Camusat – Le Petit, p. 60
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MEDITATION QVATRIÉME.
Du vray, et du Faux.

Ie me suis tellement accoustumé ces iours passez à détacher mon esprit des sens, et i’ay si exactement remarqué qu’il y a fort peu de choses, que l’on connoisse auec certitude touchant les choses corporelles, qu’il y en a beaucoup plus qui nous sont connuës touchant l’esprit humain, et beaucoup plus encore de Dieu mesme, que maintenant ie destourneray sans aucune difficulté ma pensée de la consideration des choses sensibles, ou imaginables, pour la porter à celles qui estant dégagées de toute matiere sont purement intelligibles.

Et certes l’idee que i’ay de l’esprit humain, entant qu’il est vne chose qui pense, et non estenduë en longueur, largeur et profondeur, et qui ne participe à Camusat – Le Petit, p. 61
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rien de ce qui appartient au corps, est incomparablement plus distincte que l’idée d’aucune chose corporelle : Et lorsque ie considere que ie doute, c’est à dire que ie suis vne chose incomplete et dependante, l’idée d’vn estre complet et independant, c’est à dire de Dieu, se presente à mon esprit auec tant de distinction et de clarté : Et de cela seul que cette idée se retrouue en moy, ou bien que ie suis, ou existe, moy qui possede cette idée, ie conclus si euidemment l’existence de Dieu, et que la mienne dépend entierement de luy en tous les momens de ma vie, que ie ne pense pas que l’esprit humain puisse rien connoistre auec plus d’euidence et de certitude. Et desia il me semble que ie découure vn chemin, qui nous conduira de cette contemplation du vray Dieu (dans laquelle tous les tresors de la science et de la sagesse sont renfermez) à la connoissance des autres choses de l’Vniuers.

Car premierement ie reconnois qu’il est impossible que iamais il AT IX-1, 43 me trompe, puis qu’en toute fraude et tromperie il se rencontre quelque sorte d’imperfection : Et quoy qu’il semble que pouuoir tromper soit vne marque de subtilité, ou de puissance, toutesfois vouloir tromper témoigne sans doute de la foiblesse ou de la malice. Et partant cela ne peut se rencontrer en Dieu.

En aprés i’experimente en moy-mesme vne certaine puissance de iuger, laquelle sans doute i’ay receuë de Dieu, de mesme que tout le reste des choses que ie Camusat – Le Petit, p. 62
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possede ; et comme il ne voudroit pas m’abuser, il est certain qu’il ne me l’a pas donnée telle, que ie puisse iamais faillir, lors que l’en vseray comme il faut. Et il ne resteroit aucun doute de cette verité, si l’on n’en pouuoit ce femble tirer cette consequence, qu’ainsi donc ie ne me puis iamais tromper ; Car si ie tiens de Dieu tout ce que ie possede, et s’il ne m’a point donné de puissance pour faillir, il semble que ie ne me doiue iamais abuser. Et de vray lors que ie ne pense qu’à Dieu, ie ne découure en moy aucune cause d’erreur ou de fausseté : Mais puis aprés reuenant à moy, l’experience me fait connoistre que ie suis neantmoins sujet à vne infinité d’erreurs, desquelles recherchant la cause de plus prés, ie remarque qu’il ne se presente pas seulement à ma pensée vne réelle et positiue idée de Dieu, ou bien d’vn estre souuerainement parfait, mais aussi, pour ainsi parler, vne certaine idée negatiue du neant, c’est à dire de ce qui est infiniment éloigné de toute sorte de perfection : Et que ie suis comme vn milieu entre Dieu et le neant, c’est à dire placé de telle sorte entre le souuerain estre et le non estre, qu’il ne se rencontre de vray rien en moy qui me puisse conduire dans l’erreur, entant qu’vn souuerain estre m’a produit : Mais que si ie me considere comme participant en quelque façon du neant ou du non estre, c’est à dire en tant que ie ne suis pas moy-mesme le souuerain estre, ie me trouue exposé à vne infinité de manquemens, de façon que ie ne me dois pas estonner si ie me trompe.

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Ainsi ie connois que l’erreur, entant que telle, n’est pas quelque chose de réel qui depende de Dieu, mais que c’est seulement vn defaut ; et partant que ie n’ay pas besoin pour faillir de quelque puissance qui m’ait esté donnée de Dieu particulierement pour cét effect, mais qu’il arriue que ie me trompe, de ce que la puissance que Dieu m’a donnée pour discerner le vray d’auec le faux, n’est pas en moy infinie.

