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DE LA NEIGE, DE LA PLVIE, ET DE LA GRESLE.
Discours Sixiéme.

Il y a plusieurs choses qui empeschent communement que les nuës ne descendent incontinent aprés estre formees. Car premierement les parcelles de glace ou les gouttes d’eau dont elles sont composées, estant fort petites, et par consequent ayant beaucoup de superficie à raison de la quantite de leur matiere, la resistence de l’air qu’elles auroient à diuiser si elles descendoient, peut aysement auoir plus de force pour les en empescher que n’en à leur pesanteur pour les y contraindre. Puis les vens, qui sont d’ordinaire plus fors contre la terre où leur cors est plus grossier qu’au haut de l’air où il est plus subtil, et qui pour cete cause agissent plus de bas en haut que de haut en AT VI, 292 bas, peuuent non seulement les soustenir, mais souuent aussy les faire monter au dessus de la region de l’air où elles se trouuent. Et le mesme peuuent encore les vapeurs qui sortant de la terre, ou venant de quelque autre costé, font enfler l’air qui est sous elles ; ou aussy la seule chaleur de cet air qui en le dilatant les repousse ; ou la froideur de celuy qui est au dessus qui en le reserrant les attire ; ou choses semblables. Et particulierement les parcelles de glace, estant poussées les vnes contre les autres par les vens, s’entretouchent sans s’vnir pour cela tout à fait, et composent vn cors si rare, si léger Maire, p. 217
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et si estendu, que s’il n’y suruient de la chaleur qui fonde quelques vnes de ses parties et par ce moyen le condense et l’appesantisse, il ne peut presque iamais descendre iusqu’a terre. Mais comme il a esté dit cy dessus, que l’eau est en quelque façon dilatée par le froid lorsqu’elle se gele, ainsi faut il icy remarquer, que la chaleur, qui a coustume de rarefier les autres cors, condense ordinairement celuy des nues. Et cecy est aysé à experimenter en la neige qui est de la mesme matiere dont elles sont, excepté qu’elle est desia plus condensée. car on voit, qu’estant mise en lieu chaud, elle se reserre et diminue beaucoup de grosseur, auant qu’il en sorte aucune eau, ny qu’elle diminue de poids. Ce qui arriue d’autant, que les extremités des parcelles de glace, dont elle est composée, estant plus deliées que le reste, se fondent plutost, et en se fondant, c’est à dire, en se pliant et deuenant comme viues et remuantes, à cause de l’agitation de la matiere subtile qui les enuironne, elles se vont glisser AT VI, 293 et attacher contre les parcelles de glace voysines, sans pour cela se detacher de celles à qui elles sont desia iointes, et ainsi les font approcher les vnes des autres. Mais pource que les parcelles, qui cõposent les nuës, sont ordinairement plus loin à loin que celles qui composent la neige qui est sur terre, elles ne peuuent ainsi s’approcher de quelques vnes de leurs voysines sans s’esloigner par mesme moyen de quelques autres. Ce qui fait, qu’ayant esté auparauent esgalement esparses par l’air, elles se diuisent aprés en plusieurs petits tas ou floccons, qui deuienent d’autant plus gros, que les parties de la nuë ont esté plus serrées, et que la chaleur est plus lente. Et mesme lors Maire, p. 218
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que quelque vent, ou quelque dilatation de tout l’air qui est au dessus de la nuë ou autre telle cause fait que les plus hauts de ces floccons descendent les premiers, ils s’attachent à ceux de dessous qu’ils rencontrent en leur chemin, et ainsi les rendent plus gros. Aprés quoy la chaleur, en les condensant et les appesantissant de plus en plus, peut aysement les faire descendre iusque à terre. Et lors qu’ils y descendent ainsi sans estre fondus tout à fait, ils composent de la neige ; mais si l’air, par où ils passent, est si chaud qu’il les fonde, ainsi qu’il est tousiours pendant l’esté, et fort souuent aussy aux aurtres saisons en nostre climat, ils se conuertissent en pluie. Et il arriue aussy quelquefois, qu’aprés estre ainsi fondus ou presque fondus, il suruient quelque vent froid qui les gelant derechef en fait de la gresle.

