils viennent. Maire, p. 95
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Car vous sçaués que le rayon AB doit estre detourné au point B, par la superficie courbe du verre, que represente l’Ellipse DBK, tout de mesme qu’il le seroit par la superficie plate du mesme verre que represente la ligne droite CBE, dans laquelle il doit aller de B vers I, à cause qu’AL et IG sont l’vne à l’autre comme DK et HI, c’est à dire, comme elles doiuent estre pour mesurer la refraction. Et le point B, ayant esté pris à discretion dans l’Ellipse, tous ce que nous auons demonstré de ce rayon AB, se doit entendre en mesme façon de tous les autres paralleles à DK, qui tombent sur les autres points de cette Ellipse ; en sorte qu’ils doiuent tous aller vers I.

De plus à cause que tous les rayons, qui tendent vers le centre d’vn cercle ou d’vn globe, tombans perpendiculairement sur sa superficie, n’y doiuent souffrir aucune refraction : si du centre I on fait vn cercle à telle distance qu’on voudra, pourvû qu’il passe entre D et I, comme BQB, les lignes DB et QB, tournant autour de l’aissieu DQ, descriront la figure d’vn verre, qui assemblera dans l’air au point I tous les Maire, p. 96
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rayons, AT VI, 172 qui auront esté de l’autre costé, aussy dans l’air, paralleles à cet aissieu : et reciproquement qui fera que tous ceux qui seront venus du point I, se rendront paralleles de l’autre costé.

Et si du mesme centre I on descrit le cercle RO, à telle distance qu’on voudra au delà du point D ; et qu’ayant pris le point B dans l’Ellipse à discretion, pourvû toutefoix qu’il ne soit pas plus esloigné de D que de K, on tire la ligne droite BO, qui tende vers I ; les lignes RO, OB, et BD, meuës circulairemẽt autour de l’aissieu DR, descriront la figure d’vn verre, qui fera que les rayons paralleles à cét aissieu du costé de l’Ellipse, s’escarteront ça et là de l’autre costé, comme s’ils venoient tous du point I. Car il est manifeste, AT VI, 173 que par exemple le rayon PB doit estre autant detourné par la superficie creuse du verre DBA, comme AB par la conuexe ou bossue du verre DBK, et par consequent que BO doit estre en mesme ligne Maire, p. 97
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droite que BI, puisque PB est en mesme ligne droite que BA. Et ainsi des autres.

Et si de rechef dans l’Ellipse DBK on en descrit vne autre plus petite, mais de mesme espece comme dbk dont le point bruslant marqué I, soit en mesme lieu que celuy de la precedente aussy marqué I, et l’autre h en mesme ligne droite et vers le mesme costé que DH, et qu’ayant pris B à discretion, comme cy deuant, on tire la ligne droite Bb, qui tende vers I, les lignes DB, Bb, bd, meues autour de l’aissieu Dd descriront la figure d’vn verre qui fera que tous les rayons qui auant que de le rencontrer auront esté paralleles se trouueront derechef paralleles apréaprés en estre sortis, et qu’auec cela ils seront plus resserrés, et occuperont vn moindre espace du costé de la plus petite Ellipse Maire, p. 98
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db, que de celuy de la plus grande. Et si pour euiter l’espaisseur de ce verre DBbd, on descrit du centre I les cercles QB etro, les superficies DBQ AT VI, 174 et robd representeront les figures et la situation de deux verres moins espais, qui auront en cela son mesme effect.

Et si on dispose les deux verres semblables DBQ et dbq inegaus en grandeur, en telle sorte que leurs aissieux soient en vne mesme ligne droite, et leurs deux points bruslant exterieurs, marqués I, en vn mesme lieu ; et que leurs superficies circulaires BQ, bq se regardent l’vne l’autre, ils auront aussy en cela le mesme effect.

Et si on ioint ces deux verres semblables inegaus en grandeur DBQ et dbq, ou qu’on les mette à telle distance qu’on voudra l’vn de l’autre, pourvû seulement que leurs aissieux soient en mesme ligne droite, et que leurs superficies Elliptiques se regardent, ils feront que tous les rayons qui viendront du point bruslant de l’vn marqué I, s’iront assembler en l’autre aussy marqué I. AT VI, 175

Et si on ioint les deux differens DBQ, et DBOR Maire, p. 99
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en sorte aussy que leurs superficies DB et BD se regardent, ils feront que les rayons qui viendront du point i, que l’Ellipse du verre DBQ a pour son point bruslant, s’escarteront comme s’ils venoient du point I, qui est le point bruslant du verre BDOR : ou reciproquement, que ceux qui tendent vers ce point I, s’iront assembler en l’autre marqué i.

Et enfin si on ioint les deus DBOR et DBOR tousiours en sorte, que leurs superficies DB, BD se regardent, on fera que les rayons qui en trauersant l’vn de ces verres tendent au delà vers I, s’escarteront derechef en sortant de l’autre comme s’ils venoient de Maire, p. 100
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l’autre point I. Et on peut faire la distance de chascun de ces points marqués I plus ou moins grãde autant qu’on veut, en chãgeant la grãdeur de l’Ellipse dont il depẽd. En sorte que auec l’Ellipse seule et la ligne circulaire on peut descire des verres qui facent que les rayons qui vienent d’vn point, ou tendẽt vers un point, ou sont paralleles, changent AT VI, 176 de l’vne en l’autre de ces trois sortes de dispositions en toutes les façons qui puissent estre imaginées.

L’Hyperbole est aussy vne ligne courbe que les Mathematiciens expliquent par la section d’vn Cone, comme l’Ellipse. Mais afin de vous la faire mieux conceuoir, i’introduiray encore icy vn iardinier qui s’en sert à compasser la broderie de quelque parterre. Il plante derechef ses deux piquets aux points H et I ; et ayant attaché au bout d’vne longue reigle le bout d’vne corde vn peu plus courte, il fait vn trou rond à l’autre bout de cette reigle, dans lequel il fait entrer le piquet I, et vne boucle à l’autre bout de cette corde qu’il passe dans le picquet H. Puis mettant le doigt au point X, où elles sont attachées l’vne à l’autre, il le coule delà en bas iusques à D, tenant tousiours cependant la corde toute iointe et comme colée contre la reigle depuis Maire, p. 101
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le point X iusques à l’endroit où il la touche, et auec cela toute tendue : au moyen de quoy, contraignant cette reigle de tourner autour du picquet I à mesure qu’il abaisse son doigt, il descrit sur la terre la ligne courbe XBD, qui est vne partie d’vne Hyperbole. Et aprés cela tournant sa reigle de l’autre costé vers Y, il en descrit en mesme façon vne autre partie YD. Et de plus s’il passe la boucle de sa corde dans le picquet I, et le bout de sa reigle dans le picquet H, il descrira vne autre AT VI, 177 hyperbole SKT toute semblable et opposée à la precedente. Mais si sans changer ses picquets ny sa reigle, il fait seulement sa corde vn peu plus longue, il descrira vne Hyperbole d’vne autre espece ; et s’il la fait encore vn peu plus longue, il en descrira encore vne d’autre espece, iusques à ce que la faisant tout à fait esgale à la reigle, il descrira au lieu d’vne Hyperbole vne ligne droite. Puis s’il change la distance de ses picquets en mesme proportion que la difference qui est entre les longueurs de la reigle et de la corde, il descrira des Hyperboles qui seront toutes de mesme espece, mais dont les parties semblables, seront differentes en grandeur. Et enfin, s’il augmente esgalement les longueurs de la corde et de la reigle, sans Maire, p. 102
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changer ny leur difference, ny la distance des deux picquets, il ne descrira tousiours qu’vne mesme Hyperbole, mais il en descrira vne plus grande partie. Car cette ligne est de telle nature, que bienqu’elle se courbe tousiours de plus en plus vers vn mesme costé, elle se peut toutesfois estendre à l’infiny, sans que iamais ses extremités se rencontrent. Et ainsi vous voyés qu’elle a en plusieurs façons mesme raport à la ligne droite, que l’Ellipse à la circulaire. Et vous voyés aussy qu’il y en a d’vne infinité de diuerses especes, et qu’en chasque espece il y en a vne infinité dont les parties semblables sont differentes en grandeur. Et de plus que si d’vn point, comme B, pris à discretion dans l’vne d’elles, on tire deux lignes droites vers les deux points comme H et I, où les deux picquets doiuent estre plantés pour la descrire, et que nous nommerons encore les points bruslants ; la difference AT VI, 178 de ces deux lignes HB et IB, sera tousiours esgale à la ligne DK, qui marque la distance qui est entre les Hyperboles opposées. Ce qui paroist de ce que BI est plus longue que BH, d’autant iustement que la reigle a esté prise plus longue que la corde ; et que DI est aussy d’autant plus longue que DH. Car Maire, p. 103
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si on accourcist celle cy DI, de KI, qui est esgale à DH, on aura DK pour leur difference. Et enfin vous voyés que les Hyperboles, qu’on descrit en mettant tousiours mesme proportion entre DK et HI, sont toutes d’vne mesme espece. Puis outre cela il est besoin que vous sçachiés, que si par le point B pris à discretion dans vne Hyperbole, on tire la ligne droite CE, qui diuise l’angle HBI en deux parties esgales, la mesme CE touchera cette Hyperbole en ce point B, sans la couper. de quoy les Geometres sçauent assés la demonstration.

AT VI, 179 Mais ie veux icy en suite vous faire voir que si de ce mesme point B on tire vers le dedans de l’Hyperbole la ligne droite BA parallele à DK, et qu’on tire aussy par le mesme point B la ligne LG qui couppe CE à angles droits, puis ayant pris BA esgale à BI, que des points A et I on tire sur LG les deux perpendiculaires AL et IG : ces deux dernieres AL et IG auront entre Maire, p. 104
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elles mesme proportion que les les deux DK et HI. Et en suite que si on donne la figure de cette Hyperbole à vn cors de verre dans lequel les refractions se mesurent par la proportion qui est entre les lignes DK et HI, elle fera que tous les rayons qui seront paralleles à son aissieu dans ce verre, s’iront assembler au dehors au point I, au moins si ce verre est conuexe ; et s’il est concaue, qu’ils s’escarteront ça et là, comme s’ils venoient de ce point I.

