Le Gras, p. (5)
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LETTRE PREMIERE,
A Monsieur
DES CARTES.

MONSIEVR,

I’avois esté bien aise de vous voir à Paris cet esté dernier, pource que je pensois que vous y estiez venu à dessein AT XI, 302 de vous y arrester, et qu’y ayant plus de commodité qu’en aucun autre lieu pour faire les experiences, dont vous avez tesmoigné avoir besoin affin d’achever les traictez que vous avez promis au public, vous ne manqueriés pas de tenir vostre promesse, et que nous les verrions bien tost imprimez. Mais vous m’avez entierement osté cette joye, lors que vous estes retourné en Hollande : et je ne puis m’abstenir icy de vous dire, que je suis encore fasché contre vous, de ce que vous n’avez pas voulu avant vộtre depart me laisser voir le traité des Le Gras, p. (6)
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passions, qu’on m’a dit que vous avez composé ; outre que faisant reflexion sur les paroles que j’ay leües en une preface qui fût jointe il y a deux ans à la version françoise de vos Principes, ou apres avoir parlé succinctement des parties de la Philosophie qui doivent encore estre trouvées, avant qu’on puisse recueillir ses principaux fruicts, et avoir dit,
que vous ne vous defiez pas tant de vos forces, que vous n’osassiez entreprendre de les expliquer toutes, si vous aviez la commodité de faire les experiences qui sont requises pour appuyer et justifier vos raisonnements, Vous adjoustez, qu’il faudroit à cela de grandes despenses, auxquelles un particulier comme vous ne sçauroit suffire, s’il n’estoit aydé par le public ; Mais que ne voyant pas que vous deviez attendre cette ayde, vous pensez vous devoir contenter d’estudier dorenavant pour vostre instruction particuliere ; et que la posterité vous excusera, si vous manquez à travailler Le Gras, p. (7)
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desormais pour elle
 : je crains que ce ne soit maintenant tout de bon que vous voulez envier AT XI, 303 au public le reste de vos inventions, et que nous n’aurons jamais plus rien de vous, si nous vous laissons suivre vostre inclination. Ce qui est cause que je me suis proposé de vous tourmenter un peu par cette lettre, et de me vanger de ce que vous m’avez refusé vostre traité des Passions, en vous reprochant librement la negligence, et les autres defauts, que je juge empescher que vous ne faciez valoir vostre talent, autant que vous pouvez, et que vostre devoir vous y oblige. En effet je ne puis croire que ce soit autre chose que vostre negligence, et le peu de soin que vous avez d’estre utile au reste des hommes, qui fait que vous ne continuez pas vostre Physique. Car encore que je comprene fort bien qu’il est impossible que vous l’acheviez, si vous n’avez plusieurs experiences, et que ces experiences doivent estre faites aux frais du public, à cause que l’utilité luy en reviendra, Le Gras, p. (8)
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et que les biens d’un particulier n’y peuvent suffire ; Ie ne croy pas toutefois que ce soit cela qui vous arreste, pource que vous ne pourriez manquer d’obtenir de ceux qui disposent des biens du public, tout ce que vous sçauriez souhaiter pour ce sujet, si vous daigniez leur faire entendre la chose comme elle est, et comme vous la pourriez facilement representer, si vous en aviez la volonté. Mais vous avez tousjours vescu d’une façon si contraire à cela, qu’on a sujet de se persuader que vous ne voudriez pas mesme recevoir aucune ayde d’autruy, encore qu’on vous l’offriroit : et neantmoins vous pretendez que la posterité vous excusera, de ce que vous ne voulez plus travailler pour elle, sur ce que vous supposez que cette ayde vous y est necessaire, et que vous ne la pouvez obtenir. Ce qui me donne sujet de penser, non seulement que vous estes trop negligent, mais peut estre aussi que vous n’avez pas assez AT XI, 304 de courage pour esperer de parachever, ce que ceux qui ont leu vos escrits attendent Le Gras, p. (9)
