Maire, p. (154)
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AT VI, (228) Maire, p. (155)
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AT VI, (229)

LES METEORES.

Maire, p. (156)
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AT VI, (230)
Maire, p. 157
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AT VI, (231)

LES METEORES.
Discours Premier.
DE LA NATVRE DES CORS TERRESTRES.

Nous auons naturellement plus d’admiration pour les choses qui sont au dessus de nous que pour celles qui sont à pareille hauteur, ou au dessous. Et quoy que les nues n’excedent gueres les sommets de quelques montaignes, et qu’on en voye mesme souuent de plus basses que les pointes de nos clochers, toutefois à cause qu’il faut tourner les yeux vers le ciel pour les regarder, nous les imaginons si relevées, que mesme les Poëtes et les Peintres en composent le throsne de Dieu, et font que là il employe ses propres mains à ouurir et fermer les portes des vens, à verser la rozée sur les fleurs, et à lancer la foudre sur les rochers. Ce qui me fait esperer que si i’explique icy leur nature, en telle sorte, qu’on n’ait plus occasion d’admirer rien de ce qui s’y voit, ou qui en descent, on croyra facilement qu’il est possible en mesme façon de trouuer les causes de tout ce qu’il y a de plus admirable dessus la terre. AT VI, 232

Ie parleray en ce premier discours de la nature des cors terrestres en general ; affin de pouuoir mieus expliquer Maire, p. 158
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dans le suiuant celle des exhalaisons et des vapeurs. Puis à cause que ces vapeurs s’esleuans de l’eau de la mer forment quelquefois du sel au dessus de sa superficie, ie prendray de là occasion de m’arester vn peu à le descrire, et d’essayer en luy si on peut connoistre les formes de ces cors que les Philosophes disent estre composés des elemens par vn meslange parfait, aussy bien que celles des Meteores qu’ils disent n’en estre composés que par vn meslange imparfait. Aprés cela conduisant les vapeurs par l’air, i’examineray d’où vienent les vens ; Et les faisant assembler en quelques endroits, ie descriray la nature des nues : Et faisant dissoudre ces nues, ie diray ce qui cause la pluie, la gresle, et la neige ; où ie n’oublieray pas celle dont les parties ont la figure de petites estoiles à six pointes tres parfaitement compassées, et qui, bienqu’elle n’ait point esté obseruée par les anciens, ne laisse pas d’estre l’vne des plus rares merueilles de la Nature. Ie n’oublieray pas aussy les tempestes, le tonnerre, la foudre, et les diuers feus qui s’allument en l’air, ou les lumieres qui s’y voyent. Mais sur tout ie tascheray de bien depeindre l’arc en ciel, et de rendre raison de ses couleurs, en telle sorte, qu’on puisse aussy entendre la nature de toutes celles qui se trouuent en d’autres suiets. À quoy i’adiousteray la cause de celles qu’on voit communement dans les nuës ; et des cercles qui enuironnent les astres : Et enfin la cause des Soleils, ou des Lunes, qui paroissent quelquefois plusieurs ensemble.

AT VI, 233 Il est vray que la connoissance de ces choses, dependant des principes generaus de la Nature, qui n’ont point encore esté, que ie sçache, bien expliqués, il faudra que Maire, p. 159
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ie me serue au commencement de quelques suppositions, ainsi que iay fait en la Dioptrique. mais ie tascheray de les rendre si simples et si faciles, que vous ne ferés peut estre pas difficulté de les croyre, encore que ie ne les aye point demonstrées.

Ie suppose premierement que l’eau, la terre, l’air, et tous les autres tels cors qui nous enuironnent, sont composés de plusieurs petites parties de diuerses figures et grosseurs, qui ne sont iamais si bien arrengées, ni si iustement iointes ensemble, qu’il ne reste plusieurs interualles autour d’elles. Et que ces interualles ne sont pas vuides, mais remplis de cette matiere fort subtile ; par l’entremise de laquelle i’ay dit cy dessus que se cõmuniquoit l’action de la lumiere. Puis en particulier ie suppose que les petites parties dont l’eau est composée sont longues, vnies, et glissantes, ainsi que de petites anguilles, qui quoy qu’elles se ioignent et s’entrelacent, ne se nouënt ny ne s’accrochent iamais pour cela en telle façon qu’elles ne puissent aysement estre separées. Et au contraire que presque toutes celles tant de la terre que mesme de l’air, et de la plus part des autres cors, ont des figures fort irregulieres et inesgales ; en sorte qu’elles ne peuuent estre si peu entrelacées, qu’elles ne s’accrochent et se lient les vnes aus autres, ainsi que font les diuerses branches des arbrisseaus, qui croissent ensemble dans vne haye. Et lors qu’elles se AT VI, 234 lient en cette sorte, elles composent des cors durs, comme de la terre, du bois, ou autres semblables. au lieu que si elles sont simplement posées l’vne sur l’autre, sans estre que fort peu ou point du tout entrelacées ; et qu’elles soient auec cela si petites, Maire, p. 160
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qu’elles puissent estre meuës et separées par l’agitation de la matiere subtile qui les enuironne ; elles doiuent occuper beaucoup d’espace, et composer des cors liquides, fort rares, et fort legers, comme des huiles, ou de l’air. De plus il faut penser que la matiere subtile, qui remplist les interuales qui sont entre les parties de ces cors, est de telle nature qu’elle ne cesse iamais de se mouuoir ça et là grandement viste, non point toutefois exactement de mesme vitesse, en tous lieus, et en tous tems, mais qu’elle se meut communement vn peu plus viste vers la superficie de la terre, qu’elle ne fait au haut de l’air où sõt les nuës, et plus viste vers les lieus proches de l’Equateur, que vers les Poles, et au mesme lieu plus viste l’esté que l’hyuer, et le iour que la nuit. Dont la raison est euidente, en supposant que la lumiere n’est autre chose qu’vn certain mouuement, ou vne action, dont les cors lumineus poussent cette matiere subtile de tous costés autour d’eus en ligne droite, ainsi qu’il a esté dit en la Dioptrique. Car il suit de là que les rayons du soleil, tant droits, que refleschis, la doiuent agiter d’auantage le iour que la nuit, et l’esté que l’hyuer, et sous l’Equateur que sous les Poles, et contre la terre que vers les nues. Puis il faut aussy penser que cette matiere subtile est composée de diuerses parties, qui bienqu’elles soient toutes tres petites, le sont toutefois AT VI, 235 beaucoup moins les vnes que les autres, et que les plus grosses, ou pour mieus parler les moins petites, ont tousiours le plus de force, ainsi que generalement tous les grans cors en ont plus que les moindres, quand ils sont autant esbranslés. Ce qui fait que moins cette matiere est subtile, c’est à Maire, p. 161
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dire composée de parties moins petites, plus elle peut agiter les parties des autres cors. Et cecy fait aussy qu’elle est ordinairement le moins subtile aux lieus, et aux tems où elle est le plus agitée. comme vers la superficie de la terre que vers les nuës, et sous l’Equateur que sous les Poles, et en esté qu’en hyuer, et de iour que de nuit. Dont la raison est que les plus grosses de ses parties ayant le plus de force, peuuent le mieux aller vers les lieux, où l’agitation estant plus grande, il leur est plus aysé de continuer leur mouuement. Toutefois il y en a tousiours quantité de fort petites qui se coulent parmi ces plus grosses. Et il est à remarquer que tous les cors terrestres ont bien des pores, par où ces plus petites peuuent passer, mais qu’il y en a plusieurs qui les ont si estroits, ou tellement disposés, qu’ils ne recoiuent point les plus grosses ; et que ce sont ordinairement ceux cy qui se sentent les plus froids quand on les touche, ou seulement quand on s’en approche. Comme d’autant que les marbres et les metaus se sentent plus froids que le bois, on doit penser que leurs pores ne recoiuent pas si facilemẽt les parties moins subtiles de cette matiere ; et que les pores de la glace les recoiuent encore moins facilement que ceux des marbres ou des metaus, d’autant qu’elle est encore plus froide. Car ie suppose icy que pour AT VI, 236 le froid et le chaud, il n’est point besoin de conceuoir autre chose, sinon que les petites parties des cors que nous touchons, estant agitées plus ou moins fort que de coustume, soit par les petites parties de cette matiere subtile, soit par telle autre cause que ce puisse estre, agitent aussy plus ou moins les petits filets de ceux de nos nerfs qui Maire, p. 162
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sont les organes de l’attouchement. Et que lors qu’elles les agitent plus fort que de coustume, cela cause en nous le sentiment de la chaleur ; au lieu que lors qu’elles les agitent, moins fort, cela cause le sentiment de la froideur. Et il est bien aysé à comprendre qu’encore que cette matiere subtile, ne separe pas les parties des cors durs, qui sont comme des branches entrelacées, en mesme façon qu’elle fait celles de l’eau, et de tous les autres cors qui sont liquides ; elle ne laisse pas de les agiter et faire trembler plus ou moins, selon que son mouuement est plus ou moins fort, et que ses parties sont plus ou moins grosses. Ainsi que le vent peut agiter toutes les branches des arbrisseaus dont vne palissade est composée, sans les oster pour cela de leurs places. Au reste il faut penser qu’il y a telle proportion entre la force de cette matiere subtile, et la resistence des parties des autres cors, que lors qu’elle est autant agitée, et qu’elle n’est pas plus subtile, qu’elle a coustume d’estre AT VI, 237 en ces quartiers contre la terre, elle a la force d’agiter, et de faire mouuoir separement l’vne de l’autre, et mesme de plier la plus part des petites parties de l’eau entre lesquelles elle se glisse, et ainsi de la rendre liquide. Mais que lors qu’elle n’est pas plus agitée, ny moins subtile, qu’elle a coustume d’estre en ces quartiers au haut de l’air, ou qu’elle y est quelquefois en hyuer contre la terre, elle n’a point assés de force pour les plier et agiter en cette façon, ce qui est cause qu’elles s’arestẽt confusement iointes et posées l’vne sur l’autre, et ainsi qu’elles composent vn cors dur, à sçauoir de la glace. En sorte que vous pouués imaginer mesme difference entre de l’eau et de Maire, p. 163
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la glace, que vous feriés entre vn tas de petites anguilles, soit viues, soit mortes, flotantes dans vn batteau de pescheur tout plein de trous par lesquels passe l’eau d’vne riuiere qui les agite, et vn tas des mesmes anguilles toutes seiches, et roides de froid sur le riuage. Et pource que l’eau ne se gele iamais que la matiere qui est entre ses parties ne soit plus subtile qu’a l’ordinaire, de là vient que les pores de la glace qui se forment pour lors, ne s’accommodans qu’a la grosseur des parties de cette matiere plus subtile, se disposent en telle sorte, qu’ils ne peuuent receuoir celle qui l’est moins ; et ainsi que la glace est tousiours grandement froide, nonobstant qu’on la garde iusques à l’esté ; et mesme qu’elle retient alors sa dureté, sans s’amollir peu à peu comme la cire, à cause que la chaleur ne penetre au dedans qu’a mesure que le dessus deuient liquide.

Il y a icy de plus à remarquer qu’entre les parties longues et vnies dont iay dit que l’eau estoit composée, il y en a veritablement la plus part qui se plient ou cessent de se plier selon que la matiere subtile qui les enuironne a quelque peu plus ou moins de force qu’a l’ordinaire, ainsi que ie viens d’expliquer ; mais qu’il y en a aussy de plus grosses, qui ne pouuant AT VI, 238 ainsi estre pliées, composent les sels ; et de plus petites, qui le pouuant estre tousiours, composent les esprits ou eaus de vie, qui ne se gelent iamais. Et que lorsque celles de l’eau commune cessent du tout de se plier, leur figure la plus naturelle n’est pas en toutes d’estre droites comme des ioncs, mais en plusieurs d’estre courbées en diuerses sortes : d’où vient qu’elles ne peuuent pour lors se renger en si peu d’espace, Maire, p. 164
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que lorsque la matiere subtile, estant assés forte pour les plier, leur fait accommoder leurs figures les vnes aux autres. Il est vray aussy que lors qu’elle est plus forte, qu’il n’est requis à cet effect, elle est cause derechef qu’elles s’estendent en plus d’espace. Ainsi qu’on pourra voir par experience, si ayant rempli d’eau chaude vn matras, ou autre tel vase dont le col soit assés long et estroit, on l’expose à l’air lors qu’il gele : car cette eau s’abaissera visiblement peu à peu, iusques à ce qu’elle soit paruenuë à certain degré de froideur, puis s’enflera et se rehaussera aussy peu à peu, iusqu’a ce qu’elle soit toute gelée : en sorte que le mesme froid qui l’aura condensée ou reserrée au commencement, la rarefiera par apprés. Et oun peut voir aussy par experience que l’eau qu’on a tenuë long tems sur le feu se gele plutost que d’autre, dont la raison est que celles de ses parties, qui peuuent le moins cesser de se plier, s’euaporent pendant qu’on la chauffe.

Mais affin que vous receuiés toutes ces suppositions auec moins de difficulté, sçachés que ie ne concoy pas les petites parties des cors terrestres comme des atomes ou particules indiuisibles, mais que les AT VI, 239 iugeant toutes d’vne mesme matiere, ie croy que chascune pourroit estre rediuisée en vne infinité de façons, et qu’elles ne different entre elles, que comme des pierres de plusieurs diuerses figures, qui auroient esté couppées d’vn mesme rocher. Puis sçachés aussy que pour ne point rompre la paix auec les Philosophes, ie ne veux rien du tout nier de ce qu’ils imaginent dans les cors de plus que ie n’ay dit, comme leursformes substantielles, leurs qualités reelles, Maire, p. 165
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et choses semblables, mais qu’il me semble que mes raisons deuront estre d’autant plus approuuées, que ie les feray dependre de moins de choses.

DES VAPEVRS ET DES EXHALAISONS.
Discours Second.

SI vous considerés que la matiere subtile, qui est dans les pores des cors terrestres, estant plus fort agitée vne fois que l’autre, soit par la presence du soleil, soit par telle autre cause que ce puisse estre, agite aussy plus fort les petites parties de ces cors ; vous entendrés facilement qu’elle doit faire que celles qui sont assés petites, et auec cela de telles figures, ou en telle situation, qu’elles se peuuent aysemẽt separer de leurs voysines, s’escartent ça et là les vnes des autres, et s’esleuent en l’air ; non point par quelque AT VI, 240 inclination particuliere qu’elles ayent à monter, ou que le soleil ait en soy quelque force qui les attire, mais seulement à cause qu’elles ne trouuent point d’autre lieu dans lequel il leur soit si aysé de continuer leur mouuement. Ainsi que la poussiere d’vne campaigne se sousleue, quand elle est seulement poussée et agitée par les pieds de quelque passant. Car encore que les grains de cette poussiere soient beaucoup plus gros et plus pesans, que les petites parties dont nous parlons, ils ne laissent pas pour cela de prendre leur cours vers le ciel. Et mesme on voit qu’ils y montent beaucoup Maire, p. 166
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plus haut, lors qu’vne grãde plaine est couuerte de gens qui se remuënt, que lors qu’elle n’est foulée que par vn seul hõme. Ce qui doit empescher qu’on ne s’estonne de ce que l’action du soleil esleue assés haut les petites parties de la matiere, dont se composent les vapeurs et les exhalaisons, vû qu’elle s’estend tousiours en mesme tems sur toute vne moitié de la terre, et qu’elle y demeure les iours entiers. Mais remarqués que ces petites parties qui sont ainsi esleuées en l’air par le soleil, doiuent pour la plus part auoir la figure que i’ay attribuée à celles de l’eau ; à cause qu’il n’y en a point d’autres qui puissent si aysement estre separées des cors où elles sont. Et ce seront celles cy seules que ie nommeray particulierement des vapeurs, affin de les distinguer des autres qui ont des figures plus irregulieres, et ausquelles ie restreindray le nom d’exhalaisons, à cause que ie n’en sçache point de plus propre. Toutefois aussy entre les exhalaisons ie comprendray celles, qui ayant à peu prés mesme figure que les parties de l’eau, mais estant AT VI, 241 plus subtiles, composent les esprits ou eaus de vie : à cause qu’elles peuuent facilement s’embraser. Et i’en exclueray celles, qui estant diuisées en plusieurs branches, sont si subtiles, qu’elles ne sont propres qu’à composer le cors de l’air. Pour celles qui estant vn peu plus grossieres sont aussy diuisées en branches, il est vray qu’elles ne peuuent gueres sortir d’elles mesmes des cors durs où elles se trouuent, mais si quelquefois le feu s’esprand en ces cors, il les en chasse toutes en fumée. Et aussy lorsque l’eau se glisse dans leurs pores, elle peut souuent les en degager, et les emporter en haut auec Maire, p. 167
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soy. En mesme façon que le vent, passant au trauers d’vne haye, emporte les feuilles ou les pailles, qui se trouuent entrelacées entre ses branches. Ou plutost comme l’eau mesme emporte vers le haut d’vn alembic les petites parties de ces huiles, que les Alchemistes ont coustume de tirer des plantes seiches, lorsque les ayant abbreuées de beaucoup d’eau, ils distilent le tout ensemble, et font par ce moyen que le peu d’huile, qu’elles contienent, monte auec la grande quantité d’eau qui est parmi. Car en effect la plus part de celles cy sont toutes les mesmes, qui ont coustume de composer les cors de ces huiles. Remarqués aussy que les vapeurs occupent tousiours beaucoup plus d’espace que l’eau, bienqu’elles ne soient faites que des mesmes petites parties. Dont la raison est que lorsque ces parties composent le cors de l’eau, elles ne se meuuent qu’assés fort pour se plier, et s’entrelacer, en se glissant les vnes contre les autres, ainsi que vous les voyés representées vers A. Au lieu que lors qu’elles ont la AT VI, 242 forme d’vne vapeur, leur agitation est si grande, qu’elles tournent en rond fort promptement de tous costés, et s’estendent par mesme moyen de toute leur longeur, en telle sorte que chascune à la force de chasser d’autour de soy toutes celles de ses semblables, qui tendent à entrer en la petite sphere qu’elle descrit. Ainsi que vous les voyés representées vers B. Et c’est en mesme façon que si vous faites tourner assés viste le piuot LM, au trauers duquel est passée la chorde NP, vous verrés que cette chorde se tiendra en l’air toute droite et estendue, occupant par ce moyen tout l’espace compris dans le Maire, p. 168
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cercle NOPQ, en telle sorte qu’on n’y pourra mettre aucun autre cors, qu’elle ne AT VI, 243 le frappe incontinent auec force, pour l’en chasser : au lieu que si vous la faites mouuoir plus lentement, elle s’entortillera de soy mesme autour de ce piuot, et ainsi n’occupera plus tant d’espace.

De plus il faut remarquer que ces vapeurs peuuent estre plus ou moins pressées ou estendues, et plus ou moins chaudes ou froides, et plus ou moins transparentes ou obscures, et plus ou moins humides ou seiches vne fois que l’autre. Car premierement Maire, p. 169
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lorsque leurs parties, n’estant plus assés fort agitées pour se tenir estendues en ligne droite, commencent à se plier et se rapprocher les vnes des autres, ainsi qu’elles sont representées vers C et vers D ; Ou bien lors qu’estant reserrées entre des montaignes, ou entre les actions de diuers vens qui estant opposés s’empeschent les vns les autres d’agiter l’air, ou au dessous de quelques nuës, elles ne se peuuent pas estendre en tant d’espace que leur agitation le requert, comme vous les pouués voir vers E ; Ou enfin lors qu’employant la plus grande partie de leur agitation à se mouuoir plusieurs ensemble vers vn mesme costé, elles ne tournoyent plus si fort que de coustume, ainsi qu’elles se voyent vers F, ou sortant de l’espace E, elles engendrent vn vent qui souffle vers G ; Il est manifeste que les vapeurs qu’elles composent sont plus espesses ou plus serrées, que lors qu’il n’arriue aucune de ces trois choses. Et il est manifeste aussy que supposant la vapeur qui est vers E autant agitée, que celle qui est vers B, elle doit estre beaucoup plus chaude, à cause que ses parties estant plus serrées ont plus de force. En mesme façon que la chaleur d’vn fer embrasé est bien plus ardente, AT VI, 244 que celle des charbons ou de la flame. Et c’est pour cette cause qu’on sent souuent en esté vne chaleur plus forte et plus estouffante, lors que l’air estant calme et comme esgalement pressé de tous costés couue vne pluie, que lors qu’il est plus clair et plus serein. Pour la vapeur qui est vers C, elle est plus froide que celle qui est vers B, nonobstant que ses parties soient vn peu plus serrées ; d’autant que ie les suppose beaucoup moins agitées. Et au contraire celle qui Maire, p. 170
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est vers D est plus chaude d’autant que ses parties sont supposées beaucoup plus serrées, et seulement vn peu moins agitées. Et celle qui est vers F est plus froide que celle qui est vers E, nonobstant que ses parties ne soient ny moins serrées, ny moins agitées ; d’autant qu’elles s’accordent AT VI, 245 plus à se mouuoir en mesme sens, ce qui est cause qu’elles ne peuuent tant esbransler les petites parties des autres cors. Ainsi qu’vn vent qui souffle tousiours de mesme façon, quoy que tres fort, n’agite pas tant les feuilles et les branches d’vne forest, qu’vn plus foible qui est moins esgal. Et vous pourrés connoistre par experience que c’est en cette agitation des petites Maire, p. 171
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parties des cors terrestres que consiste la chaleur, si soufflant assés fort contre vos doigts ioins ensemble, vous prenés garde que l’haleine qui sortira de vostre bouche vous semblera froide au dessus de vostre main, ou passant fort viste et d’esgale force elle ne causera gueres d’agitation ; au lieu que vous la sentirés assés chaude dans les entredeux de vos doigs, ou passant plus inesgalement et lentement elle agitera d’auantage leurs petites parties. Ainsi qu’on la sent aussy tousiours chaude, lors qu’on souffle ayant la bouche fort ouuerte ; et froide, lors qu’on souffle en l’ayant presque fermée. Et c’est pour la mesme raison qu’ordinairement les vens impetueux se sentent froids, et qu’il n’y en a gueres de chauds qui ne soient lents.

De plus les vapeurs representées vers B, et vers E, et vers F, sont transparentes, et ne peuuent estre discernées par la veuë d’auec le reste de l’air, d’autant que se remuant fort viste et de mesme bransle que la matiere subtile qui les enuironne, elles ne la peuuent empescher de receuoir l’action des cors lumineux, mais plutost elles la recoiuent auec elle. Au lieu que la vapeur qui est vers C commence à deuenir opaque ou obscure, à cause que ses parties n’obeissent plus AT VI, 246 tant à cette matiere subtile, qu’elles puissent estre meues par elle en toutes façons. Et la vapeur qui est vers D ne peut estre du tout si obscure que celle qui est vers C, à cause qu’elle est plus chaude. Comme vous voyés qu’en hyuer le froid fait paroistre l’haleine ou la sueur des cheuaux eschauffés, sous la forme d’vne grosse fumée fort espaisse et obscure ; au lieu qu’en esté, que l’air est plus chanud, elle est inuisible. Et on Maire, p. 172
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ne doit pas douter que l’air ne contiene souuent autant ou plus de vapeurs, lors qu’elles ne s’y voyent aucunement, que lors qu’elles s’y voyent. Car cõment se pourroit il faire sans miracle, qu’en tems chaud et en plein midy le soleil, donnant sur vn lac ou vn marest, manquast d’en esleuer beaucoup de vapeurs ? AT VI, 247 vû qu’on remarque mesme que pour lors les eaux se desseichent, et se diminuẽt beaucoup d’auantage, qu’elles ne font en tems froid et obscur. Au reste celles qui sont vers E sont plus humides, c’est à dire plus disposées à se conuertir en eau et à mouiller ou humecter les autres cors comme fait l’eau, que celles qui sont vers F. Car celles cy tout au contraire sont seiches, vû qu’allant fraper auec force les cors humides qu’elles rencontrent, elles en peuuent chasser et emporter auec soy les parties de l’eau qui s’y trouuent, et par ce moyen les desseicher. Comme aussy nous esprouuons que les vens impetueux sont tousiours secs, et qu’il n’y en a point d’humides qui ne soient foibles. Et on peut dire que ces mesmes vapeurs, qui sont vers E, sont plus humides que celles qui sont vers D, à cause que leurs parties estant plus agitées, peuuent mieux s’insinuer dans les pores des autres cors pour les rendre humides ; mais on peut dire aussy en vn autre sens qu’elles le sont moins, à cause que la trop grande agitation de leurs parties les empesche de pouuoir prendre si aysement la forme de l’eau.

Pour ce qui est des exhalaisons, elles sont capables de beaucoup plus de diuerses qualités que les vapeurs, à cause qu’il peut y auoir plus de difference entre leurs parties. Mais il suffira icy que nous remarquions que les Maire, p. 173
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plus grossieres ne sont quasi autre chose que de la terre, telle qu’on la peut voir au fonds d’vn vaze aprés y auoir laissé rasseoir de l’eau de neige ou de pluie, ny les plus subtiles autre chose que ces esprits ou eaux de vie, qui s’esleuent tousiours les premieres des cors qu’on distile. Et qu’entre les mediocres, AT VI, 248 les vnes participent de la nature des sels volatiles ; et les autres de celle des huiles, ou plutost des fumées qui en sortent lors qu’on les brusle. Et encore que la plus part de ces exhalaisons ne montent en l’air que meslées auec les vapeurs, elles ne laissent pas de pouuoir aysement par aprés s’en separer ; ou d’elles mesmes, ainsi que les huiles se demeslent de l’eau auec laquelle on les distile ; onu aydées par l’agitation des vens qui les rassemblent en vn ou plusieurs cors, en mesme façon que les vilageoises en battant leur créme separent le beurre du petit lait ; ou mesme souuent aussy par cela seul que se trouuant plus ou moins pesantes, et plus ou moins agitées, elles s’arestent en vne region plus basse ou plus haute que ne font les vapeurs. Et d’ordinaire les huiles s’esleuent moins haut que les eaux de vie, et celles qui ne sont que terre encore moins haut que les huiles. Mais il n’y en a point qui s’arestent plus bas que les parties dont se compose le sel commun, et bien qu’elles ne soient pas proprement des exhalaisons ny des vapeurs, à cause qu’elles ne s’esleuent iamais que iusques au dessus de la superficie de l’eau, toutefois pource que c’est par l’euaporation de cette eau qu’elles y vienent, et qu’il y a plusieurs choses en elles fort remarquables qui peuuent estre commodement icy expliquées, ie n’ay pas enuie de les omettre.