Ce qui peut estre ainsi demonstré. Premierement si on tire du point B la ligne BF perpendiculaire sur KD prolongée autant qu’il est besoin, et du point N, où LG et KD s’entrecoupent, la ligne NM perpendiculaire sur IB aussy prolongée, on trouuera que AL est à IG comme BF est à NM. Car d’vne part les triangles BFN et BLA sont semblables à cause qu’ils sont tous deux rectangles et que NF et BA estant paralleles les angles FNB et LBA sont esgaus. Et d’autre part les triangles IGB et NMB sont aussy semblables à cause qu’ils sont rectangles et que les angles IBG et NBM sont esgaus. Et outre cela, comme la mesme AT VI, [180] BN sert de base aux deux triangles BFN et NMB, ainsi BA la base du triangle ALB est esgale à BI la base du triangle IGB. d’où il suit que comme les costés du triangle BFN sont à ceux du triangle NMB, ainsi ceux du triangle ALB sont aussy à ceux du triangle IBG. Puis BF est à NM comme BI est à NI, à cause que les deux triangles BIF et NIM, estans rectangles, et ayans le mesme angle vers I, sont semblables. De plus si on tire HO parallele à LG, on verra que BI est à NI comme OI est à HI, à cause que les triangles BNI et OHI Maire, p. 105
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sont semblables. Enfin les deux angles EBH et EBI estans esgaus par la construction, et HO, qui est parallele à LG, couppant comme elle CE à angles droits, les deux triangles BEH et BEO sont entierement esgaus. Et ainsi BH la baze de l’vn AT VI, 181 estant esgale à BO la baze de l’autre, il reste OI pour la difference qui est entre BH et BI, laquelle nous auons dit estre esgale à DK. Si bien que AL est à IG, comme DK est à HI. D’où il suit que mettant tousiours entre les lignes DK et HI la proportion qui peut seruir à mesurer les refractions du verre ou autre matiere qu’on veut employer, ainsi que nous auons fait pour tracer les Ellipses, excepté que DK ne peut estre icy que la plus courte, au lieu qu’elle ne pouuoit estre auparauant que la plus longue : Si on trace vne portion d’hyperbole tant grande qu’on voudra comme DB, et que de B on face descendre à angles droits sur KD la ligne droite BQ, les deux lignes DB, et QB tournant au tour de Maire, p. 106
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l’aissieu DQ, descriront la figure d’vn verre, qui fera que tous les rayons qui le trauerseront et seront dans l’air paralleles à cét aissieu du costé de la superficie plate BD, en laquelle, comme vous sçaués, ils ne souffriront aucune refraction, s’assembleront de l’autre costé au point I.

Et si ayant tracé l’hyperbole db semblable à la precedente, AT VI, 182 on tire la ligne droite ro en tel lieu qu’on voudra, pourvû que sans coupper cette hyperbole elle tombe perpendiculairement sur son aissieu dk ; et qu’on ioigne les deux points b et o par vne autre ligne droite parallele à dk, les trois lignes ro, ob, etbd, meuës autour de l’aissieu dk, descriront la figure d’vn verre, qui fera que tous les rayons qui seront paralleles à son aissieu du costé de sa superficie plate, s’escarteront ça et là de l’autre costé, comme s’ils venoient du point I.

Et si ayant pris la ligne HI plus courte pour tracer l’hyperbole du verre robd, que pour celle du verre DBQ, on dispose ces deux verres en telle sorte que leurs aissieus DQ, rd soient en mesme ligne droite, et leurs deux points bruslans marqués I en mesme lieu, et Maire, p. 107
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que leurs deux superficies hyperboliques se regardent ; ils feront que tous les rayons, qui auant que de les rencontrer, auront esté paralleles à leurs aissieus, le seront encore aprés les auoir tous deux trauersés, et auec cela seront reserrés en vn moindre espace du costé du verre robd que de l’autre.

Et si on dispose les deux verres semblables DBQ et dbq inesgaus en grandeur, en telle sorte que leurs aissieus DQ, dq, soyent aussy en mesme ligne droite, et leurs deux points bruslans marques I en mesme lieu, AT VI, 183 et que leur deux superficies hyperboliques se regardent ; ils feront comme les precedens que les rayons paralleles d’vn costé de leur aissieu le seront Maire, p. 108
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aussy de l’autre, et auec cela seront reserrés en moindre espace du costé du moindre verre.

Et si on ioint les superficies plates de ces deux verres DBQ et dbq, ou qu’on les mette à telle distance qu’on voudra l’vn de l’autre, pourvû seulement que leurs superficies plates se regardent, sans qu’il soit besoin auec cela que leurs aissieus soient en mesme ligne droite : ou plustost si on compose vn autre verre, qui ait la figure de ces deux ainsi conioints, on fera par son moyen que les rayons qui viendront de l’vn des points marqués I, s’iront assembler en l’autre de l’autre costé.

Et si on compose vn verre qui ait la figure des deux DBQ et robd, tellement ioints, que leurs superficies plates s’entretouchent, on fera que les rayons qui seront venus de l’vn des point I, s’escarteront comme s’ils estoient venus de l’autre.

Et enfin, si on compose vn verre qui ait la figure de deux tels que robd, de rechef tellement ioins, que leurs superficies plates s’entretouchent, on fera que AT VI, 184 les rayons, Maire, p. 109
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Maire, p. 110
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qui allans rencontrer ce verre seront escartés comme pour s’assembler au point I qui est de AT VI, 185 l’autre costé, seront derechef escartés aprés l’auoir trauersé, comme s’ils estoient venus de l’autre point I.

Et tout cecy est ce me semble si clair, qu’il est seulement besoin d’ouurir les yeux et de considerer les figures pour l’entendre.

Au reste les mesmes changemens de ces rayons que ie vien d’expliquer premierement par deux verres elliptiques, et aprés par deux hyperboliques, peuuent aussy estre causés par deux dont l’vn soit elliptique et l’autre hyperbolique. Et de plus on peut encore imaginer vne infinité d’autres verres qui facent comme ceux cy, que tous les rayons qui vienent d’vn point, ou tendent vers vn point, ou sont paralleles, se changent exactement de l’vne en l’autre de ces trois dispositions. Mais ie ne pense pas auoir icy aucun besoin d’en parler, à cause que ie les pourray plus commodement expliquer cy aprés en la Geometrie, et que ceus que i’ay descrits sont les plus propres de tous à mon dessein. ainsi que ie veus tascher maintenant de prouuer ; et vous faire voir par mesme moyen lesquels d’entre eux y sont les plus propres, en vous faisant considerer toutes les principales choses en quoy ils different.

La premiere est que les figures des vns sont beaucoup plus aysées à tracer que celles des autres : et il est certain qu’aprés la ligne droite, la circulaire, et la parabole, qui seules ne peuuent suffire pour tracer aucun de ces verres, ainsi que chascun pourra facilement voir, s’il l’examine, il n’y en à point de plus simples que l’Ellipse, et Maire, p. 111
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l’hyperbole. en sorte que la ligne droite estant plus aysée à tracer que la circulaire ; et l’hyperbole ne l’estant pas moins que l’Ellipse, ceux dont AT VI, 186 les figures sont composées d’hyperboles et de lignes droites, sont les plus aysées à tailler qui puissent estre. Puis en suite ceux dont les figures sont composées d’Ellipses et de cercles : en sorte que tous les autres que ie n’ay point expliqués le sont moins.

