AT VI, 312

DES TEMPESTES, DE LA
Foudre, et de tous les autres feux qui s’allument en l’air.
Discours Septiesme.

Au reste ce n’est pas seulement quand les nuës se dissoluent en vapeurs quellesqu’elles causent des vens, mais elles peuuent aussy quelquefois s’abaisser si à coup, qu’elles chassent auec grande violence tout l’air qui est sous Maire, p. 237
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elles, et en composent vn vent tres fort, mais peu durable, dont l’imitation se peut voir en estendant vn voile vn peu haut en l’air, puis de là le laissant descendre tout plat vers la terre. Les fortes pluies sont presque tousiours precedées par vn tel vent, qui agist manifestement de haut en bas, et dont la froideur monstre assés qu’il vient des nuës, où l’air est communement plus froid qu’autour de nous. Et c’est ce vent qui est cause que lorsque les hirondelles volent fort bas, elles nous auertissent de la pluie. car il fait descendre certains mouscherons dont elles viuent, qui ont coustume de prendre l’essort, et de s’esgayer au haut de l’air quand il fait beau. C’est luy aussy qui quelquefois, lors mesme que la nuë estant fort petite, ou ne s’abaissant que fort peu, il est si foible qu’on ne le sent quasi pas en l’air libre, s’entonnant dans les tuyanux des cheminées, fait iouer les cendres et les festus qui se trouuent au coin du feu, et y excite AT VI, 313 comme de petits tourbillons assés admirables pour ceux qui en ignorent la cause, et qui sont ordinairement suiuis de quelque pluie. Mais si la nuë qui descend est fort pesante et fort estenduë, (comme elle peut estre plus aysement sur les grandes mers qu’aux autres lieux, à cause que les vapeurs y estant fort esgalement dispersées, si tost qu’il s’y forme la moindre nuë en quelque endroit, elle s’estend incontinent en tous les autres circonvoysins) cela cause infalliblement vne tempeste ; laquelle est d’autant plus forte, que la nuë est plus grande et plus pesante ; et dure d’autant plus long tems, que la nue descend de plus haut. Et c’est ainsi que ie m’imagine que se font ces trauades, que les mariniers craignent tant Maire, p. 238
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en leurs grans voyasges, particulierement vn peu au dela du cap de bonne esperance, ou les vapeurs qui s’esleuent de la mer Ethiopique, qui est fort large et fort eschauffée par le soleil, peuuent aysement causer vn vent d’abas, qui arestant le cours naturel de celles qui vienent de la mer des Indes les assemble en vne nue, laquelle procedant de l’inesgalité qui est entre ces deux grandes mers et cete terre, doit deuenir incontinent beaucoup plus grande, que celles qui se forment en ces quartiers, où elles dépendent de plusieurs moindres inégalités, qui sont entre nos pleines, et nos lacs, et nos montaignes. Et pourcequ’il ne se voit quasi iamais d’autres nues en ces lieux là, si tost que les mariniers y en apperçoiuent quelqu’vne qui commence à se former, bienqu’elle paroisse quelquefois si petite que les Flamens l’ont comparée à l’œil d’vn beuf, duquel ils luy ont donné le nom, et que le AT VI, 314 reste de l’air semble fort calme et fort serein, ils se hastent d’abatre leurs voiles, et se preparent à receuoir vne tempeste, qui ne manque pas de suiure tout aussy tost. Et mesme ie iuge qu’elle doit estre d’autant plus grande, que cete nue a paru au commencement plus petite. car ne pouuant deuenir assés espaisse pour obscurcir l’air et estre visible, sans deuenir aussy assés grande, elle ne peut paroistre ainsi petite qu’à cause de son extreme distance ; et vous scaués que plus vn cors pesant descend de haut, plus sa cheute est impetueuse. Ainsi cete nue estant fort haute, et deuenant subitement fort grande et fort pesante, descend tout entiere, en chassant auec grande violence tout l’air qui est sous elle, et causant par ce moyen le vent d’vne tempeste. Mesme il est à remarquer que Maire, p. 239