AT VI, 249 Maire, p. 174
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DV SEL.
Discours Troisiesme.

La saleure de la mer ne consiste qu’en ces plus grosses parties de son eau, que i’ay tantost dit ne pouuoir estre pliées comme les autres par l’action de la matiere subtile, ny mesme agitées sãs l’entremise des plus petites. Car premierement si l’eau n’estoit cõposée de quelques parties ainsi que i’ay tãtost supposé, il luy seroit esgalemẽt facile ou difficile de se diviser en toutes façons et en tous sens, en sorte qu’elle n’entreroit pas si facilement qu’elle fait dans les cors qui ont des pores vn peu larges, comme dans la chaux, et dans le sable ; ou bien elle pourroit aussy en quelque façon penetrer en ceux qui les ont plus estroits, comme dans le verre, et les metaus. Puis si ces parties n’auoient la figure que ie leur ay attribuée, lors qu’elles sont dans les pores des autres cors, elles n’en pourroient pas si aysement estre chassées par la seule agitation des vens ou de la chaleur : ainsi qu’on l’esprouue assés par les huiles, ou autres liqueurs grasses, dont nous auons dit que les parties auoient d’autres figures ; car on ne les peut quasi iamais entierement faire sortir des cors où elles sont vne fois entrées. Enfin pource que nous ne voyons point de cors en la nature, qui soient si parfaitement semblables entre eux, qu’il ne se trouue presque tousiours AT VI, 250 quelque peu d’inesgalité en leur grosseur, nous ne deuons faire aucune difficulté de penser que les parties de l’eau ne sont point exactement toutes Maire, p. 175
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esgales, et particulierement que dans la mer, qui est le receptacle de toutes les eaux, il s’en trouue de si grosses, qu’elles ne peuuent estre pliées comme les autres par la force qui a coustume de les mouuoir. Et ie veux tascher icy de vous monstrer, que cela seul est suffisant, pour leur donner toutes les qualités qu’a le sel. Premierement, ce n’est pas merueille qu’elles ayent vn goust picquant et penetrant, qui differe beaucoup de celuy de l’eau douce : car ne pouuant estre pliées par la matiere subtile qui les enuironne, elles doiuent tousiours entrer de pointe dans les pores de la langue, et par ce moyen y penetrer assés auant pour la piquer ; Au lieu que celles qui composent l’eau douce coulant seulement par dessus toutes couchées, à cause de la facilité qu’elles ont à se plier, n’en peuuent quasi point du tout estre goustées. Et les parties du sel, ayant penetré de pointe en mesme façon dans les pores des chairs qu’on veut conseruer, non seulement en ostent l’humidité, mais aussy sont comme autant de petits bastons plantés ça et là entre leurs parties, où demeurant fermes et sans se plier, elles les soustienent, et empeschent que les autres plus pliantes, qui sont parmi, ne les desarrengent en les agitant, et ainsi ne corrompent le cors qu’elles composent. Ce qui fait aussy que ces chairs par succession de tems deuienent plus dures. Au lieu que les parties de l’eau douce, en se pliãt, et se glissãt par cy par là dans leurs pores, pourroient ayder à les ramollir, et AT VI, 251 a les corrompre. De plus, ce n’est pas merueille que l’eau salée soit plus pesante que la douce, puisqu’elle est composée de parties, qui estant plus grosses et plus massiues, peuuent s’arrenger en moindre espace : Maire, p. 176
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car c’est delà que depend la pesanteur. Mais il est besoin de considerer, pourquoy ces parties plus massiues demeurent meslées auec les autres qui le sont moins, au lieu qu’il semble qu’elles deuroient naturellement aller au dessous. Et la raison en est, au moins pour celles du sel commun, qu’elles sont esgalement grosses par les deux bouts, et toutes droites, ainsi qu’autant de petits bastons : car s’il y en a iamais eu dans la mer qui fussent plus grosses par vn bout que par l’autre, ayant esté par mesme moyen plus pesantes, elles ont eu tout loysir d’aller au fonds depuis que le monde est ; ou s’il y en a eu de courbées, elles ont eu loysir de rencontrer des cors durs, et se ioindre à eux, à cause qu’estant vne fois entrées dans leurs pores, elles n’en auront pû si facilement resortir, que celles qui sont esgales et droites. Mais celles cy, se tenant couchées de trauers l’vne sur l’autre, donnent moyen à celles de l’eau douce, qui sont en perpetuelle agitation, de se roller et s’entortiller autour d’elles, s’y arrengeant et s’y disposant en certain ordre ; qui fait qu’elles peuuent continuër à se mouuoir plus aysement, et plus viste, que si elles estoiẽt toutes seules. Car lors qu’elles sont ainsi rollées autour des autres, la force de la matiere subtile qui les agite, n’est emploiée qu’a faire qu’elles tournent fort promptement autour de celles quellesqu’elles embrassent, et qu’elles passent ça et là de l’vne sur l’autre, sans pour cela AT VI, 252 changer aucun de leurs plis : au lieu qu’estant seules, comme elles sont lors qu’elles composent l’eau douce, elles s’entrelaçent necessairement en telle sorte, qu’il est besoin qu’vne partie de cette force de la matiere subtile soit employée à les plier, pour les Maire, p. 177
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degager les vnes des autres ; et ainsy elle ne les peut faire mouuoir pour lors si facilement, ny si viste. Estant donc vray, que ces parties de l’eau douce peuuent mieux se mouuoir estant rollées autour de celles du sel, qu’estant seules, ce n’est pas merueille qu’elles s’y rollẽt, lors qu’elles en sont assés proches, et qu’aprés les tenant embrassées, elles empeschent que l’inesgalité de leur pesanteur ne les separe. D’où vient, que le sel se fond aysement en l’eau douce, ou seulement estant exposé à l’air en tems humide ; et neantmoins qu’il ne s’en fond en vne quantité d’eau determinée, que iusques à vne quantité determinée, à sçauoir autant que les parties pliantes de cete eau peuuent embrasser des sienes en se rollant autour d’elles. Et scachant, que les cors, qui sont transparens, le sont d’autant plus qu’ils empeschent moins les mouuemens de la matiere subtile qui est dans leurs pores, on voit encore de cecy, que l’eau de la mer doit estre naturellement plus transparente, et causer des refractions vn peu plus grandes, que celle des reuieres. Et on voit aussy, qu’elle ne se doit pas geler si aysement, en sçachant que l’eau ne se gele que lors que la matiere subtile, qui est entre ses parties, n’a pas la force de les agiter. Et mesme on peut encore icy entendre la raison du secret pour faire de la glace en esté ; qui est l’un des plus beaux que scachent les AT VI, 253 curieux, encore qu’il ne soit pas des plus rares. Ils mettent du sel meslé auec esgale quantité de neige ou de glace pilée tout autour d’vn vaze plein d’eau douce ; et sans autre artifice, à mesure que ce sel et cete neige se fondent ensemble, l’eau qui est enfermée dans le vaze, deuient glace. Dont la raison est, que la matiere Maire, p. 178
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subtile, qui estoit autour des parties de cete eau, estant plus grossiere, ou moins subtile, et par consequent ayant plus de force que celle qui estoit autour des parties de cete neige, va prendre sa place à mesure que les parties de la neige se rollent autour de celles du sel en se fondant ; car elle trouue plus de facilité à se mouuoir dans les pores de l’eau salée qu’en ceux de l’eau douce ; et elle tend incessament à passer d’vn cors en l’autre, pour entrer en ceux où son mouuement est le moins empesché ; au moyen de quoy la matiere plus subtile, qui estoit dans la neige, entre dans l’eau, pour succeder à celle qui en sort ; et pource qu’elle n’a point assés de force pour y entretenir l’agitation de cete eau, cela est cause qu’elle se gele. Mais l’vne des principales qualités des parties du sel est, qu’elles sont grandement fixes, c’est à dire qu’elles ne peuuent estre esleuées en vapeur ainsy que celles de l’eau douce. Dont la cause est, non seulement, qu’estant plus grosses, elles sont plus pesantes ; mais aussy, qu’estant longues et droites, elles ne peuuent estre gueres long tems suspendues en l’air, soit qu’elles soient en action pour monter plus haut, soit pour en descendre, que l’vn de leurs bouts ne se presente vers en bas, et ainsi qu’elles ne se tienent en ligne perpendiculaire vers la terre. car tant pour AT VI, 254 monter que pour descendre, il leur est bien plus aysé à diuiser l’air estant en cete situation, qu’en aucune autre. Ce qui n’arriue point en mesme façon aux parties de l’eau douce, à cause, qu’estant faciles à se plier, elles ne se tienent iamais toutes droites, si ce n’est qu’elles tournent en rond auec vitesse. Au lieu que celles du sel ne sçauroient iamais gueres tourner en Maire, p. 179
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cete sorte ; car se rencontrant les vnes les autres et se heurtant sans pouuoir se plier pour s’entreceder, elles seroient incontinent contraintes de s’arester. Mais lors qu’elles se trouuent suspendues en l’air, ayant vne pointe en bas, comme i’ay dit, il est euident, qu’elles doiuent descendre plutost que monter : à cause que la force qui les pourroit pousser vers en haut, agist beaucoup moins, que si elles estoient couchées de travers ; et elle agist moins d’autant iustement, que la quantité de l’air, qui resiste à leur pointe, est plus petite, que ne seroit celle qui resisteroit à leur longeur ; au lieu, que leur pesanteur, estant tousiours esgale, agist d’autant plus que cete resistence de l’air est plus petite. À quoy si nous adioustons que l’eau de la mer s’adoucist quand elle trauerse du sable, à cause que les parties du sel, faute de se plier, ne peuuent couler ainsy que font les parties de l’eau douce par les petits chemins détournés, qui sont autour des grains de ce sable : nous sçaurons que les fontaines, et les riuieres, n’estant composées que des eaux qui ont esté esleuées en vapeurs, ou bien qui ont passé au trauers de beaucoup de sable, ne doiuent point estre salées. Et aussy que toutes ces eaux douces, rentrant dans la mer, ne la doiuent point rendre plus grande, ny moins AT VI, 255 salée ; d’autant qu’il en ressort continuellement autant d’autres ; dont quelques vnes s’esleuent en l’air changées en vapeurs, puis vont retomber en pluie, ou en neige, sur la terre ; mais la plus part penetrant par des conduits sousterains iusques au dessous des montaignes, d’où la chaleur, qui est dans la terre, les esleuant aussy comme en vapeur vers leurs sommets, elles y vont remplir les sources Maire, p. 180
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des fontaines, et des riuieres. Et nous sçaurons aussy, que l’eau de la mer doit estre plus salée sous l’equateur que vers les poles, si nous considerons, que le soleil, y ayant beaucoup de force, en fait sortir beaucoup de vapeurs, lesquelles ne retombent point par aprés iustement aux mesmes endroits d’où elles sont sorties, mais pour l’ordinaire en d’autres plus proches des poles, ainsy que vous entendrés mieux cy aprés. Au reste, sinon que ie n’ay pas enuie de m’arester à expliquer particulierement la nature du feu, i’adiousterois encore icy, pourquoy l’eau de la mer est moins propre à esteindre les embrasemens que celle des riuieres, et pourquoy elle estincelle la nuit, estant agitée : car vous verriés, que les parties du sel, estãt fort aysées à esbrãsler, à cause qu’elles sont comme suspenduës entre celles de l’eau douce, et ayant beaucoup de force aprés estre ainsy esbranslées, à cause qu’elles sont droites et inflexibles ; peuuent non seulement augmenter la flame, lorsqu’on les y iette ; mais aussy en causer d’elles mesmes, en s’eslãçeant hors de l’eau où elles sont. Comme si la mer qui est vers A, estant poussée auec force vers C, y rencontre vn banc AT VI, 256 de sable ou quelque autre obstacle, qui la face monter vers B, le bransle que cete agitation donne aux parties du sel, peut faire que les premieres qui vienent en l’air, sy dégagent de celles de l’eau douce, qui les tenoient entortillées, et que se trouuant seules vers B à certaine Maire, p. 181
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distance l’vne de l’autre, elles y engendrent des estincelles, assés semblables à celles qui sortent des caillous quand on les frappe. Il est vray, qu’a cet effect il est requis, que ces parties du sel soient fort droites, et fort glissantes, affin qu’elles se puissent plus aysement separer de celles de l’eau douce : d’où vient, que ny la saumeure, ny l’eau de mer qui a esté long tems gardée en quelque vaze, ny sont pas propres. Il est requis aussy, que celles de l’eau douce n’embrassent point trop estroitement celles du sel : d’où vient, que ces estincelles paroissent plus quand il fait chaud, que quand il fait froid ; et que l’agitation de la mer soit assés forte : d’où vient, qu’en mesme tems il ne sort pas du feu de toutes ses vagues ; et enfin que les parties du sel se meuuent de pointe, comme des fleches, et non de trauers : d’où vient, que toutes les gouttes, qui reiaillissent hors d’vne mesme eau, n’esclairent pas en mesme sorte.

Mais considerons maintenant comment le sel flotte sur l’eau quand il se fait, nonobstant que ses parties soient fort fixes et fort pesantes ; et comment il s’y forme en petits grains, qui ont vne figure quarrée, presque semblable à celle d’vn diament taillé en table, AT VI, 257 excepté que la plus large de leurs faces est vn peu creusée. Premieremẽt il est besoin à cet effect, que l’eau de la mer soit retenuë en quelques fosses ; pour eviter tant l’agitation continuelle des vagues, que l’affluence de l’eau douce que les pluies et les riuieres amenent sans cesse en l’Ocean. Puis il est besoin aussy d’vn tems chaud et sec ; affinque l’action du soleil ait assés de force, pour faire que les parties de l’eau douce, qui sont rollées autour de celles du sel, s’éuaporent. Maire, p. 182
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Et il fault remarquer, que la superficie de l’eau est tousiours fort esgale et vnie, comme aussy celle de toutes les autres liqueurs : dont la raison est, que ses parties se remuënt entre elles de mesme façon et de mesme bransle, et que les parties de l’air qui la touchent se remuent aussy entre elles tout de mesme l’vne que l’autre ; mais que celles cy ne se remuent pas de mesme façon ny de mesme mesure que celles là ; et particulierement aussy, que la matiere subtile, qui est autour des parties de l’air, se remue tout autrement que celle qui est autour des parties de l’eau : ce qui est cause que leurs superficies, en se frottant l’vne contre l’autre, se polissent, en mesme façon, que si c’estoient deux cors durs : excepté que c’est beaucoup plus aysement, et presque en vn instant ; pource que leurs parties, n’estant attachées en aucune façon les vnes aux autres, s’arrengent toutes dés le premier coup, ainsi qu’il est requis à cet effect. Et cecy est aussy cause que la superficie de l’eau est beaucoup plus malaysée à diuiser, que n’est le dedans : ainsy qu’on voit par experience, en ce que tous les cors assés petits, quoy que de matiere fort pesante, comme AT VI, 258 sont de petites aiguilles d’acier, peuuẽt flotter et estre soustenus au dessus, lors qu’elle n’est point encore diuisée ; au lieu que lors qu’elle l’est, ilz descendent iusqu’au fonds sans s’arester. En suite de quoy il fault considerer que lors que la chaleur de l’air est assés grande pour former le sel, elle peut non seulement faire sortir hors de l’eau de mer quelques vnes des parties pliantes qui s’y trouuent, et les faire monter en vapeur, mais aussy les y faire monter auec telle vitesse, qu’auant qu’elles ayent eu le loysir de se deueloper d’autour Maire, p. 183
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de celles du sel, elles arriuent iusques au dessus de la superficie de cete eau, où les apportant auec soy, elles n’acheuent de s’en deuelopper, qu’aprés que le trou, qu’elles ont fait en cete superficie pour en sortir, s’est refermé, au moyen de quoy ces parties du sel y demeurent toutes seules flotantes dessus, comme vous les voyés representées vers D. Car y estant couchées de leur long, elles ne sont point assés pesantes pour s’y enfoncer, non plus que les aiguilles d’acier dont ie viens de parler, et elles la font seulement vn peu courber et plier sous elles, à cause de leur pesãteur, tout de mesme que font aussy ces aiguilles. de façon que les premieres, estant semées par cy par là sur cete superficie, y font plusieurs petites fosses ou courbures ; puis les autres qui vienent aprés, se trouuant sur les pentes de ces fosses, roullent et glissent vers le fonds, où elles se vont ioindre contre les premieres. Et il fault particulierement icy remarquer, que de quelque part qu’elles y vienent, elles se doiuent coucher iustement AT VI, 259 coste à coste de ces premieres, comme vous les voyés vers E, au moins les secondes, et souvent aussy les troisiesmes, à cause que par ce moyen elles descendent quelque peu plus bas, qu’elles ne pourroient faire si elles demeuroient en quelque autre situation, comme en celle qui se voit vers F, ou vers G, ou vers H. Et le mouuement de la chaleur, qui esbransle tousiours quelque peu cete superficie, ayde à les arrenger en cete sorte. Maire, p. 184
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Puis lors, qu’il y en a ainsy en chasque fosse deux ou trois coste à coste l’vne de l’autre, celles qui y vienent, de plus se peuuent ioindre encore à elles en mesme sens, si elles s’y trouuent aucunement disposées ; mais s’il arriue qu’elles penchent d’auantage vers les bouts des precedentes que vers les costés, elles se vont coucher decontre à angles droits, comme vous voyés vers K : à cause que par ce moyen elles descendent aussy vn peu plus bas, qu’elles ne pourroient faire si elles s’arrengeoient autrement, comme elles sont vers L, ou vers M. Et pourcequ’il s’en trouue à peu prés autant, qui se vont coucher contre les bouts des deux ou trois premieres, que de celles qui se vont coucher contre leurs costés ; de là vient, que s’arrengeant ainsy plusieurs centaines toutes ensemble, elles forment premierement vne petite table, qui au iugement de la veuë paroist tresquarrée, et qui est comme la baze du grain de sel qui commence à se former. Et il faut remarquer, qu’y en ayant seulement trois ou quatre couchées en mesme sens, comme vers N, celles du milieu s’abaissent vn peu plus que celles des bords ; AT VI, 260 mais qu’y en venãt d’autres qui s’y ioigẽnt en travers, comme vers O, celles cy aydent aux autres des bords à s’abaisser presque autant que celles du milieu, et en telle sorte, que la petite table quarrée, qui sert de baze à vn grain de sel, se formant ordinairement de plusieurs centaines iointes ensemble, ne peut paroistre à l’œil que toute plate, encore qu’elle soit tousiours tant soit peu courbée. Or à mesure que cete table s’agrandist, elle s’abaisse de plus en plus, mais si lentement, qu’elle fait plier sous soy la superficie de l’eau sans la rompre. Et lors qu’elle est Maire, p. 185
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paruenuë à certaine grandeur, elle se trouue si fort abaissée, que les parties du sel, qui vienent de nouueau vers elle, au lieu de s’arester contre ses bords, passent par dessus, et y roullent en mesme sens et en mesme façon que les precedentes roulloient sur l’eau. Ce qui fait qu’elles y forment derechef vne table quarrée, qui s’abaisse en mesme façon peu à peu. Puis les parties du sel qui vienent vers elle, peuuent encore passer par dessus, et y former vne troisiesme table. Et ainsi de suite. Mais il est à remarquer que les parties du sel, qui forment la deuxiesme de ces tables, ne roulleẽt pas si aysement sur la premiere, que celles qui ont formé cete premiere roulloient sur l’eau, car elles ny trouuent pas vne superficie du tout si vnie, ny qui les laisse couler si librement : d’où vient que souuẽt elles ne roullẽt point iusques au milieu, qui par ce moyen demeurant AT VI, 261 vuide, cete seconde table ne s’abaisse pas si tost à proportion qu’auoit fait la premiere ; mais deuient vn peu plus grande auant que la troisiesme commence à se former ; et derechef le milieu de celle cy demeurant vuide elle deuient vn peu plus grande que la seconde, et ainsy de suite, iusques à ce que le grain entier, qui se compose d’vn grand nombre de telles petites tables posées l’vne sur l’autre, soit acheué, c’est à dire, iusques à ce que touchant aux bords des autres grains voysins, il ne puisse deuenir plus large. Pour ce qui est de la grandeur de la premiere table qui luy sert de baze, elle depend du degré de chaleur qui agite l’eau pendant qu’elle se forme. car plus l’eau est agitée, plus les parties du sel qui nagent dessus font plier sa superficie ; d’où vient, que cete baze demeure plus petite, et Maire, p. 186
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mesme l’eau peut estre tant agitée que les parties du sel iront au fonds auant qu’elles ayent formé aucuns grains. Pour le tallu des quatre faces qui sortent des quatre costés de cete baze, il ne depend que des causes desia expliquées, lors que la chaleur est esgale pendant tout le tems que le grain est à se former : mais si elle va en augmentant, ce tallu en deuiendra moindre ; et au contraire plus grand, si elle diminue : en sorte que si elle augmente, et diminue, par interualles, il se fera comme de petits eschelons de long de ces faces. Et pour les quatre querres ou costées qui ioignent ces quatre faces, elles ne sont pas ordinairement fort aiguës ny fort vnies. car les parties, qui se vont ioindre aux costés de ce grain, s’y vont bien quasi tousiours appliquer de long, comme i’ay dit, mais pour celles, qui vont rouller contre ses angles, elles s’y arrengent plus aysement en autre sens, à sçauoir comme elles sont representées vers P.Ce qui fait que ces querres sont vn peu mousses et inesgales ; et que les grains de sel s’y fendent souuent plus AT VI, 262 aysement qu’aux autres lieux ; et aussy que l’espace vuide, qui demeure au milieu, se fait presque rond plutost que quarré. Outre cela pource que les parties qui composent ces grains se vont ioindre confusement, et sans autre ordre que celuy que ie viens d’expliquer, il arriue souuent que leurs bouts, au lieu de se toucher, laissent entre eux assés d’espace pour placer quelques parties de l’eau douce, qui s’y enferment, et y demeurent pliées en rond, comme vous voyés vers R, pendant qu’elles ne s’y meuuent que moyennement viste ; Maire, p. 187
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mais lors qu’vne fort violente chaleur les agite, elles tendent auec beaucoup de force à s’estendre, et se déplier, en mesme façon qu’il a tantost esté dit qu’elles font, quand l’eau se dilate en vapeur. qui fait qu’elles rompent leurs prisons tout d’vn coup, et auec esclat. Et c’est la raison pourquoy les grains de sel, estant entiers, se brisent en sautant et petillant quand on les iette dans le feu ; et pourquoy ils ne font point le mesme estant mis en poudre ; car alors ces petites prisons sont desia rompuës. De plus, l’eau de la mer ne peut estre si purement composée des parties que i’ay descrites, qu’il ne s’y en rencontre aussy quelques autres parmi, qui sont de telle figure, qu’elles ne laissent pas de pouuoir y demeurer, encore qu’elles soient beaucoup plus deliées : et qui, s’allant engager entre les parties du sel lors qu’il se forme, luy peuuent donner et cete odeur de violette tres agreable qu’a le sel blanc quand il est fraischement fait, et cete couleur sale qu’a le noir, et toutes les autres varietés qu’on peut remarquer dans les sels, et qui dependent des AT VI, 263 diuerses eaux dont ils se forment. Enfin vous ne vous estonnerés pas de ce que le sel est si friable et si aysé à rompre comme il est, en pensant à la façon dont se ioignent ses parties ; Ny de ce qu’il est tousiours blanc ou transparent estant pur, en pensant à leur grosseur, et à la nature de la couleur blanche, qui sera cy aprés expliquée ; Ny de ce qu’il se fond assés facilement sur le feu quand il est entier, en considerant qu’il y a plusieurs parties d’eau douce enfermées entre les sienes ; Ny de ce qu’il se fond beaucoup plus difficilement, estant bien puluerisé et bien seiché, en sorte qu’il n’y reste plus rien de l’eau douce, Maire, p. 188
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en remarquant qu’il ne se peut fondre, estant ainsy seul, si ses parties ne se plient, et qu’elles ne peuuent que difficilement se plier. Car encore qu’on puisse feindre, qu’autrefois celles de la mer ont esté toutes, par degrés, les vnes plus pliantes, les autres moins : on doit penser que toutes celles, qui ont pû s’entortiller autour de quelques autres, se sont amollies depuis peu à peu, et renduës fort flexibles ; au lieu que celles qui ne sont point ainsy entortillées, sont demeurées entierement roides : en sorte qu’il y a maintemnent en cela grande difference, entre celles du sel, et celles de l’eau douce. Mais les vnes et les autres doiuent estre rondes ; à sçauoir, celles de l’eau douce, comme des chordes ; et celles du sel, comme des cylindres ou des bastons : à cause que tous les cors, qui se meuuent en diuerses façons et long tems, ont coustume de s’arondir. Et on peut en suite connoistre qu’elle est la nature de cete eau extremement aygre et forte ; qui peut soudre l’or, et que les Alchemistes nomment l’esprit ou l’huyle de sel. AT VI, 264 car d’autant qu’elle ne se tire que par la violence d’vn fort grand feu, ou du sel pur, ou du sel meslé auec quelque autre cors fort sec et fort fixe, comme de la brique, qui ne sert qu’a l’empescher de se fondre : il est euident que ses parties sont les mesmes qui ont auparauant composé le sel, mais qu’elles n’ont pû monter par l’alembic, et ainsy de fixes deuenir volatiles, sinon apprés qu’en se chocquant les vnes contre les autres, à force d’estre agitées par le feu, de roides et inflexibles comme elles estoient, elles sont deuenuës faciles à plier ; et par mesme moyen de rondes en forme de cylindres, elles sont deuenuës plates et tranchantes, ainsy que des feuilles Maire, p. 189
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de flambe ou de glayeul. car sans cella elles n’auroient pû se plier. Et en suite il est aysé à iuger la cause du goust qu’elles ont fort different de celuy du sel. car se couchant de long sur la langue, et leurs trenchans s’appuiant contre les extremités de ses nerfs, et coulant dessus en les couppant, elles les doiuent bien agiter d’vne autre sorte qu’elles ne faisoient auparauant, et par consequent causer vn autre goust, à sçauoir, celuy qu’on nomme le goust aygre. On pourroit ainsy rendre raison de toutes les autres proprietés de cete eau, mais la chose iroit à l’infini, et il sera mieux que retournant à la consideration des vapeurs, nous commencions à examiner comment elles se meuuent dans l’air, et comment elles y causent les vens.

