DES VAPEVRS ET DES EXHALAISONS.
Discours Second.

SI vous considerés que la matiere subtile, qui est dans les pores des cors terrestres, estant plus fort agitée vne fois que l’autre, soit par la presence du soleil, soit par telle autre cause que ce puisse estre, agite aussy plus fort les petites parties de ces cors ; vous entendrés facilement qu’elle doit faire que celles qui sont assés petites, et auec cela de telles figures, ou en telle situation, qu’elles se peuuent aysemẽt separer de leurs voysines, s’escartent ça et là les vnes des autres, et s’esleuent en l’air ; non point par quelque AT VI, 240 inclination particuliere qu’elles ayent à monter, ou que le soleil ait en soy quelque force qui les attire, mais seulement à cause qu’elles ne trouuent point d’autre lieu dans lequel il leur soit si aysé de continuer leur mouuement. Ainsi que la poussiere d’vne campaigne se sousleue, quand elle est seulement poussée et agitée par les pieds de quelque passant. Car encore que les grains de cette poussiere soient beaucoup plus gros et plus pesans, que les petites parties dont nous parlons, ils ne laissent pas pour cela de prendre leur cours vers le ciel. Et mesme on voit qu’ils y montent beaucoup Maire, p. 166
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plus haut, lors qu’vne grãde plaine est couuerte de gens qui se remuënt, que lors qu’elle n’est foulée que par vn seul hõme. Ce qui doit empescher qu’on ne s’estonne de ce que l’action du soleil esleue assés haut les petites parties de la matiere, dont se composent les vapeurs et les exhalaisons, vû qu’elle s’estend tousiours en mesme tems sur toute vne moitié de la terre, et qu’elle y demeure les iours entiers. Mais remarqués que ces petites parties qui sont ainsi esleuées en l’air par le soleil, doiuent pour la plus part auoir la figure que i’ay attribuée à celles de l’eau ; à cause qu’il n’y en a point d’autres qui puissent si aysement estre separées des cors où elles sont. Et ce seront celles cy seules que ie nommeray particulierement des vapeurs, affin de les distinguer des autres qui ont des figures plus irregulieres, et ausquelles ie restreindray le nom d’exhalaisons, à cause que ie n’en sçache point de plus propre. Toutefois aussy entre les exhalaisons ie comprendray celles, qui ayant à peu prés mesme figure que les parties de l’eau, mais estant AT VI, 241 plus subtiles, composent les esprits ou eaus de vie : à cause qu’elles peuuent facilement s’embraser. Et i’en exclueray celles, qui estant diuisées en plusieurs branches, sont si subtiles, qu’elles ne sont propres qu’à composer le cors de l’air. Pour celles qui estant vn peu plus grossieres sont aussy diuisées en branches, il est vray qu’elles ne peuuent gueres sortir d’elles mesmes des cors durs où elles se trouuent, mais si quelquefois le feu s’esprand en ces cors, il les en chasse toutes en fumée. Et aussy lorsque l’eau se glisse dans leurs pores, elle peut souuent les en degager, et les emporter en haut auec Maire, p. 167
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soy. En mesme façon que le vent, passant au trauers d’vne haye, emporte les feuilles ou les pailles, qui se trouuent entrelacées entre ses branches. Ou plutost comme l’eau mesme emporte vers le haut d’vn alembic les petites parties de ces huiles, que les Alchemistes ont coustume de tirer des plantes seiches, lorsque les ayant abbreuées de beaucoup d’eau, ils distilent le tout ensemble, et font par ce moyen que le peu d’huile, qu’elles contienent, monte auec la grande quantité d’eau qui est parmi. Car en effect la plus part de celles cy sont toutes les mesmes, qui ont coustume de composer les cors de ces huiles. Remarqués aussy que les vapeurs occupent tousiours beaucoup plus d’espace que l’eau, bienqu’elles ne soient faites que des mesmes petites parties. Dont la raison est que lorsque ces parties composent le cors de l’eau, elles ne se meuuent qu’assés fort pour se plier, et s’entrelacer, en se glissant les vnes contre les autres, ainsi que vous les voyés representées vers A. Au lieu que lors qu’elles ont la AT VI, 242 forme d’vne vapeur, leur agitation est si grande, qu’elles tournent en rond fort promptement de tous costés, et s’estendent par mesme moyen de toute leur longeur, en telle sorte que chascune à la force de chasser d’autour de soy toutes celles de ses semblables, qui tendent à entrer en la petite sphere qu’elle descrit. Ainsi que vous les voyés representées vers B. Et c’est en mesme façon que si vous faites tourner assés viste le piuot LM, au trauers duquel est passée la chorde NP, vous verrés que cette chorde se tiendra en l’air toute droite et estendue, occupant par ce moyen tout l’espace compris dans le Maire, p. 168
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cercle NOPQ, en telle sorte qu’on n’y pourra mettre aucun autre cors, qu’elle ne AT VI, 243 le frappe incontinent auec force, pour l’en chasser : au lieu que si vous la faites mouuoir plus lentement, elle s’entortillera de soy mesme autour de ce piuot, et ainsi n’occupera plus tant d’espace.

