OBJECTION QVATRIÉME.
Il faut donc que ie demeure d’accord que ie ne sçaurois pas mesme conceuoir par l’imagination, ce que c’est que cette cire, et qu’il n’y a que mon entendement seul qui le conçoiue.
Il y a grande difference entre imaginer, c’est à dire auoir quelque Idée, et conceuoir de l’entendement, Camusat – Le Petit, p. 230
Image haute résolution sur Gallica c’est à dire conclure en raisonnant que quelque chose est, ou existe. Mais Monsieur Des Cartes ne nous a pas expliqué en quoy ils different. Les anciens Peripateticiens ont aussi enseigné assez clairement, que la substance ne s’aperçoit point par les sens, mais qu’elle se collige par la raison.
Que dirons-nous maintenant, si peut-estre le raisonnement n’est rien autre chose qu’vn assemblage et enchaisnement de noms par ce mot, Est ? D’où il s’ensuiuroit que par la raison nous ne concluons rien du tout touchant la nature des choses, mais seulement touchant leurs apellations, c’est à dire, que par elle nous voyons simplement si nous assemblons bien ou mal les noms des choses, selon les conuentions que nous auons faites à nostre fantaisie touchant leurs significations. Si cela est ainsi, comme il peut estre, le raisonnement dépendra des noms, les noms de l’imagination, et l’imagination peut-estre (et cecy selon mon sentiment) du mouuement des organes corporels, et ainsi l’esprit ne sera rien autre chose, qu’vn mouuement en certaines parties du corps organique.
Réponse.
I’ay expliqué dans la seconde meditation la difference qui est entre l’imagination, et le pur concept de l’entendement, ou de l’esprit, lors qu’en l’exemple de la cire i’ay fait voir quelles sont les choses que nous imaginons en elle, et quelles sont celles Camusat – Le Petit, p. 231
Image haute résolution sur Gallica que nous conceuons par le seul entendement. Mais i’ay encore expliqué ailleurs comment nous entendons autrement vne chose que nous ne l’imaginons, en ce que pour imaginer, par exemple, vn pentagone, il est besoin d’vne particuliere contention d’esprit qui nous rende cette figure, (c’est à dire ses cinq costez et l’espace qu’ils renferment,) comme presente, de laquelle nous ne nous seruons point pour conceuoir. Or l’assemblage qui se fait dans le raisonnement n’est pas celuy des noms, mais bien celuy des choses signifiées par les noms, et ie m’étonne que le contraire puisse venir en l’esprit de personne.
Car qui doute qu’vn François, et qu’vn alleman ne puissent auoir les mesmes pensées, ou raisonnemens touchant les mesmes choses, quoy que neantmoins ils conçoiuent des mots entierement differens ? Et ce philosophe ne se condamne t’-il pas luy-mesme, lorsqu’il parle des conuentions que nous auons faites à nostre fantaisie touchant la signification des mots ? Car s’il admet que quelque chose est signifiée par les paroles, pourquoy ne veut-il pas que nos discours, et raisonnemens soient plutost de la chose qui est signifiée, que des paroles seules ? Et certes de la mesme façon, et auec vne aussi iuste raison qu’il conclut que l’esprit est vn mouuement, il pouroit aussi conclure que la terre est le Ciel, ou telle autre chose qu’il luy plaira ; pource qu’il n’y a point d’autres choses au Camusat – Le Petit, p. 232
Image haute résolution sur Gallica monde, entre lesquelles il n’y ait autant de conuenance, qu’il y en a entre le mouuement et l’esprit, qui sont de deux genres entierement differens.