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de vous ; et que neantmoins vous estes assez vain pour vouloir persuader à ceux qui viendront apres nous, que vous n’y avez point manqué par vostre faute, mais pource qu’on n’a pas reconnu vostre vertu comme on devoit, et qu’on a refusé de vous assister en vos desseins. En quoy je voy que vostre ambition trouve son compte, à cause que ceux qui verront vos escrits à l’avenir, jugeront, par ce que vous avez publié il y a plus de douze ans, que vous aviez trouvé des ce temps la tout ce qui a jusques à present esté vû de vous, et que ce qui vous reste à inventer touchant la Physique, est moins difficile que ce que vous en avez desja expliqué : en sorte que vous auriez pû depuis nous donner tout ce qu’on peut attendre du raisonnement humain pour la medecine, et les autres usages de la vie, si vous aviez eu la commodité de faire les experiences requises à cela ; et mesme que vous n’avez pas sans doute laissé d’en trouver une grande partie ; mais qu’une juste indignation contre l’ingratitude Le Gras, p. (10)
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des hommes, vous a empesché de leur faire part de vos inventions. Ainsi vous pensez que desormais en vous reposant, vous pourrez acquerir autant de reputation que si vous travailliez beaucoup ; et mesme peut estre un peu davantage, à cause qu’ordinairement le bien qu’on possede est moins estimé que celuy qu’on desire, ou bien qu’on regrette. Mais je vous veux oster le moyen d’acquerir ainsi de la reputation sans la meriter : et bien que je ne doute pas que vous ne sçachiez ce qu’il faudroit que vous eussiez fait, si vous aviez voulu estre aydé par le public, je le veux neantmoins icy escrire ; et mesme je feray imprimer cette lettre, affin que vous ne puissiez pretendre de l’ignorer ; et que si vous AT XI, 305 manquez cy apres à nous satisfaire, vous ne puissiez plus vous excuser sur le siecle. Sçachez donc que ce n’est pas assez pour obtenir quelque chose du public, que d’en avoir touché un mot en passant, en la preface d’un livre, sans dire expressement que vous la desirez et l’attendez, ny expliquer les Le Gras, p. (11)
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raisons qui peuvent prouver, non seulement que vous la meritez, mais aussi qu’on a tresgrand interest de vous l’accorder, et qu’on en doit attendre beaucoup de profit. On est accoustumé de voir, que tous ceux qui s’imaginent qu’ils valent quelque chose, en font tant de bruit, et demandent avec tant d’importunité ce qu’ils pretendent, et promettent tant au dela de ce qu’ils peuvent, que lors que quelcun ne parle de soy qu’avec modestie, et qu’il ne requert rien de personne, ny ne promet rien avec assurance, quelque preuve qu’il donne d’ailleurs de ce qu’il peut, on n’y fait pas de reflexion, et on ne pense aucunement à luy.

Vous direz peut estre que vostre humeur ne vous porte pas à rien demander, ny à parler avantageusement de vous mesme, pource que l’un semble estre une marque de bassesse et l’autre d’orgueil. Mais je pretens que cette humeur se doit corriger, et qu’elle vient d’erreur et de foiblesse, plustost que d’une honeste pudeur et modestie. Car Le Gras, p. (12)
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pource qui est des demandes, il n’y a que celles qu’on fait pour son propre besoin, à ceux de qui on n’a aucun droit de rien exiger, desquelles on ait sujet d’avoir quelque honte. Et tant s’en faut qu’on en doive avoir de celles qui tendent à l’utilité et au profit de ceux à qui on les fait ; qu’au contraire on en peut tirer de la gloire, principalement lors qu’on leur a desja donné des choses qui valent plus que celles qu’on veut obtenir d’eux. Et pour ce qui est AT XI, 306 de parler avantageusement de soy mesme, il est vray que c’est un orgueil tresridicule et tresblasmable, lors qu’on dit de soy des choses qui sont fausses ; et mesme que c’est une vanité mesprisable, encore qu’on n’en die que de vrayes, lors qu’on le fait par ostentation, et sans qu’il en revienne aucun bien à personne. Mais lorsque ces choses sont telles qu’il importe aux autres de les sçavoir, il est certain qu’on ne les peut taire que par une humilité vitieuse, qui est une espece de lascheté et de foiblesse. Or il importe beaucoup au public d’estre averti de ce que vous Le Gras, p. (13)
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avez trouvé dans les sciences, affin que jugeant par la de ce que vous y pouvez encore trouver, il soit incité à contribuer tout ce qu’il peut pour vous y aider, comme à un travail qui a pour but le bien general de tous les hommes. Et les choses que vous avez desja données, à sçavoir les verités importantes que vous avez expliquées dans vos escrits, valent incomparablement davantage que tout ce que vous sçauriez demander pour ce sujet.

