AT VI, 249 Maire, p. 174
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DV SEL.
Discours Troisiesme.

La saleure de la mer ne consiste qu’en ces plus grosses parties de son eau, que i’ay tantost dit ne pouuoir estre pliées comme les autres par l’action de la matiere subtile, ny mesme agitées sãs l’entremise des plus petites. Car premierement si l’eau n’estoit cõposée de quelques parties ainsi que i’ay tãtost supposé, il luy seroit esgalemẽt facile ou difficile de se diviser en toutes façons et en tous sens, en sorte qu’elle n’entreroit pas si facilement qu’elle fait dans les cors qui ont des pores vn peu larges, comme dans la chaux, et dans le sable ; ou bien elle pourroit aussy en quelque façon penetrer en ceux qui les ont plus estroits, comme dans le verre, et les metaus. Puis si ces parties n’auoient la figure que ie leur ay attribuée, lors qu’elles sont dans les pores des autres cors, elles n’en pourroient pas si aysement estre chassées par la seule agitation des vens ou de la chaleur : ainsi qu’on l’esprouue assés par les huiles, ou autres liqueurs grasses, dont nous auons dit que les parties auoient d’autres figures ; car on ne les peut quasi iamais entierement faire sortir des cors où elles sont vne fois entrées. Enfin pource que nous ne voyons point de cors en la nature, qui soient si parfaitement semblables entre eux, qu’il ne se trouue presque tousiours AT VI, 250 quelque peu d’inesgalité en leur grosseur, nous ne deuons faire aucune difficulté de penser que les parties de l’eau ne sont point exactement toutes Maire, p. 175
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esgales, et particulierement que dans la mer, qui est le receptacle de toutes les eaux, il s’en trouue de si grosses, qu’elles ne peuuent estre pliées comme les autres par la force qui a coustume de les mouuoir. Et ie veux tascher icy de vous monstrer, que cela seul est suffisant, pour leur donner toutes les qualités qu’a le sel. Premierement, ce n’est pas merueille qu’elles ayent vn goust picquant et penetrant, qui differe beaucoup de celuy de l’eau douce : car ne pouuant estre pliées par la matiere subtile qui les enuironne, elles doiuent tousiours entrer de pointe dans les pores de la langue, et par ce moyen y penetrer assés auant pour la piquer ; Au lieu que celles qui composent l’eau douce coulant seulement par dessus toutes couchées, à cause de la facilité qu’elles ont à se plier, n’en peuuent quasi point du tout estre goustées. Et les parties du sel, ayant penetré de pointe en mesme façon dans les pores des chairs qu’on veut conseruer, non seulement en ostent l’humidité, mais aussy sont comme autant de petits bastons plantés ça et là entre leurs parties, où demeurant fermes et sans se plier, elles les soustienent, et empeschent que les autres plus pliantes, qui sont parmi, ne les desarrengent en les agitant, et ainsi ne corrompent le cors qu’elles composent. Ce qui fait aussy que ces chairs par succession de tems deuienent plus dures. Au lieu que les parties de l’eau douce, en se pliãt, et se glissãt par cy par là dans leurs pores, pourroient ayder à les ramollir, et AT VI, 251 a les corrompre. De plus, ce n’est pas merueille que l’eau salée soit plus pesante que la douce, puisqu’elle est composée de parties, qui estant plus grosses et plus massiues, peuuent s’arrenger en moindre espace : Maire, p. 176