La seconde est qu’entre plusieurs, qui changent tous en mesme façon la disposition des rayons qui se rapportent à vn seul point, ou vienent paralleles d’vn seul costé, ceux, dont les superficies sont le moins courbées, ou bien le moins inegalement, en sorte qu’elles causent les moins inegales refractions, changent tousiours vn peu plus exactement que les autres, la disposition des rayons qui se rapportent aux autres points, ou qui vienent des autres costés. Mais pour entendre cecy parfaittement, il faut considerer que c’est la seule inesgalité de la courbure des lignes dont sont composées les figures de ces verres, qui empesche qu’ils ne changent aussy exactement la disposition des rayons qui se rapportent à plusieurs diuers poins, ou viennent paralleles de plusieurs diuers costés, qu’ils font celle de ceux qui se rapportent à vn seul point, ou vienent paralleles d’vn seul costé. Car par exemple, si pour faire que tous les rayons qui vienent du point A s’assemblent au point B, il falloit que le verre GHIK, qu’on mettroit entre deux, eust ses superficies toutes plates, en sorte que la ligne droite GH ; qui en represente l’vne, eust la proprieté de faire que tous ces rayons venans du point A, se rendissent AT VI, 187 paralleles Maire, p. 112
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dans le verre, et par mesme moyen que l’autre ligne droite KI fist que delà ils s’allassent assembler au point B, ces mesmes lignes GH et KI feroient aussy que tous les rayons venans du point C s’iroient assembler au point D ; et generalement, que tous ceux qui viendroient de quelqu’vn des points de la ligne droite AC, que ie suppose parallele à GH, s’iroient assembler en quelqu’vn des points de BD, que ie suppose aussy parallele à KI, et autant esloignée d’elle, qu’AC est de GH : d’autant que ces lignes GH et KI, n’estant aucunement courbées, tous les points de ces autres AC et BD se rapportent à elles en mesme façon les vns que les autres. Tout de mesme si c’estoit le verre LMNO, dont ie suppose les superficies LMN et LON estre deux esgales portions de Sphere, qui eust la proprieté de faire que tous les rayons venans du point A s’allassent assembler au point B, il l’auroit aussy de faire que ceux du point C s’assemblassent au point D, et generalement que tous ceux de quelqu’vn des points de la superficie CA, que ie suppose estre vne portion de Sphere, qui a mesme centre que LMN, s’assembleroient en quelqu’vn de ceux de BD, que ie suppose aussy vne portion Maire, p. 113
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de Sphere, qui a mesme centre que LON et en est aussy esloignée qu’AC est d’LMN, d’autant que toutes les parties de ces superficies LMN et LON sont esgalement courbées au respect de tous les points AT VI, 188 qui sont dans les superficies CA et BD. Mais à cause qu’il n’y a point d’autres lignes en la nature, que la droite et la circulaire, dont toutes les parties se rapportent en mesme façon à plusieurs diuers points, et que ny l’vne ny l’autre ne peuuent suffire, pour composer la figure d’vn verre, qui face que tous les rayons qui vienent d’vn point s’assemblent en vn autre point exactement, il est euident qu’aucune de celles qui y sont requises, ne fera que tous les rayons qui viendront de quelques autres points, s’assemblent exactement en d’autres points. Et que pour choisir celles d’entre elles qui peuuẽt faire que ces rayons s’escartent le moins des lieus où on les voudroit assembler, il faut prendre les moins courbées, et les moins inesgalemẽt courbées, afin qu’elles approchent le plus de la droite ou de la circulaire ; et encore plustost de la droite que de la circulaire, à cause que les parties de cellecy ne se rapportẽt d’vne mesme façon qu’a tous les points qui sont esgalement distans de son centre, et ne se rapportent à aucuns autres en mesme façon qu’elles font à ce centre. D’où il est aysé de conclure qu’en cecy l’hyperbole surpasse l’Ellipse, et qu’il est impossible d’imaginer des verres d’aucune autre figure, qui rassemblent tous les rayons venans de diuers poins en autant d’autres poins esgalement esloignés d’eux, si exactement que celuy dont la figure sera composée d’hyperboles. Et mesme sans que ie m’arreste à vous en faire icy vne demonstration Maire, p. 114
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plus exacte, vous pouués facilement appliquer cecy aux autres façons de changer la disposition des rayons qui se rapportent à diuers poins ou vienent paralleles de diuers costés, AT VI, 189 et connoistre que pour toutes, ou les verres hyperboliques y sont plus propres qu’aucuns autres, ou du moins, qu’ils n’y sont pas notablement moins propres, en sorte que cela ne peut estre mis en contrepois auec la facilité d’estre taillées, en quoy ils surpassent tous les autres.

La troisiesme difference de ces verres est que les vns font que les rayons qui se croysent en les trauerfant, se trouuent vn peu plus escartés de l’vn de leurs costés que de l’autre ; et que les autres font tout le contraire. Comme si les rayons GG sont ceux qui vienent du centre du Soleil, et que II soient ceux qui vienent du costé gauche de sa circonference, et KK ceux qui vienent du droit, ces rayons s’escartent vn peu plus les vns des autres Maire, p. 115
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aprés auoir trauersé le verre hyperbolique DEF, qu’ils ne faisoient auparauant : et au contraire, ils s’escartent moins aprés auoir trauersé l’Elliptique ABC, en sorte que cet Elliptique rend les points LHM plus proches les vns des autres, que ne AT VI, 190 fait l’hyperbolique, et mesme il les rend d’autant plus proches qu’il est plus espais. Mais neanmoins tant espais qu’on le puisse faire, il ne les peut rendre qu’enuiron d’vn quart ou d’vn tiers plus proches que l’hyperbolique. Ce qui se mesure par la quantité des refractions que cause le verre, en sorte que le cristal de montaigne, dans lequel elles se font vn peu plus grandes, doit rendre cette inesgalité vn peu plus grande. Mais il n’y a point de verre d’aucune autre figure qu’on puisse imaginer, qui face que les points KLMLHM soient notablement plus esloignés que fait cet hyperbolique, ny moins que fait cet Elliptique.

Or vous pouués icy remarquer par occasion en quel sens il faut entendre ce que i’ay dit cydessus, que les rayons venans de diuers poins, ou paralleles de diuers costés, se croysent tous dés la premiere superficie qui a la puissance de faire qu’ils se rassemblent à peu prés en autant d’autres diuers poins. Comme lors que i’ay dit que ceux de l’obiet VXY, qui forment l’image RST sur le fonds de l’œil, se croysent dés la premiere de ses superficies BCD. Ce qui depend de ce que par exemple les trois rayons VCR, XCS et YCT, se croysent veritablement sur cette superficie BCD au point C. d’où vient qu’encore que VDR se croyse auec YBT beaucoup plus haut, et VBR auec YDT beaucoup plus bas : toutesfois pour ce qu’ils tendent vers les mesmes poins Maire, p. 116
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Maire, p. 117
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que font VCR et YCT, on les peut considerer tout de mesme que s’ils se croysoient aussy au mesme lieu. Et pource que c’est cette superficie BCD qui les fait ainsi tendre vers les mesmes poins, on doit plustost penser que c’est au lieu où elle est qu’ils AT VI, 191 se croysent tous, que non pas plus haut ny plus bas. Sans mesme que ce que les autres superficies, comme AT VI, 192 123 et 456, les peuuent detourner, en empesche. Non plus qu’encore que les deux bastons ACD et BCE qui sont courbés, s’escartent beaucoup des poins F et G, vers lesquels ils s’iroient rendre, si se croysans autant qu’ils font au point C auec cela ils estoient droits ; ce ne laisse pas d’estre veritablement en ce point C qu’ils se croysent. Mais ils pourroient bien estre si courbés, que cela les feroit croiser derechef en vn autre lieu. Et en mesme façon les rayons, qui trauersent les deux verres conuexes DBQ et dbq Voyés la figure en la page 108., se croysent sur la superficie du premier, puis se recroisent derechef sur celle de l’autre ; au moins ceux qui vienent de diuers costés : car pour ceux qui vienent d’vn mesme costé, il est manifeste, que ce n’est qu’au point bruslant marqué I, qu’ils se croisent.

Vous pouues remarquer aussi par occasion, que les rayons du Soleil ramassés par le verre Elliptique ABCLa figure est en la page 114., doiuent brusler auec plus de force qu’estans ramassés par l’hyperbolique DEF. Car il ne faut pas seulement prendre garde aux rayons qui vienent du centre du Soleil, comme GG, mais aussy à tous les autres qui venans Maire, p. 118
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des autres points de sa superficie, n’ont pas sensiblement moins de force, que ceux du centre ; en sorte que la violence de la chaleur qu’ils peuuent causer se doit mesurer par la grandeur du cors qui les assemble, comparée auec celle de l’espace où il les assemble. Comme si le diametre du verre ABC est AT VI, 193 quatre fois plus grand que la distance qui est entre les poins M et L, les rayons ramassés par ce verre doiuent auoir seize fois plus de force que s’ils ne passoyent que par vn verre plat qui ne les destournast aucunement. Et pource que la distance qui est entre ces poins M et L, est plus ou moins grande, à raison de celle qui est entre eux et le verre ABC, ou autre tel cors qui fait que les rayons s’y assemblent, sans que la grandeur du diametre de ce cors y puisse rien adiouster, ny sa figure particuliere, qu’enuiron vn quart ou vn tiers tout auplus ; il est certain que cette ligne bruslante à l’infini que quelques vns ont imaginée, n’est qu’vne resuerie. Et qu’ayant deux verres ou miroirs ardens, dont l’vn soit beaucoup plus grand que l’autre, de quelle façon qu’ils puissent estre, pourvû que leurs figures soient toutes pareilles, le plus grand doit bien ramasser les rayons du soleil en vn plus grand espace, et plus loin de soy, que le plus petit ; mais que ces rayons ne doiuent point auoir plus de force en chasque partie de cet espace, qu’en celuy où le plus petit les ramasse. En sorte qu’on peut faire des verres ou miroirs extremement petits, qui brusleront auec autant de violance que les plus grands. Et un miroir ardent dont le diametre n’est pas plus grand qu’enuiron la centiesme partie de la distance qui est entre luy et le lieu où il doit rassembler les rayons Maire, p. 119
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du soleil ; c’est à dire, qui à mesme proportion auec cette distance, qu’a le diametre du soleil auec celle qui est entre luy et nous, fust-il poli par vn Ange ne peut faire, que les rayons qu’il assemble eschauffent plus en l’endroit où il les assemble, que ceux qui vienent directement du AT VI, 194 Soleil. Ce qui se doit aussy entendre des verres bruslans à proportion. D’où vous pouués voir que ceux qui ne sont qu’a demi sçauans en l’Optique se laissent persuader beaucoup de choses qui sont impossibles, et que ces miroirs dont on a dit qu’Archimede brusloit des nauires de fort loin, deuoient estre extremement grands, ou plustost qu’ils sont fabuleus.

La quatriesme differẽce qui doit estre remarquée entre les verres dont il est icy question appartiẽt particulierement à ceux qui changent la disposition des rayons qui vienent de quelq; point assés proche d’eux, et consiste en ce que les vns, à sçauoir ceux dõt la superficie qui regarde vers ce point est la plus creuse à raison de leur grandeur, peuuent receuoir plus grãde quantité de ces rayons, que Maire, p. 120
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les autres, encore que leur diametre ne soit point plus grand. Et en cecy le verre Elliptique NOP, que ie suppose si grand, que ses extremites N et P sont les poins où se termine le plus petit diametre de l’Ellipse, surpasse l’hyperbolique AT VI, 195 QRS, quoy qu’on le suppose aussy tant grand qu’on voudra ; et il ne peut estre surpassé par ceux d’aucune autre figure. Enfin ces verres different encore en ce que pour produire les mesmes effects eû esgard aux rayons qui se rapportent à vn seul point ou à vn seul costé, les vns doiuent estre plus en nombre que les autres, ou doiuent faire que les rayons qui se rapportent à diuers poins, ou à diuers costés, se croysent plus de fois. Comme vous avés vû que pour faire auec les verres Elliptiques, que les rayons qui vienent d’vn point s’assemblent en vn autre point, ou s’escartent comme s’ils venoient d’vn autre point ; ou que ceux qui tendent vers vn point s’escartent derechef comme s’ils venoient d’un autre point ; il est tousiours besoin d’y en employer deux ; au lieu qu’il n’y en faut employer qu’vn seul, si on se sert des hyperboliques. Et qu’on peut faire que les rayons paralleles demeurans paralleles occupent vn moindre espace qu’auparauant, tant par le moyen de deux verres hyperboliques conuexes, qui font que les rayons qui vienent de diuers costés se croysent deux fois ; que par le moyen d’vn conuexe et d’vn concaue, qui font qu’ils ne se croisent qu’vne fois. Mais il est euident que iamais on ne doit employer plusieurs verres à ce qui peut estre aussy bien fait par l’ayde d’vn seul, ny faire que les rayons se croisent Maire, p. 121
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plusieurs fois lors qu’vne suffist.