AT VI, 265

DES VENS.
Discours Quatriesme.

Toute agitation d’air qui est sensible se nomme vent, et tout cors inuisible et inpalpable se nomme air. Ainsi lorsque l’eau est fort rarefiée et changée en vapeur fort subtile, on dit qu’elle est conuertie en air. nonobstant que ce grand air que nous respirons ne soit, pour la plus part, composé que de parties qui ont des figures fort differentes de celles de l’eau, et qui sont beaucoup plus deliées. Et ainsi l’air estant chassé hors d’vn soufflet, ou poussé par vn éventail, se nomme vent ; nonobstant que ces vens plus estendus, qui regnent sur la face de la mer et de la terre, ne soient ordinairement autre chose Maire, p. 190
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que le mouuement des vapeurs, qui en se dilatant passent du lieu où elles sont en quelque autre où elles trouuent plus de commodité de s’estendre. En mesme façon qu’on voit en ces boules nommées des Æolipiles, qu’vn peu d’eau s’exhalãt en vapeur fait vn vent assés grand et assés fort à raison du peu de matiere dont il se cõpose. Et pource que ce vent artificiel nous peut beaucoup ayder à entendre quels sont les naturels, il sera bon icy que ie l’explique. ABCDE, est vne boule de cuiure ou autre telle matiere, toute creuse, et toute fermée, excepté qu’elle a vne fort petite ouuerture en l’endroit marqué D. Et la partie de cete boule ABC estant pleine AT VI, 266 d’eau, et l’autre AEC estãt vuide, c’est à dire ne contenant que de l’air, on la met sur le feu ; puis la chaleur agitant les petites parties de l’eau, fait que plusieurs s’esleuent au dessus de la superficie AC, où elles s’estendẽt, et s’entrepoussẽt en tournoyãt, et font effort pour s’escarter les vnes des autres, en la façon cy dessus expliquée. Et pource qu’elles ne peuuent ainsy s’escarter, qu’a mesure qu’il en sort quelques vnes par le trou D, toutes les forces dont elles s’entrepoussent conspirẽt ensemble à chasser par là toutes celles qui en sont les plus proches, et ainsy elles causent vn vent qui souffle de là vers F. Et pourcequ’il y a tousiours de nouuelles parties de cete eau, qui estant esleuées par la chaleur au Maire, p. 191
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dessus de cete superficie AC, s’estendent et s’escartent l’vne de l’autre, à mesure qu’il en sort par le trou D : ce vent ne cesse point que toute l’eau de cete boule ne soit exhalée, ou bien que la chaleur qui la fait exhaler n’ait cessé. Or les vens ordinaires qui regnent en l’air se font à peu prés en mesme façon que cetuy cy, et il n’y a principalement que deux choses en quoy ilz different. La premiere est que les vapeurs, dont ilz se composent, ne s’esleuent pas seulement de la superficie de l’eau, comme en cete boule ; mais aussy des terres humides, des neiges, et des nuës : d’où ordinairement elles sortent en plus grande abundance que de l’eau pure, à cause que leurs parties y sont desia presque toutes deiointes AT VI, 267 et desunies, et ainsy d’autant plus aysées à separer. La seconde est que ces vapeurs ne pouuant estre renfermées en l’air, ainsy qu’en vne Æolipile, sont seulement empeschées de s’y estendre esgalement de tous costés, par la resistence de quelques autres vapeurs, ou de quelques nuës, ou de quelques montaignes, ou enfin de quelque vent qui tend vers l’endroit où elles sont, mais qu’en reuanche il y a souuent ailleurs d’autres vapeurs, qui s’espaississent, et se resserrant au mesme tems que celles cy se dilatent, les determinent à prendre leur cours vers l’espace qu’elles leur laissent. Comme par exemple si vous imaginés qu’il y a maintenant force vapeurs en l’endroit de l’air marqué F, qui se dilatent, et tendent à occuper vn espace incomparablement plus grand que celuy qui les contiẽt ; et qu’au mesme tems il y en à d’autres vers G, qui se AT VI, 268 resserrant et se changeant en eau ou en neige laissẽt la plus grand part de l’espace où elles estoiẽt : Maire, p. 192
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vous ne douterés pas que celles qui sont vers F ne prenent leur cours vers G, et ainsy quellesqu’elles ne composent vn vent qui souffle vers là. Principalement si vous pensés auec cela qu’elles soient empeschées de s’estendre vers A, et vers B, par de hautes montaignes qui y sont ; et vers E, pource que l’air y est pressé et condensé par vn autre vent, qui soffle de C iusques à D ; et enfin qu’il y a des nuës au dessus d’elles ; qui les empeschent de s’estendre plus haut vers le ciel. Et remarqués que lorsque les vapeurs passent en cete façon d’vn lieu en vn autre, elles emmenent ou chassent deuant soy tout l’air qui se trouue en leur chemin, et toutes les exhalaisons qui sont parmi : en sorte que bien que elles causent quasi toutes seules les vens, ce ne sont pas toutefois elles seules qui les composent. Et mesme aussy que la dilatation et condensation Maire, p. 193
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de ces exhalaisons, et de cet air, peuuent ayder à la production de ces vens : Mais que c’est si peu, à comparaison de la dilatation et cõdensation des vapeurs, qu’elles ne doiuent quasi point estre mises en comte. Car l’air estant dilaté n’occupe qu’enuiron deux ou trois fois plus d’espace qu’estant mediocrement condensé, au lieu que les vapeurs en occupent plus de deux ou trois mille fois d’auantage : Et les exhalaisons ne se dilatent, c’est à dire, ne se tirent des cors terrestres, que par l’ayde d’vne grande chaleur ; puis ne peuuent quasi iamais par aucune froideur estre derechef autant condensées, qu’elles l’ont esté auparauant. au lieu qu’il ne faut que fort peu de chaleur pour AT VI, 269 faire que l’eau se dilate en vapeur, et derechef que fort peu de froideur pour faire que les vapeurs se changent en eau.

Mais voyons maintenent en particulier les proprietés, et la generation des principaux vens. Premierement on obserue que tout l’air a son cours autour de la terre de l’Orient vers l’Occident. ce qu’il nous faut icy supposer, à cause que la raison n’en peut commodement estre deduite, qu’en expliquant toute la fabrique de l’vnivers. ce que ie n’ay pas icy dessein de faire. Mais en suite on obserue que les vens orientaux sont ordinairement beaucoup plus secs, et rendent l’air beaucoup plus net et plus serein que les occidentaux. dont la raison est que ceux cy, s’opposant au cours ordinaire des vapeurs, les arestent, et font qu’elles s’espaississent en nuës ; au lieu que les autres les chassent, et les dissipent. De plus on obserue que c’est principalement le matin que soufflent les vens d’Orient, et le soir que soufflent ceux d’Occident. Maire, p. 194
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de quoy la raison vous sera manifeste, si vous regardés la terre ABCD, et le soleil S, qui en esclairant la moitié ABC, et faisant le midy vers B, et la minuit vers D, se couche en mesme temps au respect des peuples qui habitent vers A, et se leue au respect de ceux qui sont vers C. Car pour ce que les vapeurs qui sont vers B sont fort dilatées par la AT VI, 270 chaleur du iour, elles prenent leur cours, partie par A, et partie par C, vers D, où elles vont occuper la place que laissent celles, que la fraischeur de la nuit y condense : En sorte qu’elles font vn vent d’Occident vers A, où le soleil se couche ; et vn d’Orient vers C, où il se léue. Et mesme il est à remarquer que ce vent, qui se fait ainsi vers C, est ordinairement plus fort, et va plus viste, que celuy qui se fait vers A : tant à cause qu’il suit le cours de toute la masse de l’air ; comme aussy à cause que la partie de la terre qui est entre C et D, ayant esté plus long tems sans estre esclairée par le soleil, que celle qui est entre D et A, la condensation des vapeurs a deu s’y faire plustost, et plus grande. On obserue aussy que c’est principalement pendant le iour que soufflent les vens de Nort, et qu’ils vienent de haut en bas, et qu’ils sont fort violens, et fort Maire, p. 195
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froids, et fort secs. Dont vous pouués voir la raison, en considerant que la terre EBFD est couuerte de plusieurs nuës et brouillars, vers les poles E, et F, où elle n’est gueres eschauffée par le soleil ; et que vers B, où il donne à plomb, il excite quantité de vapeurs, qui estant fort agitées par l’action de sa lumiere, montent en haut tres promptement, iusques à ce qu’elles soient tant esleuées, que la resistence de leur pesanteur face qu’il leur soit plus aysé de se détourner, et de prendre leur cours de part et d’autre vers I et M, au dessus des nuës G et K, que de continuer plus haut en ligne droite. Et ces nuës G et K estant aussy en mesme AT VI, 271 tems eschauffées et rarefiées par le soleil, se conuertissent en vapeurs, qui prenent leur cours de G vers H, et de K vers L, plutost que vers E, et vers F : car l’air espais, qui est vers les poles, leur resiste bien d’auantage, que ne font les vapeurs qui sortent de la terre vers le midy, et qui estant fort agitées, et prestes à se mouuoir de tous costés, leur peuuent facilement ceder leur place. Ainsi prenant F pour le pole Arctique, le cours de ces vapeurs de K vers L fait vn vent de Nort, qui souffle pendant le iour en l’Europe. Et ce vent souffle de haut en bas, à cause qu’il vient des nuës vers la terre. Et il est ordinairement fort violent, à cause qu’il est excité par la chaleur la plus forte de toutes, à sçauoir celle de midy ; et de la matiere la plus aysée à dissoudre en vapeur, à Maire, p. 196
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sçauoir des nuës. Enfin ce vent est fort froid et fort sec, tant à cause de sa force, suiuant ce qui a esté dit cy dessus que les vens impetueux sont tousiours secs et froids ; Comme aussy il est sec, à cause qu’il n’est ordinairement composé que des plus grossieres parties de l’eau douce meslées auec l’air, au lieu que l’humidité dépend principalement des plus subtiles ; et celles cy ne se trouuent gueres dans les nuës dont il s’engendre ; car, comme vous verrés tantost, elles participent bien plus de la nature de la glace, que de celle de l’eau ; Et il est froid, à cause qu’il amene auec soy vers le midy la matiere tres subtile qui estoit vers le Nort, de la quellelaquelle depend principalement la froideur. On obserue tout au contraire que les vens de midy soufflent plus ordinairement pendant la nuit, et vienent de bas en haut, et sont lens, et humides. Dont la raison se peut voir aussy, AT VI, 272 en regardant derechef la terre EBFD, et considerant que sa partie D, qui est sous l’Equateur, et où ie suppose qu’il est maintenant nuit, retient encore assés de la chaleur, que le soleil luy a communiquée pendant le iour, pour faire sortir de soy plusieurs vapeurs ; mais que l’air qui est au dessus vers P, n’en retient pas tant à proportion. Car generalement les cors grossiers et pesans retienent tousiours plus long tems leur chaleur, que ceux qui sont legers et subtils ; et ceux qui sont durs la retienent aussy plus long tems, que ceux qui sont liquides. Maire, p. 197
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Ce qui est cause que les vapeurs qui se trouuent vers P, au lieu de poursuiure leur cours vers Q et vers R, s’arestent et s’espaississent en forme de nuës, qui, empeschant que celles qui sortent de la terre D ne montent plus haut, les contraignent de prendre leur cours de part et d’autre vers N et vers O, et ainsi d’y faire vn vent de midy, qui souffle principalement pendant la nuit ; et qui vient de bas en haut, à sçauoir de la terre vers l’air ; et qui ne peut estre que fort lent, tant à cause que son cours est retardé par l’espaisseur de l’air de la nuit, comme aussy à cause que sa matiere ne sortant que de la terre ou de l’eau, ne se peut dilater si promptement, ny en si grande quantité, que celle des autres vens, qui sort ordinairement des nuës. Et enfin il est chaud et humide, tant à cause de la tardiueté de son cours ; Comme aussy il est humide, à cause qu’il est composé des plus subtiles AT VI, 273 parties de l’eau douce aussy bien que des plus grossieres ; car elles sortent ensemble de la terre ; Et il est chaud, à cause qu’il amene auec soy vers le Nort la matiere subtile qui estoit vers le midy. On obserue aussy, qu’au mois de Mars, et generalement en tout le printems, les vens sont plus secs, et les changemens d’air plus subits, et plus frequens, qu’en aucune autre saison de l’année. Dont la raison se voit encore, en regardant la terre EBFD, et pensant que le soleil, que ie suppose estre vis à vis du cercle BAD qui represente l’Equateur, et auoir esté trois mois auparauant vis à vis du cercle HN, qui represente le tropique du Capricorne, a beaucoup moins eschauffé la moitié de la terre BFD, où il fait maintenant le printems, que l’autre moitié BED, où il fait l’automne ; et Maire, p. 198
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par consequent que cete moitié BFD est beaucoup plus couuerte de neiges, et que tout l’air, qui l’enuironne, est beaucoup plus espais, et plus rempli de nuës, que celuy qui enuironne l’autre moitié BED : ce qui est cause que pendant le iour il s’y dilate beaucoup plus de vapeurs, et qu’au contraire pendant la nuit il s’y en condense beaucoup d’auantage. car la masse de la terre y estant moins eschauffée, et la force du soleil ny estant pas moindre, il doit y auoir plus d’inesgalité entre la chaleur du iour, et la froideur de la nuit : et ainsi ces vens d’Orient, que i’ay dit souffler principalement le matin, et ceux de Nort, qui soufflent sur le milieu du iour, qui les vns et les autres sont fort secs, doiuent y estre beaucoup plus forts et plus abondans qu’en aucune autre saison. Et pource que les vens d’Occident, qui soufflent le soir, y doiuent aussy estre AT VI, 274 assés forts, par mesme raison que ceux d’Orient, qui soufflent le matin ; pour peu que le cours regulier de ces vens soit auancé, ou retardé, ou détourné, par les causes particulieres qui peuuent plus ou moins dilater ou espaissir l’air en chasque contrée, ils se rencontrent les vns les autres, et engendrent des pluies ou des tempestes, qui cessent ordinairement aussy tost aprés, à cause que les vens d’Orient et de Nort, qui chassent les nuës, demeurent les maistres. Et ie croy, que ce sont ces vens d’Orient et de Nort, que les Grecs appeloient les Ornithies, à cause qu’ils ramenoient les oiseaux qui vienent au printems. Mais pour ce qui est des Etesies, qu’ils obseruoient aprés le solstice d’esté, il est vray semblable qu’ils procedent des vapeurs que le soleil esleue des terres et des eaux du Septentrion, aprés auoir Maire, p. 199
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desia seiourné assés longs tems vers le Tropique du Cancre. Car vous scaués, qu’il s’areste bien plus à proportion vers les Tropiques, qu’il ne fait en l’espace qui est entre deux : et il fault penser que pendant les mois de Mars, d’Auril et de May, il dissout en vapeurs et en vens la plus part des nuës et des neiges qui sont vers nostre Pole ; mais qu’il ne peut y eschauffer les terres et les eaux assés fort pour en esleuer d’autres vapeurs qui causent des vens, que quelques semaines aprés, lorsque ce grand iour de six mois, qu’il y fait, est vn peu au delà de son midy.

Au reste ces vens generaux et reguliers seroient tousiours tels que ie viens de les expliquer, si la superficie de la terre estoit partout esgalement couuerte d’eaux, ou partout esgalement découuerte, en sorte qu’il n’y eust aucune diuersité de mers, de terres, et de AT VI, 275 montaignes, ny aucune autre cause qui pûst dilater les vapeurs que la presence du soleil, ou les condenser que son absence. Mais il faut remarquer que lorsque le soleil luist, il fait sortir communement plus de vapeurs des mers que des terres, à cause que les terres se trouuant seiches en plusieurs endroits, ne luy fournissent pas tant de matiere. Et qu’au contraire lors qu’il est absent, la chaleur qu’il a causée, en fait sortir d’auantage des terres, que des mers, à cause qu’elle y demeure plus fort imprimée. C’est pourquoy on obserue souuent aux bords de la mer, que le vent vient le iour du costé de l’eau, et la nuit du costé de la terre. Et c’est pour cela aussy que ces feux qu’on nomme des Ardans conduisent de nuit les voyasgeurs vers les eaux, car ils suiuent indifferemment le cours de Maire, p. 200
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l’air, qui tire vers là des terres voysines, à cause que celuy qui y est se condense. Il fault aussy remarquer, que l’air qui touche la superficie des eaux, suit leur cours en quelque façon ; D’où vient que les vens changent souuent le long des costes de la mer auec ses flux et reflux ; Et que le long des grandes riuieres on sent en tems calme de petits vens, qui suiuent leur cours. Puis il faut remarquer aussy, que les vapeurs, qui vienent des eaux, sont bien plus humides et plus espaisses, que celles qui s’esleuent des terres, et qu’il y a tousiours parmi celles cy beaucoup plus d’air et d’exhalaisons. D’où vient, que les mesmes tempestes sont ordinairement plus violentes sur l’eau que sur la terre, et qu’vn mesme vent peut estre sec en vn païs et humide en vn autre. Comme on dit que les vens de midy, qui sont humides presque par tout, sont secs en Egipte, où il AT VI, 276 n’y a que les terres seiches et bruslées du reste de l’Afrique, qui leur fournissent de matiere. Et c’est sans doute cecy qui est cause qu’il n’y pleut presque iamais : car quoy que les vens de Nord venans de la mer y soient humides, toutefois pource qu’auec cela ils y sont les plus froids qui s’y trouuent, ils n’y peuuent pas aysement causer de pluie, ainsi que vous entendrés cy aprés. Outre cela il faut considerer, que la lumiere de la Lune, qui est fort inesgale selon qu’elle s’esloigne ou s’approche du soleil, contribue à la dilatation des vapeurs : Comme fait aussy celle des autres Astres : Mais que c’est seulement en mesme proportion, que nous sentons qu’elle agist contre nos yeux ; car ce sont les iuges les plus certains que nous puissions auoir pour connoistre la force de la lumiere. Et que par consequent celle Maire, p. 201
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des Estoiles n’est quasi point considerable, à comparaison de celle de la Lune, ny celle cy à comparaison du Soleil. Enfin on doit considerer, que les vapeurs s’esleuent fort inesgalement des diuerses contrées de la terre. Car et les montaignes sont eschauffées par les astres d’autre façon que les plaines, et les forets que leles prairies, et les chams cultiués que les desers, et mesme certaines terres sont plus chaudes d’elles mesmes ou plus aysées à eschauffer que les autres ; Et en suite se formant des nuës en l’air fort inesgales, et qui peuuent estre transportées d’vne region en vne autre par les moindres vens, et soustenuës à diuerses distances de la terre, mesme plusieurs ensemble au dessus les vnes des autres, les astres agissent derechef d’autre façon contre les plus hautes que contre les plus basses ; et contre celles cy que contre AT VI, 277 la terre qui est au dessous ; et d’autre façon contre les mesmes endroits de la terre lors qu’il n’y a point de nuës qui les couurent, que lors qu’il y en a ; et aprés qu’il a plû ou neigé qu’auparauant. Ce qui fait qu’il est presque impossible de preuoir les vens particuliers qui doiuent estre chasque iour en chasque contrée de la terre : et que mesme il y en a souuent plusieurs contraires qui passent au dessus les vns des autres. Mais on y pourra bien déterminer en general quels vens doiuent estre les plus frequens, et les plus forts, et en quels lieux et quelles saisons ils doiuent regner, si on prent exactement garde à toutes les choses qui ont esté icy remarquées. Et on le pourra encore beaucoup mieux determiner dans les grandes mers, principalement aux endroits fort esloignés de la terre, à cause que n’y ayant point d’inesgalités en la superficie Maire, p. 202
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de l’eau, semblables à celles que nous venons de remarquer sur les terres, il s’y engendre beaucoup moins de vens irreguliers, et ceux qui vienent des costes ne peuuent gueres passer iusque là ; comme tesmoigne assés l’experience de nos matelots, qui pour cete cause ont donné à la plus large de toutes les mers le nom de Pacifique. Et ie ne sçache plus rien icy digne de remarque, sinon que presque tous les subits changemens d’air, comme de ce qu’il deuient plus chaud, ou plus rare, ou plus humide, que la saison ne le requert, dependent des vens : non seulement de ceux qui sont aux mesmes regions où se font ces changemens, mais aussy de ceux qui en sont proches, et des diuerses causes dont ils procedent. Car par exemple, si pendant que nous sentons icy vn vent de AT VI, 278 midy, qui ne procedant que de quelque cause particuliere, et ayant son origine fort prés d’icy, n’amene pas beaucoup de chaleur, il y en a vn de Nord aux païs voysins, qui viene d’assés loin, ou d’assés haut, la matiere tres subtile que cetuy cy amene auec soy peut aysement paruenir iusques à nous, et y causer vn froid extrordinaire. Et ce vent de midy ne sortant que du lac voysin, peut estre fort humide ; au lieu que s’il venoit des campaignes desertes qui sont au delà, il seroit plus sec. Et n’estant causé que par la dilatation des vapeurs de ce lac, sans que la condensation d’aucunes autres qui soient vers le Septentrion y contribue, il doit rendre nostre air bien plus espais, et plus pesant, que s’il n’estoit causé que par cete condensation, sans qu’il se fist aucune dilatation de vapeurs vers le midy. À quoy si nous adioustons que la matiere subtile, et les vapeurs qui sont Maire, p. 203
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dans les pores de la terre, prenant diuers cours, y font aussy comme des vens, qui amenent auec soy des exhalaisons de toutes sortes, selon les qualités des terres par où ils passent ; et outre cela que les nuës, en s’abaissant, peuuent causer vn vent qui chasse l’air de haut en bas, ainsi que ie diray cy apprés : nous aurons ie croy, toutes les causes des changemens d’air qui se remarquent.

AT VI, 279

DES NVES.
Discours Cinquiesme.

Apres auoir consideré, comment les vapeurs en se dilatant causent les vens, il faut voir comment en se condensant et reserrant elles composent les nuës et les brouillas. À sçauoir sitost qu’elles deuienent notablement moins transparentes que l’air pur, si elles s’estendent iusques à la superficie de la terre, on les nomme des brouillas ; mais si elles demeurent suspenduës plus haut, on les nomme des nuës. Et il est à remarquer que ce qui les fait ainsi deuenir moins transparentes que l’air pur, c’est que lorsque leur mouuement s’alentist, et que leurs parties sont assés proches pour s’entretoucher, elles se ioignent et s’assemblent en diuers petits tas, qui sont autant de gouttes d’eau, ou bien de parcelles de glace. Car pendant qu’elles demeurent tout à fait separées et flotantes en l’air, elles ne peuuent gueres empescher le cours de la lumiere ; au lieu qu’estant assemblées, encore que les gouttes d’eau ou les parcelles de glace qu’elles composent soient transparentes, toutefois, à Maire, p. 204
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cause que chascune de leurs superficies fait refleschir vne partie des rayons qui donnent decontre, ainsi qu’il a esté dit en la Dioptrique de toutes celles des cors transparens, ces superficies se trouuent aysement en assés grand AT VI, 280 nombre pour les faire tous ou presque tous refleschir. Et pour les gouttes d’eau elles se forment, lorsque la matiere subtile qui est autour des petites parties des vapeurs, n’ayant plus assés de force pour faire qu’elles s’estendent et se chassent les vnes les autres, en a encore assés pour faire qu’elles se plient, et en suite que toutes celles qui se rencontrent se ioignent et s’accumulent ensemble en vne boule. Et la superficie de cete boule deuient incontinent toute esgale et toute polie, à cause que les parties de l’air qui la touchent se meuuent d’autre façon que les sienes, et aussy la matiere subtile qui est en ses pores d’autre façon que celle qui est en ceux de l’air, comme il a desia tantost esté expliqué en parlant de la superficie de l’eau de la mer. Et pour mesme raison aussy elle deuient exactement ronde : car comme vous pouués souuent auoir veu, que l’eau des riuieres tournoye et fait des cercles, aux endroits où il y a quelque chose qui l’empesche de se mouuoir en ligne droite aussy viste que son agitation le requert : ainsi faut il penser, que la matiere subtile coulant par les pores des autres cors, en mesme façon qu’vne riuiere par les interualles des herbes qui croissent en son lit, et passant plus librement d’vn endroit de l’air en l’autre, et d’vn endroit de l’eau aussy en l’autre, que de l’air en l’eau, ou reciproquement de l’eau en l’air, comme il a esté ailleurs remarqué, elle doit tournoyer au dedans de cete goutte, et aussy au dehors Maire, p. 205
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en l’air qui l’enuironne, mais d’autre mesure qu’au dedans, et par ce moyen disposer en rond toutes les parties de sa superficie. Car elles ne peuuent manquer d’obeir à ses mouuemens, AT VI, 281 d’autant que l’eau est vn cors liquide. Et sans doute cecy est suffisant pour faire entendre, que les gouttes d’eau doiuent estre exactement rondes, au sens que leurs sections sont paralleles à la superficie de la terre ; car il n’y a point de raison qu’aucune des parties de leur circonference s’esloigne ny s’approche de leurs centres plus que les autres en ce sens là, vuqu’elles ny sont ne plus ne moins pressées d’vn costé que d’autre par l’air qui les enuironne, au moins s’il est calme et tranquille, comme nous le deuons icy supposer. Mais pource que les considerant en autre sens on peut douter, lorsqu’elles sont si petites que leur pesanteur n’a pas la force de leur faire diuiser l’air pour descendre, si cela ne les rend point vn peu plus plates et moins espaisses en leur hauteur qu’en leur largeur, comme T, ou V ; il faut prendre garde qu’elles ont de l’air autour de leurs costés aussy bien qu’au dessous ; et que si leur pesanteur n’est suffisante pour faire que celuy qui est au dessous leur quitte sa place, et les laisse descendre ; elle ne le peut estre non plus pour faire que celuy qui est aux costés se retire ; et les laisse deuenir plus larges. Et pource qu’on peut douter tout au contraire, lorsque leur pesanteur les fait descendre, si l’air qu’elles diuisent ne les rend point vn peu plus longues et estroites, comme X, ou Y ; il faut encore prendre garde, qu’en estant enuironnées tout autour, celuy qu’elles diuisent, et dont elles vont occuper Maire, p. 206
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la place en descendant, doit monter à mesme tems au dessus d’elles, pour y remplir celle qu’elles y laissent, et qu’il ne le peut qu’en coulant tout le long AT VI, 282 de leur superficie, où il trouue le chemin plus court et plus aysé lorsqu’elles sont rondes, que si elles auoient quelque autre figure. chascun sçait que de toutes les figures c’est la ronde qui est la plus capable, c’est à dire, celle qui a le moins de superficie à raison de la grandeur du cors qu’elle contient. Et ainsi en quelle façon qu’on le veuille prendre, ces gouttes doiuent tousiours demeurer rondes ; si ce n’est que la force de quelque vent, ou quelque autre cause particuliere les en empesche. Pour ce qui est de leur grosseur, elle depend de ce que les parties de la vapeur sont plus ou moins proches les vnes des autres lorsqu’elles commencent à les composer, et aussy de ce qu’elles sont par aprés plus ou moins agitées, et de la quantité des autres vapeurs qui peuuent venir se ioindre à elles. Car chascune d’abbord ne se compose que de deux ou trois des petites parties de la vapeur qui s’entrerencontrent, mais aussy tost aprés si cete vapeur a esté vn peu espaisse, deux ou trois des gouttes qui s’en sont formées, en se rencontrant se ioignent en vne, et derechef deux ou trois de celles cy encore en vne, et ainsi de suite, iusques à ce qu’elles ne se puissent plus rencontrer. Et pendant qu’elles se soustienent en l’air, il peut aussy venir d’autres vapeurs se ioindre à elles, et les grossir, iusques à ce qu’enfin leur pesanteur les face tomber en pluie ou en rosée.

