ARTICLE XLVIII.
En quoy on connoist la force ou la foi
blesse des ames, et quel est le
mal des plus foibles.

Or c’est par le succes de ces combats que chacun peut connoistre la force ou la foiblesse de son ame. Car ceux en qui naturellement Le Gras, p. 72
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la volonté peut le plus aysément vaincre les passions, et arrester les mouvemens du corps qui les accompagnent, ont sans doute AT XI, 367 les ames les plus fortes. Mais il y en a qui ne peuvent esprouver leur force, pource qu’ils ne font jamais combattre leur volonté avec ses propres armes, mais seulement avec celles que luy fournissent quelques passions pour resister à quelques autres. Ce que je nomme ses propres armes, sont des jugemens fermes et determinez touchant la connoissance du bien et du mal, suivant lesquels elle a resolu de conduire les actions de sa vie. Et les ames les plus foibles de toutes, sont celles dont la volonté ne se determine point ainsi à suivre certains jugemens, mais se laisse continuellement emporter aux passions presentes, lesquelles estant souvent contraires les unes aux autres, la tirent tour à tour à Le Gras, p. 73
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leur parti, et l’employant à combattre contre elle mesme, mettent l’ame au plus deplorable estat qu’elle puisse estre. Ainsi lors que la peur represente la mort comme un mal extreme, et qui ne peut estre evité que par la fuite, si l’ambition d’autre costé represente l’infamie de cette fuite, comme un mal pire que la mort, ces deux passions agitent diversement la volonté, laquelle obeïssant tantost à l’une, tantost à l’autre, s’oppose continuellement à soy mesme, et ainsi rend l’ame esclave et malheureuse.