Vous pouvez dire aussi que vos œuvres parlent assez, sans qu’il soit besoin que vous y adjoustiez les promesses et les vanteries, lesquelles estant ordinaires aux Charlatans qui veulent tromper, semblent ne pouvoir estre bien seantes à un homme d’honneur qui cherche seulement la verité. Mais ce qui fait que les Charlatans sont blasmables, n’est pas que les choses qu’ils disent d’eux mesmes sont grandes et bonnes ; c’est seulement qu’elles sont fausses, et qu’ils ne les peuvent prouver : au lieu que celles que je pretens que vous devez dire de vous, Le Gras, p. (14)
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sont si vrayes, et si evidemment prouvées par vos escrits, que toutes les regles de la bienseance vous permettent de les assurer, et celles de la charité vous y obligent, à cause qu’il importe aux autres de AT XI, 307 les sçavoir. Car encore que vos escrits parlent assez au regard de ceux qui les examinent avec soin, et qui sont capables de les entendre : toutefois cela ne suffit pas pour le dessein que je veux que vous ayez, à cause qu’un chacun ne les peut pas lire, et que ceux qui manient les affaires publiques n’en peuvent gueres avoir le loisir. Il arrive peut estre bien que quelcun de ceux qui les ont leus leur en parle ; mais quoy qu’on leur en puisse dire, le peu de bruit qu’ils sçavent que vous faites, et la trop grande modestie que vous avez tousjours observée en parlant de vous, ne permet pas qu’ils y facent beaucoup de reflexion. Mesme à cause qu’on use souvent aupres d’eux de tous les termes les plus avantageux qu’on puisse imaginer, pour louër des personnes qui ne sont que fort mediocres, ils n’ont pas sujet de prendre Le Gras, p. (15)
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les louanges immenses, qui vous sont données par ceux qui vous connoissent, pour des verités bien exactes. Au lieu que lors que quelcun parle de soy mesme, et qu’il en dit des choses tres-extraordinaires, on l’escoute avec plus d’attention ; principalement lors que c’est un homme de bonne naissance, et qu’on sçait n’estre point d’humeur ny de condition à vouloir faire le Charlatan. Et pource qu’il se rendroit ridicule s’il usoit d’hyperboles en telle occasion, ses paroles sont prises en leur vray sens ; et ceux qui ne les veulent pas croire, sont au moins incitez par leur curiosité, ou par leur jalousie, à examiner si elles sont vrayes. C’est pourquoy estant tres certain, et le public ayant grand interest de sçavoir qu’il n’y a jamais eu au monde que vous seul (au moins dont nous ayons les escrits) qui ait descouvert les vrais principes, et reconnu les premieres causes de tout ce qui est produit en la nature ; Et qu’ayant desja rendu raison par ces principes, de toutes AT XI, 308 les choses qui paroissent et s’observent le plus communement Le Gras, p. (16)
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dans le monde, il vous faut seulement avoir des observations plus particulieres pour trouver en mesme façon les raisons de tout ce qui peut estre utile aux hommes en cette vie, et ainsi nous donner une tres parfaite connoissance de la nature de tous les mineraux, des vertus de toutes les plantes, des proprietés des animaux, et generalement de tout ce qui peut servir pour la Medecine et les autres arts. Et en fin que ces observations particulieres ne pouvant estre toutes faites en peu de temps sans grande despense, tous les peuples de la terre y devroient à l’envi contribuer, comme à la chose du monde la plus importante, et à laquelle ils ont tous egal interest. Celacela dis-je estant tres certain, et pouvant assez estre prouvé par les escrits que vous avez desja fait imprimer, vous le devriez dire si haut, le publier avec tant de soin, et le mettre si expressement dans tous les titres de vos livres, qu’il ne pust doresnavant y avoir personne qui l’ignorast. Ainsi vous feriez au moins d’abord naistre Le Gras, p. (17)
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l’envie à plusieurs d’examiner ce qui en est ; et d’autant qu’ils s’en enquereroient davantage, et liroient vos escrits avec plus de soin, d’autant connoistroient ils plus clairement que vous ne vous seriez point vanté à faux.

Et il y a principalement trois points que je voudrois que vous fissiez bien concevoir à tout le monde. Le premier est qu’il y a une infinité des choses à trouver en la Physique, qui peuvent estre extremement utiles à la vie ; le second qu’on a grand sujet d’attendre de vous l’invention de ces choses ; et le troisiesme que vous en pourrez d’autant plus trouver que vous aurez plus de commoditez pour faire quantité d’experiences. Il est à propos qu’on soit averti du AT XI, 309 premier point, à cause que la pluspart des hommes ne pensent pas qu’on puisse rien trouver dans les sciences, qui vaille mieux que ce qui a esté trouvé par les anciens, et mesme que plusieurs ne conçoivent point ce que c’est que la Physique, ny à quoy elle peut servir. Or il est aisé de prouver que le trop grand respect Le Gras, p. (18)