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car c’est delà que depend la pesanteur. Mais il est besoin de considerer, pourquoy ces parties plus massiues demeurent meslées auec les autres qui le sont moins, au lieu qu’il semble qu’elles deuroient naturellement aller au dessous. Et la raison en est, au moins pour celles du sel commun, qu’elles sont esgalement grosses par les deux bouts, et toutes droites, ainsi qu’autant de petits bastons : car s’il y en a iamais eu dans la mer qui fussent plus grosses par vn bout que par l’autre, ayant esté par mesme moyen plus pesantes, elles ont eu tout loysir d’aller au fonds depuis que le monde est ; ou s’il y en a eu de courbées, elles ont eu loysir de rencontrer des cors durs, et se ioindre à eux, à cause qu’estant vne fois entrées dans leurs pores, elles n’en auront pû si facilement resortir, que celles qui sont esgales et droites. Mais celles cy, se tenant couchées de trauers l’vne sur l’autre, donnent moyen à celles de l’eau douce, qui sont en perpetuelle agitation, de se roller et s’entortiller autour d’elles, s’y arrengeant et s’y disposant en certain ordre ; qui fait qu’elles peuuent continuër à se mouuoir plus aysement, et plus viste, que si elles estoiẽt toutes seules. Car lors qu’elles sont ainsi rollées autour des autres, la force de la matiere subtile qui les agite, n’est emploiée qu’a faire qu’elles tournent fort promptement autour de celles quellesqu’elles embrassent, et qu’elles passent ça et là de l’vne sur l’autre, sans pour cela AT VI, 252 changer aucun de leurs plis : au lieu qu’estant seules, comme elles sont lors qu’elles composent l’eau douce, elles s’entrelaçent necessairement en telle sorte, qu’il est besoin qu’vne partie de cette force de la matiere subtile soit employée à les plier, pour les Maire, p. 177
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degager les vnes des autres ; et ainsy elle ne les peut faire mouuoir pour lors si facilement, ny si viste. Estant donc vray, que ces parties de l’eau douce peuuent mieux se mouuoir estant rollées autour de celles du sel, qu’estant seules, ce n’est pas merueille qu’elles s’y rollẽt, lors qu’elles en sont assés proches, et qu’aprés les tenant embrassées, elles empeschent que l’inesgalité de leur pesanteur ne les separe. D’où vient, que le sel se fond aysement en l’eau douce, ou seulement estant exposé à l’air en tems humide ; et neantmoins qu’il ne s’en fond en vne quantité d’eau determinée, que iusques à vne quantité determinée, à sçauoir autant que les parties pliantes de cete eau peuuent embrasser des sienes en se rollant autour d’elles. Et scachant, que les cors, qui sont transparens, le sont d’autant plus qu’ils empeschent moins les mouuemens de la matiere subtile qui est dans leurs pores, on voit encore de cecy, que l’eau de la mer doit estre naturellement plus transparente, et causer des refractions vn peu plus grandes, que celle des reuieres. Et on voit aussy, qu’elle ne se doit pas geler si aysement, en sçachant que l’eau ne se gele que lors que la matiere subtile, qui est entre ses parties, n’a pas la force de les agiter. Et mesme on peut encore icy entendre la raison du secret pour faire de la glace en esté ; qui est l’un des plus beaux que scachent les AT VI, 253 curieux, encore qu’il ne soit pas des plus rares. Ils mettent du sel meslé auec esgale quantité de neige ou de glace pilée tout autour d’vn vaze plein d’eau douce ; et sans autre artifice, à mesure que ce sel et cete neige se fondent ensemble, l’eau qui est enfermée dans le vaze, deuient glace. Dont la raison est, que la matiere Maire, p. 178
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subtile, qui estoit autour des parties de cete eau, estant plus grossiere, ou moins subtile, et par consequent ayant plus de force que celle qui estoit autour des parties de cete neige, va prendre sa place à mesure que les parties de la neige se rollent autour de celles du sel en se fondant ; car elle trouue plus de facilité à se mouuoir dans les pores de l’eau salée qu’en ceux de l’eau douce ; et elle tend incessament à passer d’vn cors en l’autre, pour entrer en ceux où son mouuement est le moins empesché ; au moyen de quoy la matiere plus subtile, qui estoit dans la neige, entre dans l’eau, pour succeder à celle qui en sort ; et pource qu’elle n’a point assés de force