Pour les petites parcelles de glace, elles se forment lorsque le froid est si grand que les parties de la vapeur Maire, p. 207
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ne peuuent estre pliées par la matiere subtile qui est parmi elles. Et si ce froid ne suruient qu’aprés que les gouttes sont desia formées, il les laisse toutes AT VI, 283 rondes en les gelant, si ce n’est qu’il soit accompagné de quelque vent assés fort, qui les face deuenir vn peu plates du costé qu’il les rencontre. Et au contraire s’il suruient dés auparauant qu’elles ayent commencé à se former, les parties de la vapeur ne se ioignent qu’en long, et ne composent que des filets de glace fort déliés. Mais si le froid suruient entre ces deux tems, ce qui est le plus ordinaire, il gele les parties de la vapeur à mesure qu’elles se plient et s’entassent plusieurs ensemble, sans leur donner le loysir de s’vnir assés parfaitement pour former des gouttes : Et ainsi il en fait de petits nœuds ou pelotons de glace, qui sont tous blancs, à cause qu’ils sont composés de plusieurs filets, qui ne laissent pas d’estre separés et d’auoir chascun leurs superficies distinctes, encore qu’ils soient pliés l’vn sur l’autre : Et ces nœuds sont comme velus ou couuers de poil tout alentour, à cause qu’il y a tousiours plusieurs parties de la vapeur, qui ne pouuant se plier et s’entasser sitost que les autres, s’appliquent toutes droites contre eux, et composent les petits poils qui les couurent : Et selon que ce froid vient plus lentement ou plus à coup, et que la vapeur est plus espaisse ou plus rare, ces nœuds se forment plus gros ou plus petits ; et les poils ou filets qui les enuironnent, plus forts et plus cours, ou plus deliés et plus longs.

Et vous pouués voir de cecy qu’il y a tousiours deux choses qui sont requises pour counuertir les vapeurs en eau ou en glace, à sçauoir, que leurs parties soient assés Maire, p. 208
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proches pour s’entretoucher, et qu’il y ait autour d’elles assés de froideur pour faire qu’en s’entretouchant elles se ioignent et s’arestent les vnes aux autres. Car ce ne seroit pas assés que leur froideur fust tres grande, si elles estoient esparses en l’air si loin à loin qu’elles ne s’entretouchassent AT VI, 284 aucunement, ny aussy qu’elles fussent fort proches les vnes des autres et fort pressées, si leur chaleur, c’est à dire, leur agitation, estoit assés forte pour les empescher de se ioindre. Ainsi on ne voit pas qu’il se forme tousiours des nuës au haut de l’air, nonobstant que le froid y soit tousiours assés grand pour cet effect : et il est requis de plus, qu’vn vent occidental, s’opposant au cours ordinaire des vapeurs, les assemble et les condense aux endroits où il se termine ; ou bien que deux ou plusieurs autres vens, venans de diuers costés, les pressent et accumulent entre eux ; ou qu’vn de ces vens les chasse contre vne nuë desia formée ; ou enfin qu’elles aillent s’assembler de soy mesme contre le dessous de quelque nuë, à mesure qu’elles sortent de la terre. Et il ne se forme pas aussy tousiours des brouillars autour de nous ; ny en hyuer, encore que l’air y soit assés froid ; ny en esté, encore que les vapeurs y soient assés abondantes ; mais seulement lorsque la froideur de l’air et l’abondance des vapeurs concourent ensemble. Comme il arriue souuent le soir ou la nuit lorsqu’vn iour assés chaud a precedé. Principalement au printems plus qu’aux autres saisons, mesme qu’en automne, à cause qu’il y a plus d’inesgalité entre la chaleur du iour et la froideur de la nuit. Et plus aussy aux lieux marescageux ou maritimes que sur les terres qui sont loin des eaux, ny sur les eaux qui sont loin Maire, p. 209
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des terres, à cause que l’eau perdant plutost sa chaleur que la terre, y AT VI, 285 rafroidist l’air, dans lequel se condensent les vapeurs que les terres humides et chaudes produisent en abondance. Mais les plus grans brouillas se forment, comme les nuës, aux lieux où le cours de deux ou plusieurs vens se termine. Car ces vens chassent vers ces lieux là plusieurs vapeurs, qui s’y espaissentissent, ou en brouillas, si l’air proche de la terre est fort froid ; ou en nuës, s’il ne l’est assés pour les condenser que plus haut. Et remarqués que les gouttes d’eau, ou les parcelles de glace, dont les brouillas sont composés, ne peuuent estre que tres petites. si elles estoient tant soit peu grosses, leur pesanteur les feroit descendre assés promptement vers la terre, de façon que nous ne dirions pas que ce fussent des brouillas, mais de la pluie ou de la neige, Et auec cela que iamais il ne peut y auoir aucun vent où ils sont, qu’il ne les dissipe bientost aprés, principalement lorsqu’ils sont composés de gouttes d’eau ; car la moindre agitation d’air fait que ces gouttes en se ioignant plusieurs ensemble se grossissent et tombent en pluie ou en rosée. Remarqués aussy touchant les nuës, qu’elles peuuent estre produites à diuerses distances de la terre, selon que les vapeurs ont loysir de monter plus ou moins haut, auant que d’estre assés condensées pour les composer. D’où vient, qu’on en voit souuent plusieurs au dessus les vnes des autres, et mesme qui sont agitées par diuers vens. Et cecy arriue principalement aux païs de montaignes, à cause que la chaleur qui esleue les vapeurs y agist plus inesgalement qu’aux autres lieux. Il faut remarquer outre cela, que les plus hautes de ces nuës ne Maire, p. 210
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peuuent quasi iamais estre composées AT VI, 286 de gouttes d’eau, mais seulement de parcelles de glace ; car il est certain que l’air, où elles sont, est plus froid, ou du moins aussy froid que celuy qui est aux sommets des hautes montaignes : lequel neanmoins l’est assés, mesme au ceur de l’esté, pour empescher que les neiges ne s’y fondent. Et pource que plus les vapeurs s’esleuent haut, plus elles y trouuent de froid qui les gele, et moins elles y peuuent estre pressées par les vens. De là vient que pour l’ordinaire les plus hautes parties des nuës ne se composent que de filets de glace fort déliés, et qui sont espars en l’air fort loin à loin ; Puis vn peu au dessous il se forme des nœuds ou pelotons de cete glace, qui sont fort petits, et couuers de poils ; et par degrés encore d’autres au dessous vn peu moins petits ; Et enfin quelquefois tout au plus bas il se forme des gouttes d’eau. Et lorsque l’air, qui les contient, est entierement calme et tranquille, ou bien qu’il est tout esgalement emporté par quelque vent, tant ces gouttes, que ces parcelles de glace, y peuuent demeurer esparses assés loin à loin et sans aucun ordre, en sorte que pour lors la forme des nuës ne differe en rien de celle des brouillas. Mais pource que souuent elles sont poussées par des vens qui n’occupent pas esgalement tout l’air qui les enuironne, et qui par consequent ne les pouuant faire mouuoir de mesme mesure que cet air, coulent par dessus, et par dessous, en les pressant, et les contraignant de prendre la figure, qui peut le moins empescher leur mouuement : celles de leurs superficies contre lesquelles passent ces vens deuienent toutes plates et vnies. Et ce que ie desire icy AT VI, 287 particulierement que vous Maire, p. 211
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remarquiés, c’est que tous les petits nœuds ou pelotons de neige, qui se trouuent en ces superficies, s’arrengent exactement en telle sorte, que chascun d’eux en a six autres autour de soy, qui le touchent, ou du moins qui ne sont pas plus esloignés de luy l’vn que l’autre. Supposons par exemple qu’au dessus de la terre AB, il vient vn vent de la partie occidentale D, qui s’oppose au cours ordinaire de l’air, ou, si vous l’aymés mieux à vn autre vent, qui vient de la partie Orientale C ; et que ces deux vens se sont arestés au commencement l’vn l’autre, enuiron l’espace FGP, où ils ont condensé quelques vapeurs, dont ils ont fait vne masse confuse, pendant que leurs forces se balençant et se trouuant esgales en cet endroit, ils y ont laissé l’air calme et tranquille. Car il arriue souuent que deux vens sont opposés en cete sorte, à cause qu’il y en a tousiours plusieurs differens autour de la terre en mesme tems, et que chascun d’eux y estend d’ordinaire son cours, sans se détourner, iusques au lieu où il en rencontre vn contraire qui luy resiste ; mais leurs forces n’y peuuent gueres demeurer long tems ainsi balancées, et Maire, p. 212
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leur matiere y affluant de plus en plus s’ils ne cessent tous deux ensemble, ce qui est rare, le plus fort prent enfin son cours par le dessous, ou le dessus AT VI, 288 de la nuë, ou mesme aussy par le milieu, ou tout alentour, selon qu’il s’y trouue plus disposé ; au moyen de quoy s’il n’amortist l’autre tout à fait, il le contraint au moins de se détourner. Comme icy ie suppose que le vent occidental, ayant pris son cours entre G et P, a contraint l’Oriental de passer par dessous vers F, où il a fait tomber en rosée le brouillar qui y estoit, puis a retenu au dessus de soy la nuë G, qui se trouuant pressée entre ces deux vens, est deuenuë fort plate et estenduë ; Et les petits pelotons de glace qui ont esté en sa superficie, tant du dessus, que du dessous, comme aussy en celle du dessous de la nuë P, ont dû s’y arrenger en telle sorte que chascun en ait six autres qui l’enuironnent. car on ne sçauroit imaginer aucune raison qui les en ait empeschés, et naturellement tous les cors rons Maire, p. 213
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et esgaus qui sont meus en vn mesme plan, par vne force assés semblable s’arrengent en cete sorte ainsi que vous pourres voir par experience, en iettant confusement vn rang ou deux de perles rondes toutes defilées, sur vne assiette, et les esbranslant, ou soufflant seulement vn peu decontre affin qu’elles s’approchent les vnes des autres. Mais notés, que ie ne parle icy que des superficies du dessous ou du dessus, et non point de celles des costés, à cause que l’inesgale AT VI, 289 quantité de matiere, que les vens peuuent pousser decontre à chasque moment, ou en oster, rend ordinairement la figure de leur circuit fort irreguliere et inesgale. Ie n’aiouste point aussy, que les petits nœus de glace, qui composent le dedans de la nuë G, se doiuent arrenger en mesme façon que ceux des superficies, à cause que ce n’est pas vne chose du tout si manifeste. Mais ie desire que vous consideriés encore ceux, qui se peuuent aller arester au dessous d’elle, aprés qu’elle est toute formée. car si, pendant qu’elle demeure suspenduë en l’espace G, il sort quelques vapeurs des endroits de la terre qui sont vers A, lesquelles se refroidissant en l’air peu à peu se conuertissent en petits nœus de glace, que le vent chasse vers L, il n’y a point de doute que ces. nœus s’y doiuent arrenger en telle sorte que chascun d’eux soit enuironné de six autres, qui le pressent esgalement, et soient en mesme plan ; et ainsi composer premierement comme vne feuille qui s’estende sous la superficie de cete nuë, puis encore vne autre feuille qui s’estende sous celle cy, et ainsi encore d’autres, autant qu’il y aura de matiere. Et de plus il faut remarquer, que le vent, qui passe entre la terre et cete nuë, agissant auec Maire, p. 214
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plus de force contre la plus basse de ces feuilles que contre celle qui est immediatement au dessus, et auec plus de force contre celle cy que contre celle qui est encore au dessus, et ainsi de suite, les peut entraisner, et faire mouuoir separement l’vne de l’autre, et polir par ce moyen leurs superficies, en rabatant des deux costés les petits poils qui sont autour des pelotons dont elles sont composées. Et mesme il peut faire AT VI, 290 glisser vne partie de ces feuilles hors du dessous de cete nuë G, et les transporter au delà, comme vers N, où elles en composent vne nouuelle. Et encore que ie n’aye icy parlé que des parcelles de glace qui sont entassées en forme de petis nœuds ou pelotons, le mesme se peut aysement aussy entendre des gouttes d’eau, pourvû que le vent ne soit point assés fort pour faire qu’elles s’entrepoussent, ou bien qu’il y ait autour d’elles quelques exhalaisons, ou, comme il arriue souvent, quelques vapeurs non encore Maire, p. 215
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disposées à prendre la forme de l’eau, qui les separent. car autrement si tost qu’elles se touchent elles s’assemblent plusieurs en vne et ainsi deuienent si grosses et si pesantes, qu’elles sont contraintes de tomber en pluie.

Au reste ce que i’ay tantost dit, que la figure du circuit de chasque nuë est ordinairement fort irreguliere et inesgale, ne se doit entendre que de celles qui occupent moins d’espace en hauteur et en largeur que les vens qui les enuironnent. Car il se trouue quelquefois si grande abondance de vapeurs en l’endroit où deux ou plusieurs vens se rencontrent, qu’elles contraignent ces vens de tournoyer autour d’elles au lieu de passer au dessus ou au dessous, et ainsi qu’elles forment vne nuë extrordinairement grande, qui estant AT VI, 291 esgalement pressée de tous costés par ces vens, deuient toute ronde et fort vnie en son circuit. Et mesme qui lorsque ces vens sont un peu chauds, ou bien qu’elle est exposée à la chaleur du Soleil, y acquert comme vne escorce ou vne crouste de plusieurs parcelles de glace iointes ensemble, qui peut deuenir assés grosse et espaisse sans que sa pesanteur la face tomber, à cause que tout le reste de la nuë la soustient.

Maire, p. 216
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DE LA NEIGE, DE LA PLVIE, ET DE LA GRESLE.
Discours Sixiéme.

Il y a plusieurs choses qui empeschent communement que les nuës ne descendent incontinent aprés estre formees. Car premierement les parcelles de glace ou les gouttes d’eau dont elles sont composées, estant fort petites, et par consequent ayant beaucoup de superficie à raison de la quantite de leur matiere, la resistence de l’air qu’elles auroient à diuiser si elles descendoient, peut aysement auoir plus de force pour les en empescher que n’en à leur pesanteur pour les y contraindre. Puis les vens, qui sont d’ordinaire plus fors contre la terre où leur cors est plus grossier qu’au haut de l’air où il est plus subtil, et qui pour cete cause agissent plus de bas en haut que de haut en AT VI, 292 bas, peuuent non seulement les soustenir, mais souuent aussy les faire monter au dessus de la region de l’air où elles se trouuent. Et le mesme peuuent encore les vapeurs qui sortant de la terre, ou venant de quelque autre costé, font enfler l’air qui est sous elles ; ou aussy la seule chaleur de cet air qui en le dilatant les repousse ; ou la froideur de celuy qui est au dessus qui en le reserrant les attire ; ou choses semblables. Et particulierement les parcelles de glace, estant poussées les vnes contre les autres par les vens, s’entretouchent sans s’vnir pour cela tout à fait, et composent vn cors si rare, si léger Maire, p. 217
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et si estendu, que s’il n’y suruient de la chaleur qui fonde quelques vnes de ses parties et par ce moyen le condense et l’appesantisse, il ne peut presque iamais descendre iusqu’a terre. Mais comme il a esté dit cy dessus, que l’eau est en quelque façon dilatée par le froid lorsqu’elle se gele, ainsi faut il icy remarquer, que la chaleur, qui a coustume de rarefier les autres cors, condense ordinairement celuy des nues. Et cecy est aysé à experimenter en la neige qui est de la mesme matiere dont elles sont, excepté qu’elle est desia plus condensée. car on voit, qu’estant mise en lieu chaud, elle se reserre et diminue beaucoup de grosseur, auant qu’il en sorte aucune eau, ny qu’elle diminue de poids. Ce qui arriue d’autant, que les extremités des parcelles de glace, dont elle est composée, estant plus deliées que le reste, se fondent plutost, et en se fondant, c’est à dire, en se pliant et deuenant comme viues et remuantes, à cause de l’agitation de la matiere subtile qui les enuironne, elles se vont glisser AT VI, 293 et attacher contre les parcelles de glace voysines, sans pour cela se detacher de celles à qui elles sont desia iointes, et ainsi les font approcher les vnes des autres. Mais pource que les parcelles, qui cõposent les nuës, sont ordinairement plus loin à loin que celles qui composent la neige qui est sur terre, elles ne peuuent ainsi s’approcher de quelques vnes de leurs voysines sans s’esloigner par mesme moyen de quelques autres. Ce qui fait, qu’ayant esté auparauent esgalement esparses par l’air, elles se diuisent aprés en plusieurs petits tas ou floccons, qui deuienent d’autant plus gros, que les parties de la nuë ont esté plus serrées, et que la chaleur est plus lente. Et mesme lors Maire, p. 218
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que quelque vent, ou quelque dilatation de tout l’air qui est au dessus de la nuë ou autre telle cause fait que les plus hauts de ces floccons descendent les premiers, ils s’attachent à ceux de dessous qu’ils rencontrent en leur chemin, et ainsi les rendent plus gros. Aprés quoy la chaleur, en les condensant et les appesantissant de plus en plus, peut aysement les faire descendre iusque à terre. Et lors qu’ils y descendent ainsi sans estre fondus tout à fait, ils composent de la neige ; mais si l’air, par où ils passent, est si chaud qu’il les fonde, ainsi qu’il est tousiours pendant l’esté, et fort souuent aussy aux aurtres saisons en nostre climat, ils se conuertissent en pluie. Et il arriue aussy quelquefois, qu’aprés estre ainsi fondus ou presque fondus, il suruient quelque vent froid qui les gelant derechef en fait de la gresle.

Or cete gresle peut estre de plusieurs sortes. Car premieremẽt si le vent froit qui la cause rencõtre AT VI, 294 des gouttes d’eau desia formées, il en fait des grains de glace tous transparens et tous ronds, excepté qu’il les rend quelquefois vn peu plats du costé qu’il les pousse. Et s’il rencontre des floccons de neige presque fondus, mais qui ne soient point encore arondis en gouttes d’eau, alors il en fait cete gresle cornuë, et de diuerses figures irregulieres, dont quelquefois les grains se trouuent fort gros, à cause qu’ils sont formés par vn vent froid, qui chassant la nuë de haut en bas, pousse plusieurs de ses floccons l’vn contre l’autre, et les gele tous en vne masse. Et il est icy à remarquer, que lorsque ce vent approche de ces floccons qui se fondent, il fait que la chaleur de l’air qui les enuironne, c’est à dire, la matiere subtile la plus agitée Maire, p. 219
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et la moins subtile qui soit en cet air, se retire dans leurs pores, à cause qu’il ne les peut pas du tout si tost penetrer. En mesme façon que sur terre quelquefois, lorsqu’il arriue tanout à coup vn vent ou vne pluie qui rafroidist l’air de dehors, il entre plus de chaleur qu’auparauant dans les maisons. Et la chaleur, qui est dans les pores de ces floccons, se tient plutost vers leurs superficies que vers leurs centres, d’autant que la matiere subtile, qui la cause, y peut mieux continuer ses mouuemens ; et là elle les fond de plus en plus vn peu deuant qu’ils commencent derechef à se geler : et mesme les plus liquides, c’est à dire, les plus agitées de leurs parties qui se trouuent ailleurs, tendent aussy vers là ; au lieu que celles, qui n’ont pas loysir de se fondre, demeurent au centre. d’où vient que le dehors de chasque grain de cete gresle, estant ordinairement composé d’vne glace continuë et transparente, AT VI, 295 il y a dans le milieu vn peu de neige, ainsi que vous pourrés voir en les cassant. Et pourcequ’elle ne tombe quasi iamais qu’en esté, cecy vous assurera, que les nuës peuuent estre pour lors composées de parcelles de glace aussy bien que l’hyuer. Mais la raison qui empesche qu’il ne peut gueres tomber en hyuer de telle gresle, au moins dont les grains soient vn peu gros, est qu’il n’arriue gueres assés de chaleur iusques aux nues pour cet effect, sinon lorsqu’elles sont si basses, que leur matiere estant fondue, ou presque fondue, n’auroit pas le tems de se geler derechef, auant que d’estre descendue iusques à terre. Que si la neige n’est point encore si fondue, mais seulement vn peu reschauffée et ramollie, lorsque le vent froid, qui la conuertist en gresle, suruient, Maire, p. 220
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elle ne se rend point du tout transparente, mais demeure blanche comme du sucre. Et si les floccons de cete neige sont assés petis, comme de la grosseur d’vn pois ou au dessous, chascun se conuertist en vn grain de gresle qui est assés rond. Mais s’ils sont plus gros, ils se fendent et se diuisent en plusieurs grains tous pointus en forme de pyramides. Car la chaleur, qui se retire dans les pores de ces floccons au moment qu’vn vent froid commence à les enuironner, condense et reserre toutes leurs parties, en tirant de leurs circonferences vers leurs centres, ce qui les fait deuenir assés ronds ; et le froid, les penetrant aussy tost aprés, et les gelant, les rend beaucoup plus durs que n’est la neige. Et pource que lorsqu’ils sont vn peu gros, la chaleur qu’ils ont au dedans continue encore de faire que leurs parties interieures se reserrent et se condensent, en tirant tousiours vers le AT VI, 296 centre, aprés que les exterieures sont tellemẽt durcies et engelées par le froid qu’elles ne les peuuent suiure ; il est necessaire qu’ils se fendent en dedans, suiuant des plans ou lignes droites qui tendent vers le centre, et que leurs fentes s’augmentant de plus en plus à mesure que le froid penetre plus auant, enfin ils s’esclatent et se diuisent en plusieurs pieces pointues, qui sont autant de grains de gresle. Ie ne determine point en combien de tels grains chascun se peut diuiser, mais il me semble que pour l’ordinaire ce doit estre en 8 pour le moins, et qu’ils se peuuent aussy peut estre diuiser en douze ou 20 ou 24, mais encore mieux en trente deux, ou mesme en beaucoup plus grand nombre, selon qu’ils sont plus gros, et d’vne neige plus subtile, et que le froid, qui les conuertist en gresle, Maire, p. 221
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est plus aspre et vient plus à coup. Et i’ay obserué plus d’vne fois de telle gresle, dont les grains auoient à peu prés la figure des segmens d’vne boule diuisée en huit parties esgales par trois sections qui s’entrecouppent au centre à angles droits. Puis i’en ay aussy obserué d’autres, qui estans plus longs et plus petis, sembloient estre enuiron le quart de ceux là, bien que leurs querres, s’estant émoussées et arondies en se reserrant, ils eussent quasi la figure d’vn pain de sucre. Et i’ay obserué aussy, que deuant ou aprés, ou mesme parmi ces grains de gresle, il en tomboit communement quelques autres qui estoient rons.