Et generalement, il faut conclure de tout cecy que les verres hyperboliques et les elliptiques sont preferables à tous les autres qui puissent estre imaginés, et mesme que les hyperboliques sont quasi en tout preferables aus elliptiques. En suite de quoy ie diray maintenant AT VI, 196 de quelle façon il me semble qu’on doit composer chasque espece de lunetes, pour les rendre les plus parfaittes qu’il est possible.

LA DESCRIPTION DES LUNETES.
Discours Neufiesme.

Il est besoin premierement de choisir vne matiere transparente, qui estant assés aysée à tailler, et neantmoins assés dure pour retenir la forme qu’on luy donnera, soit en outre la moins colorée, et qui cause le moins de reflection qu’il est possible. Et on n’en a point encore trouué qui ait ces qualités en plus grande perfection que le verre, lors qu’il est fort clair, et fort pur, et composé de cendres fort subtiles. Car encore que le cristal de montaigne semble plus net et plus transparent, toutes fois pource que ses superficies causent la reflexion de plus de rayons que celles du verre, ainsi que l’experience semble nous aprendre, il ne sera, peut estre, pas si propre à nostre dessein. Or afin que vous sçachiés la cause de cette reflexion, et pourquoy elle se fait plustost Maire, p. 122
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sur les superficies tant du verre que du cristal, que non pas en l’espaisseur de leur cors, et pourquoy elle s’y fait plus grande dans le cristal que dans le verre, il faut que vous vous souueniés de la façon, dont ie vous ay cydessus fait conceuoir la nature de la lumiere, lors que iay dit, qu’elle AT VI, 197 n’estoit autre chose dans les cors transparens que l’action ou inclination à se mouuoir d’vne certaine matiere tres subtile qui remplit leurs pores : et que vous pensiés que les pores de chascun de ces cors transparens sont si vnis et si droits que la matiere subtile qui peut y entrer coule facilement tout du long, sans y rien trouuer qui l’arreste. Mais que ceux de deux cors transparens de diuerse nature, comme ceux de l’air et ceux du verre ou du cristal, ne se rapportent iamais si iustement les vns aus autres, qu’il n’y ait tousiours plusieurs des parties de la matiere subtile, qui, par exemple, venant de l’air vers le verre, s’y refleschissent, à cause qu’elles rencontrent les parties solides de sa superficie : et tout de mesme, venant du verre vers l’air, se refleschissent et retournent au dedans de ce verre, à cause qu’elles rencontrent les parties solides de la superficie de cét air ; car il y en a aussy beaucoup en l’air qui peuuent estre nommées solides à comparaison de cette matiere subtile. Puis en considerant que les parties solides du cristal sont encore plus grosses que celles du verre, et ses pores plus serrés, ainsi qu’il est aysé à iuger de ce qu’il est plus dur plus pesant, on peut bien penser, qu’il doit causer ses reflexions encore plus fortes, et par consequent donner passage à moins de rayons que ne fait ny l’air ny le verre ; bien que cependant il le donne plus libre à Maire, p. 123
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ceux ausquels il le donne, suiuant ce qui à esté dit cydessus.

Ayant donc ainsi choisi le verre le plus pur, le moins coloré, et celuy qui cause le moins de reflexion qu’il est possible, si on veut par son moyen corriger le AT VI, 198 defaut de ceux qui ne voyent pas si bien les obiets vn peu esloignés, que les proches ; ou les proches, que les esloignés ; les figures les plus propres à cét effect sont celles qui se tracent par des hyperboles. Comme par exemple l’œil B, ou C, estant disposé à faire que tous les rayons, qui vienent du point H, ou I, s’assemblent exactement au milieu de son fonds, et non pas ceux du point V, ou X, il faut, pour luy faire voir distinctement l’obiet qui est vers V, ou X, mettre entre deux le verre O, ou P, dont les superficies, l’vne conuexe et l’autre concaue, ayant les figures tracées par deux hyperboles qui soyent telles qu’H, ou I, soit le point brulant de la concaue, qui doit estre tournée vers l’œil, V, ou Y, celuy de la conuexe.

Et si on suppose le point I, ou V, assés esloigné, comme seulement à quinze Maire, p. 124
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ou vingt pieds de distance, il suffira, au lieu de l’hyperbole dont il deuroit estre le point bruslant, de se seruir d’vne ligne droite, et ainsi de faire l’vne des superficies du verre toute plate ; à sçauoir l’interieure qui regarde vers l’œil, si c’est I qui soit assés esloigné ; ou l’exterieure, si c’est V. Car lors vne partie de l’obiet de la grandeur de la prunelle pourra tenir lieu d’vn seul point, à cause que son image n’occupera gueres plus AT VI, 199 d’espace au fonds de l’œil, que l’extremité de l’vn des petits filets du nerf optique. Et mesme il n’est pas besoin de se seruir de verres differens à chasq; fois qu’on veut regarder des obiets vn peu plus ou moins esloignés l’vn que l’autre ; mais c’est assés pour l’vsage d’en auoir deux, dont l’vn soit proportionné à la moindre distãce des choses qu’on a coustume de regarder, et l’autre à la plus grande ; ou mesme seulement d’en auoir vn, qui soit moyen entre ces deux. Car les yeux ausquels on les veut approprier, n’estans point tout à fait inflexibles, peuuent aysement assés changer leur figure, pour l’accommoder à celle d’vn tel verre.

Que si on veut par le moyen aussy d’vn seul verre faire que les obiets accessibles, c’est à dire ceux qu’on peut approcher de l’œil autant qu’on veut, paroissent beaucoup plus grands, et se voyent beaucoup plus distinctement que sans lunetes : le plus commode sera de faire celle des superficies de ce verre qui doit estre tournée vers l’œil toute plate, et donner à l’autre la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant soit au lieu où on voudra mettre l’obiect. Mais notés que ie dis le plus commode, car i’aduoue bien que donnant à la superficie de ce verre la figure d’vne Ellipse, dont le point bruslant Maire, p. 125
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soit aussy au lieu où on voudra mettre l’obiet, et à l’autre celle d’vne partie de Sphere, dont le centre soit au mesme lieu que ce point bruslant, l’effect en pourra estre vn peu plus grand : mais en reuanche vn tel verre ne pourra pas si commodement estre taillé. Or ce point bruslant, soit de l’hyperbole, soit de l’ellipse, doit estre si proche, que l’obiet, qu’il faut supposer AT VI, 200 fort petit, y estant mis, il ne reste entre luy et le verre, que iustement autant d’espace, qu’il en faut, pour donner passage à la lumiere qui doit l’esclairrer. Et il faut enchasser ce verre en telle sorte, qu’il n’en reste rien de découuert que le milieu, qui soit enuiron de pareille grandeur que la prunelle, ou mesme vn peu plus petit. Et que la matiere en quoy il sera enchassé soit toute noire du costé qui doit estre tourné vers l’œil, où mesme aussy il ne sera pas inutile qu’elle soit garnie tout au tour d’vn bord de panne ou velours noir, afin qu’on la puisse commodement appuier tout contre l’œil, et ainsi empescher qu’il n’aille vers luy aucune lumiere, que par l’ouuerture du verre. Mais en dehors il sera bon qu’elle soit toute blanche, ou plustost toute polie, et qu’elle ait la figure d’vn miroir creux, en sorte qu’elle renuoye sur l’obiect tous les rayons de la lumiere qui vienent vers elle. Et pour soustenir cét obiet en l’endroit où il doit estre posé pour estre vû, ie ne desapprouue pas ces petites fioles de verre ou de cristal fort transparent, dont l’vsage est desia en France assés commun. Mais pour rendre la chose plus exacte, il vaudra encore mieux qu’il y soit tenu ferme, par vn ou deux petits ressors en forme de bras, qui sortent du chassis de la lunete. Enfin pour ne manquer point de lumiere il faudra Maire, p. 126
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en regardant cét obiet le tourner tout droit vers le soleil. Comme si A est le verre, C la partie interieure de la matiere en la quellelaquelle AT VI, 201 il est enchassé, D l’exterieure, E l’obiet, G le petit bras qui le soustient, H l’œil, et I le soleil, dont les rayons ne vont point en l’œil directement, à cause de l’interposition tant de la lunete que de l’obiet, mais donnans contre le cors blanc, où le miroir D, ils se refleschissent premierement de là vers E, puis d’E ils se refleschissent vers l’œil.

