Camusat – Le Petit, p. 1
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AT IX-1, 9

ABREGÉ DES SIX MEDITATIONS SVIVANTES.

Dans la premiere ie mets en auant les raisons pour lesquelles nous pouuons douter generalement de toutes choses, et particulierement des choses materielles ; au moins tant que nous n’aurons point d’autres fondemens dans les sciences que ceux que nous auons eu iusqu’à present. Or bien que l’vtilité d’vn doute si general ne paroisse pas d’abord, elle est toutesfois en cela tres-grande, qu’il nous déliure de toutes sortes de préjugez, et nous prepare vn chemin tres-facile pour accoûtumer nostre esprit à se détacher des sens : et enfin en ce qu’il fait qu’il n’est pas possible que nous puissions plus auoir aucun doute, de ce que nous découurirons aprés estre veritable.

Dans la seconde, l’esprit, qui vsant de sa propre liberté suppose que toutes les choses ne sont point de l’existence desquelles il a le moindre doute, reconnoist qu’il est absolument Camusat – Le Petit, p. 2
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impossible que cependant il n’existe pas luy-mesme. Ce qui est aussi d’vne tres-grande vtilité, dautantd’autant que par ce moyen il fait aisement distinction des choses qui luy appartiennent, c’est à dire à la nature intellectuelle, et de celles qui appartiennent au corps. Mais parce qu’il peut arriuer que quelques-vns attendent de moi en ce lieu-là des raisons pour prouuer l’immortalité de l’ame, j’estime les deuoir maintenant auertir, qu’ayant tasché de ne rien escrire dans ce traitté, dont ie n’eusse des demonstrations tres-exactes, ie me suis veu obligé de suiure vn ordre semblable à celuy dont se seruent les Geometres, sçauoir est, d’auancer toutes les choses desquelles dépend la proposition que l’on cherche, auant que d’en rien conclure.

Or la premiere et principale chose qui est requise auant que de connoistre l’immortalité de l’ame, est d’en former vne conception claire AT IX-1, 10 et nette, et entierement distincte de toutes les conceptions que l’on peut auoir du corps : Ce qui a esté fait en ce lieu-là. Il est requis outre cela de sçauoir que toutes les choses que nous conceuons clairement et disttinctement sont vrayes, selon que nous les conceuons : Ce qui n’a pû estre prouué auant la quatriéme Meditation. De plus il faut auoir vne conception distincte de la nature corporelle, laquelle se forme partie dans cette seconde, et partie dans la cinquiéme et sixiéme Meditation. Et enfin l’on doit conclure de tout cela que les choses que l’on conçoit clairement et distinctement estre des substances différentes, comme l’on conçoit l’Esprit et le Corps, sont en effet des substances diuerses, et réellement distinctes les vnes d’auec les autres. Et c’est ce que l’on conclut dans la sixiéme Meditation. Et en la Camusat – Le Petit, p. 3
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mesme aussi cela se confirme, de ce que nous ne conceuons aucun corps que comme diuisible : au lieu que l’esprit, ou l’ame de l’homme, ne se peut conceuoir que comme indiuisible ; Car en effet nous ne pouuons conceuoir la moitié d’aucune ame, comme nous pouuons faire du plus petit de tous les corps ; en sorte que leurs natures ne sont pas seulement reconnuës diuerses, mais mesme en quelque façon contraires. Or il faut qu’ils sçachent que ie ne me suis pas engagé d’en rien dire d’auantage en ce traitté-cy ; tant parce que cela suffit pour monstrer assez clairement que de la corruption du corps la mort de l’ame ne s’ensuit pas, et ainsi pour donner aux hommes l’esperance d’vne seconde vie apres la mort ; comme aussi parce que les premisses desquelles on peut conclure l’immortalité de l’ame, dépendent de l’explication de toute la Physque. Premierement, afin de sçauoir que generalement toutes les substances, c’est à dire les choses qui ne peuuent exister sans estre creées de Dieu, sont de leur nature incorruptibles, et ne peuuent iamais cesser d’estre, si elles ne sont reduites au neant par ce mesme Dieu qui leur veüille dénier son concours ordinaire. Et en suite afin que l’on remarque que le corps pris en general est vne substance, c’est pourquoy aussi il ne perit point ; mais que le corps humain, entant qu’il differe des autres corps, n’est formé et composé que d’vne certaine configuration de membres, et d’autres semblables accidens ; Et l’ame humaine au contraire n’est point ainsi composée d’aucuns accidens, mais est vne pure substance. Car encore que tous ses accidens se changent, par exemple, qu’elle conçoiue de certaines choses, qu’elle en veuille d’autres, qu’elle en sente d’autres, etc. c’est pourtant tousiours la Camusat – Le Petit, p. 4
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mesme ame : au lieu que le corps humain n’est plus le mesme, de cela seul que la figure de quelques-vnes de ses parties se trouue changée ; D’où il s’ensuit que le corps humain peut facilement perir, mais que l’esprit, ou l’ame de l’homme (ce que ie ne distingue point) est immortelle de sa nature.