Toutesfois cela ne me fatisfait pas encore tout à fait, car l’erreur n’est pas vne pure négation, c’est à dire, n’est pas le simple defaut ou manquement de quelque perfection qui ne m’est point AT IX-1, 44 deuë, mais plutost est vne priuation de quelque connoissance qu’il semble que ie deurois posseder : Et considerant la nature de Dieu, il ne me semble pas possible qu’il m’ait donné quelque faculté qui soit imparfaite en son genre, c’est à dire, qui manque de quelque perfection qui luy soit deuë : Car s’il est vray que plus l’artisan est expert, plus les ouurages qui sortent de ses mains sont parfaits et accomplis, quel estre nous imaginerons-nous auoir esté produit par ce souuerain Createur de toutes choses, qui ne soit parfait et entierement acheué en toutes ses parties ? Et certes il n’y a point de doute que Dieu n’ait peu me créer tel, que ie ne me peusse iamais tromper ; il est certain aussi qu’il veut tousiours ce qui est le meilleur ; m’est-il donc plus auantageux de faillir que de ne point faillir ?

Considerant cela auec plus d’attention, il me vient d’abord en la pensée que ie ne me dois point Camusat – Le Petit, p. 64
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estonner si mon intelligence n’est pas capable de comprendre pourquoy Dieu fait ce qu’il fait, et qu’ainsi ie n’ay aucune raison de douter de son existence, de ce que peut-estre ie voy par experience beaucoup d’autres choses, sans pouuoir comprendre pour quelle raison, ny comment Dieu les a produites : Car sçachant desia que ma nature est extremement foible et limitée, et au contraire que celle de Dieu est immense, incomprehensible, et infinie, ie n’ay plus de peine à reconnoistre qu’il y a vne infinité de choses en sa puissance, desquelles les causes surpassent la portée de mon esprit ; Et cette seule raison est suffisante pour me persuader que tout ce genre de causes qu’on a coustume de tirer de la fin, n’est d’aucun vsage dans les choses Physiques, ou naturelles : car il ne me semble pas que ie puisse sans temerité rechercher et entreprendre de découurir les fins impenetrables de Dieu.

De plus il me tombe encore en l’esprit, qu’on ne doit pas considerer vne seule creature separement, lors qu’on recherche si les ouurages de Dieu sont parfaits, mais generalement toutes les creatures ensemble : Car la mesme chose qui pourroit peut-estre auec quelque sorte de raison sembler fort imparfaite, si elle estoit toute seule, se rencontre tres-parfaite en sa nature, si elle est regardée comme partie de tout cét Vniuers : Et quoy que depuis que i’ay fait dessein de douter de toutes choses, ie n’ay connu certainement que mon existence, et celle de Dieu : Camusat – Le Petit, p. 65
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Toutesfois aussi depuis que i’ay reconnu l’infinie puissance de Dieu, ie ne sçaurois nier qu’il n’ait produit beaucoup d’autres choses, ou du moins qu’il n’en puisse produire, en sorte que i’cxiste, et sois placé dans le monde, comme faisant partie de l’vniuersité de tous les estres.