pour y entretenir l’agitation de cete eau, cela est cause qu’elle se gele. Mais l’vne des principales qualités des parties du sel est, qu’elles sont grandement fixes, c’est à dire qu’elles ne peuuent estre esleuées en vapeur ainsy que celles de l’eau douce. Dont la cause est, non seulement, qu’estant plus grosses, elles sont plus pesantes ; mais aussy, qu’estant longues et droites, elles ne peuuent estre gueres long tems suspendues en l’air, soit qu’elles soient en action pour monter plus haut, soit pour en descendre, que l’vn de leurs bouts ne se presente vers en bas, et ainsi qu’elles ne se tienent en ligne perpendiculaire vers la terre. car tant pour AT VI, 254 monter que pour descendre, il leur est bien plus aysé à diuiser l’air estant en cete situation, qu’en aucune autre. Ce qui n’arriue point en mesme façon aux parties de l’eau douce, à cause, qu’estant faciles à se plier, elles ne se tienent iamais toutes droites, si ce n’est qu’elles tournent en rond auec vitesse. Au lieu que celles du sel ne sçauroient iamais gueres tourner en Maire, p. 179
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cete sorte ; car se rencontrant les vnes les autres et se heurtant sans pouuoir se plier pour s’entreceder, elles seroient incontinent contraintes de s’arester. Mais lors qu’elles se trouuent suspendues en l’air, ayant vne pointe en bas, comme i’ay dit, il est euident, qu’elles doiuent descendre plutost que monter : à cause que la force qui les pourroit pousser vers en haut, agist beaucoup moins, que si elles estoient couchées de travers ; et elle agist moins d’autant iustement, que la quantité de l’air, qui resiste à leur pointe, est plus petite, que ne seroit celle qui resisteroit à leur longeur ; au lieu, que leur pesanteur, estant tousiours esgale, agist d’autant plus que cete resistence de l’air est plus petite. À quoy si nous adioustons que l’eau de la mer s’adoucist quand elle trauerse du sable, à cause que les parties du sel, faute de se plier, ne peuuent couler ainsy que font les parties de l’eau douce par les petits chemins détournés, qui sont autour des grains de ce sable : nous sçaurons que les fontaines, et les riuieres, n’estant composées que des eaux qui ont esté esleuées en vapeurs, ou bien qui ont passé au trauers de beaucoup de sable, ne doiuent point estre salées. Et aussy que toutes ces eaux douces, rentrant dans la mer, ne la doiuent point rendre plus grande, ny moins AT VI, 255 salée ; d’autant qu’il en ressort continuellement autant d’autres ; dont quelques vnes s’esleuent en l’air changées en vapeurs, puis vont retomber en pluie, ou en neige, sur la terre ; mais la plus part penetrant par des conduits sousterains iusques au dessous des montaignes, d’où la chaleur, qui est dans la terre, les esleuant aussy comme en vapeur vers leurs sommets, elles y vont remplir les sources Maire, p. 180
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des fontaines, et des riuieres. Et nous sçaurons aussy, que l’eau de la mer doit estre plus salée sous l’equateur que vers les poles, si nous considerons, que le soleil, y ayant beaucoup de force, en fait sortir beaucoup de vapeurs, lesquelles ne retombent point par aprés iustement aux mesmes endroits d’où elles sont sorties, mais pour l’ordinaire en d’autres plus proches des poles, ainsy que vous entendrés mieux cy aprés. Au reste, sinon que ie n’ay pas enuie de m’arester à expliquer particulierement la nature du feu, i’adiousterois encore icy, pourquoy l’eau de la mer est moins propre à esteindre les embrasemens que celle des riuieres, et pourquoy elle estincelle la nuit, estant agitée : car vous verriés, que les parties du sel, estãt fort aysées à esbrãsler, à cause qu’elles sont comme suspenduës entre celles de l’eau douce, et ayant beaucoup de force aprés estre ainsy esbranslées, à cause qu’elles sont droites et inflexibles ; peuuent non seulement augmenter la flame, lorsqu’on les y iette ; mais aussy en causer d’elles mesmes, en s’eslãçeant hors de l’eau où elles sont. Comme si la mer qui est vers A, estant poussée auec force vers C, y rencontre vn banc AT VI, 256 de sable ou quelque autre obstacle, qui la face monter vers B, le bransle que cete agitation donne aux parties du sel, peut faire que les premieres qui vienent en l’air, sy dégagent de celles de l’eau douce, qui les tenoient entortillées, et que se trouuant seules vers B à certaine Maire, p. 181