Que si on veut faire vne lunete la plus parfaitte qui puisse estre pour seruir à voir les Astres ou autres obiets fort esloignés et inaccessibles ; On la doit composer de deux verres hyperboliques, l’vn conuexe et l’autre concaue, mis dans les deus bouts d’vn tuyau en la façon que vous voyés icy representée. Et premierement abc la superficie du verre concaue abcdef, doit auoir la figure d’vne hyperbole, qui ait son point bruslant à la distance à la quelle l’œil, pour lequel on prepare cette lunete, peut voir le plus distinctement ses obiets. Comme icy l’œil G estant disposé à voir plus distinctement les obiets qui sont vers H, qu’aucuns autres, H doit estre le point bruslant de l’hyperbole abc : et pour les vieillars, qui voyent mieux les obiets fort esloignés, que les proches, cette superficie abcdoit estre toute plate ; au lieu que pour ceux qui ont la veuë fort courte, elle doit estre Maire, p. 127
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assés concaue. Puis l’autre superficie def doit auoir la figure d’vne autre hyperbole, dont le point bruslant I soit esloigné d’elle de la largeur d’vn pouce, ou enuiron, en sorte qu’il se rencontre vers le fonds de l’œil lors que ce verre est appliqué tout contre sa superficie. Notés toutes fois que ces proportions ne sont pas si absolument necessaires, qu’elles ne puissent beaucoup estre Maire, p. 128
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changées, AT VI, 202 en sorte que sans tailler autrement la superficie abc pour ceux qui ont la veuë courte, ou longue, que pour les autres, on peut assés commodement se seruir d’vne mesme lunete pour toutes sortes d’yeux, en allongeant seulement ou accourcissant le tuyau. Et pour la superficie def, peut estre qu’à cause de la difficulté qu’on aura à la creuser tant comme i’ay dit, il sera plus aysé de luy donner la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant soit vn peu plus esloigné. Ce que l’experience enseignera mieux que mes raisons. Et ie puis AT VI, 203 seulement dire en general que les autres choses, estant esgales, d’autant que ce point I sera plus proche, d’autant les obiets paroistront plus grands, à cause qu’il faudra disposer l’œil comme s’ils estoient plus prés de luy ; et que la vision, pourra estre plnus forte et plus claire, à cause que l’autre verre pourra estre plus grand ; mais qu’elle ne sera pas si distincte, si on le rend par trop proche, à cause qu’il y aura plusieurs rayons qui tomberont trop obliquement sur sa superficie au pris des autres. Pour la grandeur de ce verre, la portion qui en demeure découuerte, lors qu’il est enchassé dans le tuyau KLM, n’a besoin d’exceder que de fort peu la plus grande ouuerture de la prunelle. Et pour son espaisseur elle ne sçauroit estre trop petite ; car encore qu’en l’augmentant on puisse faire que l’image des obiets soit vn peu plus grande, à cause que les rayons qui vienent de diuers poins s’escartent vn peu plus du costé de l’œil, on fait aussy en reuanche qu’ils paroissent en moindre quantité et moins clairs. Et l’auantage de faire que leurs images deuienent plus grandes se peut mieux gaigner par autre Maire, p. 129
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moyen. Quant au verre conuexe NOPQ, sa superficie NQP qui est tournée vers les obiets, doit estre toute plate ; et l’autre NOP doit auoir la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant I tombe exactement au mesme lieu que celuy de l’hyperbole def de l’autre verre, et soit d’autant plus esloigné du point O qu’on veut auoir vne lunete plus parfaitte. En suite de quoy la grandeur de son diametre NP se determine par les deux lignes droites IdN, IfP, tirées du point bruslant I, par d, et f, les extremités du diametre du verre hyperbolique AT VI, 204 def, que ie suppose esgaler celuy de la prunelle. Où toutes fois il faut remarquer qu’encore que le diametre de ce verre NOPQ soit plus petit, les obiets n’en paroistront que d’autant plus distincts ; n’en paroistront pas moindres pour cela, ny en moindre quantité, mais seulement moins esclairés. C’est pourquoy lors qu’ils le sont trop, on doit auoir diuers cercles de carton noir, ou autre telle matiere, comme 123, pour couurir ses bords, et le rendre par ce moyen le plus petit que la force de la lumiere qui vient des obiets pourra permettre. Pour ce qui est de l’espaisseur de ce verre, elle ne peut de rien profiter, ny aussy de rien nuire, sinon en tant que le verre n’est iamais si pur, et si net, qu’il n’empesche tousiours le passage de quelque peu plus de rayons que ne fait l’air. Pour le tuyau KLM, il doit estre de quelque matiere assés ferme et solide, afin que les deux verres enchassés en ses deux bouts y retienent tousiours exactement leur mesme situation. Et il doit estre tout noir par le dedans, et mesme auoir vn bord de pane ou velours noir vers M, affin qu’on puisse Maire, p. 130
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en l’appliquant tout contre l’œil, empescher qu’il n’y entre aucune lumiere que par le verre NOPQ. Et pour sa longueur et sa largeur, elles sont assés determinées par la distance et la grandeur des deux verres. Au reste il est besoin que ce tuyau soit attaché sur quelque machine, comme RST, par le moyen de la quelle il puisse estre commodement tourné de tous costés, et aresté vis à vis des obiets qu’on veut regarder. Et à cét effect il doit y auoir aussy vne mire ou deux pinnules, comme VV, sur cette machine. Et mesme outre cela, pour ce que d’autant que ces lunetes font AT VI, 205 que les obiets paroissent plus grands, d’autant en peuuent elles moins faire voir à chasque fois, il est besoin, d’en ioindre auec les plus parfaittes quelques autres de moindre force, par l’ayde desquelles on puisse, comme par degrés, venir à la connoissance du lieu, où est l’obiet que ces plus parfaittes font aperceuoir. Comme sont icy XX, et YY, que ie suppose tellement aiustées auec la plus parfaite QLM, que si on tourne la machine en telle sorte, que par exemple la planete de Iupiter paroisse au trauers des deus pinnules VV, elle paroistra aussy au trauers de la lunete XX, par la quelle outre lupiter, on pourra aussy distinguer ces autres moindres planetes qui l’accompaignent ; Et si on fait que quelqu’vne de ces moindres planetes se rencontre iustement au milieu de cette lunete XX, elle se verra aussy par l’autre YY, où paroissant seule et beaucoup plus grande que par la precedente, on y pourra distinguer diuerses regions : et derechef entre ces diuerses regions, celle du melieu se verra par la lunete KLM, et on y pourra distinguer plusieurs choses Maire, p. 131
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particulieres par son moyen ; mais on ne pourroit sçauoir, que ces choses fussent en tel endroit de la telle des planetes qui accompaignent lupiter, sans l’ayde des deux autres, ny aussy la disposer à monstrer ce qui est en tout autre endroit determiné vers lequel on veut regarder.

On pourra encore adiouster vne ou plusieurs autres lunetes plus parfaittes auec ces trois, au moins, si l’artifice des hommes peut passer si auant. Et il n’y a point de difference entre la façon de ces plus parfaittes, et de celles qui le sont moins, sinon que leur AT VI, 206 verre conuexe doit estre plus grand, et leur point bruslant plus esloigné. En sorte, que si la main des ouuriers ne nous manque, nous pourrons par cette inuention voir des obiets, aussy particuliers, et aussy petits, dans les Astres, que ceux que nous voyons communement sur la terre.

