Camusat – Le Petit, p. (b)
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AT IX-1, 4

A
MESSIEVRS
LES DOYEN ET DOCTEVRS
DE LA SACREE FACULTÉ DE
Theologie de Paris.

Messievrs,
La raison qui me porte à vous presenter cét ouurage est si iuste, et quand vous en connoistrez le dessein, ie m’asseure que vous en aurez aussi vne si iuste de le prendre en vostre protection, que ie pense ne pouuoir mieux faire pour vous le rendre en quelque sorte recommandable, qu’en vous disant en peu de mots ce que ie m’y suis proposé. I’ay toûjours estimé que ces deux questions de Dieu et de l’ame, estoient les principales de Camusat – Le Petit, p. (c)
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celles qui doiuent plustost estre demonstrées par les raisons de la Philosophie que de la Théologie : Car bien qu’il nous suffise à nous autres qui sommes fideles, de croire par la Foy qu’il y a vn Dieu, et que l’ame humaine ne meurt point auec le corps ; certainement il ne semble pas possible de pouuoir iamais persuader aux Infideles aucune Religion, ny quasi mesme aucune vertu Morale, si premierement on ne leur prouue ces deux choses par raison naturelle ; Et d’autant qu’on propose souuent en cette vie de plus grandes recompenses pour les vices que pour les vertus, peu de personnes prefereroient le iuste à l’vtile, si elles n’estoient retenuës, ny par la crainte de Dieu, ny par l’attente d’vne autre vie ; Et quoy qu’il soit absolument vray, qu’il faut croire qu’il y a vn Dieu, parce qu’il est ainsi enseigné dans les Saintes Escritures, et d’autre part qu’il faut croire les Saintes Escritures, parce qu’elles viennent de Dieu ; et cela pource que la Foy estant vn don de Dieu, celuy-la mesme qui donne la grace pour faire croire les autres choses, la peut aussi donner pour nous faire croire qu’il AT IX-1, 5 existe : on ne sçauroit neantmoins proposer cela aux Infidelles, qui pourroient s’imaginer que l’on commettroit en cecy la faute que les Logiciens nomment vn Cercle. Et de vray, j’ay pris garde que Camusat – Le Petit, p. (d)
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vous autres Messieurs, auec tous les Theologiens, n’asseuriez pas seulement que l’existence de Dieu se peut prouuer par raison naturelle ; mais aussi que l’on infere de la Sainte Escriture, que sa connoissance est beaucoup plus claire que celle que l’on a de plusieurs choses creées, et qu’en effet elle est si facile, que ceux qui ne l’ont point sont coupables ; Comme il paroist par ces paroles de la Sagesse chapitre 13. où il est dit, que leur ignorance n’est point pardonnable : car si leur esprit a penetré si auant dans la connoissance des choses du monde, comment est-il possible qu’ils n’en ayent point trouué plus facilement le souuerain Seigneur. Et aux Romains chapitre premier, il est dit qu’ils sont inexcusables ; Et encore au mesme endroit par ces paroles, ce qui est connu de Dieu est manifeste dans eux, il semble que nous soyons aduertis, que tout ce qui se peut sçauoir de Dieu, peut estre monstré par des raisons qu’il n’est pas besoin de chercher ailleurs que dans nous-mesmes, et que nostre esprit seul est capable de nous fournir. C’est pourquoy i’ay pensé qu’il ne seroit point hors de propos, que ie fisse voir icy par quels moyens cela se peut faire, et quelle voye il faut tenir, pour arriuer à la connoissance de Dieu auec plus de facilité et de certitude, que nous ne connoissons les Camusat – Le Petit, p. (e)