AT IX-1, 45 En suite de quoy me regardant de plus prés, et considerant quelles sont mes erreurs, (lesquelles seules témoignent qu’il a en moy de l’imperfection) ie trouue qu’elles dépendent du concours de deux causes, à sçauoir, de la puissance de connoistre qui est en moy ; et de la puissance d’élire, ou bien de mon libre arbitre ; c’est à dire, de mon entendement, et ensemble de ma volonté. Car par l’entendement seul ie n’asseure ny ne nie aucune chose, mais ie conçoy seulement les idées des choses, que ie puis asseurer ou nier. Or en le considerant ainsi precisément, on peut dire qu’il ne se trouue iamais en luy aucune erreur, pourueu qu’on prenne le mot d’erreur en sa propre signification. Et encore qu’il y ait peut-estre vne infinité de choses dans le monde, dont ie n’ay aucune idée en mon entendement, on ne peut pas dire pour cela qu’il soit priué de ces idées, comme de quelque chose qui soit deuë à sa nature, mais seulement qu’il ne les a pas ; parce qu’en effet il n’y a aucune raison qui puisse prouuer, que Dieu ait deu me donner vne plus grande et plus ample faculté de connoistre, que celle qu’il m’a donnée ; et quelque adroit et sçauant ouurier que ie me le represente, ie ne dois Camusat – Le Petit, p. 66
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pas pour cela penser, qu’il ayt deu mettre dans chacun de ses ouurages toutes les perfections qu’il peut mettre dans quelques vns. Ie ne puis pas aussi me plaindre que Dieu ne m’a pas donné vn libre arbitre, ou vne volonté assez ample et parfaite ; puis qu’en effet ie l’expérimente si vague et si étenduë, qu’elle n’est renfermée dans aucunes bornes. Et ce qui me semble bien remarquable en cét endroit, est que de toutes les autres choses qui sont en moy, il n’y en a aucune si parfaite et si estenduë, que ie ne reconnoisse bien qu’elle pouroit estre encore plus grande et plus parfaite. Car, par exemple, si ie considere la faculté de conceuoir qui est en moy, ie trouue qu’elle est d’vne fort petite étenduë, et grandement limitée, et tout ensemble ie me represente l’idée d’vne autre faculté beaucoup plus ample, et mesme infinie ; et de cela seul que ie puis me representer son idée, ie connois sans difficulté qu’elle appartient à la nature de Dieu. En mesme façon, si j’examine la memoire, ou l’imagination, ou quelqu’autre puissance, ie n’en trouue aucune qui ne soit en moy tres petite et bornée, et qui en Dieu ne soit immense et infinie. Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moy estre si grande, que ie ne conçoy point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étenduë : En sorte que c’est elle principalement qui me fait connoistre que ie porte l’image, et la ressemblance de Dieu. Car encore qu’elle soit incomparablement plus grande dans Dieu, que dans moy, soit à raison de la AT IX-1, 46 Camusat – Le Petit, p. 67
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connoissance et de la puissance, qui s’y trouuant iointes la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l’objet, d’autant qu’elle se porte et s’estend infiniment à plus de choses ; Elle ne me semble pas toutesfois plus grande, si ie la considere formellement et precisement en elle-mesme : Car elle consiste seulement en ce que nous pouuons faire vne chose, ou ne la faire pas, (c’est à dire affirmer ou nier, poursuiure ou fuir) ou plustost seulement en ce que pour affirmer ou nier, poursuiure ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force exterieure nous y contraigne. Car afin que ie sois libre, il n’est pas necessaire que ie sois indifferent à choisir l’vn ou l’autre des deux contraires, mais plutost d’autant plus que ie panche vers l’vn, soit que ie connoisse euidemment que le bien et le vray s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’interieur de ma pensée, d’autant plus librement i’en fais choix, et ie l’embrasse : Et certes la grace diuine et la connoissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l’augmentent plustost, et la fortifient. De façon que cette indifference que ie sens, lors que ie ne suis point emporté vers vn costé plustost que vers vn autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutost paroistre vn défaut dans la connoissance, qu’vne perfection dans la volonté ; car si ie connoissois tousiours clairement ce qui est vray, et ce qui est bon, ie ne serois iamais en peine Camusat – Le Petit, p. 68
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de deliberer quel iugement, et quel choix ie deurois faire ; et ainsi ie serois entierement libre, sans iamais estre indifferent.

De tout cecy ie reconnois que ny la puissance de vouloir, laquelle i’ay receuë de Dieu, n’est point d’elle-mesme la cause de mes erreurs : car elle est tres ample et tres parfaite en son espece ; ny aussi la puissance d’entendre ou de conceuoir : car ne conceuant rien que par le moyen de cette puissance que Dieu m’a donnée pour conceuoir, sans doute que tout ce que ie conçoy, ie le conçoy comme il faut, et il n’est pas possible qu’en cela ie me trompe. D’où est-ce donc que naissent mes erreurs ? c’est à sçauoir, de cela seul, que la volonté estant beaucoup plus ample et plus étenduë que l’entendement, ie ne la contiens pas dans les mesmes limites, mais que ie l’estens aussi aux choses que ie n’entens pas ; ausquelles estant de soy indifferente, elle s’égare fort aisement, et choisit le mal pour le bien, ou le faux pour le vray. Ce qui fait que ie me trompe, et que ie peche.