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les vapeurs, meslées parmi cet air, sont dilatées par son agitation, et qu’il en sort aussy pour lors plusieurs autres de la mer, à cause de l’agitation de ses vagues, ce qui augmente beaucoup la force du vent, et retardant la descente de la nue, fait durer l’orage d’autant plus long tems. Puis aussy qu’il y a d’ordinaire des exhalaisons meslées parmi ces vapeurs, qui ne pouuant estre chassées si loin qu’elles par la nuë, à cause que leurs parties sont moins solides, et ont des figures plus irregulieres, en sont separées par l’agitation de l’air, en mesme façon que, comme il a esté dit cy dessus, en battant la creme on separe le beurre du petit lait ; et que par ce moyen elles s’assemblent par cy par la en diuers tas, qui flotans tousiours le plus haut qu’il se peut contre la nue, vienent enfin s’attacher aux chordes et aux mats des nauires, lorsqu’elle AT VI, 315 acheue de descendre. Et la estant embrasés par cete violente agitation, ils composent ces feux nommés de Saint Helme, qui consolent les matelots, et leur font esperer le beau tems. Il est vray que souuent ces tempestes sont en leur plus grande force vers la fin, et qu’il peut y auoir plusieurs nues l’vne sur l’autre, sous chascune desquelles il se trouue de tels feux ; ce qui a peut estre esté la cause pourquoy les anciens n’en voyant qu’vn, qu’ils nommoient l’astre d’Helene, ils l’estimoient de mauuais augure, comme s’ils eussent encore attendu alors le plus fort de la tempeste. Au lieu que lorsqu’ils en voyoient deux, qu’ils nommoient Castor et Pollux, ils les prenoient pour vn bon presage. car c’estoit ordinairement le plus qu’ils en vissent, excepté peut estre lorsque l’orage estoit extrordinairement grand qu’ils en voyoient trois, Maire, p. 240
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et les estimoient aussy à cause de cela de mauuais augure. Toutefois iay ouy dire à nos mariniers qu’ils en voyent quelquefois iusques au nombre de quatre ou de cinq, peut estre à cause que leurs vaisseaux sont plus grãs, et ont plus de mats que ceux des anciens, ou qu’ils voyasgent en des lieux où les exhalaisons sont plus frequentes. Car enfin ie ne puis rien dire que par coniecture de ce qui se fait dans les grandes mers que ie n’ay iamais veues, et dont ie n’ay que des relations fort imparfaites.

Mais pour les orages qui sont accompaignés de tonnerre, d’esclairs, de tourbillons, et de foudre, desquels iay pû voir quelques exemples sur terre, ie ne doute point qu’ils ne soient causés de ce qu’y ayant plusieurs nues l’vne sur l’autre, il arriue quelquefois AT VI, 316 que les plus hautes descendent fort à coup sur les plus basses. Comme si les deux nues A et B n’estant composées que de neige fort rare et fort estendue, il se trouue vn air plus chaud autour de la superieure A, qu’autour de l’inferieure B, il est euident que la chaleur de cet air la peut condenser et appesantir peu à peu, en telle sorte que les plus hautes de ses parties, commenceant les premieres à descendre, en abbatront ou entraisneront auec soy quantité d’autres, qui tomberont aussy tost toutes ensemble auec vn grand bruit sur l’inferieure. En mesme Maire, p. 241
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façon que ie me souuien d’auoir vû autrefois dans les Alpes, enuiron le mois de May, que les neiges estant eschauffées et appesanties par le soleil, la moindre esmotion d’air estoit suffisante pour en faire tomber subitement de gros tas, qu’on nommoit ce me semble des aualanches, et qui retentissant dans les valées imitoient assés bien le bruit du tonnerre. En suite de quoy on peut entendre pourquoy il tonne plus rarement en ces quartiers l’hyuer que l’esté. car il ne paruient pas alors si aysement assés de chaleur iusques aux plus hautes nues, pour les dissoudre. Et pourquoy, lorsque pendant les grandes chaleurs, aprés vn vent Septentrional qui dure fort peu, on sent derechef vne chaleur moite et estouffante, c’est signe qu’il suiura bientost du tonnerre. Car cela tesmoigne que ce vent septentrional, ayant passé contre la terre, en a chassé la chaleur vers AT VI, 317 l’endroit de l’air où se forment les plus hautes nues, et qu’en estant aprés chassé luy mesme, vers celuy où se forment les plus basses, par la dilatation de l’air inferieur que causent les vapeurs chaudes qu’il contient, non seulement les plus hautes en se condensant doiuent descendre, mais aussy les plus basses demeurant fort rares, et mesme estant comme sousleuées et repoussées par cete dilatation de l’air inferieur, leur doiuent resister en telle sorte, que souuent elles peuuent empescher qu’il n’en tombe aucune partie iusques à terre. Et notés que le bruit, qui se fait ainsi au dessus de nous, se doit mieux entendre, à cause de la resonnance de l’air, et estre plus grand à raison de la neige qui tombe, que n’est celuy des aualanches. Puis notés aussy que de cela seul, que les parties des nues superieures Maire, p. 242