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choses de ce monde. Et pour ce qui regarde l’Ame, quoy que plusieurs ayent creu qu’il n’est pas aysé d’en connoistre la nature, et que quelques vns ayent mesme osé dire que les raisons humaines nous persuadoient qu’elle mouroit auec le corps, et qu’il n’y auoit que la seule Foy qui nous enseignast le contraire ; neantmoins dautantd’autant que le Concile de Latran tenu sous Leon X, en la Session 8. les condamne, et qu’il ordonne expressément aux Philosophes Chrestiens de respondre à leurs argumens, et d’employer toutes les forces de leur esprit pour faire connoistre la vérité, i’ay bien osé l’entreprendre dans cét escrit. Dauantage, sçachant que la principale raison, qui fait que plusieurs impies ne veulent point croire qu’il y a vn Dieu, et que l’ame humaine est distincte du corps, est, qu’ils disent que personne iusques icy n’a peu demonstrer ces deux choses : quoy que ie ne sois point de leur opinion, mais qu’au contraire ie tienne que presque toutes les raisons qui ont esté aportées par tant de grands personnages AT IX-1, 6 touchant ces deux questions, sont autant de demonstrations quand elles sont bien entendues ; et qu’il soit presque impossible d’en inuenter de nouuelles : si est-ce que ie croy qu’on ne sçauroit rien faire de plus vtile en la Philosophie, que d’en rechercher vne fois curieusement, et auec soin, Camusat – Le Petit, p. (f)
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les meilleures et plus solides, et les disposer en vn ordre si clair et si exact, qu’il soit constant desormais à tout le monde, que ce sont de veritables demonstrations. Et enfin dautantd’autant que plusieurs personnes ont desiré cela de moy, qui ont connoissance que i’ay cultiué vne certaine methode pour resoudre toutes sortes de difficultez dans les sciences ; methode qui de vray n’est pas nouuelle, n’y ayant rien de plus ancien que la vérité, mais de laquelle ils sçauent que ie me suis seruy assez heureusement en d’autres rencontres ; i’ay pensé qu’il estoit de mon deuoir de tenter quelque chose sur ce sujet. Or i’ay trauaillé de tout mon possible pour comprendre dans ce Traite tout ce qui s’en peut dire ; Ce n’est pas que i’aye icy ramassé toutes les diuerses raisons qu’on pourroit alleguer pour seruir de preuue à nostre sujet ; car ie n’ay iamais creu que cela fust necessaire, sinon lors qu’il n’y en a aucune qui soit certaine ; mais seulement i’ay traité les premieres et principales d’vne telle maniere, que i’ofe bien les proposer pour de tres-euidentes et tres-certaines demonstrations : Et ie diray de plus qu’elles sont telles, que ie ne pense pas qu’il y ait aucune voye par où l’esprit humain en puisse iamais decouurir de meilleures : car l’importance de l’affaire, et la gloire de Dieu à laquelle tout cecy se Camusat – Le Petit, p. (g)
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raporte, me contraignent de parler icy vn peu plus librement de moy que ie n’ay de coustume. Neantmoins quelque certitude et euidence que ie trouue en mes raisons, ie ne puis pas me persuader que tout le monde soit capable de les entendre : Mais tout ainsi que dans la Géométrie il y en a plusieurs qui nous ont esté laissées par Archimede, par Apollonius, par Pappus, et par plusieurs autres, qui sont receuës de tout le monde pour tres-certaines et tres-euidentes : parce qu’elles ne contiennent rien qui consideré separément ne soit tres-facile à connoistre, et qu’il n’y a point d’endroit où les consequences ne quadrent, et ne conuiennent fort bien auec les antecedans ; neantmoins parce qu’elles sont vn peu longues, et qu’elles demandent vn esprit tout entier, elles ne sont comprises et entenduës que de fort peu de personnes : De mesme encore que i’estime que celles dont ie me sers icy, égalent, voire mesme surpassent en certitude et euidence, les AT IX-1, 7 demonstrations de Geometrie, i’aprehende neantmoins qu’elles ne puissent pas estre assez suffisamment entenduës de plusieurs, tant parce qu’elles sont aussi vn peu longues, et dependantes les vnes des autres, que principalement, parce qu’elles demandent vn esprit entierement libre de tous préjugez, et qui se puisse aysément Camusat – Le Petit, p. (h)