Or cete gresle peut estre de plusieurs sortes. Car premieremẽt si le vent froit qui la cause rencõtre AT VI, 294 des gouttes d’eau desia formées, il en fait des grains de glace tous transparens et tous ronds, excepté qu’il les rend quelquefois vn peu plats du costé qu’il les pousse. Et s’il rencontre des floccons de neige presque fondus, mais qui ne soient point encore arondis en gouttes d’eau, alors il en fait cete gresle cornuë, et de diuerses figures irregulieres, dont quelquefois les grains se trouuent fort gros, à cause qu’ils sont formés par vn vent froid, qui chassant la nuë de haut en bas, pousse plusieurs de ses floccons l’vn contre l’autre, et les gele tous en vne masse. Et il est icy à remarquer, que lorsque ce vent approche de ces floccons qui se fondent, il fait que la chaleur de l’air qui les enuironne, c’est à dire, la matiere subtile la plus agitée Maire, p. 219
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et la moins subtile qui soit en cet air, se retire dans leurs pores, à cause qu’il ne les peut pas du tout si tost penetrer. En mesme façon que sur terre quelquefois, lorsqu’il arriue tanout à coup vn vent ou vne pluie qui rafroidist l’air de dehors, il entre plus de chaleur qu’auparauant dans les maisons. Et la chaleur, qui est dans les pores de ces floccons, se tient plutost vers leurs superficies que vers leurs centres, d’autant que la matiere subtile, qui la cause, y peut mieux continuer ses mouuemens ; et là elle les fond de plus en plus vn peu deuant qu’ils commencent derechef à se geler : et mesme les plus liquides, c’est à dire, les plus agitées de leurs parties qui se trouuent ailleurs, tendent aussy vers là ; au lieu que celles, qui n’ont pas loysir de se fondre, demeurent au centre. d’où vient que le dehors de chasque grain de cete gresle, estant ordinairement composé d’vne glace continuë et transparente, AT VI, 295 il y a dans le milieu vn peu de neige, ainsi que vous pourrés voir en les cassant. Et pourcequ’elle ne tombe quasi iamais qu’en esté, cecy vous assurera, que les nuës peuuent estre pour lors composées de parcelles de glace aussy bien que l’hyuer. Mais la raison qui empesche qu’il ne peut gueres tomber en hyuer de telle gresle, au moins dont les grains soient vn peu gros, est qu’il n’arriue gueres assés de chaleur iusques aux nues pour cet effect, sinon lorsqu’elles sont si basses, que leur matiere estant fondue, ou presque fondue, n’auroit pas le tems de se geler derechef, auant que d’estre descendue iusques à terre. Que si la neige n’est point encore si fondue, mais seulement vn peu reschauffée et ramollie, lorsque le vent froid, qui la conuertist en gresle, suruient, Maire, p. 220
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elle ne se rend point du tout transparente, mais demeure blanche comme du sucre. Et si les floccons de cete neige sont assés petis, comme de la grosseur d’vn pois ou au dessous, chascun se conuertist en vn grain de gresle qui est assés rond. Mais s’ils sont plus gros, ils se fendent et se diuisent en plusieurs grains tous pointus en forme de pyramides. Car la chaleur, qui se retire dans les pores de ces floccons au moment qu’vn vent froid commence à les enuironner, condense et reserre toutes leurs parties, en tirant de leurs circonferences vers leurs centres, ce qui les fait deuenir assés ronds ; et le froid, les penetrant aussy tost aprés, et les gelant, les rend beaucoup plus durs que n’est la neige. Et pource que lorsqu’ils sont vn peu gros, la chaleur qu’ils ont au dedans continue encore de faire que leurs parties interieures se reserrent et se condensent, en tirant tousiours vers le AT VI, 296 centre, aprés que les exterieures sont tellemẽt durcies et engelées par le froid qu’elles ne les peuuent suiure ; il est necessaire qu’ils se fendent en dedans, suiuant des plans ou lignes droites qui tendent vers le centre, et que leurs fentes s’augmentant de plus en plus à mesure que le froid penetre plus auant, enfin ils s’esclatent et se diuisent en plusieurs pieces pointues, qui sont autant de grains de gresle. Ie ne determine point en combien de tels grains chascun se peut diuiser, mais il me semble que pour l’ordinaire ce doit estre en 8 pour le moins, et qu’ils se peuuent aussy peut estre diuiser en douze ou 20 ou 24, mais encore mieux en trente deux, ou mesme en beaucoup plus grand nombre, selon qu’ils sont plus gros, et d’vne neige plus subtile, et que le froid, qui les conuertist en gresle, Maire, p. 221
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est plus aspre et vient plus à coup. Et i’ay obserué plus d’vne fois de telle gresle, dont les grains auoient à peu prés la figure des segmens d’vne boule diuisée en huit parties esgales par trois sections qui s’entrecouppent au centre à angles droits. Puis i’en ay aussy obserué d’autres, qui estans plus longs et plus petis, sembloient estre enuiron le quart de ceux là, bien que leurs querres, s’estant émoussées et arondies en se reserrant, ils eussent quasi la figure d’vn pain de sucre. Et i’ay obserué aussy, que deuant ou aprés, ou mesme parmi ces grains de gresle, il en tomboit communement quelques autres qui estoient rons.

