ARTICLE LXXXIII.
De la difference qui est entre la simple
Affection, l’Amitié, et la Devotion.
On peut ce me semble avec meilleure raison distinguer AT XI, 390 l’amour, par l’estime qu’on fait de ce qu’on aime à comparaison de soy-mesme. Car lors qu’on estime l’objet de son Amour moins que soy, on n’a pour luy qu’une simple Affection ; lors qu’on l’estime à l’esgal de soy, cela se nomme Amitié, et lors qu’on l’estime davantage, la passion qu’on a peut estre nommée Devotion. Ainsi on peut avoir de l’affection pour une fleur, pour un oiseau, pour un cheval, mais à moins que d’avoir l’esprit Le Gras, p. 112
Image haute résolution sur Gallica fort dereglé, on ne peut avoir de l’Amitié que pour des hommes. Et ils sont tellement l’objet de cette passion, qu’il n’y a point d’homme si imparfait, qu’on ne puisse avoir pour luy une amitié tres-parfaite, lors qu’on pense qu’on en est aymé, et qu’on a l’ame veritablement noble et genereuse : suivant ce qui sera expliqué cy apres, en l’Art. 154 et 156. Pour ce qui est de la Devotion, son principal objet est sans doute la souveraine divinité, à laquelle on ne sçauroit manquer d’estre devot, lors qu’on la connoist comme il faut. mais on peut aussi avoir de la Devotion pour son Prince, pour son païs, pour sa ville, et mesme pour un homme particulier, lors qu’on l’estime beaucoup plus que soy. Or la difference qui est entre ces trois sortes d’Amours, paroist principalement par leurs effets : car d’autant qu’en toutes on se considere Le Gras, p. 113
Image haute résolution sur Gallica comme joint et uni à la chose aimée, on est tousjours prest d’abandonner la moindre partie du tout qu’on compose avec elle, pour conserver l’autre. Ce qui fait qu’en la simple affection, l’on se prefere tousjours à ce qu’on ayme ; Et qu’au contraire en la Devotion, l’on prefere tellement la chose aimée à soy-mesme, qu’on ne craint pas de mourir pour la conserver. De quoy on a vû souvant AT XI, 391 des exemples, en ceux qui se sont exposez à une mort certaine pour la defense de leur Prince, ou de leur ville, et mesme aussi quelquefois pour des personnes particulieres ausquelles ils s’estoient devoüez.