Mais les diuerses figures de cete gresle n’ont encore rien de curieux ny de remarquable, à comparaison de celles de la neige qui se fait de ces petis nœuds ou pelotons de glace arrengés par le vent en forme de AT VI, 297 feuilles, en la façon que i’ay tantost descrite. Car lorsque la chaleur commence à fondre les petis poils de ces feuilles, elle abat premierement ceux du dessus et du dessous, à cause que ce sont les plus exposés à son action, et fait que le peu de liqueur qui en sort, se respand sur leurs superficies, où il remplist aussy tost les petites inesgalités qui s’y trouuent, et ainsi les rend aussy plates et polies que sont celles des cors liquides. nonobstant qu’il s’y regele tout aussy tost, à cause que si la chaleur n’est point plus grande qu’il est besoin pour faire que ces petis poils, estant enuironnés d’air tout autour, se degelent, sans qu’il se fonde rien d’auantage ; elle ne l’est pas assés pour empescher que leur matiere ne se regele, quand elle est sur ces superficies qui sont de glace. Aprés cela cete chaleur Maire, p. 222
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ramolissant et fleschissant aussy les petits poils qui restent autour de chasque nœud dans le circuit où il est enuironné de six autres semblables à luy, elle fait que ceux de ces poils, qui sont les plus esloignés des six nœuds voysins, se plians indifferemment ça et là, se vont tous ioindre à ceux qui sont vis à vis de ces six nœuds ; car ceuxcy estans rafroidis par la proximité de ces neuds, ne peuuent se fondre, mais tout au contraire font geler derechef la matiere des autres, sitost qu’elle est meslée parmi la leur. Au moyen de quoy il se forme six pointes ou rayons autour de chasque nœud, qui peuuent auoir diverses figures selon que les nœuds sont plus ou moins gros et pressés, et leurs poils plus ou moins forts et longs, et la chaleur qui les assemble plus ou moins lente et moderée, et selon aussy que le vent qui accompaigne cete chaleur, si au AT VI, 298 moins elle est accompaignée de quelque vent, est plus ou moins fort. Et ainsi la face exterieure de la nuë, qui estoit auparauant telle qu’on voit vers Z Maire, p. 223
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ou vers M, deuient par aprés telle qu’on voit vers O ou vers Q, et chascune des parcelles de glace, dont elle est composée, à la figure d’vne petite rose ou estoile fort bien taillée.

Mais affin que vous ne pensiés pas que ie n’en parle que par opinion, ie vous veux faire icy le rapport d’vne obseruation que i’en ay faite l’hyuer passé 1635. Le quatriesme de Feurier, l’air ayant esté auparauant extremement froid, il tomba le soir à Amsterdam, où i’estois pour lors, vn peu de verglas, c’est à dire, de pluie qui se geloit en arriuant contre la terre, et apres il suiuit vne gresle fort menue, dont ie iugay que les grains qui n’estoient qu’a peu pres de la grosseur qu’ils sont representés vers H, estoient des gouttes de la mesme pluie qui s’estoient gelées au haut de l’air. Toutefois au lieu d’estre exactement rons comme sans doute ces gouttes auoient esté, ils auoient vn costé notablement plus plat que l’autre, en sorte qu’ils AT VI, 299 ressembloient presque en figure la partie de nostre œil qu’on nomme l’humeur cristaline. D’où ie connu que le vent, qui estoit lors tres grand et tres froid, auoit eu la force de changer ainsi la figure des gouttes en les gelant. Mais ce qui m’estonna le plus de tout, fut qu’entre ceux de ces grains, qui tomberent les derniers, i’en remarquay quelques vns qui auoient autour de soy six petites dens, semblables à celles des rouës des horologes, ainsi que vous voyés vers I. Et ces dens estant fort blanches, comme du sucre, au lieu que les grains, qui estoient de glace transparente, sembloient presque noirs, elles paroissoient manifestement estre faites d’vne neige fort subtile qui s’estoit attachée autour Maire, p. 224
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d’eux depuis qu’ils estoient formés, ainsi que s’attache la gelée blanche autour des plantes. Et ie connu cecy d’autant plus clairement de ce que tout à la fin i’en rencontray vn ou deux qui auoient autour de soy plusieurs petits poils sans nombre, composés d’vne neige plus pale et plus subtile que celle des petites dens qui estoient autour des autres, en sorte qu’elle luy pouuoit estre comparée en mesme façon que la cendre non foulée, dont se couurent les charbons en se consumant, à celle qui est recuite et entassée dans le fuier. Seulement auois-je de la peine à imaginer qui pouuoit auoir formé et compassé si iustement ces six dens autour de chasque grain dans le milieu d’vn air libre et pendant l’agitation d’vn fort grand vent, iusques à ce qu’enfin ie consideray, que ce vent auoit pû facilement emporter quelques vns de ces grains au dessous ou au delà de quelque nuë, et AT VI, 300 les y soustenir, à cause qu’ils estoient assés petits ; et que là ils auoient deu s’arrenger en telle sorte, que chascun d’eux Maire, p. 225
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fust enuironné de six autres situés en vn mesme plan, suiuant l’ordre ordinaire de la nature. Et de plus qu’il estoit bien vray semblable, que la chaleur, qui auoit deu estre vn peu auparauant au haut de l’air, pour causer la pluie que i’auois obseruée ; y auoit aussy esmeu quelques vapeurs que ce mesme vent auoit chassées contre ces grains, où elles s’estoient gelées en forme de petits poils fort deliés, et auoient mesme peut estre aydé à les soustenir : en sorte qu’ils auoient pû facilement demeurer là suspendus, iusques à ce qu’il fust derechef suruenu quelque chaleur. Et que cete chaleur fondant d’abbord tous les poils, qui estoient autour de chasque grain ; excepté ceux qui s’estoient trouués vis à vis du milieu de quelqu’vn des six autres grains qui l’enuironnoient, à cause que leur froideur auoit empesché son action ; la matiere de ces poils fondus s’estoit meslée aussy tost, parmi les six tas de ceux qui estoient demeurés, et les ayant par ce moyen fortifiés et rendus d’autant moins penetrables à la chaleur, elle s’estoit gelée parmi eux, et ils auoient ainsi composé ces six dens. Au lieu que les poils sans nombre que i’auois vû autour de quelques vns des derniers grains qui estoient tombés, n’auoient point du tout esté attains par cete chaleur. Le lendemain matin sur les huit heures i’obseruay encore vne autre sorte de gresle, ou plutost de neige, dont ie n’auois iamais ouy parler. C’estoient de petites lames de glace toutes plates, fort polies, fort transparentes, enuiron de l’espaisseur d’vne feuille d’assés gros papier, et de la grandeur AT VI, 301 qu’elles se voyent vers K, mais si parfaitement taillées en hexagones, et dont les six costés estoient si droits, et les six angles Maire, p. 226
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si esgaux, qu’il est impossible aux hommes de rien faire de si exact. Ie vis bien incontinent que ces lames auoient deu estre premierement de petits pelotons de glace, arrengés comme i’ay tantost dit, et pressés par vn vent tres fort, accompagné d’assés de chaleur, en sorte que cete chaleur auoit fondu tous leurs poils, et auoit tellement rempli tous leurs pores de l’humidité qui en estoit sortie, que de blancs, qu’ils auoient esté auparauant, ils estoient deuenus transparens ; et que ce vent les auoit à mesme tems si fort pressés les vns contre les autres, qu’il n’estoit demeuré aucun espace entre deux, et qu’il auoit aussy applani leurs superficies en passant par dessus et par dessous, et ainsi leur auoit iustement donné la figure de ces lames. Seulement restoit il vn peu de difficulté, en ce que ces pelotons de glace ayant esté ainsi demi fondus, et à mesme tems pressés l’vn contre l’autre, ils ne s’estoient point collés ensemble pour cela, mais estoient demeurés tous separés. Car quoy que i’y prisse garde expressement, ie n’en pû iamais rencontrer deux qui tinsent l’vn à l’autre. Mais ie me satisfis bientost là dessus, en considerant de quelle façon le vent agite tousiours, et fait plier successiuement toutes les parties de la superficie de l’eau, en coulant par dessus, sans la rendre pour cela rude ou inesgale. Car ie connu de là qu’infalliblement il fait plier et ondoyer en mesme sorte les superficies des nuës, et qu’y remuant continuellement chasque parcelle de glace, vn peu autrement que ses voysines, il ne leur AT VI, 302 permet pas de se coller ensemble tout à fait, encore qu’il ne les desarrenge point pour cela, et qu’il ne laisse pas cependant d’applanir et de polir leurs Maire, p. 227
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petites superficies : en mesme façon que nous voyons quelquefois qu’il polist celle des ondes, qu’il fait en la poussiere d’vne campaigne. Aprés cete nuë il en vint vne autre, qui ne produisoit que de petites rozes ou rouës, à six dens arondies en demis cercles, telles qu’on les voit vers Q, et qui estoient toutes transparentes, et toutes plates, à peu prés de mesme espaisseur que les lames qui auoient precedé, et les mieux taillées et compassées, qu’il soit possible d’imaginer. Mesme i’apperceu au milieu de quelques vnes vn point blanc fort petit, qu’on eust pu dire estre la marque du pied du compas dont on s’estoit serui pour les arondir. Mais il me fut aysé de iuger, qu’elles s’estoient formées de la mesme façon que ces lames, excepté que le vent les ayant beaucoup moins pressées, et la chaleur ayant peut estre aussy esté vn peu moindre, leurs pointes ne s’estoient pas fonduës tout à fait, mais seulement vn peu racourcies, et arondies par le bout AT VI, 303 en forme de dens. Et pour le point blanc qui paroissoit Maire, p. 228
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au milieu de quelques vnes, ie ne doutois point qu’il ne procedast de ce que la chaleur, qui de blanches les auoit rendues transparentes, auoit esté si mediocre, qu’elle n’auoit pas du tout penetré iusques à leur centre. Il suiuit aprés plusieurs autres telles rouës, iointes deux à deux par vn aissieu, ou plutost, à cause que du commencement ces aissieux estoient fort gros, on eust pû dire que c’estoient autant de petites colomnes de cristal, dont chasque bout estoit orné d’vne rose à six feuilles vn peu plus large que leur baze. Mais il en tomba par aprés de plus deliés, et souuent les roses ou estoiles qui estoient à leurs extremités estoient inesgales. Puis il en tomba aussy de plus cours, et encore de plus cours par degrés, iusques à ce qu’enfin ces estoiles se ioignirent tout à fait, et il en tomba de doubles à douze pointes ou rayons assés longs et parfaitement bien compassés, aux vnes tous esgaux, et aux autres alternatiuement inesgaux, comme on les voit vers F et vers E. Et tout cecy me donna occasion de considerer, que les parcelles de glace, qui sont de deux diuers plans ou feuilles posées l’vne sur l’autre dans les nuës, se peuuent attacher ensemble plus aysement, que celles d’vne mesme feuille. car bien que le vent, agissant d’ordinaire plus fort contre les plus basses de ces feuilles que contre les plus hautes, les face mouuoir vn peu plus viste, ainsi qu’il a esté tantost remarqué : neanmoins il peut aussy quelquefois agir contre elles d’esgale force, et les faire ondoyer de mesme façon : principalement lorsqu’il n’y en a que deux ou trois l’vne sur l’autre, et lors se AT VI, 304 criblant par les enuirons des pelotons qui les composent, il fait que ceux de ces pelotons, Maire, p. 229
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qui se correspondent en diuerses feuilles, se tienent tousiours comme immobiles vis à vis les vns des autres, nonobstant l’agitation et ondoyement de ces feuilles, à cause que par ce moyen le passage luy est plus aysé. Et cependant la chaleur, n’estant pas moins empeschée par la proximité des pelotons de deux diverses feuilles, de fondre ceux de leurs poils qui se regardent, que par la proximité de ceux d’vne mesme, ne fond que les autres poils d’alentour, qui se meslans aussytost parmi ceux qui demeurent, et sy’ regelant, composent les aissieux ou colomnes qui ioignent ces petits pelotons, au mesme tems qu’ils se changent en rozes ou en estoiles. Et ie ne m’estonnay point de la grosseur, que i’auois remarquée au commencement en ces colomnes, encore que ie connusse bien que la matiere des petits poils, qui auoient esté autour de deux pelotons, n’auoit pû suffire pour les composer : car ie pensay qu’il y auoit eu peut estre quatre ou cinq feuilles l’vne sur l’autre, et que la chaleur ayant agi plus fort contre les deux ou trois du milieu, que contre la premiere et la derniere, à cause qu’elles estoient moins exposées au vent, auoit presque entierement fondu les pelotons qui les composoient, et en auoit formé ces colomnes. Ie ne m’estonnay point non plus, de voir souuent deux estoiles d’inesgale grandeur iointes ensemble, car prenant garde, que les rayons de la plus grande estoient tousiours plus longs et plus pointus que ceux de l’autre, ie iugeois que la cause en estoit, que la chaleur ayant esté plus forte autour AT VI, 305 de la plus petite que de l’autre, auoit d’auantage fondu et émoussé les pointes de ces rayons : ou bien que cete plus petite pouuoit aussy auoir Maire, p. 230
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esté composée d’vn peloton de glace plus petit. Enfin ie ne m’estonnay point de ces estoiles doubles à douze rayons, qui tomberent aprés, car ie iugay que chascune auoit esté composée de deux simples à six rayons, par la chaleur qui estant plus forte entre les deux feuilles où elles estoient qu’au dehors, auoit entierement fondu les petits filets de glace qui les conioignoient, et ainsy les auoit collées ensemble. Comme aussy elle auoit accourcy ceux qui conioignoient les autres, que i’auois vû tomber immediatement auparauant. Or entre plusieurs miliers de ces petites estoiles que ie consideray ce iour là, quoy que i’y prisse garde expressemẽt, ie n’en pû iamais remarquer aucune qui eust plus ou moins de six rayons, excepté vn fort petit nombre de ces doubles qui en auoient douze, et quatre ou cinq autres qui en auoient huit. Et celles cy n’estoient pas exactement rondes, ainsy que toutes les autres, mais vn peu en ouale, et entierement telles qu’on les peut voir vers O. d’où ie iugay qu’elles s’estoient formées en la conionction des extremités de deux feuilles, que le vent auoit poussées l’vne contre l’autre au mesme tems que la chaleur conuertissoit leurs petits pelotons en estoiles. car elles auoient exactement la figure que cela doit causer. Et cete conionction, se faisant suiuant vne ligne toute droite, ne peut estre tant empeschée par l’ondoyement que causent les vens, que celle des parcelles d’vne mesme feuille : outre que la chaleur peut aussy estre plus grande entre les bords de AT VI, 306 ces feuilles, quand elles s’approchent l’vne de l’autre, qu’aux autres lieux, et cete chaleur ayant à demi fondu les parcelles de glace qui y sont, le froid qui luy succede au moment Maire, p. 231
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qu’elles commencent à se toucher les peut aysement coller ensemble. Au reste outre les estoiles dont i’ay parlé iusques icy qui estoient transparentes, il en tomba vne infinité d’autres ce iour là qui estoient toutes blanches comme du sucre, et dont quelques vnes auoient à peu prés mesme figure que les transparentes, mais la plus part auoient leurs rayons plus pointus, et plus deliés, et souuent diuisés, tantost en trois branches, dont les deux des costés estoient repliées en dehors de part, et d’autre et celle du milieu demeuroit droite, en sorte qu’elles representoient vne fleur de lis, comme on peut voir vers R ; et tantost en plusieurs, qui representoient des plumes, ou des feuilles de fougere, ou choses semblables. Et il tomboit aussy parmi ces estoiles plusieurs autres parcelles de glace en forme de filets, et sans autre figure determinée. Dont toutes les causes sont aysées à entendre. car pour la blancheur de ces estoiles, elle ne procedoit que de ce que la chaleur n’auoit point penetré iusques au fõds de leur matiere, ainsi qu’il estoit manifeste de ce que toutes celles qui estoiẽt fort minces estoiẽt transparentes. Et si quelque fois les rayons des blanches n’estoient pas moins cours et mousses que ceux des transparentes, ce n’estoit pas qu’ils se fussent autant fondus à la chaleur, mais qu’ils auoient esté d’auantage pressés par les vens : et communement ils estoient plus longs et pointus, à cause qu’ils s’estoient moins fondus ; Et lorsque ces AT VI, 307 royons estoient diuisés en plusieurs branches, c’estoit que la chaleur auoit abandonné les petits poils qui les composoient, sitost qu’ils auoient commencé à s’approcher les vns des autres pour s’assembler ; Et lors qu’ils Maire, p. 232
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estoient seulement diuisés en trois branches, c’estoit qu’elle les auoit abandonnés vn peu plus tard ; Et les deux branches des costés se replioient de part et d’autre en dehors lorsque cete chaleur se retiroit, à cause que la proximité de la branche du milieu les rendoit incontinent plus froides, et moins flexibles de son costé, ce qui formoit chasque rayon en fleur de lis. Et les parcelles de glace qui n’auoient aucune figure determinée, m’assuroient que toutes les nuës n’estoiẽt pas composées de petits nœus ou pelotons, mais qu’il y en auoit aussy qui n’estoient faites que de filets confusement entremeslés. Pour la cause qui faisoit descendre ces estoiles, la violence du vent qui continua tout ce iour là me la rendoit fort manifeste, car ie iugeois qu’il pouuoit aysement les desarrenger et rompre les feuilles qu’elles composoient, aprés les auoir faites ; et que sitost qu’elles estoient ainsy desarrengées, penchant quelquun de leurs costés vers la terre, elles pouuoient facilement fendre l’air, à cause qu’elles estoient toutes plates, et se trouuoient assés pesantes pour descendre. Mais s’il tombe quelquefois de ces estoiles en tems calme, c’est que l’air de dessous en se reserrant attire à soy toute la nuë, ou que celuy de dessus en se dilatant la pousse en bas, et par mesme moyen les desarrenge. d’où vient que pour lors elles ont coustume d’estre suiuies de plus de neige. ce qui n’arriua point ce iour là. Le matin suiuant il AT VI, 308 tomba des floccons de neige, qui sembloient estre composés d’vn nombre infini de fort petites estoiles iointes ensemble : toutefois en y regardant de plus prés ie trouuay que celles du dedans n’estoient pas si regulierement formées que celles du dessus, Maire, p. 233
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et qu’elles pouuoient aysement proceder de la dissolution d’vne nuë semblable à celle qui a esté cy dessus marquée G. Voyés en la figure de la page 214.Puis cete neige ayant cessé, vn vent subit en forme d’orage fit tomber vn peu de gresle blanche, fort longue, et menuë, dont chasque grain auoit la figure d’vn pain de sucre. Et l’air deuenant clair et serein tout aussy tost, ie iugay que cete gresle s’estoit formée de la plus haute partie des nuës, dont la neige estoit fort subtile, et composée de filets fort deliés, en la façon que i’ay tantost descrite. Enfin à trois iours delà, voyant tomber de la neige toute composée de petits nœuds ou pelotons enuironnés d’vn grand nombre de poils entremeslés et qui n’auoient aucune forme d’estoiles, ie me confirmay en la creance de tout ce que i’auois imaginé touchant cete matiere.

Pour les nuës qui ne sont composées que de gouttes d’eau, il est aysé à entendre de ce que iay dit comment elles descendent en pluie : à sçauoir, ou par leur propre pesanteur, lorsque leurs gouttes se trouuent assés grosses ; ou parce que l’air qui est dessous en se retirant, ou celuy qui est dessus en les pressant, leur donnent occasion de s’abaisser ; ou parce que plusieurs de ces causes concourent ensemble. Et c’est quand l’air du dessous se retire, que se fait la pluie la plus menuë qui puisse estre, car mesme elle est alors quelquefois si AT VI, 309 menuë, qu’on ne dit pas que ce soit de la pluie, mais plutost vn brouillar qui descend ; comme au contraire elle se fait fort grosse, quand la nuë ne s’abaisse qu’à cause qu’elle est pressée par l’air du dessus, car les plus hautes de ses gouttes descendant les premieres, en rencontrent d’autres qui les Maire, p. 234
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grossissent. Et de plus iay vû quelquefois en esté, pendant vn tems calme accompagné d’vne chaleur pesante et estoufante, qu’il commencoit à tomber de telle pluie, auant mesme qu’il eust paru aucune nuë. dont la cause estoit qu’y ayant en l’air beaucoup de vapeurs, qui sans doute estoient pressées par les vens des autres lieux, ainsi que le calme et la pesanteur de l’air le tesmoignoient, les gouttes en quoy ces vapeurs se conuertissoient deuenoient fort grosses en tombant, et tomboient à mesure qu’elles se formoient.

Pour les brouillars, lorsque la terre en se refroidissant, et l’air qui est dans ses pores se reserrant, leur donne moyen de s’abaisser, ils se conuertissent en rozée s’ils sont composés de gouttes d’eau, et en bruine ou gelée blanche s’ils sont composés de vapeurs desia gelées, ou plutost qui se gelent à mesure qu’elles touchent la terre. Et cecy arriue principalement la nuit ou le matin, à cause que c’est le tems que la terre en s’esloignant du soleil se refroidist. Mais le vent abat aussy fort souuent les brouillas, en suruenant aux lieux où ils sont : et mesme il peut transporter leur matiere, et en faire de la rozée ou de la gelée blanche, en ceux où ils n’ont point esté aperceus : et on voit alors que cete gelée ne s’attache aux plantes, que sur les costés que le vent touche.

AT VI, 310 Pour le serein, qui ne tombe iamais que le soir, et ne se connoist que par les reumes et les maux de teste qu’il cause en quelques contrées, il ne consiste qu’en certaines exhalaisons subtiles et penetrantes, qui estant plus fixes que les vapeurs, ne s’esleuẽt qu’aux païs assés chauds et aux beaux iours, et qui retombent tout aussy tost que Maire, p. 235
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la chaleur du soleil les abandonne. d’où vient qu’il a diuerses qualités en diuers païs, et qu’il est mesme inconnu en plusieurs, selon les differences des terres d’ou sortent ces exhalaisons. Et ie ne dis pas qu’il ne soit souuent accompagné de la rozée, qui commence à tomber des le soir, mais bien que ce n’est nullement elle qui cause les maux dont on l’accuse. Ce sont aussy des exhalaisons qui composent la manne, et les autres tels sucs, qui descendent de l’air pendant la nuit ; car pour les vapeurs, elles ne sçauroient se changer en autre chose qu’en eau ou en glace. Et ces sucs non seulement sont diuers en diuers païs, mais aussy quelques vns ne s’attachent qu’a certains cors, à cause que leurs parties sont sans doute de telle figure, qu’elles n’ont pas assés de prise contre les autres pour s’y arester.

Que si la rozée ne tombe point, et qu’on voye au matin les brouillas s’esleuer en haut, et laisser la terre toute essuiée, c’est signe de pluie. car cela n’arriue gueres que lorsque la terre, ne s’estant point assés refroidie la nuit, ou estant extrordinairement eschauffée le matin, produist quantité de vapeurs, qui repoussant ces brouillas vers le ciel font que leurs gouttes en se rencontrant se grossissent, et se disposent à tomber en pluie bientost aprés. C’est aussy vn signe AT VI, 311 de pluie de voir que notre air estant fort chargé de nuës, le soleil ne laisse pas de paroistre assés clair dés le matin. car c’est à dire qu’il n’y a point d’autres nuës en l’air voysin du nostre vers l’Orient, qui empeschent, que la chaleur du soleil ne condense celles qui sont au dessus de nous, et mesme aussy qu’elle n’esleue de nouuelles vapeurs de nostre Maire, p. 236
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terre qui les augmente. Mais cete cause n’ayant lieu que le matin, s’il ne pleut point auant midy, elle ne peut rien faire iuger de ce qui arriuera vers le soir. Ie ne diray rien de plusieurs autres signes de pluie qu’on obserue, à cause qu’ils sont pour la plus part fort incertains. Et si vous considerés que la mesme chaleur qui est ordinairement requise pour condenser les nuës et en tirer de la pluie, les peut aussy tout au contraire dilater et changer en vapeurs, qui quelquefois se perdent en l’air insensiblement, et quelquefois y causent des vens, selon que les parties de ces nuës se trouuent vn peu plus pressées, ou escartées, et que cete chaleur est vn peu plus ou moins accompagnée d’humidité, et que l’air qui est aux enuirons se dilate plus ou moins, ou se condense ; vous connoistrés bien que toutes ces choses sont trop variables et incertaines, pour estre asseurement preveuës par les hommes.

AT VI, 312

DES TEMPESTES, DE LA
Foudre, et de tous les autres feux qui s’allument en l’air.
Discours Septiesme.

