ARTICLE CCXI.
Un remede general contre les Passions.
Et maintenant que nous les connoissons toutes, nous avons beaucoup moins de sujet de les craindre, que nous n’avions auparavant. Car nous voyons qu’elles sont toutes bonnes de leur nature, et que AT XI, 486 nous n’avons rien à Le Gras, p. 281
Image haute résolution sur Gallica eviter que leurs mauvais usages, ou leurs exces ; contre lesquels les remedes que j’ay expliquez pourroient suffire, si chacun avoit assez de soin de les pratiquer. Mais pource que j’ay mis entre ces remedes la premeditation, et l’industrie par laquelle on peut corriger les defauts de son naturel, en s’exerçant à separer en soy les mouvemens du sang et des esprits, d’avec les pensées ausquelles ils ont coustume d’estre joins. I’avouë qu’il y a peu de personnes qui se soient assez preparez en cette façon, contre toutes sortes de rencontres ; et que ces mouvemens excitez dans le sang, par les objets des Passions, suivent d’abord si promptement des seules impressions qui se font dans le cerveau, et de la disposition des organes, encore que l’ame n’y contribuë en aucune façon, qu’il n’y a point de sagesse humaine qui soit capable Le Gras, p. 282
Image haute résolution sur Gallica de leur resister, lors qu’on n’y est pas assez preparé. Ainsi plusieurs ne sçauroient s’abstenir de rire estant chatouillez, encore qu’ils n’y prenent point de plaisir. Car l’impression de la Ioye et de la surprise, qui les a fait rire autrefois pour mesme sujet, estant reveillée en leur fantaisie, fait que leur poumon est subitement enflé malgré eux, par le sang que le cœur luy envoye. Ainsi ceux qui sont fort portez de leur naturel aux emotions de la Ioye, ou de la Pitié, ou de la Peur, ou de la Colere, ne peuvent s’empescher de pasmer, ou de pleurer, ou de trembler, ou d’avoir le sang tout emeu, en mesme façon que s’ils avoient la fievre, lors que leur phantaisie est fortement touchée par l’objet de quelcune de ces Passions. Mais ce qu’on peut tousjours AT XI, 487 faire en telle occasion, et que je pense pouvoir mettre icy comme le remede le Le Gras, p. 283
Image haute résolution sur Gallica plus general, et le plus ayse à pratiquer, contre tous les exces des Passions, c’est que lors qu’on se sent le sang ainsi emeu, on doit estre averti, et se souvenir que tout ce qui se presente à l’imagination, tend à tromper l’ame, et à luy faire paroistre les raisons, qui servent à persuader l’objet de sa Passion, beaucoup plus fortes qu’elles ne sont, et celles qui servent à la dissuader, beaucoup plus foibles. Et lors que la Passion ne persuade que des choses, dont l’execution souffre quelque delay, il faut s’abstenir d’en porter sur l’heure aucun jugement, et se divertir par d’autres pensées, jusques à ce que le temps et le repos ait entierement appaisé l’emotion qui est dans le sang. Et en fin lors qu’elle incite à des actions, touchant lesquelles il est necessaire qu’on prene resolution sur le champ, il faut que la volonté se porte principalement à considerer Le Gras, p. 284
Image haute résolution sur Gallica et à suivre, les raisons qui sont contraires à celles que la Passion represente, encore qu’elles paroissent moins fortes. Comme lors qu’on est inopinement attaqué par quelque ennemi, l’occasion ne permet pas qu’on employe aucun temps à deliberer ; mais ce qu’il me semble que ceux qui sont accoustumez à faire reflexion sur leurs actions peuvent tousjours, c’est que, lors qu’ils se sentiront saisis de la Peur, ils tascheront à detourner leur pensée de la consideration du danger, en se representant les raisons pour lesquelles il y a beaucoup plus de seureté et plus d’honneur, en la resistance qu’en la fuite ; Et au contraire lors qu’ils sentiront que le Desir de vengeance et la coldre les incite, à courir inconsiderement AT XI, 488 vers ceux qui les attaquent, ils se souviendront de penser, que c’est imprudence de se perdre, quand on peut sans deshonneur Le Gras, p. 285
Image haute résolution sur Gallica se sauver ; et que si la partie est fort inegale, il vaut mieux faire une honneste retraite ou prendre quartier, que s’exposer brutalement à une mort certaine.