De plus il faut remarquer que ces vapeurs peuuent estre plus ou moins pressées ou estendues, et plus ou moins chaudes ou froides, et plus ou moins transparentes ou obscures, et plus ou moins humides ou seiches vne fois que l’autre. Car premierement Maire, p. 169
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lorsque leurs parties, n’estant plus assés fort agitées pour se tenir estendues en ligne droite, commencent à se plier et se rapprocher les vnes des autres, ainsi qu’elles sont representées vers C et vers D ; Ou bien lors qu’estant reserrées entre des montaignes, ou entre les actions de diuers vens qui estant opposés s’empeschent les vns les autres d’agiter l’air, ou au dessous de quelques nuës, elles ne se peuuent pas estendre en tant d’espace que leur agitation le requert, comme vous les pouués voir vers E ; Ou enfin lors qu’employant la plus grande partie de leur agitation à se mouuoir plusieurs ensemble vers vn mesme costé, elles ne tournoyent plus si fort que de coustume, ainsi qu’elles se voyent vers F, ou sortant de l’espace E, elles engendrent vn vent qui souffle vers G ; Il est manifeste que les vapeurs qu’elles composent sont plus espesses ou plus serrées, que lors qu’il n’arriue aucune de ces trois choses. Et il est manifeste aussy que supposant la vapeur qui est vers E autant agitée, que celle qui est vers B, elle doit estre beaucoup plus chaude, à cause que ses parties estant plus serrées ont plus de force. En mesme façon que la chaleur d’vn fer embrasé est bien plus ardente, AT VI, 244 que celle des charbons ou de la flame. Et c’est pour cette cause qu’on sent souuent en esté vne chaleur plus forte et plus estouffante, lors que l’air estant calme et comme esgalement pressé de tous costés couue vne pluie, que lors qu’il est plus clair et plus serein. Pour la vapeur qui est vers C, elle est plus froide que celle qui est vers B, nonobstant que ses parties soient vn peu plus serrées ; d’autant que ie les suppose beaucoup moins agitées. Et au contraire celle qui Maire, p. 170
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est vers D est plus chaude d’autant que ses parties sont supposées beaucoup plus serrées, et seulement vn peu moins agitées. Et celle qui est vers F est plus froide que celle qui est vers E, nonobstant que ses parties ne soient ny moins serrées, ny moins agitées ; d’autant qu’elles s’accordent AT VI, 245 plus à se mouuoir en mesme sens, ce qui est cause qu’elles ne peuuent tant esbransler les petites parties des autres cors. Ainsi qu’vn vent qui souffle tousiours de mesme façon, quoy que tres fort, n’agite pas tant les feuilles et les branches d’vne forest, qu’vn plus foible qui est moins esgal. Et vous pourrés connoistre par experience que c’est en cette agitation des petites Maire, p. 171
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parties des cors terrestres que consiste la chaleur, si soufflant assés fort contre vos doigts ioins ensemble, vous prenés garde que l’haleine qui sortira de vostre bouche vous semblera froide au dessus de vostre main, ou passant fort viste et d’esgale force elle ne causera gueres d’agitation ; au lieu que vous la sentirés assés chaude dans les entredeux de vos doigs, ou passant plus inesgalement et lentement elle agitera d’auantage leurs petites parties. Ainsi qu’on la sent aussy tousiours chaude, lors qu’on souffle ayant la bouche fort ouuerte ; et froide, lors qu’on souffle en l’ayant presque fermée. Et c’est pour la mesme raison qu’ordinairement les vens impetueux se sentent froids, et qu’il n’y en a gueres de chauds qui ne soient lents.