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détacher du commerce des sens. Et en vérité, il ne s’en trouue pas tant dans le monde qui soient propres pour les Speculations Metaphysiques, que pour celles de Geometrie. Et de plus il y a encore cette difference, que dans la Geometrie chacun estant preuenu de l’opinion, qu’il ne s’y auance rien qui n’ait vne demonstration certaine ; ceux qui n’y sont pas entierement versez, pechent bien plus souuent en approuuant de fausses demonstrations pour faire croire qu’ils les entendent, qu’en refutant les veritables. Il n’en est pas de mesme dans la Philosophie, où chacun croyant que toutes ses propositions sont problematiques, peu de personnes s’addonnent à la recherche de la vérité, et mesme beaucoup se voulant acquerir la reputation de forts esprits, ne s’étudient à autre chose qu’à combattre arrogamment les veritez les plus apparentes. C’est pourquoy, MESSIEVRS, quelque force que puissent auoir mes raisons, parce qu’elles apartiennent à la Philosophie, ie n’espere pas qu’elles fassent vn grand effort sur les esprits, si vous ne les prenez en vostre protection. Mais l’estime que tout le monde fait de vostre Compagnie estant si grande, et le nom de Sorbonne d’vne telle authorité, que non seulement en ce qui regarde la Foy, aprés les sacrez Conciles, on n’a iamais tant déferé Camusat – Le Petit, p. (i)
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au iugement d’aucune autre Compagnie, mais aussi en ce qui regarde l’humaine Philosophie, chacun croyant qu’il n’est pas possible de trouuer ailleurs plus de solidité et de connoissance, ny plus de prudence et d’intégrité pour donner son iugement : Ie ne doute point, si vous daignez prendre tant de soin de cét efcrit, que de vouloir premierement le corriger, car ayant connoissance non seulement de mon infirmité, mais aussi de mon ignorance ; ie n’oserois pas assurer qu’il n’y ait aucunes erreurs : puis aprés y adjoûter les choses qui y manquent ; acheuer celles qui ne sont pas parfaites ; et prendre vous mesmes la peine de donner vne explication plus ample à celles qui en ont besoin, ou du moins de m’en auertir afin que i’y trauaille : Et enfin, aprés que les raisons par lesquelles ie prouue qu’il y a vn Dieu, et que l’ame humaine differe d’auec le corps, auront esté portées AT IX-1, 8 iusques au point de clarté et d’euidence, où ie m’assure qu’on les peut conduire, qu’elles deuront estre tenuës pour de tres-exactes demonstrations, vouloir declarer cela mesme, et le témoigner publiquement : Ie ne doute point, dis-ie, que si cela se fait, toutes les erreurs et fausses opinions qui ont iamais esté touchant ces deux questions, ne soient bien-tost effacées de l’esprit des hommes : car Camusat – Le Petit, p. (j)
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la verité fera que tous les doctes et gens d’esprit souscriront à vostre iugement ; Et vostre autorité, que les Athées qui sont pour l’ordinaire plus arrogans que doctes et iudicieux, se dépoüilleront de leur esprit de contradiction ; ou que peut-estre ils soûtiendront eux-mesmes les raisons qu’ils verront estre receuës par toutes les personnes d’esprit pour des demonstrations, de peur qu’ils ne paroissent n’en auoir pas l’intelligence : Et enfin tous les autres se rendront aysément à tant de témoignages, et il n’y aura plus personne qui ose douter de l’existence de Dieu, et de la distinction réelle et véritable de l’ame humaine d’auec le corps. C’est à vous maintenant à iuger du fruit qui reuiendroit de cette creance, si elle estoit vne fois bien establie, qui voyez les desordres que son doute produit : mais ie n’aurois pas icy bonne grace de recommander dauantage la cause de Dieu et de la Religion, à ceux qui en ont tousiours esté les plus fermes Colonnes.