Maire, p. 157
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AT VI, (231)

LES METEORES.
Discours Premier.
DE LA NATVRE DES CORS TERRESTRES.

Nous auons naturellement plus d’admiration pour les choses qui sont au dessus de nous que pour celles qui sont à pareille hauteur, ou au dessous. Et quoy que les nues n’excedent gueres les sommets de quelques montaignes, et qu’on en voye mesme souuent de plus basses que les pointes de nos clochers, toutefois à cause qu’il faut tourner les yeux vers le ciel pour les regarder, nous les imaginons si relevées, que mesme les Poëtes et les Peintres en composent le throsne de Dieu, et font que là il employe ses propres mains à ouurir et fermer les portes des vens, à verser la rozée sur les fleurs, et à lancer la foudre sur les rochers. Ce qui me fait esperer que si i’explique icy leur nature, en telle sorte, qu’on n’ait plus occasion d’admirer rien de ce qui s’y voit, ou qui en descent, on croyra facilement qu’il est possible en mesme façon de trouuer les causes de tout ce qu’il y a de plus admirable dessus la terre. AT VI, 232

Ie parleray en ce premier discours de la nature des cors terrestres en general ; affin de pouuoir mieus expliquer Maire, p. 158
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dans le suiuant celle des exhalaisons et des vapeurs. Puis à cause que ces vapeurs s’esleuans de l’eau de la mer forment quelquefois du sel au dessus de sa superficie, ie prendray de là occasion de m’arester vn peu à le descrire, et d’essayer en luy si on peut connoistre les formes de ces cors que les Philosophes disent estre composés des elemens par vn meslange parfait, aussy bien que celles des Meteores qu’ils disent n’en estre composés que par vn meslange imparfait. Aprés cela conduisant les vapeurs par l’air, i’examineray d’où vienent les vens ; Et les faisant assembler en quelques endroits, ie descriray la nature des nues : Et faisant dissoudre ces nues, ie diray ce qui cause la pluie, la gresle, et la neige ; où ie n’oublieray pas celle dont les parties ont la figure de petites estoiles à six pointes tres parfaitement compassées, et qui, bienqu’elle n’ait point esté obseruée par les anciens, ne laisse pas d’estre l’vne des plus rares merueilles de la Nature. Ie n’oublieray pas aussy les tempestes, le tonnerre, la foudre, et les diuers feus qui s’allument en l’air, ou les lumieres qui s’y voyent. Mais sur tout ie tascheray de bien depeindre l’arc en ciel, et de rendre raison de ses couleurs, en telle sorte, qu’on puisse aussy entendre la nature de toutes celles qui se trouuent en d’autres suiets. À quoy i’adiousteray la cause de celles qu’on voit communement dans les nuës ; et des cercles qui enuironnent les astres : Et enfin la cause des Soleils, ou des Lunes, qui paroissent quelquefois plusieurs ensemble.

AT VI, 233 Il est vray que la connoissance de ces choses, dependant des principes generaus de la Nature, qui n’ont point encore esté, que ie sçache, bien expliqués, il faudra que Maire, p. 159
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ie me serue au commencement de quelques suppositions, ainsi que iay fait en la Dioptrique. mais ie tascheray de les rendre si simples et si faciles, que vous ne ferés peut estre pas difficulté de les croyre, encore que ie ne les aye point demonstrées.