De plus les vapeurs representées vers B, et vers E, et vers F, sont transparentes, et ne peuuent estre discernées par la veuë d’auec le reste de l’air, d’autant que se remuant fort viste et de mesme bransle que la matiere subtile qui les enuironne, elles ne la peuuent empescher de receuoir l’action des cors lumineux, mais plutost elles la recoiuent auec elle. Au lieu que la vapeur qui est vers C commence à deuenir opaque ou obscure, à cause que ses parties n’obeissent plus AT VI, 246 tant à cette matiere subtile, qu’elles puissent estre meues par elle en toutes façons. Et la vapeur qui est vers D ne peut estre du tout si obscure que celle qui est vers C, à cause qu’elle est plus chaude. Comme vous voyés qu’en hyuer le froid fait paroistre l’haleine ou la sueur des cheuaux eschauffés, sous la forme d’vne grosse fumée fort espaisse et obscure ; au lieu qu’en esté, que l’air est plus chanud, elle est inuisible. Et on Maire, p. 172
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ne doit pas douter que l’air ne contiene souuent autant ou plus de vapeurs, lors qu’elles ne s’y voyent aucunement, que lors qu’elles s’y voyent. Car cõment se pourroit il faire sans miracle, qu’en tems chaud et en plein midy le soleil, donnant sur vn lac ou vn marest, manquast d’en esleuer beaucoup de vapeurs ? AT VI, 247 vû qu’on remarque mesme que pour lors les eaux se desseichent, et se diminuẽt beaucoup d’auantage, qu’elles ne font en tems froid et obscur. Au reste celles qui sont vers E sont plus humides, c’est à dire plus disposées à se conuertir en eau et à mouiller ou humecter les autres cors comme fait l’eau, que celles qui sont vers F. Car celles cy tout au contraire sont seiches, vû qu’allant fraper auec force les cors humides qu’elles rencontrent, elles en peuuent chasser et emporter auec soy les parties de l’eau qui s’y trouuent, et par ce moyen les desseicher. Comme aussy nous esprouuons que les vens impetueux sont tousiours secs, et qu’il n’y en a point d’humides qui ne soient foibles. Et on peut dire que ces mesmes vapeurs, qui sont vers E, sont plus humides que celles qui sont vers D, à cause que leurs parties estant plus agitées, peuuent mieux s’insinuer dans les pores des autres cors pour les rendre humides ; mais on peut dire aussy en vn autre sens qu’elles le sont moins, à cause que la trop grande agitation de leurs parties les empesche de pouuoir prendre si aysement la forme de l’eau.

Pour ce qui est des exhalaisons, elles sont capables de beaucoup plus de diuerses qualités que les vapeurs, à cause qu’il peut y auoir plus de difference entre leurs parties. Mais il suffira icy que nous remarquions que les Maire, p. 173
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plus grossieres ne sont quasi autre chose que de la terre, telle qu’on la peut voir au fonds d’vn vaze aprés y auoir laissé rasseoir de l’eau de neige ou de pluie, ny les plus subtiles autre chose que ces esprits ou eaux de vie, qui s’esleuent tousiours les premieres des cors qu’on distile. Et qu’entre les mediocres, AT VI, 248 les vnes participent de la nature des sels volatiles ; et les autres de celle des huiles, ou plutost des fumées qui en sortent lors qu’on les brusle. Et encore que la plus part de ces exhalaisons ne montent en l’air que meslées auec les vapeurs, elles ne laissent pas de pouuoir aysement par aprés s’en separer ; ou d’elles mesmes, ainsi que les huiles se demeslent de l’eau auec laquelle on les distile ; onu aydées par l’agitation des vens qui les rassemblent en vn ou plusieurs cors, en mesme façon que les vilageoises en battant leur créme separent le beurre du petit lait ; ou mesme souuent aussy par cela seul que se trouuant plus ou moins pesantes, et plus ou moins agitées, elles s’arestent en vne region plus basse ou plus haute que ne font les vapeurs. Et d’ordinaire les huiles s’esleuent moins haut que les eaux de vie, et celles qui ne sont que terre encore moins haut que les huiles. Mais il n’y en a point qui s’arestent plus bas que les parties dont se compose le sel commun, et bien qu’elles ne soient pas proprement des exhalaisons ny des vapeurs, à cause qu’elles ne s’esleuent iamais que iusques au dessus de la superficie de l’eau, toutefois pource que c’est par l’euaporation de cette eau qu’elles y vienent, et qu’il y a plusieurs choses en elles fort remarquables qui peuuent estre commodement icy expliquées, ie n’ay pas enuie de les omettre.