OBIECTION CINQVIEME.
SVR LA TROISIEME MEDITATION.
De Dieu.

Qvelques vnes d’entre elles (à sçauoir d’entre les pensées des hommes) sont comme les images des choses, ausquelles seules conuient proprement le nom d’Idée, comme lorsque ie pense à vn homme, à vnvne Chymere, au Ciel, à vn Ange, ou à Dieu.

Lors que ie pense à vn homme, ie me represente vne Idée, ou vne image composée de couleur, et de figure, de laquelle ie puis douter si AT IX-1, 140 elle a la ressemblance d’vn homme, ou si elle ne l’a pas. Il en est de mesme lors que ie pense au ciel. Lors que ie pense à vne Chymere, ie me represente vne Idée, ou vne image, de laquelle ie puis douter si elle est le pourtrait de quelque animal qui n’existe point, mais qui puisse estre, ou qui ait esté autrefois, ou bien qui n’ait iamais esté.

Et lorsque quelqu’vn pense à vn Ange, quelquesfois l’image d’vne flamme se presente à son esprit, et quelquesfois celle d’vn jeune enfant qui a des aisles, de laquelle ie pense pouuoir dire auec Camusat – Le Petit, p. 233
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certitude qu’elle n’a point la ressemblance d’vn Ange, et partant qu’elle n’est point l’Idée d’vn Ange : mais croyant qu’il y a des creatures inuisbles, et immaterielles, qui sont les ministres de Dieu, nous donnons à vne chose que nous croyons, ou suposons, le nom d’Ange, quoy que neantmoins l’Idée souz laquelle i’imagine vn Ange, soit composée des Idées des choses visibles.

Il en est de mesme du nom venerable de Dieu, de qui nous n’auons aucune image, ou jdée ; c’est pourquoy on nous defend de l’adorer souz vne image, de peur qu’il ne nous semble que nous conceuions, celuy qui est inconceuable.

Nous n’auons donc point en nous, ce semble, aucune Idée de Dieu ; Mais tout ainsi qu’vn aueugle né qui s’est plusieurs fois aproché du feu, et qui en a senti la chaleur, reconnoist qu’il y a quelque chose par quoy il a esté échaufé ; Et entendant dire que cela s’appelle du feu, conclut qu’il y a du feu, et neantmoins n’en connoist pas la figure, ny la couleur, et n’a à vray dire aucune jdée, ou image du feu, qui se presente à son esprit.

De mesme l’homme voyant qu’il doit y auoir quelque cause de ses images, ou de ses jdées, et de cette cause vne autre premiere, et ainsi de suite, est en fin conduit à vne fin, ou à vne supposition de quelque cause eternelle, qui pource qu’elle n’a iamais commancé d’estre, ne peut auoir de cause qui la precede, ce qui fait qu’il conclut Camusat – Le Petit, p. 234
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necessairement qu’il y a vn estre eternel qui existe ; et neantmoins il n’a point d’Idée qu’il puisse dire estre celle de cet estre eternel, mais il nomme, ou appelle du nom de Dieu cette chose que la foy, ou sa raison luy persuade.

Maintenant, d’autant que de cette supposition, à sçauoir que nous auons en nous l’Idée de Dieu, Monsieur Des-Cartes vient à la preuue de ce theorême : que Dieu (c’est à dire vn estre tout puissant, tres-sage, Createur de l’Vniuers, etc) existe, il a deu mieux expliquer cette Idée de Dieu, et de là en conclure non seulement sontson existence, mais aussi la creation du monde.

AT IX-1, 141

Réponse.

Par le nom d’Idée, il veut seulement qu’on entende icy les images des choses materielles dépeintes en la fantaisie corporelle ; Et cela estant suposé il luy est aisé de monstrer qu’on ne peut auoir aucune propre, et veritable jdée de Dieu ny d’vn Ange ; Mais i’ay souuent auerti, et principalement en ce lieu-là mesme, que ie prens le nom d’Idée, pour tout ce qui est conceu immediatement par l’esprit ; en sorte que lorsque ie veux, et que ie crains, parce que ie conçoy en mesme temps que ie veux, et que ie crains, ce vouloir, et cette crainte sont mis par moy au nombre des Idées ; et ie me suis serui de ce nom, parce qu’il estoit desia communement receu par les philosophes, pour Camusat – Le Petit, p. 235
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signifier les formes des conceptions de l’entendement diuin ; encore que nous ne reconnoissions en Dieu aucune fantaisie, ou imagination corporelle, et ie n’en sçauois point de plus propre. Et ie pense auoir assez expliqué l’Idée de Dieu, pour ceux qui veulent conceuoir le sens que ie donne à mes paroles, mais pour ceux qui s’attachent à les entendre autrement que ie ne fais, ie ne le pourois iamais assez. En fin ce qu’il adioute icy de la creation du monde est tout affaittout à fait hors de propos : Car i’ay prouué que Dieu existe, auant que d’examiner s’il y auoit vn monde creé par luy, et de cela seul que Dieu, c’est a dire vn estre souuerainemcnt puissant, existe, il suit que, s’il y a vn monde, il doit auoir esté creé par luy.