Ie suppose premierement que l’eau, la terre, l’air, et tous les autres tels cors qui nous enuironnent, sont composés de plusieurs petites parties de diuerses figures et grosseurs, qui ne sont iamais si bien arrengées, ni si iustement iointes ensemble, qu’il ne reste plusieurs interualles autour d’elles. Et que ces interualles ne sont pas vuides, mais remplis de cette matiere fort subtile ; par l’entremise de laquelle i’ay dit cy dessus que se cõmuniquoit l’action de la lumiere. Puis en particulier ie suppose que les petites parties dont l’eau est composée sont longues, vnies, et glissantes, ainsi que de petites anguilles, qui quoy qu’elles se ioignent et s’entrelacent, ne se nouënt ny ne s’accrochent iamais pour cela en telle façon qu’elles ne puissent aysement estre separées. Et au contraire que presque toutes celles tant de la terre que mesme de l’air, et de la plus part des autres cors, ont des figures fort irregulieres et inesgales ; en sorte qu’elles ne peuuent estre si peu entrelacées, qu’elles ne s’accrochent et se lient les vnes aus autres, ainsi que font les diuerses branches des arbrisseaus, qui croissent ensemble dans vne haye. Et lors qu’elles se AT VI, 234 lient en cette sorte, elles composent des cors durs, comme de la terre, du bois, ou autres semblables. au lieu que si elles sont simplement posées l’vne sur l’autre, sans estre que fort peu ou point du tout entrelacées ; et qu’elles soient auec cela si petites, Maire, p. 160
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qu’elles puissent estre meuës et separées par l’agitation de la matiere subtile qui les enuironne ; elles doiuent occuper beaucoup d’espace, et composer des cors liquides, fort rares, et fort legers, comme des huiles, ou de l’air. De plus il faut penser que la matiere subtile, qui remplist les interuales qui sont entre les parties de ces cors, est de telle nature qu’elle ne cesse iamais de se mouuoir ça et là grandement viste, non point toutefois exactement de mesme vitesse, en tous lieus, et en tous tems, mais qu’elle se meut communement vn peu plus viste vers la superficie de la terre, qu’elle ne fait au haut de l’air où sõt les nuës, et plus viste vers les lieus proches de l’Equateur, que vers les Poles, et au mesme lieu plus viste l’esté que l’hyuer, et le iour que la nuit. Dont la raison est euidente, en supposant que la lumiere n’est autre chose qu’vn certain mouuement, ou vne action, dont les cors lumineus poussent cette matiere subtile de tous costés autour d’eus en ligne droite, ainsi qu’il a esté dit en la Dioptrique. Car il suit de là que les rayons du soleil, tant droits, que refleschis, la doiuent agiter d’auantage le iour que la nuit, et l’esté que l’hyuer, et sous l’Equateur que sous les Poles, et contre la terre que vers les nues. Puis il faut aussy penser que cette matiere subtile est composée de diuerses parties, qui bienqu’elles soient toutes tres petites, le sont toutefois AT VI, 235 beaucoup moins les vnes que les autres, et que les plus grosses, ou pour mieus parler les moins petites, ont tousiours le plus de force, ainsi que generalement tous les grans cors en ont plus que les moindres, quand ils sont autant esbranslés. Ce qui fait que moins cette matiere est subtile, c’est à Maire, p. 161
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dire composée de parties moins petites, plus elle peut agiter les parties des autres cors. Et cecy fait aussy qu’elle est ordinairement le moins subtile aux lieus, et aux tems où elle est le plus agitée. comme vers la superficie de la terre que vers les nuës, et sous l’Equateur que sous les Poles, et en esté qu’en hyuer, et de iour que de nuit. Dont la raison est que les plus grosses de ses parties ayant le plus de force, peuuent le mieux aller vers les lieux, où l’agitation estant plus grande, il leur est plus aysé de continuer leur mouuement. Toutefois il y en a tousiours quantité de fort petites qui se coulent parmi ces plus grosses. Et il est à remarquer que tous les cors terrestres ont bien des pores, par où ces plus petites peuuent passer, mais qu’il y en a plusieurs qui les ont si estroits, ou tellement disposés, qu’ils ne recoiuent point les plus grosses ; et que ce sont ordinairement ceux cy qui se sentent les plus froids quand on les touche, ou seulement quand on s’en approche. Comme d’autant que les marbres et les metaus se sentent plus froids que le bois, on doit penser que leurs pores ne recoiuent pas si facilemẽt les parties moins subtiles de cette matiere ; et que les pores de la glace les recoiuent encore moins facilement que ceux des marbres ou des metaus, d’autant qu’elle est encore plus froide. Car ie suppose icy que pour AT VI, 236 le froid et le chaud, il n’est point besoin de conceuoir autre chose, sinon que les petites parties des cors que nous touchons, estant agitées plus ou moins fort que de coustume, soit par les petites parties de cette matiere subtile, soit par telle autre cause que ce puisse estre, agitent aussy plus ou moins les petits filets de ceux de nos nerfs qui Maire, p. 162
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sont les organes de l’attouchement. Et que lors qu’elles les agitent plus fort que de coustume, cela cause en nous le sentiment de la chaleur ; au lieu que lors qu’elles les agitent, moins fort, cela cause le sentiment de la froideur. Et il est bien aysé à comprendre qu’encore que cette matiere subtile, ne separe pas les parties des cors durs, qui sont comme des branches entrelacées, en mesme façon qu’elle fait celles de l’eau, et de tous les autres cors qui sont liquides ; elle ne laisse pas de les agiter et faire trembler plus ou moins, selon que son mouuement est plus ou moins fort, et que ses parties sont plus ou moins grosses. Ainsi que le vent peut agiter toutes les branches des arbrisseaus dont vne palissade est composée, sans les oster pour cela de leurs places. Au reste il faut penser qu’il y a telle proportion entre la force de cette matiere subtile, et la resistence des parties des autres cors, que lors qu’elle est autant agitée, et qu’elle n’est pas plus subtile, qu’elle a coustume d’estre AT VI, 237 en ces quartiers contre la terre, elle a la force d’agiter, et de faire mouuoir separement l’vne de l’autre, et mesme de plier la plus part des petites parties de l’eau entre lesquelles elle se glisse, et ainsi de la rendre liquide. Mais que lors qu’elle n’est pas plus agitée, ny moins subtile, qu’elle a coustume d’estre en ces quartiers au haut de l’air, ou qu’elle y est quelquefois en hyuer contre la terre, elle n’a point assés de force pour les plier et agiter en cette façon, ce qui est cause qu’elles s’arestẽt confusement iointes et posées l’vne sur l’autre, et ainsi qu’elles composent vn cors dur, à sçauoir de la glace. En sorte que vous pouués imaginer mesme difference entre de l’eau et de Maire, p. 163
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la glace, que vous feriés entre vn tas de petites anguilles, soit viues, soit mortes, flotantes dans vn batteau de pescheur tout plein de trous par lesquels passe l’eau d’vne riuiere qui les agite, et vn tas des mesmes anguilles toutes seiches, et roides de froid sur le riuage. Et pource que l’eau ne se gele iamais que la matiere qui est entre ses parties ne soit plus subtile qu’a l’ordinaire, de là vient que les pores de la glace qui se forment pour lors, ne s’accommodans qu’a la grosseur des parties de cette matiere plus subtile, se disposent en telle sorte, qu’ils ne peuuent receuoir celle qui l’est moins ; et ainsi que la glace est tousiours grandement froide, nonobstant qu’on la garde iusques à l’esté ; et mesme qu’elle retient alors sa dureté, sans s’amollir peu à peu comme la cire, à cause que la chaleur ne penetre au dedans qu’a mesure que le dessus deuient liquide.