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qu’on porte à l’antiquité, est une erreur qui prejudicie extremement à l’avancement des sciences. Car on voit que les peuples sauvages de l’Amérique, et aussi plusieurs autres qui habitent des lieux moins eloignés, ont beaucoup moins de commoditez pour la vie que nous n’en avons, et toutefois qu’ils sont d’une origine aussi anciene que la nostre, en sorte qu’ils ont autant de raison que nous de dire qu’ils se contentent de la sagesse de leurs peres, et qu’ils ne croyent point que personne leur puisse rien enseigner de meilleur, que ce qui a esté sçeu et pratiqué de toute antiquité parmy eux. Et cette opinion est si prejudiciable, que pendant qu’on ne la quitte point, il est certain qu’on ne peut acquerir aucune nouvelle capacité. Aussi voit on par experience, que les peuples en l’esprit desquels elle est le plus enracinée, sont ceux qui sont demeurez les plus ignorans, et les plus rudes. Et pource qu’elle est encore assez frequente parmy nous, cela peut servir de raison pour prouver, qu’il s’en faut beaucoup Le Gras, p. (19)
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que nous ne sçachions tout ce que nous sommes capables de sçavoir. Ce qui peut aussi fort clairement estre prouvé par plusieurs inventions tres-utiles, comme sont l’usage de la boussole, l’art d’imprimer, les lunettes d’approche, et semblables, qui n’ont esté trouvées qu’aux derniers siecles, bien qu’elles semblent maintenant assez faciles à ceux qui les sçavent. Mais il n’y a rien en quoy le besoin que nous avons d’acquerir de nouvelles connoissances, AT XI, 310 paroisse mieux qu’en ce qui regarde la Medecine. Car bien qu’on ne doute point que Dieu n’ait pourvû cette Terre de toutes les choses qui sont necessaires aux hommes, pour s’y conserver en parfaite santé jusques à une extreme vieillesse : et bien qu’il n’y ait rien au monde si desirable que la connoissance de ces choses, en sorte qu’elle a esté autrefois la principale estude des Roys et des Sages, toutefois l’experience monstre qu’on est encore si eloigné de l’avoir toute, que souvent on est arresté au lit par de petits maux, que tous les plus savants Médecins ne peuvent connoistre, Le Gras, p. (20)
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et qu’ils ne font qu’aigrir par leurs remedes, lors qu’ils entreprenent de les chasser. En quoy le defaut de leur art, et le besoin qu’on a de le perfectionner, sont si evidens, que pour ceux qui ne conçoivent pas ce que c’est que la Physique, il suffit de leur dire qu’elle est la science qui doit enseigner à connoistre si parfaitement la nature de l’homme, et de toutes les choses qui luy peuvent servir d’alimens ou de remedes, qu’il luy soit aysé de s’exempter par son moyen de toutes sortes de maladies. Car sans parler de ses autres usages, celuy-la seul est assez important, pour obliger les plus insensibles, à favoriser les desseins d’un homme, qui a desja prouvé par les choses qu’il a inventées, qu’on a grand sujet d’attendre de luy tout ce qui reste encore à trouver en cette science.

Mais il est principalement besoin que le monde sçache que vous avez prouvé cela de vous. Et à cet effet il est necessaire que vous faciez un peu de violence à vostre humeur, et que vous Le Gras, p. (21)
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chassiez cette trop grande modestie, qui vous a empesché jusques icy, de dire de vous et des autres tout ce que vous estes obligé de dire. Ie ne veux point pour cela vous commettre avec les doctes de ce siecle : la pluspart de AT XI, 311 ceux ausquels on donne ce nom, à sçavoir tous ceux qui cultivent ce qu’on appelle communement les belles lettres, et tous les Iurisconsultes, n’ont aucun interest à ce que je pretens que vous devez dire. Les Theologiens aussi et les Medecins n’y en ont point, si ce n’est en tant que Philosophes. Car la Theologie ne depend aucunement de la Physique, ny mesme la Medecine, en la façon qu’elle est aujourd’huy pratiquée par les plus doctes et les plus prudens en cet art : ils se contentent, de suivre les maximes ou les regles qu’une longue experience a enseignées, et ils ne mesprisent pas tant la vie des hommes, que d’appuyer leurs jugemens, desquels souvent elle depend, sur les raisonnements incertains de la Philosophie de l’escole. Il ne reste donc Le Gras, p. (22)
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que les Philosophes, entre lesquels tous ceux qui ont de l’esprit sont desja pour vous, et seront tres-ayses de voir que vous produisiez la verité, en telle sorte que la malignité des Pedans ne la puisse opprimer. De façon que ce ne sont que les seuls Pedans, qui se puissent offencer de ce que vous aurez à dire ; et pource qu’ils sont la risée et le mespris de tous les plus honnestes gens, vous ne devez pas fort vous soucier de leur plaire. Outre que vostre reputation vous les a desja rendus autant ennemis qu’ils sçauroient estre ; Et au lieu que vostre modestie est cause que maintenant quelques uns d’eux ne craignent pas de vous attaquer, je m’assure que si vous vous faisiez autant valoir que vous pouvez, et que vous devez, ils se verroient si bas au dessous de vous, qu’il n’y en auroit aucun qui n’eust honte de l’entreprendre. Ie ne voy donc point qu’il y ait rien qui vous doive empescher de publier hardiment, tout ce que vous jugerez pouvoir servir à vostre dessein. Et rien ne me semble y estre plus utile, que Le Gras, p. (23)
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ce que vous avez desja mis en une lettre AT XI, 312 adressée au R. Pere Dinet, laquelle vous fistes imprimer il y a sept ans, pendant qu’il estoit Provincial des Iesuites de France.