Mais les diuerses figures de cete gresle n’ont encore rien de curieux ny de remarquable, à comparaison de celles de la neige qui se fait de ces petis nœuds ou pelotons de glace arrengés par le vent en forme de AT VI, 297 feuilles, en la façon que i’ay tantost descrite. Car lorsque la chaleur commence à fondre les petis poils de ces feuilles, elle abat premierement ceux du dessus et du dessous, à cause que ce sont les plus exposés à son action, et fait que le peu de liqueur qui en sort, se respand sur leurs superficies, où il remplist aussy tost les petites inesgalités qui s’y trouuent, et ainsi les rend aussy plates et polies que sont celles des cors liquides. nonobstant qu’il s’y regele tout aussy tost, à cause que si la chaleur n’est point plus grande qu’il est besoin pour faire que ces petis poils, estant enuironnés d’air tout autour, se degelent, sans qu’il se fonde rien d’auantage ; elle ne l’est pas assés pour empescher que leur matiere ne se regele, quand elle est sur ces superficies qui sont de glace. Aprés cela cete chaleur Maire, p. 222
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ramolissant et fleschissant aussy les petits poils qui restent autour de chasque nœud dans le circuit où il est enuironné de six autres semblables à luy, elle fait que ceux de ces poils, qui sont les plus esloignés des six nœuds voysins, se plians indifferemment ça et là, se vont tous ioindre à ceux qui sont vis à vis de ces six nœuds ; car ceuxcy estans rafroidis par la proximité de ces neuds, ne peuuent se fondre, mais tout au contraire font geler derechef la matiere des autres, sitost qu’elle est meslée parmi la leur. Au moyen de quoy il se forme six pointes ou rayons autour de chasque nœud, qui peuuent auoir diverses figures selon que les nœuds sont plus ou moins gros et pressés, et leurs poils plus ou moins forts et longs, et la chaleur qui les assemble plus ou moins lente et moderée, et selon aussy que le vent qui accompaigne cete chaleur, si au AT VI, 298 moins elle est accompaignée de quelque vent, est plus ou moins fort. Et ainsi la face exterieure de la nuë, qui estoit auparauant telle qu’on voit vers Z Maire, p. 223
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ou vers M, deuient par aprés telle qu’on voit vers O ou vers Q, et chascune des parcelles de glace, dont elle est composée, à la figure d’vne petite rose ou estoile fort bien taillée.