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tombent toutes ensemble, ou l’vne aprés l’autre, ou plus viste, ou plus lentement ; et que les inferieures sont plus ou moins grandes, et espaisses, et resistent plus ou moins fort, tous les differens bruits du tonnerre peuuent aysement estre causés. Pour les differences des esclairs, des tourbillons, et de la foudre, elles ne dependent que de la nature des exhalaisons qui se trouuent en l’espace qui est entre deux nuës, et de la façon que la superieure tombe sur l’autre. Car s’il a precedé de grandes chaleurs et seicheresses, en sorte que cet espace contiene quantité d’exhalaisons fort subtiles, et fort disposées à s’enflamer, la nuë superieure ne peut quasi estre si petite, ny descendre si lentement, que chassant l’air qui est entre elle et l’inferieure, elle n’en face sortir vn esclair, c’est à dire, vne flame legere qui se dissipe à AT VI, 318 l’heure mesme. En sorte qu’on peut voir alors de tels esclairs sans ouir aucunement le bruit du tonnerre ; Et mesme aussy quelquefois sans que les nues soient assés espaisses pour estre visibles. Comme au contraire s’il n’y a point en l’air d’exhalaisons qui soient propres à s’enflamer, on peut ouïr le bruit du tonnerre sans qu’il paroisse pour cela aucun esclair. Et lorsque la plus haute nuë ne tombe que par pieces qui s’entresuiuent, elle ne cause gueres que des esclairs et du tonnerre ; mais lorsqu’elle tombe toute entiere et assés viste, elle peut causer auec cela des tourbillons et de la foudre. Car il faut remarquer, que ses extremités, comme C et D, se doiuent abaisser vn peu plus viste que le milieu, d’autant que l’air qui est dessous, ayant moins de chemin à faire pour en sortir, leur cede plus aysement, et ainsi que venant à toucher la nue inferieure, plutost que Maire, p. 243
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ne fait le milieu, il s’enferme beaucoup d’air entre deux, comme on voit icy vers E ; puis cet air estant pressé et chassé auec grande force par ce milieu de la nue superieure qui continue encore à descendre, il doit necessairement rompre l’inferieure pour en sortir, comme on voit vers F ; ou entrouurir quelqu’vne de ses extremités, comme on voit vers G. Et lorsqu’il a rompu ainsi cete nue il AT VI, 319 descend auec grande force vers la terre, puis delà remonte en tournoyant, à cause qu’il trouue de la resistence de tous costés, qui l’empesche de continuer son mouuement en ligne droite, aussy viste que son agitation le requert. Et ainsi il compose vn tourbillon ; qui peut n’estre point accompaigné de foudre ny d’esclairs, s’il n’y a point en cet air d’exhalaisons qui soient propres à s’enflamer ; Mais lorsqu’il y en a, elles s’assemblent toutes en vn tas, et estant chassées fort impetueusement auec cet air vers la terre, elles composent la foudre. Et cete foudre peut brusler les habits et razer le poil sans nuire au cors, si ces exhalaisons, qui ont ordinairement Maire, p. 244
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l’odeur du souffre, ne sont que grasses et huileuses, en sorte qu’elles composent vne flame legere qui ne s’attache qu’aux cors aysés à brusler. Comme au contraire elle peut rõpre les os sans endommager les chairs, ou fondre l’espée sans gaster le fourreau, si ces exhalaisons estant fort subtiles et penetrantes, ne participent que de la nature des sels volatiles ou des eaux fortes, au moyen de quoy ne faisant aucun effort contre les cors qui leur cedent, elles brisent et dissoluent tous ceux qui leur font beaucoup de resistence. Ainsi qu’on voit l’eau forte dissoudre les metaux les plus durs, et n’agir point contre la cire. Enfin la foudre se peut quelquefois conuertir en vne pierre fort dure, qui romp et fracasse tout ce qu’elle rencontre, si parmi ces exhalaisons fort penetrantes il y en a quantité de ces autres qui sont grasses et ensouffrées. principalement s’il y en a aussy de plus grossieres, semblables