Enfin si on veut auoir vne lunete qui face voir les obiets proches et accessibles le plus distinctement qu’il se peut, et beaucoup plus que celle que i’ay tantost descrite pour mesme effect, on la doit aussy composer de deux verres hyperboliques, l’vn concaue et l’autre conuexe, enchassés dans les deux bouts d’vn tuyau, et dont le concaue abcdef soit tout semblable à celuy de la precedente. Comme aussy NOP la superficie interieure du conuexe. Mais pour l’exterieure NRP, au lieu qu’elle estoit toute plate, elle doit icy estre fort conuexe, et auoir la figure d’vne hyperbole, dont le point bruslant exterieur Z soit si proche, que l’obiet y estant mis, il ne reste entre luy et le verre qu’autant d’espace, qu’il en faut pour donner passage à la lumiere qui doit l’esclairer. Maire, p. 132
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Puis le diametre de ce verre n’a pas besoin d’estre si grand que pour la lunete precedente, ny ne doit pas aussy estre si petit que celuy du verre A de l’autre d’auparauantVoyés en la page 126.. il doit à peu prés estre tel que la ligne droite NP passe par le point bruslant interieur de l’hyperbole NRP : car estant moindre, il receuroit moins de rayons de l’obiet Z ; et estant plus grand, il n’en receuroit que fort peu d’auantage ; en sorte que son espaisseur deuant estre à proportion beaucoup plus augmentée qu’auparauant, elle AT VI, 207 leur osteroit bien autant de leur force que sa grandeur leur en donneroit, et outre cela l’obiet ne pourroit pas estre tant esclairé. Il sera bon aussy Maire, p. 133
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de poser cette lunete sur quelque machine comme ST, qui la tiene directement tournée vers le soleil. Et il faut enchasser le verre NOPR dans le milieu d’vn miroir creux parabolique, comme CC, qui rassemble tous les rayons du soleil au point Z, sur l’obiet, qui doit y estre soustenu par le petit bras G, qui sorte de quelqu’endroit de ce miroir. Et ce bras doit aussy soustenir, autour de cét obiet, quelque cors noir et obscur, comme HH, iustement de la grandeur du verre NOPR, afin qu’il empesche qu’aucuns des rayons du soleil ne tombent directement sur ce verre ; car de là entrans dans le AT VI, 208 tuyau, quelques vns d’eux se pourroient refleschir vers l’œil et affoiblir d’autãt la vision, pource qu’encore que ce tuyau doiue estre tout noir par le dedans, il ne le peut estre toutesfois si parfaitement que sa matiere ne cause tousiours quelque peu de reflexion, lors que la lumiere est fort viue, ainsi qu’est celle du soleil. Outre cela ce cors noir HH, doit auoir vn trou au milieu marqué Z, qui soit de la grandeur de l’obiet, afin que si cét obiet est en quelque façon transparent, il puisse aussy estre esclairé par les rayons qui vienent directement du soleil ; Ou mesme encore si besoin est, par ces rayons ramassés au point Z par vn verre bruslant, comme II, de la grandeur du verre NOPR, en sorte qu’il viene de tous costés autant de lumiere sur l’obiet, qu’il en peut souffrir sans en estre consumé. Et il sera aysé de couurir vne partie de ce miroir CC, ou de ce verre II, pour empescher qu’il n’y en puisse venir trop. Vous voyés bien pourquoy i’ay icy tant de soin de faire que l’obiet soit fort esclairé, et qu’il viene beaucoup de ses rayons vers l’œil. car le verre Maire, p. 134
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NOPR qui en cette lunete fait l’office de la prunelle, et dans lequel se croisent ceux de ces rayons qui vienent de diuers poins, estant beaucoup plus proche de l’obiet que de l’œil, est cause qu’ils s’estendent sur les extremités du nerf optique, en vn espace beaucoup plus grand que n’est la superficie de l’obiet d’où ils vienent ; et vous sçaués qu’ils y doiuent auoir d’autant moins de force, qu’ils y sont plus estendus, cõme on voit au contraire qu’estans rassemblés en vn plus petit espace par vn miroir ou verre bruslant, ils en ont plus. Et c’est de là que depend la longueur AT VI, 209 de cette lunete, c’est à dire, la distance qui doit estre entre l’hyperbole NOP eet son point bruslant. Car d’autant qu’elle est plus longue, d’autant l’image de l’obiet est plus estendue dans le fonds de l’œil, ce qui fait que toutes ses petites parties y sont plus distinctes. Mais cela mesme affoiblist aussy tellement leur action, qu’enfin elle ne pourroit plus estre sentie si cette lunete estoit par trop longue. En sorte que sa plus grande longueur ne peut estre determinée que par l’experience, et mesme elle varie, selon que les obiets peuuent plus ou moins auoir de lumiere, sans en estre consumés. le sçay bien qu’on pourroit encore adiouster quelques autres moyens pour rendre cette lumiere plus forte, mais outre qu’ils seroient plus malaysés à mettre en pratique, à peine trouueroit on des obiets qui en peussent souffrir d’auantage. On pourroit bien aussy au lieu du verre hyperbolique NOPR, en trouuer d’autres qui receuroient quelque peu plus grande quantité de rayons ; mais ou ils ne feroient pas que ces rayons venans de diuers poins de l’obiet s’assemblassent si exactement vers l’œil en autant Maire, p. 135
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d’autres diuers poins ; ou il faudroit y employer deux verres au lieu d’vn, en sorte que la force de ces rayons ne seroit pas moins diminuée par la multitude des superficies de ces verres, qu’elle seroit augmentée par leurs figures, et enfin l’execution en seroit de beaucoup plus difficile. Seulement vous veus-ie encore auertir que ces lunetes ne pouuãt estre appliquées qu’a vn seul œil, il sera mieux de bander l’autre, ou le couurir de quelque voile fort obscur, afin que sa prunelle demeure la plus ouuerte qu’il se pourra, que de AT VI, 210 le laisser exposé à la lumiere, ou de le fermer par l’ayde des muscles qui meuuent ses paupieres ; car il y a ordinairemẽt telle connexion entre les deux yeux, que l’vn ne sçauroit gueres se mouuoir en aucune façon, que l’autre ne se dispose à l’imiter. De plus il ne sera pas inutile non seulement d’appuier cette lunete tout contre l’œil, en sorte qu’il ne puisse venir vers luy aucune lumiere que par elle, mais aussy d’auoir auparauant attendri sa veuë en se tenant en lieu obscur, et d’auoir l’imagination disposée comme pour regarder des choses fort esloignées et fort obscures, afin que la prunelle s’ouure d’autant plus, et ainsi qu’on en puisse voir vn obiet d’autant plus grand. Car vous sçaués que cette action de la prunelle ne suit pas immediatement de la volonté qu’on a de l’ouurir, mais plustost de l’idée ou du sentiment qu’on a de l’obscurité et de la distance des choses qu’on regarde.

Au reste si vous faites vn peu de reflexion sur tout ce qui a esté dit cydessus, particulierement sur ce que nous auons requis de la part des organes exterieurs pour rendre la vision la plus parfaitte qu’elle puisse estre, il ne Maire, p. 136
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vous fsera pas malaysé à entendre que par ces diuerses façons de lunetes on y adiouste tout ce que l’art y peut adiouster. sans qu’il soit besoin que ie m’arreste à vous en deduire la preuue plus au lõg. Il ne vous sera pas malaysé non plus à connoistre, que toutes celles qu’on a euës iusques icy, n’ont pû aucunement estre parfaittes, vû qu’il y a tres-grande difference entre la ligne circulaire et l’hyperbole, et qu’on a seulement tasché en les faisant à se seruir de celle là, pour les effects ausquels i’ay demonstré AT VI, 211 que cellecy estoit requise. en sorte qu’on n’a iamais sceu rencontrer que lors qu’on a failli si heureusement, que pensant rendre spheriques les superficies des verres qu’on a taillés, on les a rendues hyperboliques, ou de quelqu’autre figure equiualente. Et cecy a principalement empesché qu’on n’ait pû bien faire les lunetes qui seruent à voir les obiets inaccessibles, car leur verre conuexe doit estre plus grand que celuy des autres : et outre qu’il est moins aysé de rencontrer en beaucoup qu’en peu, la difference qui est entre la figure hyperbolique et la spherique est bien plus sensible vers les extremités du verre que vers son centre. Mais à cause que les artisans iugeront peut estre qu’il y a beaucoup de difficulté à tailler les verres exactement suiuant cette figure hyperbolique, ie tascheray encore icy de leur donner vne inuention, par le moyen de laquelle ie me persuade qu’ils en pourront assés commodement venir à bout.

Maire, p. 137
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DE LA FAÇON DE TAILLER LES VERRES.
Discours Dixiesme.

Apres auoir choisi le verre ou le cristal, dont on a dessein de se seruir, il est premierement besoin de chercher la proportion, qui suiuant ce qui a esté dit cy dessus, sert de mesure à ses refractions ; et on la AT VI, 212 pourra commodement trouuer par l’ayde d’vn tel instrument. EFI est vne planche ou vne reigle toute plate et toute droite, et faitte de telle matiere qu’on voudra. pourvû qu’elle ne soit ny trop luisante, ny transparente, affinque la lumiere donnant dessus puisse facilement y estre discernée de l’ombre. EA et FL sont deux pinnules, c’est à dire deux petites lames, de telle matiere aussy qu’on voudra, pourvû qu’elle ne soit pas transparente, esleuées à plomb sur EFI, et dans lesquelles il y a deux petits trous ronds, A et L, posés iustement vis à vis l’vn de l’autre, en sorte que le rayon AL passant au trauers, soit parallele Maire, p. 138
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à la ligne EF. Puis RPQ est vne piece du verre que vous voulés esprouuer, taillée en forme de triangle, dont l’angle RQP est droit, et PRQ est plus aigu que RPQ. Les trois costés RQ, QP, et RP, sont trois faces toutes plates et polies, en sorte que la face QP estant appuiée contre la planche EFI, et l’autre face QR contre la pinnule FL, le rayon du Soleil qui passe par les deux trous A et L penetre iusques à B au trauers du verre PQR sans y souffrir aucune refraction, à cause qu’il rencontre perpendiculairement sa superficie RQ. Mais estant paruenu au point B où il rencontre obliquement son autre superficie RP, il n’en peut sortir sans se AT VI, 213 courber vers quelque point de la planche EF, comme par exemple vers I. Et tout l’usage de cét instrument ne consiste qu’a faire ainsi passer le rayon du Soleil par ces trous A et L, affin de connoistre par ce moyen le rapport qu’a le point I, c’est à dire le centre de la petite ouale de lumiere que ce rayon descrit sur la planche EFI, auec les deux autres poins B et P, qui sont ; B, celuy où la ligne droite qui passe par les centres des deux trous A et L se termine sur la superficie RP ; et P celuy où cette superficie RP et celle de la planche EFI sont couppées, par le plan qu’on imagine passer par les poins B et I, et ensemble par les centres des deux trous A et L.

Or connoissant ainsi exactement ces trois poins BPI, et par consequent aussy le triangle qu’ils determinent, on doit transferer ce triangle auec vn compas sur du papier ou quelqu’autre Maire, p. 139
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plan fort vni. puis du centre B descrire par le point BP le cercle NPT, et ayant pris l’arc NP esgal à PT, tirer la ligne droite BN qui couppe IP prolongée au point H. puis derechef du centre B par H descrire le cercle HO qui couppe BI au point O. Et on aura la proportion qui est entre les lignes HI et OI pour la mesure commune de toutes les refractions qui peuuent estre causées par la difference qui est entre l’air et le verre qu’on examine. De quoy si on n’est pas encore certain, on pourra faire tailler du mesme verre d’autres petits triangles rectangles differens de cettuy-cy, et se seruant d’eux en mesme sorte pour chercher cette proportion, AT VI, 214 on la trouuera tousiours semblable, et ainsi on n’aura aucune occasion de douter que ce ne soit veritablement celle qu’on cherchoit. Que si aprés cela dans la ligne droite HI, on prend MI esgale à OI, et HD esgale à DM, on aura D pour le sommet, et H et I pour les poins brulans de l’hyperbole dont ce verre doit auoir la figure pour seruir aus lunetes que i’ay descrites.

Et on pourra rendre ces trois poins HDI plus ou moins esloignéesez qu’ils ne sont de tant qu’on voudra, en tirant seulement vne autre ligne droite parallele à HI plus loin ou plus prés qu’elle du point B, et tirant de ce point B trois lignes droites BH, BD, BI qui la couppent. Comme vous Maire, p. 140
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voyés icy qu’il y a mesme raport entre les trois poins HDI et, hdi, qu’entre les trois HDI.

Puis il est aysé ayant ces trois poins de tracer l’hyperbole en la façon qui a esté cy dessus expliquée, à sçauoir en plantant deux picquesets aux poins H et I, et faisant que la corde mise autour du picquet H, soit tellement attachée à la reigle qu’elle ne se puisse replier, vers I, plus auant que iusques à D.