Mais affin que vous ne pensiés pas que ie n’en parle que par opinion, ie vous veux faire icy le rapport d’vne obseruation que i’en ay faite l’hyuer passé 1635. Le quatriesme de Feurier, l’air ayant esté auparauant extremement froid, il tomba le soir à Amsterdam, où i’estois pour lors, vn peu de verglas, c’est à dire, de pluie qui se geloit en arriuant contre la terre, et apres il suiuit vne gresle fort menue, dont ie iugay que les grains qui n’estoient qu’a peu pres de la grosseur qu’ils sont representés vers H, estoient des gouttes de la mesme pluie qui s’estoient gelées au haut de l’air. Toutefois au lieu d’estre exactement rons comme sans doute ces gouttes auoient esté, ils auoient vn costé notablement plus plat que l’autre, en sorte qu’ils AT VI, 299 ressembloient presque en figure la partie de nostre œil qu’on nomme l’humeur cristaline. D’où ie connu que le vent, qui estoit lors tres grand et tres froid, auoit eu la force de changer ainsi la figure des gouttes en les gelant. Mais ce qui m’estonna le plus de tout, fut qu’entre ceux de ces grains, qui tomberent les derniers, i’en remarquay quelques vns qui auoient autour de soy six petites dens, semblables à celles des rouës des horologes, ainsi que vous voyés vers I. Et ces dens estant fort blanches, comme du sucre, au lieu que les grains, qui estoient de glace transparente, sembloient presque noirs, elles paroissoient manifestement estre faites d’vne neige fort subtile qui s’estoit attachée autour Maire, p. 224
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d’eux depuis qu’ils estoient formés, ainsi que s’attache la gelée blanche autour des plantes. Et ie connu cecy d’autant plus clairement de ce que tout à la fin i’en rencontray vn ou deux qui auoient autour de soy plusieurs petits poils sans nombre, composés d’vne neige plus pale et plus subtile que celle des petites dens qui estoient autour des autres, en sorte qu’elle luy pouuoit estre comparée en mesme façon que la cendre non foulée, dont se couurent les charbons en se consumant, à celle qui est recuite et entassée dans le fuier. Seulement auois-je de la peine à imaginer qui pouuoit auoir formé et compassé si iustement ces six dens autour de chasque grain dans le milieu d’vn air libre et pendant l’agitation d’vn fort grand vent, iusques à ce qu’enfin ie consideray, que ce vent auoit pû facilement emporter quelques vns de ces grains au dessous ou au delà de quelque nuë, et AT VI, 300 les y soustenir, à cause qu’ils estoient assés petits ; et que là ils auoient deu s’arrenger en telle sorte, que chascun d’eux Maire, p. 225
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fust enuironné de six autres situés en vn mesme plan, suiuant l’ordre ordinaire de la nature. Et de plus qu’il estoit bien vray semblable, que la chaleur, qui auoit deu estre vn peu auparauant au haut de l’air, pour causer la pluie que i’auois obseruée ; y auoit aussy esmeu quelques vapeurs que ce mesme vent auoit chassées contre ces grains, où elles s’estoient gelées en forme de petits poils fort deliés, et auoient mesme peut estre aydé à les soustenir : en sorte qu’ils auoient pû facilement demeurer là suspendus, iusques à ce qu’il fust derechef suruenu quelque chaleur. Et que cete chaleur fondant d’abbord tous les poils, qui estoient autour de chasque grain ; excepté ceux qui s’estoient trouués vis à vis du milieu de quelqu’vn des six autres grains qui l’enuironnoient, à cause que leur froideur auoit empesché son action ; la matiere de ces poils fondus s’estoit meslée aussy tost, parmi les six tas de ceux qui estoient demeurés, et les ayant par ce moyen fortifiés et rendus d’autant moins penetrables à la chaleur, elle s’estoit gelée parmi eux, et ils auoient ainsi composé ces six dens. Au lieu que les poils sans nombre que i’auois vû autour de quelques vns des derniers grains qui estoient tombés, n’auoient point du tout esté attains par cete chaleur. Le lendemain matin sur les huit heures i’obseruay encore vne autre sorte de gresle, ou plutost de neige, dont ie n’auois iamais ouy parler. C’estoient de petites lames de glace toutes plates, fort polies, fort transparentes, enuiron de l’espaisseur d’vne feuille d’assés gros papier, et de la grandeur AT VI, 301 qu’elles se voyent vers K, mais si parfaitement taillées en hexagones, et dont les six costés estoient si droits, et les six angles Maire, p. 226
