Démonstration.

Si i’auois la puissance de me conseruer moy-mesme, i’aurois aussi à plus sorte raison le pouuoir de me donner toutes les perfections qui me manquent, (par l’Axiome 8 et 9.) Car ces perfections ne sont que des attributs de la substance, et moy ie suis vne substance ;.

Mais ie n’ay pas la puissance de me donner toutes ces perfections, car autrement ie les possederois des-ja, (par l’Axiome 7.).

Doncques ie n’ay pas la puissance de me conseruer moy-mesme.

En aprés, ie ne puis exister sans estre conserué tant que i’existe, soit par moy-mesme, suposé que i’en aye le pouuoir, soit par vn autre qui ait cette puissance, (par l’Axiome 1. et 2.).

Or est-il que i’existe, et toutesfois ie n’ay pas la puissance de me conseruer moy-mesme, comme ie viens de prouuer.

Doncques ie suis conserué par vn autre.

De plus, celuy par qui ie suis conserué a en soy formellement, ou eminemment, tout ce qui est en moy, (par l’Axiome 4.).

Camusat – Le Petit, p. 217
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Or est-il que i’ay en moy l’idée, ou la notion de plusieurs perfections qui me manquent, et ensemble l’idée d’vn Dieu, (par la définition 2. et 8.).

Doncques la notion de ces mesmes perfections est aussi en celuy par qui ie suis conserué.

Enfin, celuy-là mesme par qui ie suis conserué ne peut auoir la notion d’aucunes perfections qui luy manquent, c’est à dire qu’il n’ait point en soy formellement, ou eminemment, (par l’Axiome 7.) Car ayant la puissance de me conseruer, comme il a esté dit maintenant, il auroit à plus forte raison le pouuoir de se les donner luy-mesme, s’il ne les auoit pas, (par l’Axiome 8. et 9.).

Or est il qu’il a la notion de toutes les perfections que ie reconnois me manquer, et que ie conçoy ne pouuoir estre qu’en Dieu seul, comme ie viens de prouuer.

Doncques il les a des-ja toutes en soy formellement, ou eminemment ; Et ainsi il est Dieu.