à cete terre qu’on trouue au fonds de l’eau de pluie lors qu’on la AT VI, 320 laisse rasseoir en quelque vaze. Ainsi qu’on peut voir par experience, qu’ayant meslé certaines portions de cete terre, de salpetre, et de souffre, si on met le feu en cete composition, il s’en forme subitement vne pierre. Que si la nuë s’ouure par le costé, comme vers G, la foudre estant eslancée de trauers, rencontre plutost les pointes des tours ou des rochers que les lieux bas, comme on voit vers H. Mais lors mesme que la nue se romp par le dessous, il y a raison pourquoy la foudre tombe plutost sur les lieux hauts et eminens que sur les autres. Car si par exemple la nue B n’est point d’ailleurs plus disposée à se rompre en vn endroit qu’en vn autre, il est certain qu’elle se deura rompre Maire, p. 245
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en celuy qui est marqué F, à cause de la resistence du clocher qui est au dessous. Il y a aussy raison pourquoy chasque coup de tonnerre est d’ordinaire suiui d’vne ondée de pluie, et pourquoy lorsque cete pluie vient fort abondante, il ne tonne gueres plus d’auantage. car si la force, dont la nue superieure esbransle l’inferieure en tombant dessus, est assés grande pour la faire toute descendre, il est euident que le tonnerre doit cesser ; et si elle est moindre, elle ne laisse pas d’en pouuoir souuent faire sortir plusieurs floccons de neige, qui se fondant en l’air font de la pluie. Enfin ce n’est pas sans raison qu’on tient que le grand bruit, comme des cloches, ou des canons, peut diminuer l’effect de la foudre. car il ayde à dissiper et faire tomber la nue inferieure, en esbranslant la neige dont elle est composée. Ainsi que sçauent assés ceux qui ont coustume de voyasger dans les valées où les aualanches sont à craindre. car ils s’abstienent mesme de AT VI, 321 parler et de tousser en y passant, de peur que le bruit de leur voix n’esmeuue la neige.

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Mais comme nous auons desia remarqué, qu’il esclaire quelquefois sans qu’il tonne, ainsi aux endroits de l’air où il se rencontre beaucoup d’exhalaisons et peu de vapeurs, il se peut former des nues si peu espaisses, et si legeres, que tombant d’assés haut l’vne sur l’autre elles ne font ouir aucun tonnerre, ny n’excitent en l’air aucun orage, nonobstant qu’elles enueloppent et ioignent ensemble plusieurs exhalaisons ; dont elles composent non seulement de ces moindres flames qu’on diroit estre des estoiles qui tombent du ciel, ou d’autres qui le trauersent, mais aussy des boules de feu assés grosses, et qui paruenant iusques à nous sont comme des diminutifs de la foudre. Mesme d’autant qu’il y a des exhalaisons de plusieurs diuerses natures, ie ne iuge pas qu’il soit impossible, que les nues, en les pressant, n’en composent quelquefois vne matiere, qui selon la couleur, et la consistence qu’elle aura, semble du lait, ou du sang, ou de la chair ; ou bien qui en se bruslant deuiene telle qu’on la prene pour du fer, ou des pierres ; ou enfin qui en se corrompant engendre quelques petits animaux en peu de tems. Ainsi qu’on list souuent entre les prodiges qu’il a plû du fer, ou du sang, ou des sauterelles, ou choses semblables. De plus sans qu’il y ait en l’air aucune nue, les exhalaisons peuuent estre entassées et embrasées par le seul souffle des vens, principalement lorsqu’il y en a deux ou plusieurs contraires qui se rencontrent. Et enfin sans vens et sans nues, par cela seul qu’vne exhalaison AT VI, 322 subtile et penetrante, qui tient de la nature des sels, s’insinue dans les pores d’vne autre, qui est grasse et ensouffrée, il se peut former des flames legeres tant au haut qu’au bas de l’air, Maire, p. 247