Non ibi, disiez vous en parlant des Essais que vous aviez publiez cinq ou six ans auparavant, unam aut alteram, sed plus sexcentis quaestionibus explicui, quae sic à nullo ante me fuerunt explicatae; ac quamvis multi hactenus mea scripta transversis oculis inspexerint, modisque omnibus refutare conati sint, nemo tamen, quod sciam, quicquam non verum potuit in iis reperire. Fiat enumeratio quaestionum omnium, quae in tot saeculis, quibus aliae Philosophiae viguerunt, ipsarum ope solutae sunt, et forte nec tam multae, nec tam illustres invenientur. Quinimo profiteor ne unius quidem quaestionis solutionem, ope principiorum Peripateticae Philosophiae peculiarium, datam unquam fuisse, quam non possim demonstrare Le Gras, p. (24)
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esse illegitimam et falsam. Fiat periculum ; proponantur, non quidem omnes (neque enim operae pretium puto multum temporis ea in re impendere) sed paucae aliquae selectiores, stabo promissis, etc.
Ainsi malgré toute vostre modestie, la force de la verité vous a contraint d’escrire en cet endroit la, que vous aviez desja expliqué dans vos premiers Essais, qui ne contienent quasi que la Dioptrique et les Meteores, plus de six cents questions de Philosophie, que personne avant vous n’avoit sçeu si bien expliquer ; Et qu’encore que plusieurs eussent regardé vos escrits de travers, et cherché toutes sortes de moyens pour les refuter, vous ne sçaviez point toutefois que personne y eust encore pû rien remarquer qui ne fust pas AT XI, 313 vray. A quoy vous adjoustez, que si on veut conter une par une les questions qui ont pû estre resoluës par toutes les autres façons de philosopher, qui ont eu cours depuis que le monde est, on ne trouvera peut estre pas qu’elles soient en si grand nombre, ny Le Gras, p. (25)
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si notables. Outre cela vous assurez que, par les principes qui sont particuliers à la Philosophie qu’on attribuë à Aristote, et qui est la seule qu’on enseigne maintenant dans les Escoles, on n’a jamais sçeu trouver la vraye solution d’aucune question ; Et vous defiez expressement tous ceux qui enseignent, d’en nommer quelcune qui ait esté si bien resoluë par eux, que vous ne puissiez monstrer aucunaucune erreur en leur solution. Or ces choses ayant esté escrites à un Provincial des Iesuites, et, publiées il y a desja plus de sept ans, il n’y a point de doute que quelques uns des plus capables de ce grand corps, auroient tasché de les refuter, si elles n’estoient pas entierement vrayes, ou seulement si elles pouvoient estre disputées avec quelque apparence de raison. Car nonobstant le peu de bruit que vous faites, chacun sçait que vostre reputation est desja si grande, et qu’ils ont tant d’interest à maintenir que ce qu’ils enseignent n’est point mauvais, qu’ils ne peuvent dire qu’ils l’ont negligé. Mais tous les doctes sçavent assez, qu’il Le Gras, p. (26)
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n’y a rien en la Physique de l’Ecole qui ne soit douteux : et ils savent aussi qu’en telle matiere estre douteux, n’est guere meilleur qu’estre faux, à cause qu’une science doit estre certaine et demonstrative : de façon qu’ils ne peuvent trouver estrange que vous ayez assuré que leur Physique ne contient la vraye solution d’aucune question. Car cela ne signifie autre chose, sinon qu’elle ne contient la demonstration d’aucune verité que les autres ignorent. Et si quelcun d’eux examine vos escrits pour les refuter, il AT XI, 314 trouve tout au contraire, qu’ils ne contienent que des demonstrations, touchant des matieres qui estoient auparavant ignorées de tout le monde. C’est pourquoy estant sages et avisez comme ils sont, je ne m’estonne pas qu’ils se taisent ; mais je m’estonne que vous n’ayez encore daigné tirer aucun avantage de leur silence, à cause que vous ne sçauriez rien souhaiter qui face mieux voir combien vostre Physique differe de celle des autres. Et il importe qu’on remarque leur difference, affin que la Le Gras, p. (27)
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mauvaise opinion que ceux qui sont employez dans les affaires, et qui y reüsissent le mieux, ont coustume d’avoir de la Philosophie, n’empesche pas qu’ils ne connoissent le prix de la vostre. Car ils ne jugent ordinairement de ce qui arrivera, que par ce qu’ils ont desja vû arriver, et pource qu’ils n’ont jamais aperceu que le public ait recueilli aucun autre fruit de la Philosophie de l’Escole, sinon qu’elle a rendu quantité d’hommes Pedans, ils ne sçauroient pas imaginer qu’on en doive attendre de meilleurs de la vostre, si ce n’est qu’on leur fasse considerer que celle cy estant toute vraye, et l’autre toute fausse, leurs fruicts doivent estre entierement différens. En effet c’est un grand argument, pour prouver qu’il n’y a point de verité en la Physique de l’Escole, que de dire qu’elle est instituée pour enseigner toutes les inventions utiles à la vie, et que neantmoins, bien qu’il en ait esté trouvé plusieurs de temps en temps, ce n’a jamais esté par le moyen de cette Physique, mais seulement par hasard et par usage ; ou Le Gras, p. (28)