Au reste ce n’est pas seulement quand les nuës se dissoluent en vapeurs quellesqu’elles causent des vens, mais elles peuuent aussy quelquefois s’abaisser si à coup, qu’elles chassent auec grande violence tout l’air qui est sous Maire, p. 237
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elles, et en composent vn vent tres fort, mais peu durable, dont l’imitation se peut voir en estendant vn voile vn peu haut en l’air, puis de là le laissant descendre tout plat vers la terre. Les fortes pluies sont presque tousiours precedées par vn tel vent, qui agist manifestement de haut en bas, et dont la froideur monstre assés qu’il vient des nuës, où l’air est communement plus froid qu’autour de nous. Et c’est ce vent qui est cause que lorsque les hirondelles volent fort bas, elles nous auertissent de la pluie. car il fait descendre certains mouscherons dont elles viuent, qui ont coustume de prendre l’essort, et de s’esgayer au haut de l’air quand il fait beau. C’est luy aussy qui quelquefois, lors mesme que la nuë estant fort petite, ou ne s’abaissant que fort peu, il est si foible qu’on ne le sent quasi pas en l’air libre, s’entonnant dans les tuyanux des cheminées, fait iouer les cendres et les festus qui se trouuent au coin du feu, et y excite AT VI, 313 comme de petits tourbillons assés admirables pour ceux qui en ignorent la cause, et qui sont ordinairement suiuis de quelque pluie. Mais si la nuë qui descend est fort pesante et fort estenduë, (comme elle peut estre plus aysement sur les grandes mers qu’aux autres lieux, à cause que les vapeurs y estant fort esgalement dispersées, si tost qu’il s’y forme la moindre nuë en quelque endroit, elle s’estend incontinent en tous les autres circonvoysins) cela cause infalliblement vne tempeste ; laquelle est d’autant plus forte, que la nuë est plus grande et plus pesante ; et dure d’autant plus long tems, que la nue descend de plus haut. Et c’est ainsi que ie m’imagine que se font ces trauades, que les mariniers craignent tant Maire, p. 238
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en leurs grans voyasges, particulierement vn peu au dela du cap de bonne esperance, ou les vapeurs qui s’esleuent de la mer Ethiopique, qui est fort large et fort eschauffée par le soleil, peuuent aysement causer vn vent d’abas, qui arestant le cours naturel de celles qui vienent de la mer des Indes les assemble en vne nue, laquelle procedant de l’inesgalité qui est entre ces deux grandes mers et cete terre, doit deuenir incontinent beaucoup plus grande, que celles qui se forment en ces quartiers, où elles dépendent de plusieurs moindres inégalités, qui sont entre nos pleines, et nos lacs, et nos montaignes. Et pourcequ’il ne se voit quasi iamais d’autres nues en ces lieux là, si tost que les mariniers y en apperçoiuent quelqu’vne qui commence à se former, bienqu’elle paroisse quelquefois si petite que les Flamens l’ont comparée à l’œil d’vn beuf, duquel ils luy ont donné le nom, et que le AT VI, 314 reste de l’air semble fort calme et fort serein, ils se hastent d’abatre leurs voiles, et se preparent à receuoir vne tempeste, qui ne manque pas de suiure tout aussy tost. Et mesme ie iuge qu’elle doit estre d’autant plus grande, que cete nue a paru au commencement plus petite. car ne pouuant deuenir assés espaisse pour obscurcir l’air et estre visible, sans deuenir aussy assés grande, elle ne peut paroistre ainsi petite qu’à cause de son extreme distance ; et vous scaués que plus vn cors pesant descend de haut, plus sa cheute est impetueuse. Ainsi cete nue estant fort haute, et deuenant subitement fort grande et fort pesante, descend tout entiere, en chassant auec grande violence tout l’air qui est sous elle, et causant par ce moyen le vent d’vne tempeste. Mesme il est à remarquer que Maire, p. 239
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les vapeurs, meslées parmi cet air, sont dilatées par son agitation, et qu’il en sort aussy pour lors plusieurs autres de la mer, à cause de l’agitation de ses vagues, ce qui augmente beaucoup la force du vent, et retardant la descente de la nue, fait durer l’orage d’autant plus long tems. Puis aussy qu’il y a d’ordinaire des exhalaisons meslées parmi ces vapeurs, qui ne pouuant estre chassées si loin qu’elles par la nuë, à cause que leurs parties sont moins solides, et ont des figures plus irregulieres, en sont separées par l’agitation de l’air, en mesme façon que, comme il a esté dit cy dessus, en battant la creme on separe le beurre du petit lait ; et que par ce moyen elles s’assemblent par cy par la en diuers tas, qui flotans tousiours le plus haut qu’il se peut contre la nue, vienent enfin s’attacher aux chordes et aux mats des nauires, lorsqu’elle AT VI, 315 acheue de descendre. Et la estant embrasés par cete violente agitation, ils composent ces feux nommés de Saint Helme, qui consolent les matelots, et leur font esperer le beau tems. Il est vray que souuent ces tempestes sont en leur plus grande force vers la fin, et qu’il peut y auoir plusieurs nues l’vne sur l’autre, sous chascune desquelles il se trouue de tels feux ; ce qui a peut estre esté la cause pourquoy les anciens n’en voyant qu’vn, qu’ils nommoient l’astre d’Helene, ils l’estimoient de mauuais augure, comme s’ils eussent encore attendu alors le plus fort de la tempeste. Au lieu que lorsqu’ils en voyoient deux, qu’ils nommoient Castor et Pollux, ils les prenoient pour vn bon presage. car c’estoit ordinairement le plus qu’ils en vissent, excepté peut estre lorsque l’orage estoit extrordinairement grand qu’ils en voyoient trois, Maire, p. 240
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et les estimoient aussy à cause de cela de mauuais augure. Toutefois iay ouy dire à nos mariniers qu’ils en voyent quelquefois iusques au nombre de quatre ou de cinq, peut estre à cause que leurs vaisseaux sont plus grãs, et ont plus de mats que ceux des anciens, ou qu’ils voyasgent en des lieux où les exhalaisons sont plus frequentes. Car enfin ie ne puis rien dire que par coniecture de ce qui se fait dans les grandes mers que ie n’ay iamais veues, et dont ie n’ay que des relations fort imparfaites.

Mais pour les orages qui sont accompaignés de tonnerre, d’esclairs, de tourbillons, et de foudre, desquels iay pû voir quelques exemples sur terre, ie ne doute point qu’ils ne soient causés de ce qu’y ayant plusieurs nues l’vne sur l’autre, il arriue quelquefois AT VI, 316 que les plus hautes descendent fort à coup sur les plus basses. Comme si les deux nues A et B n’estant composées que de neige fort rare et fort estendue, il se trouue vn air plus chaud autour de la superieure A, qu’autour de l’inferieure B, il est euident que la chaleur de cet air la peut condenser et appesantir peu à peu, en telle sorte que les plus hautes de ses parties, commenceant les premieres à descendre, en abbatront ou entraisneront auec soy quantité d’autres, qui tomberont aussy tost toutes ensemble auec vn grand bruit sur l’inferieure. En mesme Maire, p. 241
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façon que ie me souuien d’auoir vû autrefois dans les Alpes, enuiron le mois de May, que les neiges estant eschauffées et appesanties par le soleil, la moindre esmotion d’air estoit suffisante pour en faire tomber subitement de gros tas, qu’on nommoit ce me semble des aualanches, et qui retentissant dans les valées imitoient assés bien le bruit du tonnerre. En suite de quoy on peut entendre pourquoy il tonne plus rarement en ces quartiers l’hyuer que l’esté. car il ne paruient pas alors si aysement assés de chaleur iusques aux plus hautes nues, pour les dissoudre. Et pourquoy, lorsque pendant les grandes chaleurs, aprés vn vent Septentrional qui dure fort peu, on sent derechef vne chaleur moite et estouffante, c’est signe qu’il suiura bientost du tonnerre. Car cela tesmoigne que ce vent septentrional, ayant passé contre la terre, en a chassé la chaleur vers AT VI, 317 l’endroit de l’air où se forment les plus hautes nues, et qu’en estant aprés chassé luy mesme, vers celuy où se forment les plus basses, par la dilatation de l’air inferieur que causent les vapeurs chaudes qu’il contient, non seulement les plus hautes en se condensant doiuent descendre, mais aussy les plus basses demeurant fort rares, et mesme estant comme sousleuées et repoussées par cete dilatation de l’air inferieur, leur doiuent resister en telle sorte, que souuent elles peuuent empescher qu’il n’en tombe aucune partie iusques à terre. Et notés que le bruit, qui se fait ainsi au dessus de nous, se doit mieux entendre, à cause de la resonnance de l’air, et estre plus grand à raison de la neige qui tombe, que n’est celuy des aualanches. Puis notés aussy que de cela seul, que les parties des nues superieures Maire, p. 242
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tombent toutes ensemble, ou l’vne aprés l’autre, ou plus viste, ou plus lentement ; et que les inferieures sont plus ou moins grandes, et espaisses, et resistent plus ou moins fort, tous les differens bruits du tonnerre peuuent aysement estre causés. Pour les differences des esclairs, des tourbillons, et de la foudre, elles ne dependent que de la nature des exhalaisons qui se trouuent en l’espace qui est entre deux nuës, et de la façon que la superieure tombe sur l’autre. Car s’il a precedé de grandes chaleurs et seicheresses, en sorte que cet espace contiene quantité d’exhalaisons fort subtiles, et fort disposées à s’enflamer, la nuë superieure ne peut quasi estre si petite, ny descendre si lentement, que chassant l’air qui est entre elle et l’inferieure, elle n’en face sortir vn esclair, c’est à dire, vne flame legere qui se dissipe à AT VI, 318 l’heure mesme. En sorte qu’on peut voir alors de tels esclairs sans ouir aucunement le bruit du tonnerre ; Et mesme aussy quelquefois sans que les nues soient assés espaisses pour estre visibles. Comme au contraire s’il n’y a point en l’air d’exhalaisons qui soient propres à s’enflamer, on peut ouïr le bruit du tonnerre sans qu’il paroisse pour cela aucun esclair. Et lorsque la plus haute nuë ne tombe que par pieces qui s’entresuiuent, elle ne cause gueres que des esclairs et du tonnerre ; mais lorsqu’elle tombe toute entiere et assés viste, elle peut causer auec cela des tourbillons et de la foudre. Car il faut remarquer, que ses extremités, comme C et D, se doiuent abaisser vn peu plus viste que le milieu, d’autant que l’air qui est dessous, ayant moins de chemin à faire pour en sortir, leur cede plus aysement, et ainsi que venant à toucher la nue inferieure, plutost que Maire, p. 243
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ne fait le milieu, il s’enferme beaucoup d’air entre deux, comme on voit icy vers E ; puis cet air estant pressé et chassé auec grande force par ce milieu de la nue superieure qui continue encore à descendre, il doit necessairement rompre l’inferieure pour en sortir, comme on voit vers F ; ou entrouurir quelqu’vne de ses extremités, comme on voit vers G. Et lorsqu’il a rompu ainsi cete nue il AT VI, 319 descend auec grande force vers la terre, puis delà remonte en tournoyant, à cause qu’il trouue de la resistence de tous costés, qui l’empesche de continuer son mouuement en ligne droite, aussy viste que son agitation le requert. Et ainsi il compose vn tourbillon ; qui peut n’estre point accompaigné de foudre ny d’esclairs, s’il n’y a point en cet air d’exhalaisons qui soient propres à s’enflamer ; Mais lorsqu’il y en a, elles s’assemblent toutes en vn tas, et estant chassées fort impetueusement auec cet air vers la terre, elles composent la foudre. Et cete foudre peut brusler les habits et razer le poil sans nuire au cors, si ces exhalaisons, qui ont ordinairement Maire, p. 244
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l’odeur du souffre, ne sont que grasses et huileuses, en sorte qu’elles composent vne flame legere qui ne s’attache qu’aux cors aysés à brusler. Comme au contraire elle peut rõpre les os sans endommager les chairs, ou fondre l’espée sans gaster le fourreau, si ces exhalaisons estant fort subtiles et penetrantes, ne participent que de la nature des sels volatiles ou des eaux fortes, au moyen de quoy ne faisant aucun effort contre les cors qui leur cedent, elles brisent et dissoluent tous ceux qui leur font beaucoup de resistence. Ainsi qu’on voit l’eau forte dissoudre les metaux les plus durs, et n’agir point contre la cire. Enfin la foudre se peut quelquefois conuertir en vne pierre fort dure, qui romp et fracasse tout ce qu’elle rencontre, si parmi ces exhalaisons fort penetrantes il y en a quantité de ces autres qui sont grasses et ensouffrées. principalement s’il y en a aussy de plus grossieres, semblables à cete terre qu’on trouue au fonds de l’eau de pluie lors qu’on la AT VI, 320 laisse rasseoir en quelque vaze. Ainsi qu’on peut voir par experience, qu’ayant meslé certaines portions de cete terre, de salpetre, et de souffre, si on met le feu en cete composition, il s’en forme subitement vne pierre. Que si la nuë s’ouure par le costé, comme vers G, la foudre estant eslancée de trauers, rencontre plutost les pointes des tours ou des rochers que les lieux bas, comme on voit vers H. Mais lors mesme que la nue se romp par le dessous, il y a raison pourquoy la foudre tombe plutost sur les lieux hauts et eminens que sur les autres. Car si par exemple la nue B n’est point d’ailleurs plus disposée à se rompre en vn endroit qu’en vn autre, il est certain qu’elle se deura rompre Maire, p. 245
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en celuy qui est marqué F, à cause de la resistence du clocher qui est au dessous. Il y a aussy raison pourquoy chasque coup de tonnerre est d’ordinaire suiui d’vne ondée de pluie, et pourquoy lorsque cete pluie vient fort abondante, il ne tonne gueres plus d’auantage. car si la force, dont la nue superieure esbransle l’inferieure en tombant dessus, est assés grande pour la faire toute descendre, il est euident que le tonnerre doit cesser ; et si elle est moindre, elle ne laisse pas d’en pouuoir souuent faire sortir plusieurs floccons de neige, qui se fondant en l’air font de la pluie. Enfin ce n’est pas sans raison qu’on tient que le grand bruit, comme des cloches, ou des canons, peut diminuer l’effect de la foudre. car il ayde à dissiper et faire tomber la nue inferieure, en esbranslant la neige dont elle est composée. Ainsi que sçauent assés ceux qui ont coustume de voyasger dans les valées où les aualanches sont à craindre. car ils s’abstienent mesme de AT VI, 321 parler et de tousser en y passant, de peur que le bruit de leur voix n’esmeuue la neige.

Maire, p. 246
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Mais comme nous auons desia remarqué, qu’il esclaire quelquefois sans qu’il tonne, ainsi aux endroits de l’air où il se rencontre beaucoup d’exhalaisons et peu de vapeurs, il se peut former des nues si peu espaisses, et si legeres, que tombant d’assés haut l’vne sur l’autre elles ne font ouir aucun tonnerre, ny n’excitent en l’air aucun orage, nonobstant qu’elles enueloppent et ioignent ensemble plusieurs exhalaisons ; dont elles composent non seulement de ces moindres flames qu’on diroit estre des estoiles qui tombent du ciel, ou d’autres qui le trauersent, mais aussy des boules de feu assés grosses, et qui paruenant iusques à nous sont comme des diminutifs de la foudre. Mesme d’autant qu’il y a des exhalaisons de plusieurs diuerses natures, ie ne iuge pas qu’il soit impossible, que les nues, en les pressant, n’en composent quelquefois vne matiere, qui selon la couleur, et la consistence qu’elle aura, semble du lait, ou du sang, ou de la chair ; ou bien qui en se bruslant deuiene telle qu’on la prene pour du fer, ou des pierres ; ou enfin qui en se corrompant engendre quelques petits animaux en peu de tems. Ainsi qu’on list souuent entre les prodiges qu’il a plû du fer, ou du sang, ou des sauterelles, ou choses semblables. De plus sans qu’il y ait en l’air aucune nue, les exhalaisons peuuent estre entassées et embrasées par le seul souffle des vens, principalement lorsqu’il y en a deux ou plusieurs contraires qui se rencontrent. Et enfin sans vens et sans nues, par cela seul qu’vne exhalaison AT VI, 322 subtile et penetrante, qui tient de la nature des sels, s’insinue dans les pores d’vne autre, qui est grasse et ensouffrée, il se peut former des flames legeres tant au haut qu’au bas de l’air, Maire, p. 247
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comme on y voit au haut ces estoiles qui le trauersent ; et au bas tant ces ardans ou feux folets qui s’y iouent, que ces autres qui s’arestent à certains cors, comme aux cheueux des enfans, ou au crin des cheuaux, ou aux pointes des picques qu’on a frotées d’huile pour les nettoyer, ou à choses semblables. Car il est certain, que non seulement vne violente agitation, mais souuent aussy le seul meslange de deux diuers cors est suffisant pour les embraser. comme on voit en versant de l’eau sur de la chaux, ou renfermant du foin auant qu’il soit sec, ou en vne infinité d’autres exemples qui se rencontrent tous les iours en la Chymie. Mais tous ces feux ont fort peu de force à comparaison de la foudre. dont la raison est qu’ils ne sont composés que des plus molles et plus gluantes parties des huiles ; nonobstant que les plus viues et plus penetrantes des sels concourent ordinairement aussy à les produire. Car celles cy ne s’arestent pas pour cela parmi les autres, mais s’escartent promptement en l’air libre aprés qu’elles les ont embrasées. Au lieu que la foudre est principalement composée de ces plus viues et penetrantes, qui estant fort violemment pressées et chassées par les nuës, emportent les autres auec soy iusqu’à terre. Et ceux qui sçauent combien le feu du salpetre et du souffre meslés ensemble a de force et de vitesse, au lieu que la partie grasse du souffre estant séparée de ses esprits en auroit fort peu ; ne trouueront en cecy AT VI, 323 rien de douteux. Pour la durée des feux qui s’arestent ou voltigent autour de nous, elle peut estre plus ou moins longue, selon que leur flame est plus ou moins lente, et leur matiere plus ou moins espaisse et serrée : Maire, p. 248
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Mais pour celle des feux qui ne se voyent qu’au haut de l’air, elle ne sçauroit estre que fort courte, à cause que si leur matiere n’estoit fort rare, leur pesanteur les feroit descendre. Et ie trouue que les Philosophes ont eu raison, de les comparer à cete flame, qu’on voit courir tout du long de la fumée, qui sort d’vn flambeau qu’on vient d’esteindre, lorsqu’estant approchée d’vn autre flambeau elle s’allume. Mais ie m’estonne fort, qu’aprés cela ils ayent pû s’imaginer, que les Cometes, et les colomnes ou cheurons de feu, qu’on voit quelquefois dans dle ciel, fussent composées d’exhalaisons, car elles durent incomparablement plus long tems.

Et pource que iay tasché d’expliquer curieusement leur production et leur nature dans vn autre traité, et que ie ne croy point qu’elles appartienent aux meteores, non plus que les tremblemens de terre, et les mineraux, que plusieurs escriuains y entassent, ie ne parleray plus icy que de certaines lumieres, qui paroissant la nuit pendant vn tems calme et serein, donnent suiet aux peuples oysifs d’imaginer des esquadrons de fantosmes qui combattent en l’air, et ausquels ils font presager la perte ou la victoire du parti qu’ils affectionnent, selon que la crainte ou l’esperance predomine en leur fantaisie. Mesme à cause que ie n’ay iamais vû de tels spectacles, et que ie sçay combien les relations qu’on en fait ont coustume d’estre AT VI, 324 falsifiées et augmentées par la superstition et l’ignorance, ie me contenteray de toucher en peu de mots toutes les causes, qui me semblent capables de les produire. La premiere est qu’il y ait en l’air plusieurs nues, assés petites pour estre prises pour autant de soldats, Maire, p. 249
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et qui tombant l’vne sur l’autre, enueloppent assés d’exhalaisons, pour causer quantité de petis esclairs, et ietter de petits feux et peut estre aussy faire ouïr de petits bruits, au moyen de quoy ces soldats semblent combatre. La seconde, qu’il y ait aussy en l’air de telles nuës, mais qu’au lieu de tomber l’vne sur l’autre, elles reçoiuent leur lumiere des feux et des esclairs de quelque grande tempeste, qui se face ailleurs si loin de là, qu’elle n’y puisse estre apperceue. Et la troisiesme, que ces nuës, ou quelques autres plus septentrionales de qui elles reçoiuent leur lumiere, soient si hautes que les rayons du soleil paruienent iusques à elles. car si on prend garde aux Refractions et Reflexions que deux ou trois telles nuës peuuent causer, on trouuera qu’elles n’ont point besoin d’estre fort hautes, pour faire paroistre vers le Septentrion de telles lumieres, aprés que l’heure du crepuscule est passée ; et quelquefois aussy le soleil mesme, au tems qu’il doit estre couché. Mais cecy ne semble pas tant appartenir à ce discours qu’aux suiuans, où iay dessein de parler de toutes les choses qu’on peut voir dans l’air sans qu’elles y soient ; aprés auoir icy acheué l’explication de toutes celles qui s’y voyent, en mesme façon qu’elles y sont.

Maire, p. 250
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AT VI, 325

DE L’ARC-EN-CIEL.
Discours Huitiesme.

L’arc-en-ciel est vne merueille de la nature si remarquable, et sa cause a esté de tout tems si curieusement recherchée par les bons esprits, et si peu connuë, que ie ne sçaurois choisir de matiere plus propre à faire voir comment par la methode dont ie me sers on peut venir à des connoissances, que ceux dont nous auons les escrits n’ont point euës. Premierement ayant consideré que cet arc ne peut pas seulement paroistre dans le ciel, mais aussy en l’air proche de nous toutefois et quantes qu’il s’y trouue plusieurs gouttes d’eau esclairées par le soleil, ainsi que l’experience fait voir en quelques fontaines : il m’a esté aysé de iuger, qu’il ne procede que de la façon que les rayons de la lumiere agissent contre ces gouttes et de la tendent vers nos yeux. Puis sçachant que ces gouttes sont rondes, ainsi qu’il a esté prouué cy dessus, et voyant que pour estre plus grosses ou plus petites elles ne font point paroistre cet arc d’autre façon ; ie me suis auisé d’en faire vne fort grosse, affin de la pouuoir mieux examiner. Et ayant rempli d’eau, à cet effect, vne grande fiole de verre toute ronde et fort transparente, iay trouué que le soleil venant, par exemple, de la partie du ciel marquée AFZ, et mon œil estant au point E, lorsque ie mettois AT VI, 326 cete boule en l’endroit BCD, sa partie D me paroissoit toute rouge, et incomparablement plus esclatante que le reste ; Et que soit que Maire, p. 251
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ie l’approchasse, soit que ie la reculasse, et que ie la misse à droit, ou à gauche, ou mesme la fisse tourner en rond autour de ma teste, pourvû que la ligne DE fist tousiours vn angle d’enuiron 42 degrés auec la ligne EM, qu’il faut imaginer tendre du centre de l’œil vers celuy du soleil, cete partie D paroissoit tousiours esgalement rouge ; Mais que, sitost que ie faisois cet angle DEM tant soit peu plus grand, cete rougeur disparoissoit ; et que si ie le faisois vn peu moindre, elle ne disparoissoit pas AT VI, 327 du Maire, p. 252
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tout si à coup, mais se diuisoit auparauant comme en deux parties, moins brillantes, et dans lesquelles on voyoit du iaune, du bleu, et d’autres couleurs. Puis regardant aussy vers l’endroit de cete boule qui est marqué K, iay apperceu que faisant l’angle KEM d’enuiron 52 degrés, cete partie K paroissoit aussy de couleur rouge, mais non pas si esclatante que D : Et que le faisant quelque peu plus grand, il y paroissoit d’autres couleurs plus foibles ; mais que le faisant tant soit peu moindre, ou beaucoup plus grand, il n’y en paroissoit plus aucune. D’où i’ay connû manifestement que tout l’air qui est vers M estant rempli de telles boules, ou en leur place de gouttes d’eau, il doit paroistre vn point fort rouge et fort esclatant en chascune de celles de ces gouttes dont les lignes tirées vers l’œil E font vn angle d’enuiron 42 degrés auec EM, comme ie suppose celles qui sont marquées R ; Et que ces poins estans regardés tous ensemble, sans qu’on remarque autrement le lieu où ils sont que par l’angle sous lequel ils se voyent, doiuent paroistre comme vn cercle continu de couleur rouge : Et qu’il doit y auoir tout de mesme des poins en celles qui sont marquées S et T, dont les lignes tirées vers E sont des angles vn peu plus aygus auec EM, qui composent des cercles de couleurs plus foibles. Et que c’est en cecy que consiste le premier et principal arc-en-ciel. Puis derechef que l’angle MEX estant de 52 degrés, il doit paroistre vn cercle rouge dans les gouttes marquées X, Et d’autres cercles de couleurs plus foibles dans les gouttes marquées Y. Et que c’est en cecy que consiste le second et moins Maire, p. 253
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principal AT VI, 328 arc-en-ciel. Et enfin qu’en toutes les autres gouttes marquées V il ne doit paroistre aucunes couleurs. Examinant aprés cela plus particulierement en la boule BCD ce qui faisoit que la partie D paroissoit rouge, i’ay trouué que c’estoient les rayons du soleil qui venans d’A vers B se courboient en entrant dans l’eau au point B, et alloient vers C, d’où ils se refleschissoient vers D, et là se courbans derechef en sortant de l’eau, tendoient vers E : car sitost que ie mettois vn cors opaque Maire, p. 254
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ou obscur en quelque endroit des lignes AB, BC, CD, ou DE, cete couleur rouge disparoissoit. Et quoy que ie couurisse toute la boule AT VI, 329 excepté les deux points B et D, et que ie misse des cors obscurs partout ailleurs, pourvû que rien n’empeschast l’action des rayons ABCDE, elle ne laissoit pas de paroistre. Puis cherchant aussy ce qui estoit cause du rouge qui paroissoit vers K, i’ay trouué que c’estoient les rayons qui venoient d’F vers G, où ils se courboient vers H, et en H se refleschissoient vers I, et en I se refleschissoient derechef vers K, puis enfin se courboient au point K, et tendoient vers E. De façon que le premier arc-en-ciel est causé par des rayons qui paruienent à l’œil aprés deux refractions et vne reflexion, et le second par d’autres rayons qui n’y paruienent qu’aprés deux refractions et deux reflexions ; ce qui empesche qu’il ne paroisse tant que le premier.