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distance l’vne de l’autre, elles y engendrent des estincelles, assés semblables à celles qui sortent des caillous quand on les frappe. Il est vray, qu’a cet effect il est requis, que ces parties du sel soient fort droites, et fort glissantes, affin qu’elles se puissent plus aysement separer de celles de l’eau douce : d’où vient, que ny la saumeure, ny l’eau de mer qui a esté long tems gardée en quelque vaze, ny sont pas propres. Il est requis aussy, que celles de l’eau douce n’embrassent point trop estroitement celles du sel : d’où vient, que ces estincelles paroissent plus quand il fait chaud, que quand il fait froid ; et que l’agitation de la mer soit assés forte : d’où vient, qu’en mesme tems il ne sort pas du feu de toutes ses vagues ; et enfin que les parties du sel se meuuent de pointe, comme des fleches, et non de trauers : d’où vient, que toutes les gouttes, qui reiaillissent hors d’vne mesme eau, n’esclairent pas en mesme sorte.

Mais considerons maintenant comment le sel flotte sur l’eau quand il se fait, nonobstant que ses parties soient fort fixes et fort pesantes ; et comment il s’y forme en petits grains, qui ont vne figure quarrée, presque semblable à celle d’vn diament taillé en table, AT VI, 257 excepté que la plus large de leurs faces est vn peu creusée. Premieremẽt il est besoin à cet effect, que l’eau de la mer soit retenuë en quelques fosses ; pour eviter tant l’agitation continuelle des vagues, que l’affluence de l’eau douce que les pluies et les riuieres amenent sans cesse en l’Ocean. Puis il est besoin aussy d’vn tems chaud et sec ; affinque l’action du soleil ait assés de force, pour faire que les parties de l’eau douce, qui sont rollées autour de celles du sel, s’éuaporent. Maire, p. 182
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Et il fault remarquer, que la superficie de l’eau est tousiours fort esgale et vnie, comme aussy celle de toutes les autres liqueurs : dont la raison est, que ses parties se remuënt entre elles de mesme façon et de mesme bransle, et que les parties de l’air qui la touchent se remuent aussy entre elles tout de mesme l’vne que l’autre ; mais que celles cy ne se remuent pas de mesme façon ny de mesme mesure que celles là ; et particulierement aussy, que la matiere subtile, qui est autour des parties de l’air, se remue tout autrement que celle qui est autour des parties de l’eau : ce qui est cause que leurs superficies, en se frottant l’vne contre l’autre, se polissent, en mesme façon, que si c’estoient deux cors durs : excepté que c’est beaucoup plus aysement, et presque en vn instant ; pource que leurs parties, n’estant attachées en aucune façon les vnes aux autres, s’arrengent toutes dés le premier coup, ainsi qu’il est requis à cet effect. Et cecy est aussy cause que la superficie de l’eau est beaucoup plus malaysée à diuiser, que n’est le dedans : ainsy qu’on voit par experience, en ce que tous les cors assés petits, quoy que de matiere fort pesante, comme AT VI, 258 sont de petites aiguilles d’acier, peuuẽt flotter et estre soustenus au dessus, lors qu’elle n’est point encore diuisée ; au lieu que lors qu’elle l’est, ilz descendent iusqu’au fonds sans s’arester. En suite de quoy il fault considerer que lors que la chaleur de l’air est assés grande pour former le sel, elle peut non seulement faire sortir hors de l’eau de mer quelques vnes des parties pliantes qui s’y trouuent, et les faire monter en vapeur, mais aussy les y faire monter auec telle vitesse, qu’auant qu’elles ayent eu le loysir de se deueloper d’autour Maire, p. 183