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si esgaux, qu’il est impossible aux hommes de rien faire de si exact. Ie vis bien incontinent que ces lames auoient deu estre premierement de petits pelotons de glace, arrengés comme i’ay tantost dit, et pressés par vn vent tres fort, accompagné d’assés de chaleur, en sorte que cete chaleur auoit fondu tous leurs poils, et auoit tellement rempli tous leurs pores de l’humidité qui en estoit sortie, que de blancs, qu’ils auoient esté auparauant, ils estoient deuenus transparens ; et que ce vent les auoit à mesme tems si fort pressés les vns contre les autres, qu’il n’estoit demeuré aucun espace entre deux, et qu’il auoit aussy applani leurs superficies en passant par dessus et par dessous, et ainsi leur auoit iustement donné la figure de ces lames. Seulement restoit il vn peu de difficulté, en ce que ces pelotons de glace ayant esté ainsi demi fondus, et à mesme tems pressés l’vn contre l’autre, ils ne s’estoient point collés ensemble pour cela, mais estoient demeurés tous separés. Car quoy que i’y prisse garde expressement, ie n’en pû iamais rencontrer deux qui tinsent l’vn à l’autre. Mais ie me satisfis bientost là dessus, en considerant de quelle façon le vent agite tousiours, et fait plier successiuement toutes les parties de la superficie de l’eau, en coulant par dessus, sans la rendre pour cela rude ou inesgale. Car ie connu de là qu’infalliblement il fait plier et ondoyer en mesme sorte les superficies des nuës, et qu’y remuant continuellement chasque parcelle de glace, vn peu autrement que ses voysines, il ne leur AT VI, 302 permet pas de se coller ensemble tout à fait, encore qu’il ne les desarrenge point pour cela, et qu’il ne laisse pas cependant d’applanir et de polir leurs Maire, p. 227
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petites superficies : en mesme façon que nous voyons quelquefois qu’il polist celle des ondes, qu’il fait en la poussiere d’vne campaigne. Aprés cete nuë il en vint vne autre, qui ne produisoit que de petites rozes ou rouës, à six dens arondies en demis cercles, telles qu’on les voit vers Q, et qui estoient toutes transparentes, et toutes plates, à peu prés de mesme espaisseur que les lames qui auoient precedé, et les mieux taillées et compassées, qu’il soit possible d’imaginer. Mesme i’apperceu au milieu de quelques vnes vn point blanc fort petit, qu’on eust pu dire estre la marque du pied du compas dont on s’estoit serui pour les arondir. Mais il me fut aysé de iuger, qu’elles s’estoient formées de la mesme façon que ces lames, excepté que le vent les ayant beaucoup moins pressées, et la chaleur ayant peut estre aussy esté vn peu moindre, leurs pointes ne s’estoient pas fonduës tout à fait, mais seulement vn peu racourcies, et arondies par le bout AT VI, 303 en forme de dens. Et pour le point blanc qui paroissoit Maire, p. 228
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au milieu de quelques vnes, ie ne doutois point qu’il ne procedast de ce que la chaleur, qui de blanches les auoit rendues transparentes, auoit esté si mediocre, qu’elle n’auoit pas du tout penetré iusques à leur centre. Il suiuit aprés plusieurs autres telles rouës, iointes deux à deux par vn aissieu, ou plutost, à cause que du commencement ces aissieux estoient fort gros, on eust pû dire que c’estoient autant de petites colomnes de cristal, dont chasque bout estoit orné d’vne rose à six feuilles vn peu plus large que leur baze. Mais il en tomba par aprés de plus deliés, et souuent les roses ou estoiles qui estoient à leurs extremités estoient inesgales. Puis il en tomba aussy de plus cours, et encore de plus cours par degrés, iusques à ce qu’enfin ces estoiles se ioignirent tout à fait, et il en tomba de doubles à douze pointes ou rayons assés longs et parfaitement bien compassés, aux vnes tous esgaux, et aux autres alternatiuement inesgaux, comme on les voit vers F et vers E. Et tout cecy me donna occasion de considerer, que les parcelles de glace, qui sont de deux diuers plans ou feuilles posées l’vne sur l’autre dans les nuës, se peuuent attacher ensemble plus aysement, que celles d’vne mesme feuille. car bien que le vent, agissant d’ordinaire plus fort contre les plus basses de ces feuilles que contre les plus hautes, les face mouuoir vn peu plus viste, ainsi qu’il a esté tantost remarqué : neanmoins il peut aussy quelquefois agir contre elles d’esgale force, et les faire ondoyer de mesme façon : principalement lorsqu’il n’y en a que deux ou trois l’vne sur l’autre, et lors se AT VI, 304 criblant par les enuirons des pelotons qui les composent, il fait que ceux de ces pelotons, Maire, p. 229