Par exemple, examinant ces iours passez si quelque chose existoit dans le monde, et connoissant que de cela seul que i’examinois AT IX-1, 47 cette question, il suiuoit tres-éuidemment que l’existois moy-mesme, ie ne pouuois pas m’empescher de iuger qu’vne chose que ie conceuois si clairement estoit vraye, non que ie m’y trouuasse forcé par aucune cause exterieure, mais seulement, parce que d’vne grande clarté qui estoit en mon entendement, suiuya suiuy vne grande Camusat – Le Petit, p. 69
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inclination en ma volonté ; et ie me suis porté à croire auec d’autant plus de liberté, que ie me suis trouué auec moins d’indifference. Au contraire, à present ie ne connois pas seulement que i’existe, en tant que ie suis quelque chose qui pense, mais il se presente auffi à mon esprit vne certaine idée de la nature corporelle, ce qui fait que ie doute si cette nature qui pense qui est en moy, ou plutost par laquelle ie suis ce que ie suis, est different de cette nature corporelle, ou bien si toutes deux ne sont qu’vne mesme chose : Et ie suppose icy que ie ne connois encore aucune raison, qui me persuade plustost l’vn que l’autre : d’où il suit que ie suis entierement indifferent à le nier, ou à l’assurer, ou bien mesme à m’abstenir d’en donner aucun iugement.

Et cette indifference ne s’étend pas seulement aux choses dont l’entendement n’a aucune connoissance, mais generalement aussi à toutes celles qu’il ne découure pas auec vne parfaite clarté, au moment que la volonté en delibere ; car pour probables que soyent les coniectures qui me rendent enclin à iuger quelque chose, la seule connoissance que i’ay que ce ne sont que des coniectures, et non des raisons certaines et indubitables, suffit pour me donner occasion de iuger le contraire : Ce que i’ay suffisamment experimenté ces iours passez, lors que i’ay posé pour faux, tout ce que i’auois tenu auparauant pour tres-veritable, pour cela seul que i’ay remarqué que l’on en pouuoit douter en quelque sorte.

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Or ie m’abstiens de donner mon iugement sur vne chose, lors que ie ne la conçoy pas auec assez de clarté et de distinction, il est éuident que i’en vse fort bien, et que ie ne suis point trompé ; Mais si ie me determine à la nier, ou asseurer, alors ie ne me sers plus comme ie dois de mon libre arbitre ; Et si i’assure ce qui n’est pas vray, il est euident que ie me trompe ; mesme aussi encore que ie iuge selon la verité, cela n’arriue que par hazard, et ie ne laisse pas de faillir, et d’vser mal de mon libre arbitre ; Car la lumiere naturelle nous enseigne, que la connoissance de l’entendement doit tousiours preceder la determination de la volonté. Et c’est dans ce mauuais vsage du libre arbitre, que se rencontre la priuation qui AT IX-1, 48 constituë la forme de l’erreur. La priuation, dis-je, se rencontre dans l’operation, en tant qu’elle procede de moy, mais elle ne se trouue pas dans la puissance que i’ay receuë de Dieu, ny mesme dans l’operation, en tant qu’elle depend de luy. Car ie n’ay certes aucun sujet de me plaindre, de ce que Dieu ne m’a pas donné vne intelligence plus capable, ou vne lumiere naturelle plus grande que celle que ie tiens de luy ; puis qu’en effet il est du propre de l’entendement finy, de ne pas comprendre vne infinité de choses, et du propre d’vn entendement crée d’estre finy : Mais i’ay tout sujet de luy rendre grâces, de ce que ne m’ayant iamais rien deu, il m’a neantmoins donné tout le peu de perfections qui est en moy ; bien loin de conceuoir des sentiments si iniustes, que de m’imaginer qu’il Camusat – Le Petit, p. 71
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m’ait osté, ou retenu iniustement les autres perfections qu’il ne m’a point données. Ie n’ay pas aussi sujet de me plaindre, de ce qu’il m’a donné vne volonté plus étenduë que l’entendement, puis que la volonté ne consistant qu’en vne seule chose, et son sujet estant comme indiuisible, il semble que sa nature est telle qu’on ne luy sçauroit rien oster sans la destruire ; Et certes plus elle se trouue estre grande, et plus i’ay à remercier la bonté de celuy qui me l’a donnée. Et enfin ie ne dois pas aussi me plaindre, de ce que Dieu concourt auec moy pour former les actes de cette volonté, c’est à dire les iugemens dans lesquels ie me trompe : Parce que ces actes-là sont entièrement vrays, et absolument bons, en tant qu’ils dependent de Dieu, et il y a en quelque sorte plus de perfection en ma nature, de ce que ie les puis former, que si ie ne le pouuois pas. Pour la priuation dans laquelle seule consiste la raison formelle de l’erreur, et du peché, elle n’a besoin d’aucun concours de Dieu, puis que ce n’est pas vne chose, ou vn estre, et que si on la rapporte à Dieu comme à sa cause, elle ne doit pas estre nommée priuation, mais seulement negation, selon la signification qu’on donne à ces mots dans l’Eschole.

