Le Gras, p. 198
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AT XI, 439

ARTICLE CXLVI.
De ceux qui dependent de nous et
d’autrui.

Il faut donc entierement rejetter l’opinion vulgaire, qu’il y a hors de nous une Fortune, qui fait que les choses arrivent ou n’arrivent pas selon son plaisir ; et sçavoir que tout est conduit par la Providence divine, dont le decret eternel est tellement infaillible et immuâble, qu’excepté les choses que ce mesme decret a voulu dependre de nostre libre arbitre, nous devons penser qu’à notre egard il n’arrive rien qui ne soit necessaire, et comme fatal, en sorte que nous ne pouvons sans erreur desirer qu’il arrive d’autre façon. Mais pource que la plus part de nos Desirs s’estendent à des choses, qui ne dependent pas toutes de nous, ny toutes d’autruy, nous devons Le Gras, p. 199
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exactement distinguer en elles ce qui ne depend que de nous, affin de n’estendre notre desir qu’à cela seul. Et pour le surplus, encore que nous en devions estimer le succes entierement fatal et immuäble, affin que nostre Desir ne s’y occupe point, nous ne devons pas laisser de considerer les raisons qui le font plus ou moins esperer, affin qu’elles servent à regler nos actions. Car par exemple, si nous avons affaire en quelque lieu, ou nous puissions aller par deux divers chemins, l’un desquels ait coustume d’estre beaucoup plus seur que l’autre, bien que peut estre le decret de la Providence soit tel, que si nous allons par le chemin qu’on estime le plus seur, nous ne manquerons pas d’y estre volez, AT XI, 440 et qu’au contraire nous pourrons passer par l’autre sans aucun danger, nous ne devons pas pour cela estre indifferens à choisir l’un Le Gras, p. 200
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ou l’autre ; ny nous reposer sur la fatalité immuable de ce decret. mais la raison veut que nous choisissions le chemin qui a coustume d’estre le plus seur ; et nostre Desir doit estre accompli touchant cela, lors que nous l’avons suivi, quelque mal qu’il nous en soit arrivé ; à cause que, ce mal ayant esté à nostre egard inevitable, nous n’avons eu aucun sujet de souhaiter d’en estre exems, mais seulement de faire tout le mieux que nostre entendement a pû connoistre, ainsi que je suppose que nous avons fait. Et il est certain que lors qu’on s’exerce à distinguer ainsi la Fatalité, de la Fortune, on s’accoustume aysement à regler ses Desirs en telle sorte, que d’autant que leur accomplissement ne depend que de nous, ils peuvent tousjours nous donner une entiere satisfaction.