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qui se correspondent en diuerses feuilles, se tienent tousiours comme immobiles vis à vis les vns des autres, nonobstant l’agitation et ondoyement de ces feuilles, à cause que par ce moyen le passage luy est plus aysé. Et cependant la chaleur, n’estant pas moins empeschée par la proximité des pelotons de deux diverses feuilles, de fondre ceux de leurs poils qui se regardent, que par la proximité de ceux d’vne mesme, ne fond que les autres poils d’alentour, qui se meslans aussytost parmi ceux qui demeurent, et sy’ regelant, composent les aissieux ou colomnes qui ioignent ces petits pelotons, au mesme tems qu’ils se changent en rozes ou en estoiles. Et ie ne m’estonnay point de la grosseur, que i’auois remarquée au commencement en ces colomnes, encore que ie connusse bien que la matiere des petits poils, qui auoient esté autour de deux pelotons, n’auoit pû suffire pour les composer : car ie pensay qu’il y auoit eu peut estre quatre ou cinq feuilles l’vne sur l’autre, et que la chaleur ayant agi plus fort contre les deux ou trois du milieu, que contre la premiere et la derniere, à cause qu’elles estoient moins exposées au vent, auoit presque entierement fondu les pelotons qui les composoient, et en auoit formé ces colomnes. Ie ne m’estonnay point non plus, de voir souuent deux estoiles d’inesgale grandeur iointes ensemble, car prenant garde, que les rayons de la plus grande estoient tousiours plus longs et plus pointus que ceux de l’autre, ie iugeois que la cause en estoit, que la chaleur ayant esté plus forte autour AT VI, 305 de la plus petite que de l’autre, auoit d’auantage fondu et émoussé les pointes de ces rayons : ou bien que cete plus petite pouuoit aussy auoir Maire, p. 230
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esté composée d’vn peloton de glace plus petit. Enfin ie ne m’estonnay point de ces estoiles doubles à douze rayons, qui tomberent aprés, car ie iugay que chascune auoit esté composée de deux simples à six rayons, par la chaleur qui estant plus forte entre les deux feuilles où elles estoient qu’au dehors, auoit entierement fondu les petits filets de glace qui les conioignoient, et ainsy les auoit collées ensemble. Comme aussy elle auoit accourcy ceux qui conioignoient les autres, que i’auois vû tomber immediatement auparauant. Or entre plusieurs miliers de ces petites estoiles que ie consideray ce iour là, quoy que i’y prisse garde expressemẽt, ie n’en pû iamais remarquer aucune qui eust plus ou moins de six rayons, excepté vn fort petit nombre de ces doubles qui en auoient douze, et quatre ou cinq autres qui en auoient huit. Et celles cy n’estoient pas exactement rondes, ainsy que toutes les autres, mais vn peu en ouale, et entierement telles qu’on les peut voir vers O. d’où ie iugay qu’elles s’estoient formées en la conionction des extremités de deux feuilles, que le vent auoit poussées l’vne contre l’autre au mesme tems que la chaleur conuertissoit leurs petits pelotons en estoiles. car elles auoient exactement la figure que cela doit causer. Et cete conionction, se faisant suiuant vne ligne toute droite, ne peut estre tant empeschée par l’ondoyement que causent les vens, que celle des parcelles d’vne mesme feuille : outre que la chaleur peut aussy estre plus grande entre les bords de AT VI, 306 ces feuilles, quand elles s’approchent l’vne de l’autre, qu’aux autres lieux, et cete chaleur ayant à demi fondu les parcelles de glace qui y sont, le froid qui luy succede au moment Maire, p. 231
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qu’elles commencent à se toucher les peut aysement coller ensemble. Au reste outre les estoiles dont i’ay parlé iusques icy qui estoient transparentes, il en tomba vne infinité d’autres ce iour là qui estoient toutes blanches comme du sucre, et dont quelques vnes auoient à peu prés mesme figure que les transparentes, mais la plus part auoient leurs rayons plus pointus, et plus deliés, et souuent diuisés, tantost en trois branches, dont les deux des costés estoient repliées en dehors de part, et d’autre et celle du milieu demeuroit droite, en sorte qu’elles representoient vne fleur de lis, comme on peut voir vers R ; et tantost en plusieurs, qui representoient des plumes, ou des feuilles de fougere, ou choses semblables. Et il tomboit aussy parmi ces estoiles plusieurs autres parcelles de glace en forme de filets, et sans autre figure determinée. Dont toutes les causes sont aysées à entendre. car pour la blancheur de ces estoiles, elle ne procedoit que de ce que la chaleur n’auoit point penetré iusques au fõds de leur matiere, ainsi qu’il estoit manifeste de ce que toutes celles qui estoiẽt fort minces estoiẽt transparentes. Et si quelque fois les rayons des blanches n’estoient pas moins cours et mousses que ceux des transparentes, ce n’estoit pas qu’ils se fussent autant fondus à la chaleur, mais qu’ils auoient esté d’auantage pressés par les vens : et communement ils estoient plus longs et pointus, à cause qu’ils s’estoient moins fondus ; Et lorsque ces AT VI, 307 royons estoient diuisés en plusieurs branches, c’estoit que la chaleur auoit abandonné les petits poils qui les composoient, sitost qu’ils auoient commencé à s’approcher les vns des autres pour s’assembler ; Et lors qu’ils Maire, p. 232