Mais si vous aymés mieux la tracer auec le compas ordinaire en cherchant plusieurs poins par où elle AT VI, 215 passe ; mettés l’vne des pointes de ce compas au point H ; et l’ayant tant ouuert, que son autre pointe passe vn peu au delà du point D, comme iusques à I, du centre H descrivés le cercle I33 ; puis ayant fait M2 esgale à HI, du centre I par le point 2, descriués le cercle 233, qui couppe le precedent aux poins 33, par lesquels cette hyperbole doit passer, Maire, p. 141
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aussy bien que par le point D, qui en est le sommet. Remettés paraprés tout de mesme l’vne des pointes du compas au point H, et l’ouurant en sorte que son autre pointe passe vn peu au delà du point I, comme iusques à 4, du centre H descriués le cercle 466. Puis ayant pris M5 esgale à H4, du centre I par 5 descriués le cercle 566, qui coupe le precedent aux poins 66 qui sont dans l’hyperbole. Et ainsi continuant de mettre la pointe du compas au point H, et le reste comme deuant, vous pouués trouuer tant de poins qu’il vous plaira de cette hyperbole.

Ce qui ne sera peut estre pas mauuais pour faire grossierement quelque modelle qui represente à peu prés la figure des verres qu’on veut tailler. Mais pour leur donner exactement cette figure, il est besoin d’auoir quelque autre inuention par le moyen de laquelle on puisse descrire des hyperboles tout d’vn trait, comme on descrit des cercles auec vn compas. Et ie n’en sçache point de meilleure que la suiuante. Premierement du centre T, qui est le milieu de la AT VI, 216 ligne HI, il faut descrire le cercle HVI, puis du point D esleuer vne perpendiculaire sur HI, qui couppe ce cercle au point V. Et de T tirant vne ligne droite par ce point V, on aura l’angle HTV, qui est tel, que si on l’imagine tourner en rond autour de l’aissieu HT, la ligne TV descrira la superficie d’vn Cone, dans lequel la section faite par le plan VX parallele à cét aissieu HT, et sur lequel DV tombe à angles drois, sera vne hyperbole toute semblable et esgale à la precedente. Et tous les autres plans paralleles à cettuy-cy coupperont aussy dans ce Maire, p. 142
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Cone des hyperboles toutes semblables, mais inesgales, et qui auront leurs poins bruslans plus ou moins esloignés selon que ces plans le seront de cét aissieu.

En suite de quoy on peut faire vne telle machine. AB est vn tour ou rouleau de bois ou de metal, qui tournant sur les poles I, 2 represente l’aissieu HI de l’autre figure. CG, EF sont deux lames ou planches toutes plates et vnies principalement du costé qu’elles s’entretouchent, en sorte que la superficie qu’on peut imaginer entre elles deux, estant parallele au rouleau AB, et coupée à angles droits par le plan qu’on imagine passer par les poins I, 2, et C, O, G, represente le plan VX qui couppe le Cone. Et NP la largeur de la superieure CG est esgale au diametre du verre qu’on veut tailler, ou tant soit peu plus grande. Enfin KLM est vne reigle qui tournant auec le rouleau AB sur les poles I, 2, en sorte que l’angle ALM demeure tousiours esgal à HTV, represente la ligne TV AT VI, 217 qui descrit le Cone. Et il faut penser que cette reigle est tellement passée au trauers de ce rouleau, qu’elle peut se hausser et se baisser en coulant dans le trou L, qui est iustement de sa grosseur ; et mesme qu’il y a quelque part, comme vers K, vn pois ou ressort, qui la presse tousiours contre la lame CG, par qui elle est soustenue, et empeschée de passer outre. Et de plus que son extremité M est vne pointe d’acier bien trempée, qui a la force de coupper cette lame CG, mais non pas l’autre EF qui est dessous. D’ou il est manifeste, Maire, p. 143
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que si on fait mouuoir cette reigle KLM sur les poles I, 2, en sorte que la pointe d’acier M passe d’N par O vers P, et reciproquement de P par O vers N, elle diuisera cette lame CG en deux autres, CNOP, et GNOP, dont le costé NOP sera terminé d’vne ligne tranchante, conuexe en CNOP, et concaue en GNOP, qui aura exactement la figure d’vne hyperbole. Et ces deux lames, CNOP, GNOP, estant d’acier ou autre matiere fort dure, pourront seruir non seulement de modelles, mais peut estre aussy d’outils ou instrumens pour tailler certaines rouës, dont ie diray tantost que les verres doiuent tirer leurs figures. toutesfois il y a encore icy quelque defaut en ce que la pointe d’acier M, estant AT VI, 218 vn peu autrement tournée lors qu’elle est vers N, ou vers P, que lors qu’elle est vers O, le fil ou le tranchant qu’elle donne à ces outils ne peut estre par tout esgal. Ce qui me fait croire qu’il vaudra mieus se seruir de la machine suiuante, nonobstant qu’elle soit vn peu plus composée.

ABKLM n’est qu’vne seule piece qui se meut toute entiere sur les poles I, 2, et dont la partie ABK peut auoir Maire, p. 144
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telle figure qu’on voudra, mais KLM doit auoir celle d’vne reigle ou autre tel cors, dont les lignes qui terminent ses superficies soient paralleles : et elle doit estre tellement inclinée, que la ligne droite 43 qu’on imagine passer par le centre de son espaisseur estant prolongée iusques à celle qu’on imagine passer par les poles I, 2, y Voyés en la figure de la page 142.face vn angle 234 esgal à celuy qui a tantost esté marqué des lettres HTV. CG, EF sont deux planches paralleles à l’aissieu I2, et dont les superficies qui AT VI, 219 se regardent sont fort plates et vnies, et couppées à angles drois par le plan I2GOC. Mais au lieu de s’entretoucher comme deuant elles sont icy iustement autant esloignées l’vne de l’autre qu’il est besoin pour donner passage entre elles deux à vn cylindre ou roulleau, QR, qui est exactement rond, et par tout d’essgale grosseur. Et Maire, p. 145
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de plus elles ont chascune vne fente, NOP, qui est si longue et si large, que la reigle KLM passant par dedans peut se mouuoir ça et la sur les poles 1, 2, tout autant qu’il est besoin pour tracer entre ces deux planches vne partie d’vne hyperbole, de la grandeur du diametre des verres qu’on veut tailler. Et cette reigle est aussy passée au trauers du roulleau QR, en telle façon, que le faisant mouuoir auec soy, sur les poles I, 2, il demeure neantmoins tousiours enfermé entre les deus planches CG, EF, et parallele à l’aissieu I2. Enfin Y67, et Z89, sont les outils qui doiuent seruir à tailler en hyperbole tel cors qu’on voudra, et leurs manches YZ sont de telle espaisseur que leurs superficies qui sont toutes plates touchent exactement de part et d’autre celles des deux planches CG, EF, sans qu’ils laissent pour cela de glisser entre deux, à cause qu’elles sont fort polies. Et ils ont chascun vn trou rond, 5, 5, dans AT VI, 220 lequel l’vn des bouts du roulleau QR est tellement enfermé, que ce roulleau peut bien se tourner autour de la ligne droite 55, qui est comme son aissieu, sans les faire tourner auec soy, à cause Maire, p. 146
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que leurs superficies plates estant engagées entre les planches les en empeschent ; mais qu’en quelque autre façon qu’il se meuue il les contraint de se mouuoir aussy auec luy. Et de tout cecy il est manifeste que pendant que la reigle KLM est poussée d’N vers O et d’O vers P, ou de P vers O et d’O vers N, faisant mouuoir auec soy le roulleau QR, elle fait mouuoir par mesme moyen ces outils Y67, et Z89, en telle façon que le mouuement particulier de chascune de leurs parties descrit exactemẽt la mesme hyperbole que fait l’intersection des deux lignes 34, et 55, dont l’vne, à sçauoir 34, par son mouuement descrit le cone, et l’autre, 55, descrit le plan qui le couppe. Pour les pointes ou tranchans de ces outils, on les peut faire de diuerses façons, selon les diuers vsages ausquels on les veut employer. Et pour donner la figure aux verres conuexes, il me semble qu’il sera bon de se seruir premierement de l’outil Y67 et d’en tailler plusieurs lames d’acier presque semblables à CNOP qui a tantost esté descrite. Puis tant par le moyen de ces lames que de l’outil Z89, de creuser vne rouë comme d, tout autour selon son espaisseur abc, en sorte que toutes les sections qu’on peut imaginer y estre faites par des plans dans lesquels se trouue ee l’aissieu de cette rouë, ayent la figure de l’hyperbole que trace cette machine. Et enfin d’attacher le verre qu’on veut tailler sur vn tour comme hik, et l’appliquer contre cette rouë d, en telle AT VI, 221 sorte que faisant mouuoir ce tour sur son aissieu hk, en tirant la corde ll, et cette rouë aussy sur le sien, en la tournant, le verre mis entre deux prene exactement la figure qu’on luy doit donner. Maire, p. 147
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Or touchant la façon de se seruir de l’outil Y67, il est à remarquer qu’on ne doit tailler que la moitie des lames cnop à vne fois, par exemple que celle qui est entre les poins n eto. Et à cét effet il faut mettre vne barre en la machine vers P, qui empesche que la reigle KLM estant meuë d’N vers O ne se puisse auancer vers P qu’autant qu’il faut, pour faire que la ligne 34 qui marque le milieu de son espaisseur paruiene iusques au plan 12GOC qu’on imagine coupper les planches à angles droits. Et le fer de cét outil Y67 doit estre de telle figure, que toutes les parties de son tranchant soient en ce mesme plan, lors que la ligne 34 s’y trouue ; et qu’il n’en ait point d’autres ailleurs qui s’auancent au dela vers le costé marqué P, AT VI, 222 mais que tout le tallu de son espaisseur se iette vers N. Au reste on le peut faire si mousse ou si Maire, p. 148
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aygu, et tant ou si peu incliné, et de telle longueur qu’on voudra, selon qu’on le iugera plus à propos. Puis ayant forgé les lames cnop, et leur ayant donné auec la lime la figure la plus approchãte qu’on aura pû de celle qu’elles doiuẽt auoir, il les faut appliquer et presser contre cét outil K67, et faisant mouuoir la reigle KLM, d’N vers O, et reciproquement d’O vers N, on taillera l’vne de leurs moities. Puis afin de pouuoir rendre l’autre toute semblable, il doit y auoir vne barre ou autre telle chose qui empesche qu’elles ne puissent estre auancées vers cet outil, au dela du lieu où elles se trouuent lors que leur moitié NO est acheuée de tailler : et lors les en ayant vn peu reculées, il faut changer le fer de cét outil Y67 et en mettre vn autre en sa place dont le tranchant soit exactement dans le mesme plan, et de mesme forme, et autant auancé que le precedent, mais qui ait tout le tallu de son espaisseur ietté vers P, en sorte que si on appliquoit ces deux fers de plat l’vn contre l’autre, leurs deux tranchans semblassent n’en faire qu’vn. Puis ayant transferé vers N la barre qu’on auoit mise auparauant vers P pour empescher le mouuement de la reigle KLM, il faut faire mouuoir cette reigle d’O vers P et de P vers O, iusques à ce que les lames cnop soient autant auancées vers l’outil Y67, qu’auparauant, et cela estant elles seront acheuées de tailler.