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de celles du sel, elles arriuent iusques au dessus de la superficie de cete eau, où les apportant auec soy, elles n’acheuent de s’en deuelopper, qu’aprés que le trou, qu’elles ont fait en cete superficie pour en sortir, s’est refermé, au moyen de quoy ces parties du sel y demeurent toutes seules flotantes dessus, comme vous les voyés representées vers D. Car y estant couchées de leur long, elles ne sont point assés pesantes pour s’y enfoncer, non plus que les aiguilles d’acier dont ie viens de parler, et elles la font seulement vn peu courber et plier sous elles, à cause de leur pesãteur, tout de mesme que font aussy ces aiguilles. de façon que les premieres, estant semées par cy par là sur cete superficie, y font plusieurs petites fosses ou courbures ; puis les autres qui vienent aprés, se trouuant sur les pentes de ces fosses, roullent et glissent vers le fonds, où elles se vont ioindre contre les premieres. Et il fault particulierement icy remarquer, que de quelque part qu’elles y vienent, elles se doiuent coucher iustement AT VI, 259 coste à coste de ces premieres, comme vous les voyés vers E, au moins les secondes, et souvent aussy les troisiesmes, à cause que par ce moyen elles descendent quelque peu plus bas, qu’elles ne pourroient faire si elles demeuroient en quelque autre situation, comme en celle qui se voit vers F, ou vers G, ou vers H. Et le mouuement de la chaleur, qui esbransle tousiours quelque peu cete superficie, ayde à les arrenger en cete sorte. Maire, p. 184
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Puis lors, qu’il y en a ainsy en chasque fosse deux ou trois coste à coste l’vne de l’autre, celles qui y vienent, de plus se peuuent ioindre encore à elles en mesme sens, si elles s’y trouuent aucunement disposées ; mais s’il arriue qu’elles penchent d’auantage vers les bouts des precedentes que vers les costés, elles se vont coucher decontre à angles droits, comme vous voyés vers K : à cause que par ce moyen elles descendent aussy vn peu plus bas, qu’elles ne pourroient faire si elles s’arrengeoient autrement, comme elles sont vers L, ou vers M. Et pourcequ’il s’en trouue à peu prés autant, qui se vont coucher contre les bouts des deux ou trois premieres, que de celles qui se vont coucher contre leurs costés ; de là vient, que s’arrengeant ainsy plusieurs centaines toutes ensemble, elles forment premierement vne petite table, qui au iugement de la veuë paroist tresquarrée, et qui est comme la baze du grain de sel qui commence à se former. Et il faut remarquer, qu’y en ayant seulement trois ou quatre couchées en mesme sens, comme vers N, celles du milieu s’abaissent vn peu plus que celles des bords ; AT VI, 260 mais qu’y en venãt d’autres qui s’y ioigẽnt en travers, comme vers O, celles cy aydent aux autres des bords à s’abaisser presque autant que celles du milieu, et en telle sorte, que la petite table quarrée, qui sert de baze à vn grain de sel, se formant ordinairement de plusieurs centaines iointes ensemble, ne peut paroistre à l’œil que toute plate, encore qu’elle soit tousiours tant soit peu courbée. Or à mesure que cete table s’agrandist, elle s’abaisse de plus en plus, mais si lentement, qu’elle fait plier sous soy la superficie de l’eau sans la rompre. Et lors qu’elle est Maire, p. 185