Mais la principale difficulté restoit encore, qui estoit de sçauoir pourquoy, y ayant plusieurs autres rayons qui aprés deux refractions et vne ou deux reflexions peuuent tendre vers l’œil quand cete boule est en autre situation, il n’y a toutefois que ceux dont i’ay parlé qui facent paroistre quelques couleurs. Et pour la resoudre i’ay cherché, s’il n’y auoit point quelque autre suiet ou elles parussent en mesme sorte, affinque par la comparaison de l’vn et de l’autre ie pûsse mieux iuger de leur cause. Puis me souuenant qu’vn prisme ou triangle de cristal en fait voir de semblables, i’en ay consideré vn qui estoit tel qu’est icy MNP, dont les deux superficies MN et NP sont toutes plates, et inclinées l’vne sur l’autre selon vn angle d’enuiron 30 ou 40 degrés, en sorte que Maire, p. 255
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si les rayons du soleil ABC trauersent MN à angles droits, AT VI, 330 ou presque droits, et ainsi n’y souffrent aucune sensible refraction, ils en doiuent souffrir vne assés grande en sortant par NP. Et couurant l’vne de ces deux superficies d’vn cors obscur, dans lequel il y auoit vne ouuerture assés estroite comme DE, i’ay obserué que les rayons, passant par cete ouuerture et de là s’allant rẽdre sur vn linge ou papier blanc FGH, y peignent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; et qu’ils y peignent tousiours le rouge vers F, et le bleu ou le violet vers H. D’où i’ay appris, premierement que la courbure des superficies des gouttes d’eau n’est point necessaire à la production de ces couleurs ; car celles de ce cristal sont toutes plates ; Ny la grandeur de l’angle sonus lequel elles paroissent. car il peut icy estre changé sans qu’elles changent, et bienqu’on puisse faire que les rayons qui vont vers F se courbent tantost plus et tantost moins que ceux qui vont vers H, ils ne laissent pas de peindre tousiours du rouge, et ceux qui vont vers H tousiours du bleu ; Ny aussy la reflexion : car il n’y en a icy aucune ; Ny enfin la pluralité des refractions : car il n’y en a icy qu’vne seule. Mais i’ay iugé qu’il y en falloit pour le Maire, p. 256
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moins vne, et mesme vne dont l’effect ne fust point destruit par vne contraire. car l’experience monstre, que si les superficies MN et NP estoient paralleles, les rayons se redressant autant en l’vne qu’ils se pourroient courber AT VI, 331 en l’autre, ne produiroient point ces couleurs. Ie n’ay pas douté qu’il n’y fallust aussy de la lumiere ; car sans elle on ne voit rien. Et outre cela i’ay obserué qu’il y falloit de l’ombre, ou de la limitation à cete lumiere. car si on oste le cors obscur qui est sur NP, les couleurs FGH cessent de paroistre ; et si on fait l’ouuerture DE assés grande, le rouge, l’orangé, et le iaune, qui sont vers F, ne s’estendent pas plus loin pour cela, non plus que le verd, le bleu, et le violet, qui sont vers H, mais tout le surplus de l’espace qui est entre deux vers G demeure blanc. En suite de quoy iay tasché de connoistre, pourquoy ces couleurs sont autres vers H que vers F, nonobstant que la refraction et l’ombre et la lumiere y concourent en mesme sorte ; Et conceuant la nature de la lumiere telle que ie l’ay descrite en la Dioptrique, à sçauoir, comme l’action ou le mouuement d’vne certaine matiere fort subtile, dont il faut imaginer les parties ainsi que de petites boules qui roullent dans les pores des cors terrestres. I’ay connu que ces boules peuuent rouller en diuerses façons, selon les diuerses causes qui les y determinent ; Et en particulier que toutes les refractions qui se font vers vn mesme costé les determinent à tourner en mesme sens ; Mais que lorsqu’elles n’ont point de voysines qui se meuuent notablement plus viste, ou moins viste qu’elles, leur tournoyement n’est qu’a peu prés esgal à leur mouuement en ligne droite ; Au lieu que lorsqu’elles Maire, p. 257
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en ont d’vn costé qui se meuuent moins viste, et de l’autre qui se meuuent plus ou esgalement viste, ainsi qu’il arriue aux confins de l’ombre et de la lumiere ; si elles rencontrent celles qui se AT VI, 332 meuuent moins viste, du costé vers lequel elles roullent, comme font celles qui composent le rayon EH, cela est cause qu’elles ne tournoyent pas si viste, qu’elles se meuuent en ligne droite ; et c’est tout le contraire, lorsqu’elles les rencontrent de l’autre costé comme font celles du rayon DF. Pour mieux entendre cecy, pensés que la boule 1234 est poussée d’V vers X, en telle sorte qu’elle ne va qu’en ligne droite, et que ses deux costés 1 et 3 descendent esgalement viste iusques à la superficie de l’eau YY, où le mouuement du costé marqué 3, qui la rencontre le premier, est retardé, pendant que celuy du costé marqué I continuë encore. ce qui est cause que toute la boule commence infalliblement à tournoyer suiuant l’ordre des chiffres 123. Puis imaginés qu’elle est enuironnée de quatre autres, Q, R, S, T ; dont les deux Q et R tendent, auec plus de force qu’elle, à se mouuoir vers X ; et les deux autres S et T y tendent auec moins de force. Maire, p. 258
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D’où il est euident, que Q pressant sa partie marquée I, et S retenant AT VI, 333 celle qui est marquée 3, augmentent son tournoyement ; et que R et T n’y nuisẽt point, pource que R est disposée à se mouuoir vers X plus viste qu’elle ne la suit, et T n’est pas disposée à la suiure si viste qu’elle la precede. Ce qui explique l’action du rayon DF. Puis tout au contraire si Q et R tendent plus lentement qu’elle vers X, et S et T y tendent plus fort, R empesche le tournoyement de la partie marquée I, et T celuy de la partie 3 ; sans que les deux autres Q et S y facent rien. Ce qui explique l’action du rayon EH. Mais il est à remarquer que cete boule 1234 estant fort ronde, il peut aysement arriuer que lorsqu’elle est pressée vn peu fort par les deux R et T, elle se reuire en pirouëttant autour de l’aissieu 42, au lieu d’arester son tournoyement à leur occasion, et ainsi que changeant en vn moment de situation, elle tournoye aprés suiuant l’ordre des chiffres 123321  ; car les deux R et T qui l’ont fait commencer à se détourner, l’obligent à continuer iusques à ce qu’elle ait acheué vn demi tour en ce sens là, et qu’elles puissent augmenter son tournoyement, au Maire, p. 259
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lieu de le retarder. Ce qui m’a serui à resoudre la principale de toutes les difficultés que i’ay euës en cete matiere. Et il se demonstre ce me semble tres euidemment de tout cecy, que la nature des couleurs, qui paroissent vers F, ne consiste, qu’en ce que les parties de la matiere subtile, qui transmet l’action de la lumiere, tendent à tournoyer, auec plus de force, qu’a se mouuoir en ligne droite : en sorte que celles qui tendent à tourner beaucoup plus fort, causent la couleur rouge, et celles qui n’y tendent qu’vn peu plus fort, causent la iaune. Comme AT VI, 334 au contraire la nature de celles, qui se voyent vers H, ne consiste, qu’en ce que ces petites parties ne tournoyent pas si viste, qu’elles ont de coustume lors qu’il n’y a point de cause particuliere qui les en empesche ; en sorte que le verd paroist où elles ne tournoyent gueres moins viste, et le bleu ou elles tournoyent beaucoup moins viste ; Et ordinairement aux extremités de ce bleu il se mesle de l’incarnat, qui luy donnant de la viuacité et de l’esclat, le change en violet ou couleur de pourpre. Ce qui vient sans doute de ce que la mesme cause, qui a coustume de retarder le tournoyement des parties de la matiere subtile, Maire, p. 260
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estant alors assés forte pour faire changer de situation à quelques vnes, le doit augmenter en celles là, pendant qu’elle diminue celuy des autres. Et en tout cecy la raison s’accorde si parfaitement auec l’experience, que ie ne croy pas qu’il soit possible, aprés auoir bien conneu l’vne et l’autre, de douter que la chose ne soit telle que ie viens de l’expliquer. Car s’il est vray que le sentiment que nous auons de la lumiere soit causé par le mouuement ou l’inclination à se mouuoir de quelque matiere qui touche nos yeux, comme plusieurs autres choses tesmoignent, il est certain que les diuers mouuemens de cete matiere doiuent causer en nous diuers sentimens ; Et comme il ne peut y auoir d’autre diuersité en ces mouuemens, que celle que i’ay dite ; aussy n’en trouuons nous point d’autre par experience dans les sentimens que nous en auons, que celle des couleurs. Et il n’est pas possible de trouuer aucune chose dans le cristal MNP qui puisse produire des couleurs, que la façon dont il enuoye les petites AT VI, 335 parties de la matiere subtile vers le linge FGH, et de là vers nos yeux. d’où il est ce me semble assés euident, qu’on ne doit chercher autre chose non plus dans les couleurs que les autres obiets font paroistre : car l’experience ordinaire tesmoigne que la lumiere ou le blanc, et l’ombre ou le noir, auec les couleurs de l’iris qui ont esté icy expliquées, suffissentsuffisent pour composer toutes les autres. Et ie ne sçaurois gouster la distinction des Philosophes, quand ils disent qu’il y en a qui sont vrayes, et d’autres qui ne sont que fausses ou apparentes. Car toute leur vraye nature n’estant que de paroistre, c’est ce me semble vne contradiction, de dire, Maire, p. 261
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qu’elles sont fausses, et qu’elles paroissent. Mais i’auoue bien que l’ombre et la refraction ne sont pas tousiours necessaires pour les produire ; et qu’en leur place la grosseur, la figure, la situation, et le mouuement des parties des cors qu’on nomme colorés, peuuent concourir diuersement auec la lumiere, pour augmenter ou diminuer le tournoyement des parties de la matiere subtile. En sorte que mesme en l’arc-en-ciel i’ay douté d’abord, si les couleurs s’y produsoient tout à fait en mesme façon que dans le cristal MNP : car ie n’y remarquois point d’vmbre qui terminast la lumiere, et ne connoissois point encore pourquoy elles n’y paroissoient que sous certains angles, Iusques à ce qu’ayant pris la plume et calculé par AT VI, 336 le menu tous les rayons qui tombent sur les diuers poins d’vne goutte d’eau, pour sçauoir sous quels angles aprés deux refractions et vne ou deux reflexions ils peuuent venir vers nos yeux, i’ay trouué qu’aprés vne reflexion et deux refractions, il y en a beaucoup plus qui peuuent estre veus sous l’angle de 41 à 42 degrés, que sous aucun moindre ; et qu’il n’y en a aucun qui puisse estre vû sous vn plus grand. Puis i’ay trouué aussy qu’aprés deux reflections et deux refractions, il y en a beaucoup plus qui vienent vers l’œil sous l’angle de 51 à 52 degrés, que sous aucun plus grand ; et qu’il n’y en a point qui vienent sous vn moindre. De façon qu’il y a de l’ombre de part et d’autre, qui termine la lumiere, laquelle, aprés auoir passé par vne infinité de gouttes de pluie esclairées par le soleil, vient vers l’œil sous l’angle de 42 degrés, ou vn peu audessous, et ainsi cause le premier et principal arc-en-ciel ; Et il y en a aussy qui termine Maire, p. 262
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celle qui vient sous l’angle de 51 degrés ou vn peu au dessus, et cause l’arc-en-ciel exterieur. car ne receuoir point de rayons de lumiere en ses yeux, ou en receuoir notablement moins d’vn obiet, que d’vn autre qui luy est proche, c’est voir de l’ombre. Ce qui monstre clairement, que les couleurs de ces arcs sont produites par la mesme cause, que celles qui paroissent par l’ayde du cristal MNP, et que le demi diametre de l’arc interieur ne doit point estre plus grand que de 42 degrés, ny celuy de l’exterieur plus petit que de 51 ; et enfin que le premier doit estre bien plus limité en sa superficie exterieure qu’en l’interieure ; et le second tout au contraire. Ainsi qu’il se AT VI, 337 voit par experience. Mais affin que ceux qui sçauent les Mathematiques puissent connoistre, si le calcul que i’ay fait de ces rayons est assés iuste, il faut icy que ie l’explique.

Soit AFD vne goutte d’eau, dont ie diuise le demi diametre CD ou AB en autant de parties esgales que ie veux calculer de rayons, affin d’attribuer autant de lumiere aux vns qu’aux autres. Puis ie considere vn de ces rayons en particulier, par exemple EF, qui au lieu de passer tout droit vers G, se detourne vers K, et se refleschist de K vers N, et de là va vers l’œil P : ou bien se refleschist encore vne fois de N vers Q, et de là se detourne vers l’œil R. Et ayant tiré CI à angles droits sur FK, ie connois de ce qui a esté dit en la Dioptrique, qu’AE ou HF, et CI, ont entre elles la proportion par laquelle la refraction de l’eau se mesure. De façon que si HF contient 8000 parties, telles qu’AB en contient 10000, CI en contiendra enuiron de 5984, Maire, p. 263
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pource que la Refraction de l’eau est tant soit peu plus grande que de trois à quatre, et pour le plus iustement que i’aye pû la mesurer, elle est comme de 187 à 250. Ayant ainsi les deux lignes HF et CI, ie connois aysement AT VI, 338 les deux arcs, FG qui est de 73 degrés et 44 minutes, et FK qui est de 106. 30. Puis ostant le double de l’arc FK, de l’arc FG adiousté à 180 degréz, i’ay 40. 44. pour la quantité de l’angle ONP, car ie suppose ON parallele à EF. Et ostant ces 40. 44 d’FK, i’ay 65. 46 pour l’angle SQR, car ie pose aussy SQ parallele à EF. Et calculant en mesme façon tous les autres rayons paralleles à EF, qui passent par les diuisions du diametre AB, ie compose la table suiuante, Maire, p. 264
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Et il est aysé à voir en cete table, qu’il y a bien plus de rayons qui font l’angle ONP d’enuiron 40 degrés, qu’il n’y en a qui le facent moindre ; ou SQR AT VI, 339 d’enuiron 54, qu’il n’y en a qui le facent plus grand. Puis affin de la rendre encore plus precise ie fais Maire, p. 265
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AT VI, 340 Maire, p. 266
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Et ie voy icy que le plus grand angle ONP peut estre de 41 degrés 30 minutes, et le plus petit SQR de 51. 54, à quoy adioustant ou ostant enuiron 17 minutes pour le demi diametre du soleil, i’ay 41. 47 pour le plus grand demi diametre de l’arc en ciel interieur, et 51. 37 pour le plus petit de l’exterieur.

Il est vray que l’eau estant chaude, sa refraction est tant soit peu moindre, que lors qu’elle est froide, ce qui peut changer quelque chose en ce calcul. Toutefois cela ne sçauroit augmenter le demi diametre de l’arc-en-ciel interieur, que d’vn ou deux degrés tout au plus ; et lors, celuy de l’exterieur sera de presque deux fois autant plus petit. Ce qui est digne d’estre remarqué, pource que par là on peut demõstrer que la refractiõ de l’eau ne peut estre gueres moindre, ny plus grande, que ie la suppose. Car pour peu qu’elle fust plus grande, elle rendroit le demi diametre de l’arc-en-ciel interieur, moindre que 41 degrés, au lieu que par la creance commune on luy en donne 45 ; et si on la suppose assés petite pour faire qu’il soit veritablement de 45, on trouuera que celuy de l’exterieure ne sera aussy gueres plus que de 45, au lieu qu’il paroist à l’œil beaucoup plus grãd que celuy de l’interieur. Et Maurolycus, qui est ie croy le premier qui a determiné l’vn de 45 degrés, determine l’autre d’enuiron 56. Ce qui monstre le peu de foy qu’on doit adiouster aux obseruations qui ne sont pas accompagnées de la vraye raison. Au reste ie n’ay pas eu de peine à connoistre pourquoy le rouge est en dehors en l’arc-en-ciel interieur, ny pourquoy il est en dedans en l’exterieur ; Car la mesme cause pour AT VI, 341 laquelle c’est vers F, plutost Maire, p. 267
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que vers H, qu’il paroist au trauers du cristal MNP, fait que si, ayant l’œil en la place du linge blanc FGH, on regarde ce cristal, on y verra le rouge vers sa partie plus espaisse MP, et le bleu vers N. pource que le rayon teint de rouge qui va vers F, vient de C, la partie du soleil la plus auancee vers MP : Et cete mesme cause fait aussy que le centre des gouttes d’eau, et par consequent leur plus espaisse partie, estant en dehors au respect des poins colorés qui forment l’arc-en-ciel interieur, le rouge y doit paroistre en dehors ; et qu’estant en dedans au respect de ceux qui forment l’exterieur, le rouge y doit aussy paroistre en dedans.

Ainsi ie croy qu’il ne reste plus aucune difficulté en cete matiere, si ce n’est peut estre touchant les irregularités qui s’y rencontrent. Comme lorsque l’arc n’est pas exactement rond, ou que son centre n’est pas en la ligne droite qui passe par l’œil et le soleil. ce qui peut arriuer si les vens changent la figure des gouttes de pluie. car elles ne sçauroient perdre si peu de leur rondeur, que cela ne face vne notable difference en l’angle, sous lequel les couleurs doiuent paroistre. On a vû aussy quelquefois, à Maire, p. 268
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ce qu’on m’a dit, vn arc-en-ciel tellement renuersé que ses cornes estoient tournées vers en hault, comme est icy representé FF. Ce que ie ne sçaurois iuger estre arriué que AT VI, 342 par la reflexion des rayons du soleil donnans sur l’eau de la mer, ou de quelque lac. Comme si venans de la partie du ciel SS, ils tombent sur l’eau DAE, et delà se refleschissent vers la pluie CF, l’œil B verra l’arc FF, dont le centre est au point C, en sorte que CB estant prolongée iusques à A, et AS passant par le centre du soleil, les angles SAD et BAE soient esgaux, et que l’angle CBF soit d’enuiron 42 degrés. Toutefois il est aussy requis à cet effect, qu’il n’y ait point du tout de vent qui trouble la face de l’eau vers E, et peut estre auec cela qu’il y ait quelque nuë, comme G, qui empesche que la lumiere du soleil allant en ligne droite vers la pluie, n’efface celle que cete eau E y enuoye. d’où vient qu’il n’arriue que rarement. Outre cela l’œil peut estre en telle Maire, p. 269
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situation, au respect du Soleil et de la pluie, qu’on verra la partie inferieure qui acheue le cercle de l’arc-en-ciel, sans voir la superieure : et aussiainsi qu’on la prendra pour vn arc renuersé : nonobstant qu’on ne la verra pas vers le ciel, mais vers l’eau, ou vers la terre.

On m’a dit aussy auoir vû quelque fois vn troisiesme AT VI, 343 arc-en-ciel au dessus des deux ordinaires ; mais qui estoit beaucoup plus foible, et enuiron autant esloigné du second que le second du premier. Ce que ie ne iuge pas pouuoir estre arriué, si ce n’est qu’il y ait eu des grains de gresle, fort ronds, et fort transparens, meslés parmi la pluie, dans lesquels la refraction estant notablement plus grande que dans l’eau, l’arc-en-ciel exterieur aura deu y estre beaucoup plus grand, et ainsi paroistre au dessus de l’autre. Et pour l’interieur qui par mesme raison aura deu estre plus petit que l’interieur de la pluie, il se peut faire qu’il n’aura point esté remarqué, à cause du grand lustre de cetuy cy : ou bien que leurs extremités s’estant iointes on ne les aura contés tous deux que pour vn. mais pour vn dont les couleurs auront esté autrement disposées qu’a l’ordinaire.

Et cecy me fait souuenir d’vne inuention pour faire paroistre des signes dans le ciel, qui pourroient causer grande admiration à ceux qui en ignoreroient les raisons. Ie suppose que vous sçaués desia la façon de faire voir l’arc-en-ciel par le moyen d’vne fontaine. Comme si l’eau qui sort par les petits troutstrous ABC, sautãt assés haut, s’espand en l’air de tous costés vers R, et que le soleil soit vers Z, en sorte que ZEM estãt ligne droite l’angle MER puisse estre d’enuiron 42 degrés, l’œil E ne manquera Maire, p. 270
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pas de voir l’iris vers R, tout semblable à celuy qui paroist dans le ciel. A quoy il faut maintenent adiouster qu’il y a des huiles, des eaux de vie, et d’autres liqueurs, dans lesquelles la refraction se fait notablement plus grande ou plus petite qu’en l’eau commune, et qui ne sont pas pour AT VI, 344 cela moins claires et transparentes. En sorte qu’on pourroit disposer par ordre plusieurs on tainesfontaines ; dans lesquelles y ayant diuerses de ces liqueurs, on y verroit par leur moyen toute vne grande partie du ciel pleine des couleurs de l’iris : à sçauoir en faisant que les liqueurs, dont la refraction seroit la plus grande, fussent les plus proches des spectateurs ; et qu’elles ne s’esleuassent point si hault, qu’elles empeschassent la veuë de celles qui seroient derriere. Puis à cause que fermant vne partie des troux ABC on peut faire disparoistre telle partie de l’iris RR qu’on veut, sans oster les autres, il est aysé à entendre que tout de mesme, ouurant et fermant à propos les troux de ces diuerses fontaines, on pourra faire que ce qui paroistra coloré ait la figure Maire, p. 271
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d’vne croix, ou d’vne colomne, ou de quelque autre telle chose, qui donne suiet d’admiration. Mais i’auoue qu’il y faudroit de l’adresse et de la despense, affin de proportionner ces fontaines, et faire que les liqueurs y sautassent si hault, que ces figures peussent estre veuës de fort loin par tout vn peuple, sans que l’artifice s’en découurist.

AT VI, 345

DE LA COVLEVR DES NVES,
Et des cercles ou couronnes qu’on voit quelquefois autour des astres.
Discours Neufiesme.

Apres ce que i’ay dit de la nature des couleurs, ie ne croy pas auoir beaucoup de choses à adiouster touchant celles qu’on voit dans les nuës. Car premierement pour ce qui est de leur blancheur et de leur obscurité ou noirceur, elle ne procede que de ce qu’elles sont plus ou moins exposées à la lumiere des astres, ou à l’ombre, tant d’elles mesmes, que de leurleurs voysines. Et il y a seulement icy deux choses remarquer. Dont l’vne est que les superficies des cors transparens font refleschir vne partie des rayons qui vienent vers elles, ainsi que i’ay dit cy dessus. Ce qui est cause que la lumiere peut mieux penetrer au trauers de trois picques d’eau, qu’elle ne fait au trauers d’vn peu d’escume, qui n’est toutefois autre chose que de l’eau, mais en laquelle il y a plusieurs superficies dont la premiere faisant refleschir vne partie de Maire, p. 272
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cete lumiere, et la seconde vne autre partie, et ainsi de suite, il n’en reste bientost plus du tout ou presque plus qui passe outre. Et c’est ainsi que ny le verre pilé, ny la neige, ny les nuës lorsquelles sont vn peu espaisses, ne peuuent estre transparentes. L’autre chose qu’il y a icy à remarquer, AT VI, 346 est, qu’encore que l’action des cors lumineux ne soit que de pousser en ligne droite la matiere subtile qui touche nos yeux, toutefois le mouuement ordinaire des petites parties de cete matiere, au moins de celles qui sont en l’air autour de nous, est de rouller. en mesme façon qu’vne bale roulle estant à terre, encore qu’on ne l’ait poussée qu’en ligne droite. Et ce sont proprement les cors qui les font rouller en cete sorte qu’on nomme blancs. Comme font, sans doute, tous ceux qui ne manquent d’estre transparens qu’à cause de la multitude de leurs superficies, Ttels que sont l’escume, le verre pilé, la neige, et les nuës. En suite de quoy on peut entendre pourquoy le ciel, estant fort pur et deschargé de tous nuages, paroist bleu, pourvû qu’on sçache que de luy mesme il ne rend aucune clarté, et qu’il paroistroit extremement noir, s’il n’y auoit point du tout d’exhalaisons ny de vapeurs au dessus de nous, mais qu’il y en a tousiours plus ou moins qui font refleschir quelques rayons vers nos yeux, c’est à dire qui repoussent vers nous les petites parties de la matiere subtile que le soleil ou les autres astres ont poussé contre elles : et lorsque ces vapeurs sont en assés grand nombre, la matiere subtile estant repoussée vers nous par les premieres, en rencontre d’autres aprés qui font rouller et tournoyer ses petites parties, auant quellesqu’elles paruienent à nous. Ce qui fait Maire, p. 273
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alors paroistre le ciel blanc ; Au lieu que si elle n’en rencontre assés pour faire ainsi tournoyer ses parties, il ne doit paroistre que bleu, suiuant ce qui a esté tantost dit de la nature de la couleur bleuë. AT VI, 347 Et c’est la mesme cause qui fait aussy que l’eau de la mer, aux endroits où elle est fort pure et fort profonde, semble estre bleuë. car il ne se refleschist de sa superficie que peu de rayons, et aucun de ceux qui la penetrent ne reuient. De plus on peut icy entendre pourquoy souuent, quand le soleil se couche ou se leue, tout le costé du ciel vers lequel il est paroist rouge : ce qui arriue lorsqu’il n’y a point tant de nuës, ou plutost de brouillas, entre luy et nous, que sa lumiere ne puisse les trauerser ; mais quellequ’elle ne les trauerse pas si aysement tout contre la terre, qu’vn peu plus hault ; ny si aysement vn peu plus hault, que beaucoup plus hault : car il est euident que cete lumiere, souffrant refraction dans ces brouillas, determine les parties de la matiere subtile qui la transmettent, à tournoyer en mesme sens, que feroit vne boule qui viendroit du mesme costé en roullant sur terre. de façon que le tournoyement des plus basses est tousiours augmenté par l’action de celles qui sont plus hautes, à cause qu’elle est supposée plus forte que la leur, et vous sçaués que cela suffist pour faire paroistre la couleur rouge, laquelle se refleschissant aprés dans les nuës, se peut estendre de tous costés dans le ciel. Et il est remarquer que cete couleur paroissant le matin presage des vens ou de la pluie, à cause qu’elle tesmoigne qu’y ayant peu de nuës vers l’Orient, le soleil pourra esleuer beaucoup de vapeurs auant le midy, et que les brouillas qui la font paroistre commencent à monter ; Au Maire, p. 274
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lieu que le soir elle tesmoigne le beautems, à cause que ny ayant que peu ou point de nuës vers le conuchant, les vens Orientaux AT VI, 348 doiuent regner, et les brouillas descendent pendant la nuit.