Pour la rouë d, qui doit estre de quelque matiere fort dure, aprés luy auoir donné auec la lime la figure la plus approchante de celle qu’elle doit auoir, qu’on AT VI, 223 aura pû, il sera fort aysé de l’acheuer, premierement auec les lames cnop, pourvû qu’elles ayent esté au commencement si Maire, p. 149
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bien forgées que la trampe ne leur ait rien osté depuis de leur figure, et qu’on les applique sur cette rouë en telle sorte que leur tranchant nop et son aissieu ee soient en vn mesme plan ; et enfin qu’il y ait vn ressort ou contrepois qui les presse contre elle, pendant qu’on la fait tourner sur son aissieu. Puis aussy auec l’outil Z89, dont le fer doit estre esgalement tallué des deus costés, et auec cela il peut auoir telle figure quasi qu’on voudra, pourvû que toutes les parties de son tranchant 89 soient dans vn plan qui couppe les superficies des planches CGEF à angles drois. Et pour s’en seruir on doit faire mouuoir la reigle KLM sur les poles I, 2, en sorte qu’elle passe tout de suite de P iusques à N, puis reciproquement d’N iusques à P, pendant qu’on fait tourner la rouë sur son aissieu. Au moyen de quoy le tranchant de cet outil ostera toutes les inesgalités, qui se trouueront d’vn costé à l’autre en l’espaisseur de cette rouë, et sa pointe toutes celles qui se trouueront de haut en bas. Car il doit auoir vn tranchant et vne pointe.

Apprés que cette rouë aura ainsi acquis toute la perfection qu’elle peut auoir, le verre pourra facilement estre taillé par les deus diuers mouuemens d’elle et du tour, sur lequel il doit estre attaché, pourvû seulement qu’il y ait quelque ressort, ou autre inuention, qui sans empescher le mouuement que le tour luy donne, le presse tousiours contre la rouë, et que le bas de cette rouë soit tousiours plongé dans vn vase qui contïene le grés, ou l’emeri, ou le tripoli, ou la potée, AT VI, 224 ou autre telle matiere, dont il est besoin de se seruir pour tailler et polir le verre.

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Et à l’exemple de cecy vous pouués assés entendre en quelle sorte on doit donner la figure aux verres concaues, à sçauoir en faisant premierement des lames comme cnop auec l’outil Z89. puis taillant vne rouë tant auec ces lames qu’auec l’outil Y67, et tout le reste en la façon qui vient d’estre expliquée. Seulement faut il obseruer que la rouë dont on se sert pour les conuexes peut estre aussy grande qu’on la voudra faire, mais que celle dont on se sert pour les concaues doit estre si petite que lors que son centre est vis à vis de la ligne 55, de la machine qu’on employe à la tailler, sa circonference ne passe point audessus de la ligne I2, de la mesme machine. Et on doit faire mouuoir cette rouë beaucoup plus viste, que le tour, pour polir ces verres concaues ; au lieu qu’il est mieux pour les conuexes de faire mouuoir le tour plus promtement ; dont la raison est que le mouuement du tour vse beaucoup plus les extremités du verre, que le milieu, et qu’au contraire celuy de la rouë les vse moins. Pour l’vtilité de ces diuers mouuemens elle est fort manifeste, car polissant les verres auec la main dans vne forme, en la façon qui seule a esté en vsage iusques à present, il seroit impossible de rien faire de bien que par hasard, encore que les formes fussent toutes parfaites ; et les polissant auec le seul mouuement du tour sur vn modelle, tous les petits defauts de ce modelle marqueroient des cercles entiers sur le verre.

le n’adiouste pas icy les demonstrations de plusieurs AT VI, 225 choses qui appartienẽt à la Geometrie, car ceux qui sont vn peu versés en cette science, les pourront assés entendre d’eux mesmes, et ie me persuade que les autres seront Maire, p. 151
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plus ayses de m’en croire, que d’auoir la peine de les lire. Au reste, affin que tout se face par ordre, ie voudrois premierement qu’on s’exercast à polir des verres, plats d’vn costé, et conuexes de l’autre, qui eussent la figure d’vne hyperbole dont les poins bruslans fussent à deux ou trois pieds l’un de l’autre : car cette longeurlongueur est suffisante pour vne lunete, qui serue à voir assés parfaittement les obiets inaccessibles. Puis ie voudrois qu’on fist des verres concaues de diuerses figures en les creusant tousiours de plus en plus, iusques à ce qu’on eust trouué par experience la iuste figure de celuy, qui rendroit cette lunete la plus parfaitte qu’il soit possible, et la mieux proportionnée à l’œil qui auroit à s’en seruir. Car vous sçaués que ces verres doiuent estre vn peu plus concaues pour ceux qui ont la veuë courte que pour les autres. Or ayant ainsi trouué ce verre concaue, d’autant que le mesme peut seruir au mesme œil pour toute autre sorte de lunetes, il n’est plus besoin pour les lunetes qui seruent à voir les obiets inaccessibles, que de s’exercer à faire d’autres verres conuexes qui doiuent estre posés plus loin du concaue que le premier, et à en faire aussy par degrés qui doiuent estre posés de plus en plus loin, iusques à la plus grande distance qu’il se pourra, et qui soient aussy plus grands à proportion. Mais notés que d’autant que ces verres conuexes doiuent estre posés plus loin des concaues, et par consequent aussy de l’œil, d’autant doiuent ils AT VI, 226 estre taillés plus exactement, à cause que les mesmes defauts y détournent les rayons d’autant plus loin de l’endroit où ils doiuent aller. Comme si le Maire, p. 152
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verre F détourne le rayon CF autant que le verre E détourne AE, en sorte que les angles AEG et CFH soient esgaus, il est manifeste que CF, allant vers H, s’esloigne bien plus du point D où il iroit sans cela, qu’AE ne fait du point B, allant vers G. Enfin la derniere et principale chose à quoy ie voudrois qu’on s’exercast, c’est à polir les verres conuexes des deux costés pour les lunetes qui seruent à voir les obiets accessibles, et que s’estant premierement exercé à en faire de ceux qui rendent ces lunetes fort courtes, à cause que ce seront les plus aysés, on taschast aprés par degrés à en faire de ceux qui les rendent plus longues, iusques à ce qu’on soit paruenu aus plus longues dont on se puisse seruir. Et affin que la difficulté que vous pourrés trouuer en la construction de ces dernieres lunetes ne vous dégouste, ie vous veux auertir qu’encore que d’abord leur vsage n’attire pas tant que celuy de ces autres, qui semblent promettre de nous esleuer dans les cieux, et de nous y monstrer sur les astres des cors aussy particuliers, et peut estre, aussy diuers que ceux qu’on void sur la terre ; ie les iuge toutesfois beaucoup plus vtiles, à cause qu’on pourra voir par leur moyen les diuers meslanges et arrengemens des petites parties dont les animaus et les plantes, et peut estre aussy les autres cors qui nous enuironnent, sont composés, et de la tirer beaucoup d’auantage pour venir à la connoissance de leur nature. Car desia AT VI, 227 selon l’opinion de plusieurs Philosophes, tous ces cors ne sont faits que des parties des elemens diuersement meslées ensemble : et selon la miene, toute leur nature et Maire, p. 153
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leur essence, au moins de ceux qui sont inanimés, ne consiste qu’en la grosseur, la figure, l’arrangement, et les mouuemens de leurs parties.

Pour la difficulté qui se rencontre, lors qu’on voute ou creuse ces verres des deus costés, à faire que les sommets des deux hyperboles soient directement opposés l’vn à l’autre, on y pourra remedier, en arondissant sur le tour leur circonference, et la rendant exactement esgale à celle des manches ausquels on les doit attacher pour les polir. Puis lors qu’on les y attache, et que le plastre, ou la poix et le ciment, dont on les y ioint, est encore frais et flexible, en les faisant passer auec ces manches par vn anneau dans lequel ils n’entrent qu’a peine. Ie ne vous parle point de plusieurs autres particularités qu’on doit obseruer en les taillant, ny aussy de plusieurs autres choses que i’ay tantost dit estre requises en la construction des lunetes, car il n’y en a aucune que ie iuge si difficile qu’elle puisse arrester les bons esprits. Et ie ne me reigle pas sur la portée ordinaire des artisans. ie veus esperer que les inuentions que i’ay mises en ce Traité seront estimées assés belles et assés importantes pour obliger quelques vns des plus curieus et des plus industrieus de nostre siecle à en entreprendre l’execution.

FIN.