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bien si quelque science y a contribué, ce n’a esté que la Mathematique : et elle est aussi la seule de toutes les sciences humaines, en laquelle on ait cy-devant pû trouver quelques verités qui ne peuvent estre mises en doute. Ie sçay bien que les Philosophes la veulent AT XI, 315 recevoir pour une partie de leur Physique ; mais pource qu’ils l’ignorent presque tous, et qu’il n’est pas vray qu’elle en soit une partie, mais au contraire que la vraye Physique est une partie de la Mathematique, cela ne peut rien faire pour eux. Mais la certitude qu’on a desja reconnuë dans la Mathematique fait beaucoup pour vous. Car c’est une science en laquelle il est si constant que vous excellez, et vous avez tellement en cela surmonté l’envie, que ceux mesmes qui sont jaloux de l’estime qu’on fait de vous pour les autres sciences, ont coustume de dire que vous surpassez tous les autres en celle-cy, affin qu’en vous accordant une loüange qu’ils sçavent ne vous pouvoir estre disputée, ils soient moins soupçonnez de calomnie, lors qu’ils Le Gras, p. (29)
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taschent de vous en oster quelques autres. Et on voit en ce que vous avez publié de Geometrie, que vous y determinez tellement jusques ou l’esprit humain peut aller, et qu’elles sont les solutions qu’on peut donner à chaque sorte de difficultez, qu’il semble que vous avez recueilly toute la moisson, dont les autres qui ont escrit avant vous ont seulement pris quelques espis, qui n’estoient pas encore meurs, et tous ceux qui viendront apres ne peuvent estre que comme des glaveursglaneurs, qui ramasseront ceux que vous leur avez voulu laisser. Outre que vous avez montré par la solution prompte et facile de toutes les questions, que ceux qui vous ont voulu tenter ont proposées, que la Methode dont vous usez à cet effect est tellement infallible, que vous ne manquez jamais de trouver par son moyen, touchant les choses que vous examinez, tout ce que l’esprit humain peut trouver. De façon que pour faire qu’on ne puisse douter, que vous soyez capable de mettre la Physique en sa derniere perfection, Le Gras, p. (30)
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il faut seulement que vous prouviez, AT XI, 316 qu’elle n’est autre chose qu’une partie de la Mathematique. Et vous l’avez desja tres-clairement prouvé dans vos Principes, lorsqu’en y expliquant toutes les qualitez sensibles, sans rien considerer que les grandeurs, les figures, et les mouvemens, vous avez monstré que ce monde visible, qui est tout l’objet de la Physique, ne contient qu’une petite partie des corps infinis, dont on peut imaginer que toutes les proprietez ou qualitez ne consistent qu’en ces mesmes choses, au lieu que l’objet de la Mathematique les contient tous. Le mesme peut aussi estre prouvé par l’experience de tous les siecles. Car encore qu’il y ait eu de tout temps plusieurs des meilleurs esprits, qui se sont employez à la recherche de la Physique, on ne sçauroit dire que jamais personne y ait rien trouvé (c’est à dire soit parvenu à aucune vraye connoissance touchant la nature des choses corporelles) par quelque principe qui n’appartienne pas à la Mathematique. Au lieu que par ceux qui luy appartiennent, on a Le Gras, p. (31)
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desja trouvé une infinité de choses tres-utiles, à sçavoir presque tout ce qui est connu en l’Astronomie, en la Chirurgie, et en tous les arts Mechaniques ; dans lesquels s’il y a quelque chose de plus que ce qui appartient à cette science, il n’est pas tiré d’aucune autre, mais seulement de certaines observations dont on ne connoist point les vrayes causes. Ce qu’on ne sçauroit considérer avec attention, sans estre contraint d’avoüer que, c’est par la Mathematique seule qu’on peut parvenir à la connoissance de la vraye Physique. Et d’autant qu’on ne doute point que vous n’excelliez en celle-là, il n’y a rien qu’on ne doive attendre de vous en celle-cy. Toutefois il reste encore un peu de scrupule, en ce qu’on voit que tous ceux qui ont acquis quelque reputation par la Mathematique, ne sont pas pour cela AT XI, 317 capables de rien trouver en la Physique, et mesme que quelques uns d’eux comprenent moins les choses que vous en avez escrites, que plusieurs qui n’ont jamais cy devant appris aucune science. Mais on peut respondre à cela, que bien Le Gras, p. (32)
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que sans doute ce soient ceux, qui ont l’esprit le plus propre à concevoir les verités de la Mathematique, qui entendent le plus facilement vostre Physique, à cause que tous les raisonnemens de celle-cy sont tirez de l’autre ; il n’arrive pas tousjours que ces mesmes ayent la reputation d’estre les plus sçavants en Mathematique : à cause que pour acquerir cette reputation, il est besoin d’estudier les livres de ceux qui ont desja escrit de cette science, ce que la pluspart ne font pas ; et souvent ceux qui les estudient, taschent d’obtenir par travail ce que la force de leur esprit ne leur peut donner, fatiguent trop leur imagination, et mesme la blessent, et acquerent avec cela plusieurs prejugés : ce qui les empesche bien plus de concevoir les verités que vous escrivez, que de passer pour grands Mathematiciens ; à cause qu’il y a si peu de personnes qui s’appliquent à cette science, que souvent il n’y a qu’eux en tout un pays : et encore que quelquefois il y en ait d’autres, ils ne laissent pas de faire beaucoup de bruit, Le Gras, p. (33)
