Camusat – Le Petit, p. 208
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Demandes.

Ie demande premierement, que les Lecteurs considerent combien foibles sont les raisons qui leur ont fait iusques icy adjouster foy à leurs sens, et combien sont incertains tous les iugemens qu’ils ont depuis apuyez sur eux ; et qu’ils repassent si long temps et si souuent cette consideration en leur esprit, qu’enfin ils acquierent l’habitude AT IX-1, 126 de ne se plus confier si fort en leurs sens ; Car i’estime que cela est necessaire pour se rendre capable de connoistre la verité des choses Metaphysiques, lesquelles ne dépendent point des sens.

En second lieu, Ie demande qu’ils considerent leur propre esprit, et tous ceux de ses attributs dont ils reconnoistront ne pouuoir en aucune façon douter, encore mesme qu’ils suposassent que tout ce qu’ils ont iamais receu par les sens fust entierement faux ; et qu’ils ne cessent point de le considerer, que premierement ils n’ayent acquis l’vsage de le conceuoir distinctement, et de croire qu’il est plus aisé à connoistre que toutes les choses corporelles.

En troisiéme lieu. Qu’ils examinent diligemment les propositions qui n’ont pas besoin de preuue pour estre connuës, et dont chacun trouue les notions en soy-mesme, comme sont celles-cy. Qu’vne mesme chose ne peut pas estre et n’estre point tout ensemble. Que le rien ne peut pas estre la cause efficiente d’aucune chose : et Camusat – Le Petit, p. 209
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autres semblables ; et qu’ainsi ils exercent cette clairtéclarté de l’entendement qui leur a esté donnée par la nature, mais que les perceptions des sens ont accoutumé de troubler, et d’obscurcir ; qu’ils l’exercent, dis-je, toute pure, et deliurée de leurs prejugez ; Car par ce moyen la verité des axiomes suiuans leur sera fort euidente.

En quatriéme lieu. Qu’ils examinent les idées de ces natures, qui contiennent en elles vn assemblage de plusieurs attributs ensemble, comme est la nature du triangle, celle du quarré, ou de quelque autre figure ; Comme aussi la nature de l’esprit, la nature du corps, et par dessus toutes la nature de Dieu, ou d’vn estre souuerainement parfait. Et qu’ils prennent garde qu’on peut assurer auec verité, que toutes ces choses-là sont en elles, que nous conceuons clairement y estre contenuës. Par exemple, parce que dans la nature du triangle rectiligne il est contenu que ses trois angles sont égaux à deux droits ; et que dans la nature du corps, ou d’vne chose étenduë, la diuisibilité y est comprise, (car nous ne conceuons point de chose étenduë si petite, que nous ne la puissions diuiser au moins par la pensée) Il est vray de dire que les trois angles de tout triangle rectiligne sont égaux à deux droits, et que tout corps est diuisible.

En cinquiéme lieu. Ie demande qu’ils s’arrestent longtemps à contempler la nature de l’estre souuerainement parfait : Et entr’autres choses, qu’ils considerent que dans les idées de toutes les autres natures, Camusat – Le Petit, p. 210
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l’existence possible se trouue bien contenuë ; mais que dans l’idée de Dieu non seulement l’existence possible y est contenuë, mais de plus la necessaire. Car de cela seul, et sans aucun raisonnement, ils connoistront que Dieu cxiste ; et il ne leur sera pas moins clair et AT IX-1, 127 euident sans autre preuue, qu’il leur est manifeste que deux est vn nombre pair, et que trois est vn nombre impair, et choses semblables. Car il y a des choses qui sont ainsi connuës sans preuues par quelques-vns, que d’autres n’entendent que par vn long discours, et raisonnement.

En sixiéme lieu. Que considerant auec soin tous les exemples d’vne claire et distincte perception, et tous ceux dont la perception est obscure et confuse, desquels i’ay parlé dans mes Meditations, ils s’accoutument à distinguer les choses qui sont clairement connuës, de celles qui sont obscures : car cela s’aprend mieux par des exemples, que par des règles ; et ie pense qu’on n’en peut donner aucun exemple, dont ie n’aye touché quelque chose.

En septiéme lieu. Ie demande que les lecteurs prenans garde qu’ils n’ont iamais reconnu aucune fausseté dans les choses qu’ils ont clairement conceuës, et qu’au contraire ils n’ont iamais rencontré, sinon par hazard, aucune verité dans les choses qu’ils n’ont conceuës qu’auec obscurité : Ils considerent que ce seroit vne chose entierement déraisonnable, si pour quelques prejugez des sens, ou pour quelques supositions faites à plaisir, et fondées sur quelque Camusat – Le Petit, p. 211
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chose d’obscur, et d’inconnu, ils reuoquoient en doute les choses que l’entendement conçoit clairement et distinctement : Au moyen de quoy ils admettront facilement les Axiomes suiuans pour vrays, et indubitables ; Bien que j’auouë que plusieurs d’entr’eux eussent pû estre mieux expliquez, et eussent deu estre plutost proposez comme des theorèmes, que comme des Axiomes, si i’eusse voulu estre plus exact.