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estoient seulement diuisés en trois branches, c’estoit qu’elle les auoit abandonnés vn peu plus tard ; Et les deux branches des costés se replioient de part et d’autre en dehors lorsque cete chaleur se retiroit, à cause que la proximité de la branche du milieu les rendoit incontinent plus froides, et moins flexibles de son costé, ce qui formoit chasque rayon en fleur de lis. Et les parcelles de glace qui n’auoient aucune figure determinée, m’assuroient que toutes les nuës n’estoiẽt pas composées de petits nœus ou pelotons, mais qu’il y en auoit aussy qui n’estoient faites que de filets confusement entremeslés. Pour la cause qui faisoit descendre ces estoiles, la violence du vent qui continua tout ce iour là me la rendoit fort manifeste, car ie iugeois qu’il pouuoit aysement les desarrenger et rompre les feuilles qu’elles composoient, aprés les auoir faites ; et que sitost qu’elles estoient ainsy desarrengées, penchant quelquun de leurs costés vers la terre, elles pouuoient facilement fendre l’air, à cause qu’elles estoient toutes plates, et se trouuoient assés pesantes pour descendre. Mais s’il tombe quelquefois de ces estoiles en tems calme, c’est que l’air de dessous en se reserrant attire à soy toute la nuë, ou que celuy de dessus en se dilatant la pousse en bas, et par mesme moyen les desarrenge. d’où vient que pour lors elles ont coustume d’estre suiuies de plus de neige. ce qui n’arriua point ce iour là. Le matin suiuant il AT VI, 308 tomba des floccons de neige, qui sembloient estre composés d’vn nombre infini de fort petites estoiles iointes ensemble : toutefois en y regardant de plus prés ie trouuay que celles du dedans n’estoient pas si regulierement formées que celles du dessus, Maire, p. 233
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et qu’elles pouuoient aysement proceder de la dissolution d’vne nuë semblable à celle qui a esté cy dessus marquée G. Voyés en la figure de la page 214.Puis cete neige ayant cessé, vn vent subit en forme d’orage fit tomber vn peu de gresle blanche, fort longue, et menuë, dont chasque grain auoit la figure d’vn pain de sucre. Et l’air deuenant clair et serein tout aussy tost, ie iugay que cete gresle s’estoit formée de la plus haute partie des nuës, dont la neige estoit fort subtile, et composée de filets fort deliés, en la façon que i’ay tantost descrite. Enfin à trois iours delà, voyant tomber de la neige toute composée de petits nœuds ou pelotons enuironnés d’vn grand nombre de poils entremeslés et qui n’auoient aucune forme d’estoiles, ie me confirmay en la creance de tout ce que i’auois imaginé touchant cete matiere.

Pour les nuës qui ne sont composées que de gouttes d’eau, il est aysé à entendre de ce que iay dit comment elles descendent en pluie : à sçauoir, ou par leur propre pesanteur, lorsque leurs gouttes se trouuent assés grosses ; ou parce que l’air qui est dessous en se retirant, ou celuy qui est dessus en les pressant, leur donnent occasion de s’abaisser ; ou parce que plusieurs de ces causes concourent ensemble. Et c’est quand l’air du dessous se retire, que se fait la pluie la plus menuë qui puisse estre, car mesme elle est alors quelquefois si AT VI, 309 menuë, qu’on ne dit pas que ce soit de la pluie, mais plutost vn brouillar qui descend ; comme au contraire elle se fait fort grosse, quand la nuë ne s’abaisse qu’à cause qu’elle est pressée par l’air du dessus, car les plus hautes de ses gouttes descendant les premieres, en rencontrent d’autres qui les Maire, p. 234
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grossissent. Et de plus iay vû quelquefois en esté, pendant vn tems calme accompagné d’vne chaleur pesante et estoufante, qu’il commencoit à tomber de telle pluie, auant mesme qu’il eust paru aucune nuë. dont la cause estoit qu’y ayant en l’air beaucoup de vapeurs, qui sans doute estoient pressées par les vens des autres lieux, ainsi que le calme et la pesanteur de l’air le tesmoignoient, les gouttes en quoy ces vapeurs se conuertissoient deuenoient fort grosses en tombant, et tomboient à mesure qu’elles se formoient.

