AT VI, 345

DE LA COVLEVR DES NVES,
Et des cercles ou couronnes qu’on voit quelquefois autour des astres.
Discours Neufiesme.

Apres ce que i’ay dit de la nature des couleurs, ie ne croy pas auoir beaucoup de choses à adiouster touchant celles qu’on voit dans les nuës. Car premierement pour ce qui est de leur blancheur et de leur obscurité ou noirceur, elle ne procede que de ce qu’elles sont plus ou moins exposées à la lumiere des astres, ou à l’ombre, tant d’elles mesmes, que de leurleurs voysines. Et il y a seulement icy deux choses remarquer. Dont l’vne est que les superficies des cors transparens font refleschir vne partie des rayons qui vienent vers elles, ainsi que i’ay dit cy dessus. Ce qui est cause que la lumiere peut mieux penetrer au trauers de trois picques d’eau, qu’elle ne fait au trauers d’vn peu d’escume, qui n’est toutefois autre chose que de l’eau, mais en laquelle il y a plusieurs superficies dont la premiere faisant refleschir vne partie de Maire, p. 272
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cete lumiere, et la seconde vne autre partie, et ainsi de suite, il n’en reste bientost plus du tout ou presque plus qui passe outre. Et c’est ainsi que ny le verre pilé, ny la neige, ny les nuës lorsquelles sont vn peu espaisses, ne peuuent estre transparentes. L’autre chose qu’il y a icy à remarquer, AT VI, 346 est, qu’encore que l’action des cors lumineux ne soit que de pousser en ligne droite la matiere subtile qui touche nos yeux, toutefois le mouuement ordinaire des petites parties de cete matiere, au moins de celles qui sont en l’air autour de nous, est de rouller. en mesme façon qu’vne bale roulle estant à terre, encore qu’on ne l’ait poussée qu’en ligne droite. Et ce sont proprement les cors qui les font rouller en cete sorte qu’on nomme blancs. Comme font, sans doute, tous ceux qui ne manquent d’estre transparens qu’à cause de la multitude de leurs superficies, Ttels que sont l’escume, le verre pilé, la neige, et les nuës. En suite de quoy on peut entendre pourquoy le ciel, estant fort pur et deschargé de tous nuages, paroist bleu, pourvû qu’on sçache que de luy mesme il ne rend aucune clarté, et qu’il paroistroit extremement noir, s’il n’y auoit point du tout d’exhalaisons ny de vapeurs au dessus de nous, mais qu’il y en a tousiours plus ou moins qui font refleschir quelques rayons vers nos yeux, c’est à dire qui repoussent vers nous les petites parties de la matiere subtile que le soleil ou les autres astres ont poussé contre elles : et lorsque ces vapeurs sont en assés grand nombre, la matiere subtile estant repoussée vers nous par les premieres, en rencontre d’autres aprés qui font rouller et tournoyer ses petites parties, auant quellesqu’elles paruienent à nous. Ce qui fait Maire, p. 273
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alors paroistre le ciel blanc ; Au lieu que si elle n’en rencontre assés pour faire ainsi tournoyer ses parties, il ne doit paroistre que bleu, suiuant ce qui a esté tantost dit de la nature de la couleur bleuë. AT VI, 347 Et c’est la mesme cause qui fait aussy que l’eau de la mer, aux endroits où elle est fort pure et fort profonde, semble estre bleuë. car il ne se refleschist de sa superficie que peu de rayons, et aucun de ceux qui la penetrent ne reuient. De plus on peut icy entendre pourquoy souuent, quand le soleil se couche ou se leue, tout le costé du ciel vers lequel il est paroist rouge : ce qui arriue lorsqu’il n’y a point tant de nuës, ou plutost de brouillas, entre luy et nous, que sa lumiere ne puisse les trauerser ; mais quellequ’elle ne les trauerse pas si aysement tout contre la terre, qu’vn peu plus hault ; ny si aysement vn peu plus hault, que beaucoup plus hault : car il est euident que cete lumiere, souffrant refraction dans ces brouillas, determine les parties de la matiere subtile qui la transmettent, à tournoyer en mesme sens, que feroit vne boule qui viendroit du mesme costé en roullant sur terre. de façon que le tournoyement des plus basses est tousiours augmenté par l’action de celles qui sont plus hautes, à cause qu’elle est supposée plus forte que la leur, et vous sçaués que cela suffist pour faire paroistre la couleur rouge, laquelle se refleschissant aprés dans les nuës, se peut estendre de tous costés dans le ciel. Et il est remarquer que cete couleur paroissant le matin presage des vens ou de la pluie, à cause qu’elle tesmoigne qu’y ayant peu de nuës vers l’Orient, le soleil pourra esleuer beaucoup de vapeurs auant le midy, et que les brouillas qui la font paroistre commencent à monter ; Au Maire, p. 274
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lieu que le soir elle tesmoigne le beautems, à cause que ny ayant que peu ou point de nuës vers le conuchant, les vens Orientaux AT VI, 348 doiuent regner, et les brouillas descendent pendant la nuit.