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paruenuë à certaine grandeur, elle se trouue si fort abaissée, que les parties du sel, qui vienent de nouueau vers elle, au lieu de s’arester contre ses bords, passent par dessus, et y roullent en mesme sens et en mesme façon que les precedentes roulloient sur l’eau. Ce qui fait qu’elles y forment derechef vne table quarrée, qui s’abaisse en mesme façon peu à peu. Puis les parties du sel qui vienent vers elle, peuuent encore passer par dessus, et y former vne troisiesme table. Et ainsi de suite. Mais il est à remarquer que les parties du sel, qui forment la deuxiesme de ces tables, ne roulleẽt pas si aysement sur la premiere, que celles qui ont formé cete premiere roulloient sur l’eau, car elles ny trouuent pas vne superficie du tout si vnie, ny qui les laisse couler si librement : d’où vient que souuẽt elles ne roullẽt point iusques au milieu, qui par ce moyen demeurant AT VI, 261 vuide, cete seconde table ne s’abaisse pas si tost à proportion qu’auoit fait la premiere ; mais deuient vn peu plus grande auant que la troisiesme commence à se former ; et derechef le milieu de celle cy demeurant vuide elle deuient vn peu plus grande que la seconde, et ainsy de suite, iusques à ce que le grain entier, qui se compose d’vn grand nombre de telles petites tables posées l’vne sur l’autre, soit acheué, c’est à dire, iusques à ce que touchant aux bords des autres grains voysins, il ne puisse deuenir plus large. Pour ce qui est de la grandeur de la premiere table qui luy sert de baze, elle depend du degré de chaleur qui agite l’eau pendant qu’elle se forme. car plus l’eau est agitée, plus les parties du sel qui nagent dessus font plier sa superficie ; d’où vient, que cete baze demeure plus petite, et Maire, p. 186
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mesme l’eau peut estre tant agitée que les parties du sel iront au fonds auant qu’elles ayent formé aucuns grains. Pour le tallu des quatre faces qui sortent des quatre costés de cete baze, il ne depend que des causes desia expliquées, lors que la chaleur est esgale pendant tout le tems que le grain est à se former : mais si elle va en augmentant, ce tallu en deuiendra moindre ; et au contraire plus grand, si elle diminue : en sorte que si elle augmente, et diminue, par interualles, il se fera comme de petits eschelons de long de ces faces. Et pour les quatre querres ou costées qui ioignent ces quatre faces, elles ne sont pas ordinairement fort aiguës ny fort vnies. car les parties, qui se vont ioindre aux costés de ce grain, s’y vont bien quasi tousiours appliquer de long, comme i’ay dit, mais pour celles, qui vont rouller contre ses angles, elles s’y arrengent plus aysement en autre sens, à sçauoir comme elles sont representées vers P.Ce qui fait que ces querres sont vn peu mousses et inesgales ; et que les grains de sel s’y fendent souuent plus AT VI, 262 aysement qu’aux autres lieux ; et aussy que l’espace vuide, qui demeure au milieu, se fait presque rond plutost que quarré. Outre cela pource que les parties qui composent ces grains se vont ioindre confusement, et sans autre ordre que celuy que ie viens d’expliquer, il arriue souuent que leurs bouts, au lieu de se toucher, laissent entre eux assés d’espace pour placer quelques parties de l’eau douce, qui s’y enferment, et y demeurent pliées en rond, comme vous voyés vers R, pendant qu’elles ne s’y meuuent que moyennement viste ; Maire, p. 187