Pour les brouillars, lorsque la terre en se refroidissant, et l’air qui est dans ses pores se reserrant, leur donne moyen de s’abaisser, ils se conuertissent en rozée s’ils sont composés de gouttes d’eau, et en bruine ou gelée blanche s’ils sont composés de vapeurs desia gelées, ou plutost qui se gelent à mesure qu’elles touchent la terre. Et cecy arriue principalement la nuit ou le matin, à cause que c’est le tems que la terre en s’esloignant du soleil se refroidist. Mais le vent abat aussy fort souuent les brouillas, en suruenant aux lieux où ils sont : et mesme il peut transporter leur matiere, et en faire de la rozée ou de la gelée blanche, en ceux où ils n’ont point esté aperceus : et on voit alors que cete gelée ne s’attache aux plantes, que sur les costés que le vent touche.

AT VI, 310 Pour le serein, qui ne tombe iamais que le soir, et ne se connoist que par les reumes et les maux de teste qu’il cause en quelques contrées, il ne consiste qu’en certaines exhalaisons subtiles et penetrantes, qui estant plus fixes que les vapeurs, ne s’esleuẽt qu’aux païs assés chauds et aux beaux iours, et qui retombent tout aussy tost que Maire, p. 235
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la chaleur du soleil les abandonne. d’où vient qu’il a diuerses qualités en diuers païs, et qu’il est mesme inconnu en plusieurs, selon les differences des terres d’ou sortent ces exhalaisons. Et ie ne dis pas qu’il ne soit souuent accompagné de la rozée, qui commence à tomber des le soir, mais bien que ce n’est nullement elle qui cause les maux dont on l’accuse. Ce sont aussy des exhalaisons qui composent la manne, et les autres tels sucs, qui descendent de l’air pendant la nuit ; car pour les vapeurs, elles ne sçauroient se changer en autre chose qu’en eau ou en glace. Et ces sucs non seulement sont diuers en diuers païs, mais aussy quelques vns ne s’attachent qu’a certains cors, à cause que leurs parties sont sans doute de telle figure, qu’elles n’ont pas assés de prise contre les autres pour s’y arester.

Que si la rozée ne tombe point, et qu’on voye au matin les brouillas s’esleuer en haut, et laisser la terre toute essuiée, c’est signe de pluie. car cela n’arriue gueres que lorsque la terre, ne s’estant point assés refroidie la nuit, ou estant extrordinairement eschauffée le matin, produist quantité de vapeurs, qui repoussant ces brouillas vers le ciel font que leurs gouttes en se rencontrant se grossissent, et se disposent à tomber en pluie bientost aprés. C’est aussy vn signe AT VI, 311 de pluie de voir que notre air estant fort chargé de nuës, le soleil ne laisse pas de paroistre assés clair dés le matin. car c’est à dire qu’il n’y a point d’autres nuës en l’air voysin du nostre vers l’Orient, qui empeschent, que la chaleur du soleil ne condense celles qui sont au dessus de nous, et mesme aussy qu’elle n’esleue de nouuelles vapeurs de nostre Maire, p. 236
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terre qui les augmente. Mais cete cause n’ayant lieu que le matin, s’il ne pleut point auant midy, elle ne peut rien faire iuger de ce qui arriuera vers le soir. Ie ne diray rien de plusieurs autres signes de pluie qu’on obserue, à cause qu’ils sont pour la plus part fort incertains. Et si vous considerés que la mesme chaleur qui est ordinairement requise pour condenser les nuës et en tirer de la pluie, les peut aussy tout au contraire dilater et changer en vapeurs, qui quelquefois se perdent en l’air insensiblement, et quelquefois y causent des vens, selon que les parties de ces nuës se trouuent vn peu plus pressées, ou escartées, et que cete chaleur est vn peu plus ou moins accompagnée d’humidité, et que l’air qui est aux enuirons se dilate plus ou moins, ou se condense ; vous connoistrés bien que toutes ces choses sont trop variables et incertaines, pour estre asseurement preveuës par les hommes.