Ie ne m’areste point à parler plus particulierement des autres couleurs qu’on voit dans les nuës. car ie croy que les causes en sont toutes assés comprises en ce que iay dit. mais il paroist quelquefois certains cercles autour des astres, dont ie ne dois pas omettre l’explication. Ils sont semblables à l’arc-en-ciel en ce qu’ils sont ronds, ou presque rons, et enuironnent tousiours le soleil ou quelque autre astre : ce qui monstre qu’ils sont causés par quelque reflexion ou refraction dont les angles sont à peu prés tous esgaux. Comme aussy en ce qu’ils sont colorés : ce qui monstre qu’il y a de la refraction, et de l’ombre qui limite la lumiere qui les produist. Mais ils different en ce que l’arc-en-ciel ne se voit iamais, que lors qu’il pleut actuellement au lieu vers lequel on le voit, bien que souuent il ne pleuue pas au lieu où est le spectateur ; Et eux ne se voyent iamais où il pleut. Ce qui monstre qu’ils ne sont pas causés par la refraction qui se fait en des gouttes d’eau ou en de la gresle, mais par celle qui se fait en ces petites estoiles de glace transparentes, dont il a esté parlé cy dessus. Car on ne sçauroit imaginer dans les nuës aucune autre cause qui soit capable d’vn tel effect. Et si on ne voit iamais tomber de telles estoiles que lorsqu’il fait froid, la raison nous assure qu’il ne laisse pas de s’en former en toutes saisons. Mesme à cause qu’il est besoin de quelque chaleur, pour faire que de blanches qu’elles sont au commencement elles deuienent transparentes, Maire, p. 275
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ainsi qu’il est requis à cet effect, il est vray semblable que AT VI, 349 l’esté y est plus propre que l’hyuer. Et encore que la plus part de celles qui tombent, paroissent à l’œil extremement plates et vnies, il est certain neanmoins qu’elles sont toutes quelque peu plus espaisses au milieu qu’aux extremités, ainsi qu’il se voit aussy à l’œil en quelques vnes, et selon qu’elles le sont plus ou moins, elles font paroistre ces cercles plus ou moins grands : car il y en a sans doute de plusieurs grandeurs ; et si ceux qu’on a le plus souuent obserués ont eu leur diametre d’enuiron 45 degrés, ainsi que quelques vns ont escrit, ie veux croyre que les parcelles de glace, qui les causent de cete grandeur, ont la conuexité qui leur est la plus ordinaire, et qui est peut estre aussy la plus grande qu’elles ayent coustume d’acquerir sans acheuer entierement de se fondre. Soit par exemple ABC le soleil, D l’œil, EFG plusieurs petites parcelles de glace transparentes, arrengées coste à coste les vnes des autres ; ainsi qu’elles sont en se formant ; et dont la conuexité est telle, que le rayon venant par exemple du point A sur l’extremité de celle qui est AT VI, 350 marquée G, et du point C sur l’extremité de celle qui est marquée F, retourne vers D ; et qu’il en vient vers D plusieurs autres de ceux qui trauersent les autres parcelles de glace qui sont vers E, mais non point aucun de ceux qui trauersent celles qui sont au dela du cercle GG : Il est manifeste qu’outre que les rayons AD, CD, et semblables, qui passent en ligne droite, font paroistre le soleil de sa grandeur accoustumée, les autres qui souffrent refraction vers EE, doiuent rendre toute l’aire comprise dans le cercle FF assés brillante, et faire que sa circonference Maire, p. 276
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entre les cercles FF, et GG, soit comme vne couronne peinte des couleurs de l’arc-en-ciel : Et mesme que le rouge y doit estre en dedans vers F, et le bleu en dehors vers G, tout de mesme qu’on a coustume de l’obseruer. Et s’il y a deux ou plusieurs rangs de parcelles de glace l’vne sur l’autre, pourvû que cela n’empesche point que les rayons du soleil ne les trauersent, ceux de ces rayons qui en trauerseront deux par leurs bords, se courbans presque deux fois autant que les autres, produiront encore vn autre cercle coloré, beaucoup plus grand en circuit, mais moins apparent que le premier ; en sorte qu’on verra pour lors deux couronnes l’vne dans l’autre, et dont l’interieure sera la mieux peinte. Comme il a aussy esté quelquefois obserué. Outre cela vous voyés bien pourquoy ces couronnes n’ont pas coustume de se former autour Maire, p. 277
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des astres qui sont fort bas vers l’horizon ; car les rayons rencontrent alors trop obliquement les parcelles de glace pour les trauerser ; Et pourquoy leurs couleurs ne sont pas si viues que les sienes. car elles sont causées par AT VI, 351 des refractions beaucoup moindres ; Et pourquoy elles paroissent plus ordinairement que luy autour de la lune, et mesme se remarquent aussy quelquefois autour des estoiles, à sçauoir lorsque les parcelles de glace interposées n’estant que fort peu conuexes les rendent fort petites ; car d’autant quellesqu’elles ne dependent point de tant de reflexions et refractions que l’arc-en-ciel, la lumiere qui les cause n’a pas besoin d’estre si forte. Mais souuent elles ne paroissent que blanches, non point tant par faute de lumiere, que pource que la matiere où elles se forment n’est pas entierement transparente.