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mais lors qu’vne fort violente chaleur les agite, elles tendent auec beaucoup de force à s’estendre, et se déplier, en mesme façon qu’il a tantost esté dit qu’elles font, quand l’eau se dilate en vapeur. qui fait qu’elles rompent leurs prisons tout d’vn coup, et auec esclat. Et c’est la raison pourquoy les grains de sel, estant entiers, se brisent en sautant et petillant quand on les iette dans le feu ; et pourquoy ils ne font point le mesme estant mis en poudre ; car alors ces petites prisons sont desia rompuës. De plus, l’eau de la mer ne peut estre si purement composée des parties que i’ay descrites, qu’il ne s’y en rencontre aussy quelques autres parmi, qui sont de telle figure, qu’elles ne laissent pas de pouuoir y demeurer, encore qu’elles soient beaucoup plus deliées : et qui, s’allant engager entre les parties du sel lors qu’il se forme, luy peuuent donner et cete odeur de violette tres agreable qu’a le sel blanc quand il est fraischement fait, et cete couleur sale qu’a le noir, et toutes les autres varietés qu’on peut remarquer dans les sels, et qui dependent des AT VI, 263 diuerses eaux dont ils se forment. Enfin vous ne vous estonnerés pas de ce que le sel est si friable et si aysé à rompre comme il est, en pensant à la façon dont se ioignent ses parties ; Ny de ce qu’il est tousiours blanc ou transparent estant pur, en pensant à leur grosseur, et à la nature de la couleur blanche, qui sera cy aprés expliquée ; Ny de ce qu’il se fond assés facilement sur le feu quand il est entier, en considerant qu’il y a plusieurs parties d’eau douce enfermées entre les sienes ; Ny de ce qu’il se fond beaucoup plus difficilement, estant bien puluerisé et bien seiché, en sorte qu’il n’y reste plus rien de l’eau douce, Maire, p. 188
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en remarquant qu’il ne se peut fondre, estant ainsy seul, si ses parties ne se plient, et qu’elles ne peuuent que difficilement se plier. Car encore qu’on puisse feindre, qu’autrefois celles de la mer ont esté toutes, par degrés, les vnes plus pliantes, les autres moins : on doit penser que toutes celles, qui ont pû s’entortiller autour de quelques autres, se sont amollies depuis peu à peu, et renduës fort flexibles ; au lieu que celles qui ne sont point ainsy entortillées, sont demeurées entierement roides : en sorte qu’il y a maintemnent en cela grande difference, entre celles du sel, et celles de l’eau douce. Mais les vnes et les autres doiuent estre rondes ; à sçauoir, celles de l’eau douce, comme des chordes ; et celles du sel, comme des cylindres ou des bastons : à cause que tous les cors, qui se meuuent en diuerses façons et long tems, ont coustume de s’arondir. Et on peut en suite connoistre qu’elle est la nature de cete eau extremement aygre et forte ; qui peut soudre l’or, et que les Alchemistes nomment l’esprit ou l’huyle de sel. AT VI, 264 car d’autant qu’elle ne se tire que par la violence d’vn fort grand feu, ou du sel pur, ou du sel meslé auec quelque autre cors fort sec et fort fixe, comme de la brique, qui ne sert qu’a l’empescher de se fondre : il est euident que ses parties sont les mesmes qui ont auparauant composé le sel, mais qu’elles n’ont pû monter par l’alembic, et ainsy de fixes deuenir volatiles, sinon apprés qu’en se chocquant les vnes contre les autres, à force d’estre agitées par le feu, de roides et inflexibles comme elles estoient, elles sont deuenuës faciles à plier ; et par mesme moyen de rondes en forme de cylindres, elles sont deuenuës plates et tranchantes, ainsy que des feuilles Maire, p. 189
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de flambe ou de glayeul. car sans cella elles n’auroient pû se plier. Et en suite il est aysé à iuger la cause du goust qu’elles ont fort different de celuy du sel. car se couchant de long sur la langue, et leurs trenchans s’appuiant contre les extremités de ses nerfs, et coulant dessus en les couppant, elles les doiuent bien agiter d’vne autre sorte qu’elles ne faisoient auparauant, et par consequent causer vn autre goust, à sçauoir, celuy qu’on nomme le goust aygre. On pourroit ainsy rendre raison de toutes les autres proprietés de cete eau, mais la chose iroit à l’infini, et il sera mieux que retournant à la consideration des vapeurs, nous commencions à examiner comment elles se meuuent dans l’air, et comment elles y causent les vens.