Car en effect ce n’est point vne imperfection en Dieu, de ce qu’il m’a donné la liberté de donner mon iugement, ou de ne le pas donner, sur certaines choses dont il n’a pas mis vne claire et distincte connoissance en mon entendement ; mais sans doute Camusat – Le Petit, p. 72
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c’est en moy vne imperfection, de ce que ie n’en vse pas bien, et que ie donne temerairement mon iugement, sur des choses que ie ne conçoy qu’auec obscurité et confusion.

Ie voy neantmoins qu’il estoit aisé à Dieu de faire en sorte que ie ne me trompasse iamais, quoy que ie demeurasse libre, et d’vne connoissance bornée, à sçauoir, en donnant à mon entendement AT IX-1, 49 vne claire et distincte intelligence de toutes les choses dont ie deuois iamais deliberer, ou bien seulement s’il eust si profondement graué dans ma memoire la resolution de ne iuger iamais d’aucune chose sans la conceuoir clairement et distinctement, que ie ne la peusse iamais oublier. Et ie remarque bien qu’en tant que ie me considere tout seul, comme s’il n’y auoit que moy au monde, i’aurois esté beaucoup plus parfait que ie ne suis, si Dieu m’auoit crée tel que ie ne faillisse iamais. Mais ie ne puis pas pour cela nier, que ce ne soit en quelque façon vne plus grande perfection dans tout l’Vniuers, de ce que quelques vnes de ses parties ne sont pas exemptes de deffaut, que si elles estoient toutes semblables ; Et ie n’ay aucun droit de me plaindre, si Dieu m’ayant mis au monde n’a pas voulu me mettre au rang des choses les plus nobles et les plus parfaites ; mesme i’ay sujet de me contenter de ce que s’il ne m’a pas donné la vertu de ne point faillir, par le premier moyen que i’ay cy-dessus declaré, qui depend d’vne claire et éuidente connoissance de toutes les choses dont ie puis deliberer, Camusat – Le Petit, p. 73
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il a au moins laissé en ma puissance l’autre moyen, qui est de retenir fermement la resolution de ne iamais donner mon iugement sur les choses dont la verité ne m’est pas clairement connuë ; Car quoy que ie remarque cette foiblesse en ma nature, que ie ne puis attacher continuellement mon esprit à vne mesme pensée, ie puis toutesfois par une meditation attentiue et souuent reitérée, me l’imprimer si fortement en la memoire que ie ne manque iamais de m’en ressouuenir, toutes les fois que j’en auray besoin, et acquerir de cette façon l’habitude de ne point faillir ; Et d’autant que c’est en cela que consiste la plus grande et principale perfection de l’homme, i’estime n’auoir pas peu gagné en cettepar cette Meditation, d’auoirque d’auoir découuert la cause des faussetez et des erreurs.

Et certes il n’y en peut auoir d’autre que celle que i’ay expliquée ; Car toutes les fois que ie retiens tellement ma volonté dans les bornes de ma connoissance, qu’elle ne fait aucun iugement que des choses qui luy sont clairement et distinctement representées par l’entendement, il ne se peut faire que ie me trompe ; Parce que toute conception claire et distincte est sans doute quelque chose de réel, et de positif, et partant ne peut tirer son origine du neant, mais doit necessairement auoir Dieu pour son auteur, Dieu, dis-je, qui AT IX-1, 50 estant souuerainement parfait ne peut estre cause d’aucune erreur ; Et par consequent Camusat – Le Petit, p. 74
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il faut conclure qu’vne telle conception, ou vn tel iugement est veritable.

Au reste ie n’ay pas seulement apris auiourd’huy ce que ie dois éuiter pour ne plus faillir, mais aussi ce que ie dois faire pour paruenir à la connoissance de la verité. Car certainement j’y paruiendray si i’arreste suffisamment mon attention sur toutes les choses que ie conceuray parfaitement, et si ie les separe des autres que ie ne comprens qu’auec confusion, et obscurité. A quoy doresnauant ie prendray soigneusement garde.