Ie ne m’areste point à parler plus particulierement des autres couleurs qu’on voit dans les nuës. car ie croy que les causes en sont toutes assés comprises en ce que iay dit. mais il paroist quelquefois certains cercles autour des astres, dont ie ne dois pas omettre l’explication. Ils sont semblables à l’arc-en-ciel en ce qu’ils sont ronds, ou presque rons, et enuironnent tousiours le soleil ou quelque autre astre : ce qui monstre qu’ils sont causés par quelque reflexion ou refraction dont les angles sont à peu prés tous esgaux. Comme aussy en ce qu’ils sont colorés : ce qui monstre qu’il y a de la refraction, et de l’ombre qui limite la lumiere qui les produist. Mais ils different en ce que l’arc-en-ciel ne se voit iamais, que lors qu’il pleut actuellement au lieu vers lequel on le voit, bien que souuent il ne pleuue pas au lieu où est le spectateur ; Et eux ne se voyent iamais où il pleut. Ce qui monstre qu’ils ne sont pas causés par la refraction qui se fait en des gouttes d’eau ou en de la gresle, mais par celle qui se fait en ces petites estoiles de glace transparentes, dont il a esté parlé cy dessus. Car on ne sçauroit imaginer dans les nuës aucune autre cause qui soit capable d’vn tel effect. Et si on ne voit iamais tomber de telles estoiles que lorsqu’il fait froid, la raison nous assure qu’il ne laisse pas de s’en former en toutes saisons. Mesme à cause qu’il est besoin de quelque chaleur, pour faire que de blanches qu’elles sont au commencement elles deuienent transparentes, Maire, p. 275
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ainsi qu’il est requis à cet effect, il est vray semblable que AT VI, 349 l’esté y est plus propre que l’hyuer. Et encore que la plus part de celles qui tombent, paroissent à l’œil extremement plates et vnies, il est certain neanmoins qu’elles sont toutes quelque peu plus espaisses au milieu qu’aux extremités, ainsi qu’il se voit aussy à l’œil en quelques vnes, et selon qu’elles le sont plus ou moins, elles font paroistre ces cercles plus ou moins grands : car il y en a sans doute de plusieurs grandeurs ; et si ceux qu’on a le plus souuent obserués ont eu leur diametre d’enuiron 45 degrés, ainsi que quelques vns ont escrit, ie veux croyre que les parcelles de glace, qui les causent de cete grandeur, ont la conuexité qui leur est la plus ordinaire, et qui est peut estre aussy la plus grande qu’elles ayent coustume d’acquerir sans acheuer entierement de se fondre. Soit par exemple ABC le soleil, D l’œil, EFG plusieurs petites parcelles de glace transparentes, arrengées coste à coste les vnes des autres ; ainsi qu’elles sont en se formant ; et dont la conuexité est telle, que le rayon venant par exemple du point A sur l’extremité de celle qui est AT VI, 350 marquée G, et du point C sur l’extremité de celle qui est marquée F, retourne vers D ; et qu’il en vient vers D plusieurs autres de ceux qui trauersent les autres parcelles de glace qui sont vers E, mais non point aucun de ceux qui trauersent celles qui sont au dela du cercle GG : Il est manifeste qu’outre que les rayons AD, CD, et semblables, qui passent en ligne droite, font paroistre le soleil de sa grandeur accoustumée, les autres qui souffrent refraction vers EE, doiuent rendre toute l’aire comprise dans le cercle FF assés brillante, et faire que sa circonference Maire, p. 276
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entre les cercles FF, et GG, soit comme vne couronne peinte des couleurs de l’arc-en-ciel : Et mesme que le rouge y doit estre en dedans vers F, et le bleu en dehors vers G, tout de mesme qu’on a coustume de l’obseruer. Et s’il y a deux ou plusieurs rangs de parcelles de glace l’vne sur l’autre, pourvû que cela n’empesche point que les rayons du soleil ne les trauersent, ceux de ces rayons qui en trauerseront deux par leurs bords, se courbans presque deux fois autant que les autres, produiront encore vn autre cercle coloré, beaucoup plus grand en circuit, mais moins apparent que le premier ; en sorte qu’on verra pour lors deux couronnes l’vne dans l’autre, et dont l’interieure sera la mieux peinte. Comme il a aussy esté quelquefois obserué. Outre cela vous voyés bien pourquoy ces couronnes n’ont pas coustume de se former autour Maire, p. 277
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des astres qui sont fort bas vers l’horizon ; car les rayons rencontrent alors trop obliquement les parcelles de glace pour les trauerser ; Et pourquoy leurs couleurs ne sont pas si viues que les sienes. car elles sont causées par AT VI, 351 des refractions beaucoup moindres ; Et pourquoy elles paroissent plus ordinairement que luy autour de la lune, et mesme se remarquent aussy quelquefois autour des estoiles, à sçauoir lorsque les parcelles de glace interposées n’estant que fort peu conuexes les rendent fort petites ; car d’autant quellesqu’elles ne dependent point de tant de reflexions et refractions que l’arc-en-ciel, la lumiere qui les cause n’a pas besoin d’estre si forte. Mais souuent elles ne paroissent que blanches, non point tant par faute de lumiere, que pource que la matiere où elles se forment n’est pas entierement transparente.

On en pourroit bien imaginer encore quelques autres qui se formassent à l’imitation de l’arc-en-ciel en des gouttes d’eau, à sçauoir premierement par deux refractions sans aucune reflexion ; mais alors il n’y a rien qui determine leur diametre, et la lumiere n’y est point limitée par l’ombre, comme il est requis pour la production des couleurs. Puis aussy par deux refractions et trois ou quattre reflexions ; mais leur lumiere, estant alors grandement foible, peut aysement estre effacée par celle qui se refleschist de la superficie des mesmes gouttes. ce qui me fait douter si iamais elles paroissent, et le calcul monstre que leur diametre deuroit estre beaucoup plus grand qu’on ne le trouue en celles qu’on a coustume d’obseruer.

Enfin pour ce qui est de celles qu’on voit quelquefois Maire, p. 278
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autour des lampes et des flambeaux la cause n’en doit point estre cherchée dans l’air mais seulement dans l’œil qui les regarde. Et i’en ay vû cet esté dernier vne experience fort manifeste. ce fut en voyasgeant AT VI, 352 de nuit dans vn nauire, où aprés auoir tenu tout le soir ma teste appuiée sur vne main, dont ie fermois mon œil droit, pendant que ie regardois de l’autre vers le ciel, on apporta vne chandelle au lieu où i’estois : et lors ouurant les deux yeux ie vy deux couronnes autour de la flame, dont les couleurs estoient aussy viues, que ie les aye iamais veuës en l’arc-en-ciel. AB est la plus grande, qui estoit rouge vers A, et bleuë vers B : CD la plus petite, qui estoit rouge aussy vers C, mais vers D elle estoit blanche, et s’estendoit iusques à la flame. Aprés cela refermant l’œil droit, i’apperceu que ces couronnes disparoissoient ; et qu’au contraire en l’ouurant, et fermant le gauche, elles continuoient de paroistre. ce qui m’assura qu’elles ne procedoient que de quelque disposition, que mon œil droit auoit acquise pendant que ie l’auois tenu fermé, et qui estoit cause, qu’outre que la plus part des rayons de la flame qu’il reçeuoit, la representoient vers O où ils Maire, p. 279
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s’assembloient, il y en auoit aussy quelques vns, qui estoient tellement détournés, qu’ils s’estendoient en tout l’espace fO, où ils peignoient la couronne CD ; et quelques autres en l’espace FG, où ils peignoient la couronne AB. Ie ne AT VI, 353 determine point qu’elle estoit cete disposition. car plusieurs differentes peuuent causer le mesme effect. Comme s’il y a seulement vne ou deux petites rides en quelqu’vne des superficies E, M, P, qui à cause de la figure de l’œil s’y estendent en forme d’vn cercle dont le centre soit en la ligne E, O, comme il y en a souuent de toutes droites qui se croysent en cete ligne E, O, et nous font voir de grans rayons espars ça et là autour des flambeaux. Ou bien qu’il y ait quelque chose d’opaque entre E, et P ; où mesme à costé en quelque lieu, pourvû qu’il s’y estende circulairement ; Ou enfin que les humeurs, ou les peaux de l’œil, ayent en quelque façon changé de temperament, ou de figure. car il est fort commun à ceux qui ont mal aux yeux de voir de telles couronnes, et elles ne paroissent pas semblables à tous. Seulement faut il remarquer que leur partie exterieure, comme A et C, est ordinairement rouge, tout au contraire de celles qu’on voit autour des astres. dont la raison vous sera claire, si vous considerés qu’en la production de leurs couleurs, c’est l’humeur cristaline PNM, qui tient lieu du prisme de cristal dont il a tantost esté parléVoyés au discours precedent, et le fons de l’œil FGf, qui tient lieu du linge blanc qui estoit derriere. Mais vous douterés peut estre pourquoy puisque l’humeur cristaline a ce pouuoir, elle ne colore pas en mesme façon Maire, p. 280
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tous les obiets que nous voyons ? si ce n’est que vous consideriés que les rayons, qui vienent de chasque point de ces obiets vers chasque point du fonds de l’œil, passant les vns par celuy de ses costés qui est marqué N, et les autres par celuy qui est marqué AT VI, 354 S, ont des actions toutes contraires, et qui se destruisent les vnes les autres ; au moins en ce qui regarde la production des couleurs ; au lieu qu’icy les rayons qui vont vers FGf ne passent que par N. Et tout cecy se rapporte si bien à ce que i’ay dit de la nature des couleurs, qu’il peut ce me semble beaucoup seruir pour en confirmer la verité.

Maire, p. 281
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DE L’APPARITION DE PLVSIEURS SOLEILS.
Discours Dernier.

On voit encore quelquefois d’autres cercles dans les nuës, qui different de ceux dont iay parlé, en ce qu’ils ne paroissent iamais que tous blancs, et qu’au lieu d’auoir quelque astre en leur centre, ils trauersent ordinairement celuy du soleil ou de la lune, et semblent paralleles ou presque paralleles à l’Horizon. Mais pourcequ’ils ne paroissent qu’en ces grandes AT VI, 355 nuës toutes rondes dont il a esté parlé cy dessus, et qu’on voit aussy quelquefois plusieurs soleils ou plusieurs lunes dans les mesmes nuës, il faut que i’explique ensemble l’vn et l’autre. Soit par exemple A le midy, où est le soleil accompagné d’vn vent chaud qui tend vers B, et C le septentrion, d’où il vient vn vent froid qui tend aussy vers B. Et là ie suppose que ces deux vens rencontrent ou assemblent vne nuë, composée de parcelles de neige, qui s’estend si loin en profondeur et en largeur, qu’ils ne peuuent passer l’vn au dessus l’autre au dessous ou entredeux ainsi qu’ils ont ailleurs de coustume, mais qu’ils sont contrains de prendre leur cours tout à l’entour : au moyen de quoy non seulement ils l’arondissent ; mais aussy celuy qui vient du midy, estant chaud, fond quelque peu la neige de son circuit, laquelle estant aussy tost regelée, tant par celuy du Nord qui est froid, que par la proximité de la neige Maire, p. 282
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interieure qui n’est pas encore fonduë, peut former comme vn grand anneau de glace toute continuë et transparente, dont la superficie ne manquera pas d’estre assés polie, à cause que les vens qui l’arondissent sont fort vniformes. Et de plus cete glace ne manque pas d’estre plus espaisse du costé DEF, que ie suppose exposé au vent chaud et au soleil, que de l’autre GHI, où la AT VI, 356 neige ne s’est pû fondre si aysement. Et enfin il faut remarquer qu’en cete co nstitutionconstitution d’air, et sans orage, il ne peut y auoir assés de chaleur autour de la nuë B, pour y former ainsi de la glace, qu’il n’y en ait aussy assés en la terre qui est au dessous, pour y exciter des vapeurs qui la soustienent, en souleuant et poussant vers le ciel tout le cors de la nuë quellequ’elle embrasse. En suite de quoy il est euident que la clarté du soleil, lequel ie suppose estre assés haut vers le midy, donnant tout autour sur la glace DEFGHI, et de là se refleschissant sur la blancheur de la neige voysine, doit faire paroistre cete neige à ceux qui seront au dessous, en forme d’vn grand cercle tout blanc. Et mesme qu’il suffist à cet effect que la nuë soit ronde, et vn peu plus pressée en son circuit qu’au milieu, sans que l’anneau de glace Maire, p. 283
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doiue estre formé. Mais lors qu’il l’est on peut voir, estant au dessous vers le point K, iusques à six soleils, qui semblent estre enchassés dans le cercle blanc ainsi qu’autant de diamans dans vne bague. À sçauoir le premier vers E, par les rayons qui vienent directement du soleil que ie suppose vers A : Les deux suiuans vers D, et vers F, par la refraction des rayons qui trauersent la glace en ces lieux là, où son espaisseur allant en diminuant, ils se courbent en dedans de part et d’autre, ainsi qu’ils font en trauersant le prisme de cristal dont il a tantost esté parlé. Et pour cete cause ces deux soleils ont leurs bords peins de rouge, en celuy de leurs costés qui est vers E, où la glace est lea plus espaisse ; et de bleu en l’autre, où elle l’est moins. Le quatriesme soleil paroist par reflexion au point H ; et les deux AT VI, 357 derniers aussy par reflexion vers G, et vers I. où ie suppose qu’on peut descrire vn cercle dont le centre soit au point K, et qui passe par B le centre de la nuë, en sorte que les angles KGB, et KBG ou BGA, sont esgaux ; et tout de mesme KIB, et KBI ou BIA. Car vous sçaués que la reflexion se fait tousiours par angles esgaux, et que la glace estant vn cors poli doit representer le soleil en tous les lieux d’où ses rayons se peuuent refleschir vers l’œil. Mais pource que les rayons qui vienent tous droits sont tousiours plus vifs, que ceux qui vienent par refraction, et ceuxcy encore plus vifs, que ceux qui sont refleschis, le soleil doit paroistre plus brillant vers E, que vers D ou F, et icy encore plus brillant, que vers G ou H ou I, et ces trois, G, H, et I, ne doiuent auoir aucunes couleurs autour de leurs bors, comme les deux, D, et F, mais seulement estre blancs. Que Maire, p. 284
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si les regardans ne sont pas vers K, mais quelque part plus auancés vers B, en sorte que le cercle dont leurs yeux sonrt le centre, et qui passe par B, ne couppe point la circonference de la nuë, ils ne pourront voir les deux soleils G et I, mais seulement les 4 autres. Et si au contraire ils sont fort reculés vers H, ou au delà vers C, ils ne pourront voir que les 5, D, E, F, G, et I. Et mesme estant assés loin au delà, ils ne verront AT VI, 358 que les trois, D, E, F, qui ne seront plus dans vn cercle blanc, mais comme trauersés d’vne barre blanche. Comme aussy, lorsque le soleil est si peu esleué sur l’Horizon qu’il ne peut esclairer la partie de la nuë GHI, ou bien lorsqu’elle n’est pas encore formée, il est euident qu’on ne doit voir que les trois soleils D, E, F.

Au reste ie ne vous ay iusques icy fait considerer que le plan de cete nuë, et il y a encore diuerses choses à y remarquer qui se verront mieux en son pourfil. Premierement bien que le soleil ne soit pas en la ligne droite qui va d’E vers l’œil K, mais plus haut ou plus bas, il ne doit pas laisser de paroistre vers là. Principalement si la glace ne s’y estend point trop en hauteur ou profondeur. car alors la superficie de cete glace sera si courbée, qu’en Maire, p. 285
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quelque lieu qu’il soit, elle pourra quasi tousiours renuoyer ses rayons vers K. Comme si elle a en son espaisseur la figure comprise entre les lignes 123 et 456, il est euident que non seulement lorsque le soleil sera en la AT VI, 359 ligne droite A2, ses rayons la trauersant pourront aller vers l’œil K ; mais aussy lors qu’il sera beaucoup plus bas, comme en la ligne SI, ou beaucoup plus haut, comme en la ligne T3 ; et ainsy le faire tousiours paroistre comme s’il estoit vers E. car l’anneau de glace n’estant supposé gueres large, la difference qui est entre les lignes 4K, 5K, et 6K, n’est pas considerable. Et notés que cela peut faire paroistre le soleil aprés mesme qu’il est couché, et qu’il peut aussy reculer ou auancer l’ombre des Horologes, et leur faire marquer vne heure toute autre qu’il ne sera. Toutefois si le soleil est beaucoup plus bas qu’il ne paroist vers E, en sorte que ses rayons Maire, p. 286
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passent aussy en ligne droite par le dessous de la glace, iusques à l’œil K, comme S7K, que ie suppose parallele à SI, alors outre les six soleils precedens on en verra encore vn settiesme au dessous d’eux, et qui ayant le plus de lumiere, effacera l’ombre qu’ils pourroient causer dans les Horologes. Tout de mesme s’il est si haut que ses rayons puissent passer en ligne droite vers K par le dessus de la glace, comme T8K qui est parallele à T3, et que la nuë interposée ne soit point si opaque qu’elle les en empesche, on pourra voir vn settiesme soleil au dessus des six autres. Que si la glace 123, 456 s’estend plus haut et plus bas comme iusques aux poins 8, et 7, le soleil estant vers A, on en pourra voir trois l’vn sur l’autre, vers E, à sçauoir aux poins 8, 5, et 7 : Et lors on en pourra aussy voir trois l’vn sur l’anutre vers D, et trois vers F, en sorte qu’il en paroistra iusques à douze, enchassés dans le cercle blanc DEFGHI. Et le soleil estant un peu plus bas AT VI, 360 que vers S, ou plus haut que vers T, il en pourra derechef paroistre trois vers E, à sçauoir deux dans le cercle blanc, et vn autre au dessous, ou au dessus : Et lors il en pourra encore paroistre deux vers D, et deux vers F. Mais ie ne sçache point que iamais on en ait tant obserué tout à la fois ; ny mesme que lorsqu’on en a vû trois l’vn sur l’autre, comme il est arriué plusieurs foix ; ou en ait remarqué quelques autres à leurs costés, Ou bien que lorsqu’on en a vû trois coste à coste, comme il est aussy arriué plusieurs foix, ou en ait remarqué quelques autres au dessus, ou au dessous. Dont, sans doute, la raison est que la largeur de la glace, marquée entre les poins 7 et 8, n’a d’ordinaire aucune proportion, auec la Maire, p. 287
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grandeur du circuit de toute la nuë : en sorte que l’œil doit estre fort proche du point E, lorsque cete largeur luy paroist assés grande pour y distinguer trois soleils l’vn sur l’autre ; et au contraire fort esloigné, affin que les rayons qui se courbent vers D, et vers F, où se diminue le plus l’espaisseur de la glace, puissent paruenir iusque à luy.

AT VI, 361 Et il arriue rarement que la nuë soit si entiere, qu’on en voye plus de trois en mesme tems. Toutefois on dit qu’en l’an 1625 le roy de Polongne en vit iusque à six. Et il n’y a que trois ans que le Mathematicien de Tubinge obserua les quatre designés icy par les lettres D, E, F, H. il remarque particulierement en ce qu’il en a escrit que les deux D et F estoient rouges, vers celuy du milieu E, qu’il nomme le vray soleil, et bleus de l’autre costé, et que le quatriesme H estoit fort pale, et ne paroissoit Maire, p. 288
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que fort peu. Ce qui confirme fort ce que i’ay dit. Mais l’obseruation la plus belle et la plus remarquable, que i’aye veu en cete matiere, est celle des 5 soleils, qui parurent à Rome en l’an 1629, le 20 de Mars, sur les 2 ou 3 heures aprés midy. Et affin que vous puissiés voir si elle s’accorde auec mon discours ie la veux mettre icy aux mesmes termes qu’elle fut dés lors diuulguée.

A obseruator Romanus. B vertex loco obseruatoris incumbens. C sol verus observatus. AB planum verticale, in quo et oculus observatoris, et sol observatus existunt, in quo et vertex loci B iacet, ideoque omnia per lineam AT VI, 362 verticalem AB repraesentantur : in hanc enim totum planum verticale procumbit. Circa solem C apparuere duae incompletae Irides eidem homocentricae, diuersicolores, quarum minor, sive interior DEF plenior et perfectior fuit, curta tamen sive Maire, p. 289
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aperta a D ad F, et in perpetuo conatu sese claudendi stabat, et quandoque claudebat, sed mox denuo aperiebat. Altera sed debilis semper et vix conspicabilis fuit GHI, exterior et secundaria, variegata tamen et ipsa suis coloribus ; sed admodum instabilis. Tertia, et unicolor, eaque valde magna Iris, fuit KLMN, tota alba, quales saepe visuntur in paraselenis circa lunam. Haec fuit arcus excentricus integer ab initio solis per medium incedens, circa finem tamen ab M versus N debilis et lacer, imo quasi nullus. Caeterum in communibus circuli huius intersectionibus cum Iride exteriore GHI, emerserunt duo parhelia non usque adeo perfecta, N et K ; quorum hoc debilius, illud autem fortius et luculentius splendescebat, amborum medius nitor aemulabatur solarem, sed latera coloribus Iridis pingebantur ; neque rotundi ac praecisi, sed inaequales et lacunosi ipsorum ambitus cernebantur. N inquietum spectrum, eiaculabatur caudam spissam subigneam NOP, cum iugi reciprocatione. L et M fuêre trans Zenith B, prioribus minus vivaces, sed rotundiores et albi, instar circuli sui cui inhaerebant, lac, seu argentum purum exprimentes, quanquam M mediâ tertiâ iam prope disparverat, nec nisi exigua sui vestigia subinde praebuit, quippe et circulus ex illa parte defecerat. Sol N defecit ante solem K, illoque deficiente roborabatur K, qui omnium ultimus disparuit, etc.

CKLMN estoit vn cercle blanc dans lequel se AT VI, 363 voyoient cinq soleils, et il faut imaginer, que le spectateur estant vers A, ce cercle estoit pendant en l’air au dessus de luy, en sorte que le point B respondoit au sommet de sa teste, et que les deux soleils L et M estoient derriere ses espaules, lorsqu’il estoit tourné vers les trois autres KCN ; Maire, p. 290
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dont les deux K et N estoient colorés en leurs bors, et n’estoiẽt, ny si ronds, ny si brillans, que celuy qui estoit vers C. ce qui monstre qu’ils estoient causés par refraction ; au lieu que les deux L et M estoient assés ronds, mais moins brillans, et tous blancs, sans meslange d’aucune autre couleur en leurs bors. qui monstre qu’ils estoient causés par reflexion. Et plusieurs choses ont pû empescher qu’il n’ait paru encore vn sixiesme soleil vers V, dont la plus vraysemblable est, que l’œil en estoit si proche, à raison de la hauteur de la nuë, que tous les rayons qui donnoient sur la glace, vers là, se refleschissoient plus loin que le point A. Et encore que le point B ne soit pas icy representé si proche des soleils L et M, que du centre de la nuë, cela n’empesche pas que la reigle que iay tantost dite, touchant le lieu où ils doiuent paroistre, n’y fust obseruée. Car AT VI, 364 le spectateur Maire, p. 291
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estant plus proche de l’arc LVM que des autres parties du cercle, l’a deu iuger plus grand, à comparaison d’elles, qu’il n’estoit ; Outre que sans doute ces nuës ne sont iamais extremement rondes, bienqu’elles paroissent à l’œil estre telles.

Mais il y a encore icy deux choses assés remarquables. La premiere est, que le soleil N qui estoit vers le couchant, ayant vne figure changeante et incertaine, iettoit hors de soy comme vne grosse queuë de feu, NOP, qui paroissoit tantost plus longue tantost plus courte. Ce qui n’estoit sans doute autre chose sinon que l’image du soleil estoit ainsi contrefaite et irreguliere vers N, comme on la voit souuent lorsqu’elle nage dans vne eau vn peu tremblante, ou qu’on la regarde au trauers d’vne vitre dont les superficies sont inesgales. Car la glace estoit vray semblablement vn peu agitée en cet endroit là, et n’y auoit pas ses superficies si regulieres, pourcequ’elle y commencoit à se dissoudre, ainsi qu’il se prouue de ce que le cercle blanc estoit rompu, et comme nul entre M et N, et que le soleil N disparut, auant le soleil K qui sembloit se fortifier à mesure que l’autre se dissipoit.

La seconde chose qui reste icy à remarquer, est qu’il y auoit deux couronnes autour du soleil C, peintes des mesmes couleurs que l’arc-en-ciel, et dont l’interieure DEF estoit beaucaoup plus viuë et plus apparente que l’exterieure GHI, en sorte que ie ne doute point qu’elles ne fussent causées, en la façon que iay tantost dite, par la refraction qui se faisoit, non en cete glace continuë où se voyoient les soleils K et N, mais en d’autre, diuisée en plusieurs petites parcelles, AT VI, 365 qui se trouuoit au dessus Maire, p. 292
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et au dessous. car il est bien vraysemblable que la mesme cause, qui auoit pû composer tout vn cercle de glace de quelques vnes des parties exterieures de la nuë, auoit disposé les autres voysines à faire paroistre ces couronnes. De façon que si on n’en obserue pas tousiours de telles lors qu’on voit plusieurs soleils, c’est que l’espaisseur de la nuë ne s’estend pas tousiours au delà du cercle de glace qui l’enuironne ; ou bien qu’elle est si opaque et obscure qu’on ne les appercoit pas autrauers. Pour le lieu où se voyent ces couronnes, c’est tousiours autour du vray soleil, Et elles n’ont aucune coniunction auec ceux qui ne font que paroistre. car bien que les deux K et N se rencontrent icy en l’intersection de l’exterieure et du cercle blanc, c’est chose qui n’est arriuée que par hazard, et ie m’assure que le mesme ne se vit point aux lieux vn peu loin de Rome, ou ce mesme Maire, p. 293
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Phainomene fut remarqué. Mais ie ne iuge pas pour cela que leur centre soit tousiours en la ligne droite tiree de l’œil vers le soleil, si precisement qu’y est celuy de l’arc-en-ciel ; car il y a cela de difference, que les gouttes d’eau, estant rondes, causent tousiours AT VI, 366 mesme refraction en quelque situation qu’elles soient ; au lieu que les parcelles de glace, estant plates, la causent d’autant plus grande, qu’elles sont regardées plus obliquement. Et pource que lorsqu’elles se forment par le tournoyement d’vn vent sur la circonference d’vne nuë, elles y doiuent estre couchées en autre sens, que lorsqu’elles se forment au dessus ou au dessous, Il peut arriuer qu’on voye ensemble deux couronnes, l’vne dans l’autre, qui soient à peu prés de mesme grandeur, et qui n’ayent pas iustement le mesme centre.

De plus il peut arriuer qu’outre les vens qui enuironnent cete nuë, il en passe quelqu’vn par dessus ou par dessous, qui derechef y formant quelque superficie de glace, cause d’autres varietés en ce Phainomene. Comme peuuent encore faire les nuës d’alentour, ou la pluie s’il y en tombe. Car les rayons, se refleschissant de la glace d’vne de ces nuës vers ces gouttes, y representeront des parties d’arc-en-ciel, dont les situations seront fort diuerses. Comme aussy les spectateurs n’estant pas au dessous d’vne telle nuë, mais à costé entre plusieurs, peuuent voir d’autres cercles et d’autres soleils. De quoy ie ne croy pas qu’il soit besoin que ie vous entretiene d’auantage. car i’espere que ceux qui auront compris tout ce qui Maire, p. 294
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a esté dit en ce traité, ne verront rien dans les nuës à l’auenir, dont ils ne puissent aysement entendre la cause, ny qui leur donne suiet d’admiration.

FIN.