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d’autant que le peu qu’ils sçavent leur a cousté beaucoup de peine. Au reste il n’est pas malaysé de concevoir les verités qu’un autre a trouvées ; il suffit à cela d’avoir l’esprit degagé de toutes sortes de faux prejugés, et d’y vouloir appliquer assez son attention. Il n’est pas aussi fort difficile d’en rencontrer quelques unes detachées des autres, ainsi qu’ont fait autrefois Thales, Pythagore, Archimède, et en nostre siecle Gilbert, Kepler, Galilée, Harvejus, et quelques autres. Enfin on peut sans beaucoup de peine imaginer un corps AT XI, 318 de Philosophie, moins monstrueux, et appuié sur des conjectures plus vraysemblables que n’est celuy qu’on tire des escrits d’Aristote : ce qui a esté fait aussi par quelques uns en ce siecle. Mais d’en former un qui ne contiene que des veritez, prouvées par des demonstrations aussi claires et aussi certaines que celles des Mathematiques, c’est chose si difficile, et si rare, que depuis plus de cinquante siecles que le monde a desja duré, il ne s’est trouvé que vous seul qui avez fait voir par vos Le Gras, p. (34)
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escrits, que vous en pouvez venir à bout. Mais comme lors qu’un Architecte a posé tous les fondemens, et elevé les principales murailles de quelque grand bastiment, on ne doute point qu’il ne puisse conduire son dessein jusques à la fin, à cause qu’on voit qu’il a desja fait ce qui estoit le plus difficile : Ainsi ceux qui ont leu avec attention le livre de vos Principes, considerans comment vous y avez posé les fondemens de toute la Philosophie naturelle, et combien sont grandes les suites de veritez que vous en avez deduites, ne peuvent douter que la Methode dont vous usez ne soit suffisante, pour faire que vous acheviez de trouver tout ce qui peut estre trouvé en la Physique : à cause que les choses que vous avez desja expliquées, à sçavoir la nature de l’aymant, du feu, de l’air, de l’eau, de la terre, et de tout ce qui paroist dans les cieux, ne semblent point estre moins difficiles que celles qui peuvent encore estre desirées.

Toutefois il faut icy adjouster, que tant expert qu’un Architecte soit en son Le Gras, p. (35)
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art, il est impossible qu’il acheve le bastiment qu’il a commencé, si les materiaux qui doivent y estre employez luy manquent. Et en mesme façon que tant parfaite que puisse estre vostre Methode, elle ne peut faire que vous poursuiviez en l’explication des causes naturelles, AT XI, 319 si vous n’avez point les experiences qui sont requises pour determiner leurs effets. Ce qui est le dernier des trois points que je croy devoir estre principalement expliquez, à cause que la pluspart des hommes ne conçoit pas combien ces experiences sont necessaires, ny quelle depense y est requise. Ceux qui sans sortir de leur cabinet, ny jetter les yeux ailleurs que sur leurs livres, entreprenent de discourir de la nature, peuvent bien dire en quelle façon ils auroient voulu creer le monde, si Dieu leur en avoit donné la charge et le pouvoir, c’est à dire ils peuvent escrire des Chimeres, qui ont autant de rapport avec la foiblesse de leur esprit, que l’admirable beauté de cet Vnivers avec la puissance infinie de son auteur ; mais, à moins Le Gras, p. (36)
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que d’avoir un esprit vrayment divin, ils ne peuvent ainsi former d’eux mesmes une idée des choses, qui soit semblable à celle que Dieu a euë pour les creer. Et quoy que vostre Methode promette tout ce qui peut estre esperé de l’esprit humain, touchant la recherche de la verité dans les sciences, elle ne promet pas neantmoins d’enseigner à deviner, mais seulement à deduire de certaines choses données toutes les veritez qui peuvent en estre deduites : et ces choses données en la Physique ne peuvent estre que des experiences. Mesme à cause que ces experiences sont de deux sortes ; les unes faciles, et qui ne dependent que de la reflexion qu’on fait sur les choses qui se presentent au sens d’elles mesmes ; les autres plus rares et difficiles, auxquelles on ne parvient point sans quelque estude et quelque despense : on peut remarquer que vous avez desja mis dans vos ecrits tout ce qui semble pouvoir estre deduit des experiences faciles, et mesme aussi de celles des plus rares que vous avez pû apprendre des livres. Car Le Gras, p. (37)