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comme on y voit au haut ces estoiles qui le trauersent ; et au bas tant ces ardans ou feux folets qui s’y iouent, que ces autres qui s’arestent à certains cors, comme aux cheueux des enfans, ou au crin des cheuaux, ou aux pointes des picques qu’on a frotées d’huile pour les nettoyer, ou à choses semblables. Car il est certain, que non seulement vne violente agitation, mais souuent aussy le seul meslange de deux diuers cors est suffisant pour les embraser. comme on voit en versant de l’eau sur de la chaux, ou renfermant du foin auant qu’il soit sec, ou en vne infinité d’autres exemples qui se rencontrent tous les iours en la Chymie. Mais tous ces feux ont fort peu de force à comparaison de la foudre. dont la raison est qu’ils ne sont composés que des plus molles et plus gluantes parties des huiles ; nonobstant que les plus viues et plus penetrantes des sels concourent ordinairement aussy à les produire. Car celles cy ne s’arestent pas pour cela parmi les autres, mais s’escartent promptement en l’air libre aprés qu’elles les ont embrasées. Au lieu que la foudre est principalement composée de ces plus viues et penetrantes, qui estant fort violemment pressées et chassées par les nuës, emportent les autres auec soy iusqu’à terre. Et ceux qui sçauent combien le feu du salpetre et du souffre meslés ensemble a de force et de vitesse, au lieu que la partie grasse du souffre estant séparée de ses esprits en auroit fort peu ; ne trouueront en cecy AT VI, 323 rien de douteux. Pour la durée des feux qui s’arestent ou voltigent autour de nous, elle peut estre plus ou moins longue, selon que leur flame est plus ou moins lente, et leur matiere plus ou moins espaisse et serrée : Maire, p. 248
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Mais pour celle des feux qui ne se voyent qu’au haut de l’air, elle ne sçauroit estre que fort courte, à cause que si leur matiere n’estoit fort rare, leur pesanteur les feroit descendre. Et ie trouue que les Philosophes ont eu raison, de les comparer à cete flame, qu’on voit courir tout du long de la fumée, qui sort d’vn flambeau qu’on vient d’esteindre, lorsqu’estant approchée d’vn autre flambeau elle s’allume. Mais ie m’estonne fort, qu’aprés cela ils ayent pû s’imaginer, que les Cometes, et les colomnes ou cheurons de feu, qu’on voit quelquefois dans dle ciel, fussent composées d’exhalaisons, car elles durent incomparablement plus long tems.

Et pource que iay tasché d’expliquer curieusement leur production et leur nature dans vn autre traité, et que ie ne croy point qu’elles appartienent aux meteores, non plus que les tremblemens de terre, et les mineraux, que plusieurs escriuains y entassent, ie ne parleray plus icy que de certaines lumieres, qui paroissant la nuit pendant vn tems calme et serein, donnent suiet aux peuples oysifs d’imaginer des esquadrons de fantosmes qui combattent en l’air, et ausquels ils font presager la perte ou la victoire du parti qu’ils affectionnent, selon que la crainte ou l’esperance predomine en leur fantaisie. Mesme à cause que ie n’ay iamais vû de tels spectacles, et que ie sçay combien les relations qu’on en fait ont coustume d’estre AT VI, 324 falsifiées et augmentées par la superstition et l’ignorance, ie me contenteray de toucher en peu de mots toutes les causes, qui me semblent capables de les produire. La premiere est qu’il y ait en l’air plusieurs nues, assés petites pour estre prises pour autant de soldats, Maire, p. 249
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et qui tombant l’vne sur l’autre, enueloppent assés d’exhalaisons, pour causer quantité de petis esclairs, et ietter de petits feux et peut estre aussy faire ouïr de petits bruits, au moyen de quoy ces soldats semblent combatre. La seconde, qu’il y ait aussy en l’air de telles nuës, mais qu’au lieu de tomber l’vne sur l’autre, elles reçoiuent leur lumiere des feux et des esclairs de quelque grande tempeste, qui se face ailleurs si loin de là, qu’elle n’y puisse estre apperceue. Et la troisiesme, que ces nuës, ou quelques autres plus septentrionales de qui elles reçoiuent leur lumiere, soient si hautes que les rayons du soleil paruienent iusques à elles. car si on prend garde aux Refractions et Reflexions que deux ou trois telles nuës peuuent causer, on trouuera qu’elles n’ont point besoin d’estre fort hautes, pour faire paroistre vers le Septentrion de telles lumieres, aprés que l’heure du crepuscule est passée ; et quelquefois aussy le soleil mesme, au tems qu’il doit estre couché. Mais cecy ne semble pas tant appartenir à ce discours qu’aux suiuans, où iay dessein de parler de toutes les choses qu’on peut voir dans l’air sans qu’elles y soient ; aprés auoir icy acheué l’explication de toutes celles qui s’y voyent, en mesme façon qu’elles y sont.