On en pourroit bien imaginer encore quelques autres qui se formassent à l’imitation de l’arc-en-ciel en des gouttes d’eau, à sçauoir premierement par deux refractions sans aucune reflexion ; mais alors il n’y a rien qui determine leur diametre, et la lumiere n’y est point limitée par l’ombre, comme il est requis pour la production des couleurs. Puis aussy par deux refractions et trois ou quattre reflexions ; mais leur lumiere, estant alors grandement foible, peut aysement estre effacée par celle qui se refleschist de la superficie des mesmes gouttes. ce qui me fait douter si iamais elles paroissent, et le calcul monstre que leur diametre deuroit estre beaucoup plus grand qu’on ne le trouue en celles qu’on a coustume d’obseruer.

Enfin pour ce qui est de celles qu’on voit quelquefois Maire, p. 278
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autour des lampes et des flambeaux la cause n’en doit point estre cherchée dans l’air mais seulement dans l’œil qui les regarde. Et i’en ay vû cet esté dernier vne experience fort manifeste. ce fut en voyasgeant AT VI, 352 de nuit dans vn nauire, où aprés auoir tenu tout le soir ma teste appuiée sur vne main, dont ie fermois mon œil droit, pendant que ie regardois de l’autre vers le ciel, on apporta vne chandelle au lieu où i’estois : et lors ouurant les deux yeux ie vy deux couronnes autour de la flame, dont les couleurs estoient aussy viues, que ie les aye iamais veuës en l’arc-en-ciel. AB est la plus grande, qui estoit rouge vers A, et bleuë vers B : CD la plus petite, qui estoit rouge aussy vers C, mais vers D elle estoit blanche, et s’estendoit iusques à la flame. Aprés cela refermant l’œil droit, i’apperceu que ces couronnes disparoissoient ; et qu’au contraire en l’ouurant, et fermant le gauche, elles continuoient de paroistre. ce qui m’assura qu’elles ne procedoient que de quelque disposition, que mon œil droit auoit acquise pendant que ie l’auois tenu fermé, et qui estoit cause, qu’outre que la plus part des rayons de la flame qu’il reçeuoit, la representoient vers O où ils Maire, p. 279
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s’assembloient, il y en auoit aussy quelques vns, qui estoient tellement détournés, qu’ils s’estendoient en tout l’espace fO, où ils peignoient la couronne CD ; et quelques autres en l’espace FG, où ils peignoient la couronne AB. Ie ne AT VI, 353 determine point qu’elle estoit cete disposition. car plusieurs differentes peuuent causer le mesme effect. Comme s’il y a seulement vne ou deux petites rides en quelqu’vne des superficies E, M, P, qui à cause de la figure de l’œil s’y estendent en forme d’vn cercle dont le centre soit en la ligne E, O, comme il y en a souuent de toutes droites qui se croysent en cete ligne E, O, et nous font voir de grans rayons espars ça et là autour des flambeaux. Ou bien qu’il y ait quelque chose d’opaque entre E, et P ; où mesme à costé en quelque lieu, pourvû qu’il s’y estende circulairement ; Ou enfin que les humeurs, ou les peaux de l’œil, ayent en quelque façon changé de temperament, ou de figure. car il est fort commun à ceux qui ont mal aux yeux de voir de telles couronnes, et elles ne paroissent pas semblables à tous. Seulement faut il remarquer que leur partie exterieure, comme A et C, est ordinairement rouge, tout au contraire de celles qu’on voit autour des astres. dont la raison vous sera claire, si vous considerés qu’en la production de leurs couleurs, c’est l’humeur cristaline PNM, qui tient lieu du prisme de cristal dont il a tantost esté parléVoyés au discours precedent, et le fons de l’œil FGf, qui tient lieu du linge blanc qui estoit derriere. Mais vous douterés peut estre pourquoy puisque l’humeur cristaline a ce pouuoir, elle ne colore pas en mesme façon Maire, p. 280
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tous les obiets que nous voyons ? si ce n’est que vous consideriés que les rayons, qui vienent de chasque point de ces obiets vers chasque point du fonds de l’œil, passant les vns par celuy de ses costés qui est marqué N, et les autres par celuy qui est marqué AT VI, 354 S, ont des actions toutes contraires, et qui se destruisent les vnes les autres ; au moins en ce qui regarde la production des couleurs ; au lieu qu’icy les rayons qui vont vers FGf ne passent que par N. Et tout cecy se rapporte si bien à ce que i’ay dit de la nature des couleurs, qu’il peut ce me semble beaucoup seruir pour en confirmer la verité.