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outre que vous y avez expliqué la nature de AT XI, 320 toutes les qualités qui meuvent les sens, et de tous les corps qui sont les plus communs sur cette terre, comme du feu, de l’air, de l’eau et de quelques autres, vous y avez aussi rendu raison de tout ce qui a esté observé jusques à present dans les cieux, de toutes les proprietés de l’aymant, et de plusieurs observations de la Chymie. De façon qu’on n’a point de raison d’attendre rien davantage de vous, touchant la Physique, jusques à ce que vous ayez davantage d’experiences, desquelles vous puissiez rechercher les causes. Et je ne m’estonne pas que vous n’entrepreniez point de faire ces experiences à vos despens. Car je sçay que la recherche des moindres choses couste beaucoup ; et sans mettre en compte les Alchimistes, ny tous les autres chercheurs de secrets, qui ont coustume de se ruiner à ce mestier, j’ay ouy dire que la seule pierre d’aymant a fait despendre plus de cinquante mille escus à Gilbert, quoy qu’il fust homme de tres-bon esprit, comme il a monstré en ce qu’il a esté le Le Gras, p. (38)
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premier qui a decouvert les principales proprietez de cette pierre. I’ay vû aussi l’
Instauratio magna et le Novus Atlas du Chancelier Bacon, qui me semble estre, de tous ceux qui ont escrit avant vous, celuy qui a eu les meilleures pensées, touchant la Methode qu’on doit tenir pour conduire la Physique à sa perfection ; mais tout le revenu de deux ou trois Roys, des plus puissans de la terre, ne suffiroit pas pour mettre en execution toutes les choses qu’il requert à cet effect. Et bien que je ne pense point que vous ayez besoin de tant de sortes d’experiences qu’il en imagine, à cause que vous pouvez suppléer à plusieurs, tant par vostre adresse, que par la connoissance des verités que vous avez desja trouvées ; Toutefois considerant que le nombre des corps particuliers qui vous restent encore à examiner est presque AT XI, 321 infini, Qu’il n’y en a aucun qui n’ait assez de diverses proprietés, et dont on ne puisse faire assez grand nombre d’espreuves, pour y employer tout le loisir et tout le travail de plusieurs Le Gras, p. (39)
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hommes ; Que suivant les regles de vostre Methode il est besoin que vous examiniez en mesme temps toutes les choses qui ont entre elles quelque affinité, affin de remarquer mieux leurs differences, et de faire des denombremens qui vous assurent, Que vous pouvez ainsi utilement vous servir en un mesme temps de plus de diverses experiences, que le travail d’un tres-grand nombre d’hommes addroits n’en sçauroit fournir, Et en fin que vous ne sçauriez avoir ces hommes addroits qu’à force d’argent, à cause que si quelques uns s’y vouloient gratuitement employer, ils ne s’assujettiroient pas assez à suivre vos ordres, et ne feroient que vous donner occasion de perdre du temps : Considerant disje toutes ces choses, je comprends aysement que vous ne pouvez achever dignement le dessein que vous avez commencé dans vos Principes, c’est à dire, expliquer en particulier tous les mineraux, les plantes, les animaux, et l’homme, en la mesme façon que vous y avez desja expliqué tous les elemens de la terre, et Le Gras, p. (40)
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tout ce qui s’observe dans les cieux, si ce n’est que le public fournisse les frais qui sont requis à cet effect, et que d’autant qu’ils vous seront plus liberalement fournis, d’autant pourrez vous mieux executer vostre dessein.

Or à cause que ces mesmes choses peuvent aussi fort aysement estre comprises par un chacun, et sont toutes si vrayes qu’elles ne peuvent estre mises en doute, je m’assure que si vous les representiez en telle sorte, qu’elles vinssent à la connoissance de ceux, à qui Dieu ayant donné le pouvoir de commander aux peuples de la terre, a aussi donné la charge AT XI, 322 et le soin de faire tous leurs efforts pour avancer le bien du public, il n’y auroit aucun d’eux qui ne voulust contribuer à un dessein si manifestement utile à tout le monde. Et bien que nostre France, qui est vostre Patrie, soit un Estat si puissant qu’il semble que vous pourriez obtenir d’elle seule tout ce qui est requis à cet effect, toutefois à cause que les autres nations n’y ont pas moins d’interest qu’elle, je m’assure que plusieurs seroient assez genereuses Le Gras, p. (41)
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pour ne luy pas ceder en cet office, et qu’il n’y en auroit aucune qui fust si barbare que de ne vouloir point y avoir part.

Mais si tout ce que j’ay escrit icy ne suffit pas, pour faire que vous changiez d’humeur, je vous prie au moins de m’obliger tant, que de m’envoyer vostre traité des Passions, et de trouver bon que j’y adjouste une preface avec laquelle il soit imprimé. Ie tascheray de la faire en telle sorte, qu’il n’y aura rien que vous puissiez desapprouver, et qui ne soit si conforme au sentiment de tous ceux qui ont de l’esprit et de la vertu, qu’il n’y en aura aucun qui apres l’avoir leuë, ne participe au zele que j’ay pour l’accroissement des sciences, et pour estre, etc.

De Paris, le 6 Novembre, 1648.