AT IX-1, 11

Dans la troisiéme Meditation, il me semble que i’ay expliqué assez au long le principal argument dont ie me sers pour prouuer l’existence de Dieu. Toutesfois afin que l’esprit du Lecteur se pût plus aisement abstraire des sens, ie n’ay point voulu me seruir en ce lieu-là d’aucunes comparaisons tirées des choses corporelles, si bien que peut-estre il y est demeuré beaucoup d’obscuritez, lesquelles, comme i’espere, seront entierement éclaircies dans les réponses que i’ay faites aux objections qui m’ont depuis esté proposées. Comme, par exemple, il est assez difficile d’entendre, comment l’idée d’vn estre souuerainement parfait, laquelle se trouue en nous, contient tant de realité objectiue, c’est à dire participe par representation à tant de degrez d’estre et de perfection, qu’elle doiue necessairement venir d’vne cause souuerainement parfaite ; Mais ie l’ay éclaircy dans ces réponses par la comparaison d’vne machine fort artificielle, dont l’idée se rencontre dans l’esprit de quelque ouurier ; car comme l’artifice objectif de cette idée doit auoir quelque cause, à sçauoir la science de l’ouurier, ou de quelque autre duquel il l’ait aprise : de mesme il est impossible que l’idée de Dieu qui est en nous, n’ait pas Dieu mesme pour sa cause.

Dans la quatriéme, il est prouué que les choses que nous conceuons fort clairement et fort distinctement sont toutes vrayes ; et ensemble est expliqué en quoy consiste la Camusat – Le Petit, p. 5
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raison de l’erreur, ou fausseté ; Ce qui doit neccessairement estre sceu, tant pour confirmer les veritez precedentes, que pour mieux entendre celles qui suiuent. Mais cependant il est à remarquer, que ie ne traitte nullement en ce lieu-là du peché, c’est à dire de l’erreur qui se commet dans la poursuite du bien et du mal : mais seulement de celle qui arriue dans le iugement, et le discernement du vray et du faux. Et que ie n’entens point y parler des choses qui appartiennent à la foy, ou à la conduite de la vie, mais seulement de celles qui regardent les veritez speculatiues, et connuës par l’ayde de la seule lumiere naturelle.

Dans la cinquiéme, outre que la nature corporelle prise en general y est expliquée, l’existence de Dieu y est encore demonstrée par de nouuelles raisons ; dans lesquelles toutesfois il se peut rencontrer quelques difficultez, mais qui seront resoluës dans les réponses aux objections qui m’ont esté faites ; Et aussi on y découure de quelle sorte il est veritable, que la certitude mesme des demonstrations Geométriques dépend de la connoissance d’vn Dieu.

Enfin, dans la sixiéme, ie distingue l’action de l’entendement d’auec celle de l’imagination ; les marques de cette distinction y sont décrites ; I’y monstre que l’ame de l’homme est réellement distincte du corps, et toutesfois qu’elle luy est si estroitement conjointe et vnie, qu’elle ne AT IX-1, 12 compose que comme vne mesme chose auecque luy ; Toutes les erreurs qui procedent des sens y sont exposées, auec les moyens de les euiter ; Et enfin, i’y apporte toutes les raisons, desquelles on peut conclure l’existence des choses materielles : Non que ie les iuge fort vtiles pour prouuer ce qu’elles prouuent, à Camusat – Le Petit, p. 6
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sçauoir, qu’il y a vn Monde, que les hommes ont des corps, et autres choses semblables, qui n’ont iamais esté mises en doute par aucun homme de bon sens ; mais parce qu’en les considerant de prés, l’on vient à connoistre qu’elles ne sont pas si fermes, ny si euidentes que celles qui nous conduisent à la connoissance de Dieu, et de nostre ame ; En sorte que celles-cy sont les plus certaines, et les plus euidentes, qui puissent tomber en la connoissance de l’esprit humain. Et c’est tout ce que i’ay eu dessein de prouuer dans ces six Meditations. Ce qui fait que i’obmets icy beaucoup d’autres questions, dont i’ay aussi parlé par occasion dans ce traitté.