Il y a icy de plus à remarquer qu’entre les parties longues et vnies dont iay dit que l’eau estoit composée, il y en a veritablement la plus part qui se plient ou cessent de se plier selon que la matiere subtile qui les enuironne a quelque peu plus ou moins de force qu’a l’ordinaire, ainsi que ie viens d’expliquer ; mais qu’il y en a aussy de plus grosses, qui ne pouuant AT VI, 238 ainsi estre pliées, composent les sels ; et de plus petites, qui le pouuant estre tousiours, composent les esprits ou eaus de vie, qui ne se gelent iamais. Et que lorsque celles de l’eau commune cessent du tout de se plier, leur figure la plus naturelle n’est pas en toutes d’estre droites comme des ioncs, mais en plusieurs d’estre courbées en diuerses sortes : d’où vient qu’elles ne peuuent pour lors se renger en si peu d’espace, Maire, p. 164
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que lorsque la matiere subtile, estant assés forte pour les plier, leur fait accommoder leurs figures les vnes aux autres. Il est vray aussy que lors qu’elle est plus forte, qu’il n’est requis à cet effect, elle est cause derechef qu’elles s’estendent en plus d’espace. Ainsi qu’on pourra voir par experience, si ayant rempli d’eau chaude vn matras, ou autre tel vase dont le col soit assés long et estroit, on l’expose à l’air lors qu’il gele : car cette eau s’abaissera visiblement peu à peu, iusques à ce qu’elle soit paruenuë à certain degré de froideur, puis s’enflera et se rehaussera aussy peu à peu, iusqu’a ce qu’elle soit toute gelée : en sorte que le mesme froid qui l’aura condensée ou reserrée au commencement, la rarefiera par apprés. Et oun peut voir aussy par experience que l’eau qu’on a tenuë long tems sur le feu se gele plutost que d’autre, dont la raison est que celles de ses parties, qui peuuent le moins cesser de se plier, s’euaporent pendant qu’on la chauffe.

Mais affin que vous receuiés toutes ces suppositions auec moins de difficulté, sçachés que ie ne concoy pas les petites parties des cors terrestres comme des atomes ou particules indiuisibles, mais que les AT VI, 239 iugeant toutes d’vne mesme matiere, ie croy que chascune pourroit estre rediuisée en vne infinité de façons, et qu’elles ne different entre elles, que comme des pierres de plusieurs diuerses figures, qui auroient esté couppées d’vn mesme rocher. Puis sçachés aussy que pour ne point rompre la paix auec les Philosophes, ie ne veux rien du tout nier de ce qu’ils imaginent dans les cors de plus que ie n’ay dit, comme leursformes substantielles, leurs qualités reelles, Maire, p. 165
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et choses semblables, mais qu’il me semble que mes raisons deuront estre d’autant plus approuuées, que ie les feray dependre de moins de choses.