ARTICLE XLVII.
En quoy consistent les combats qu’on a
coustume d’imaginer entre la
partie inferieure et la superieure
de l’ame.

Et ce n’est qu’en la repugnance, qui est entre les mouvemens que le corps par ses esprits, et l’ame par sa volonté, tendent à exciter en mesme temps dans la glande, que consistent tous les combats qu’on a coustume d’imaginer, entre la partie inferieure de l’ame, Le Gras, p. 68
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qu’on nomme sensitive, et la superieure qui est raisonnable ; ou bien entre les appetits naturels et la volonté. Car il n’y a en nous qu’une seule ame, et cette ame n’a en soy aucune diversité de parties ; la mesme qui est sensitive, est raisonnable, et tous ses appetits sont des volontez. L’erreur qu’on a commise en luy faisant jouër divers personages, qui sont ordinairement contraires les uns aux autres, ne vient que de AT XI, 365 ce qu’on n’a pas bien distingué ses fonctions d’avec celles du corps, auquel seul on doit attribuër tout ce qui peut estre remarqué en nous qui repugne à nostre raison. En sorte qu’il n’y a point en cecy d’autre combat, sinon que la petite glande qui est au milieu du cerveau, pouvant estre poussée d’un costé par l’ame, et de l’autre par les esprits animaux, qui ne sont que des corps, ainsi que j’ay dit cy dessus, il arrive souvent Le Gras, p. 69
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que ces deux impulsions sont contraires, et que la plus forte empesche l’effect de l’autre. Or on peut distinguer deux sortes de mouvemens, excitez par les esprits dans la glande ; les uns representent à l’ame les objets qui meuvent les sens, ou les impressions qui se rencontrent dans le cerveau, et ne font aucun effort sur sa volonté ; les autres y font quelque effort, à sçavoir ceux qui causent les passions ou les mouvemens du corps qui les accompagnent. Et pour les premiers, encore qu’ils empeschent souvent les actions de l’ame, ou bien qu’ils soyent empeschez par elles, toutefois à cause qu’ils ne sont pas directement contraires, on n’y remarque point de combat. On en remarque seulement entre les derniers et les volontez qui leur repugnent : par exemple, entre l’effort dont les esprits poussent la glande pour causer Le Gras, p. 70
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en l’ame le desir de quelque chose, et celuy dont l’ame la repousse par la volonté qu’elle a de fuïr la mesme chose. Et ce qui fait principalement paroistre ce combat, c’est que la volonté n’ayant pas le pouvoir d’exciter directement les passions, ainsi qu’il a deja esté dit, elle est contrainte AT XI, 366 d’user d’industrie, et de s’appliquer à considerer successivement diverses choses, dont s’il arrive que l’une ait la force de changer pour un moment le cours des esprits, il peut arriver que celle qui suit ne l’a pas, et qu’ils le reprenent aussi tost apres, à cause que la disposition qui a precedé dans les nerfs, dans le cœur, et dans le sang, n’est pas changée : ce qui fait que l’ame se sent poussée presque en mesme temps à desirer et ne desirer pas une mesme chose : Et c’est de la qu’on a pris occasion d’imaginer en elle deux puissances qui se combatent. Le Gras, p. 71
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Toutefois on peut encore concevoir quelque combat, en ce que souvent la mesme cause, qui excite en l’ame quelque passion, excite aussi certains mouvemens dans le corps, ausquels l’ame ne contribuë point, et lesquels elle areste ou tasche d’arester si tost qu’elle les aperçoit : comme on esprouve lors que ce qui excite la peur, fait aussi que les esprits entrent dans les muscles qui servent à remüer les jambes pour fuïr, et que la volonté qu’on a d’estre hardy les arreste.