OBIECTION DIXIÉME.
Et partant il ne reste que la seule jdée de Dieu, dans laquelle il faut considerer s’il y a quelque chose qui n’ait peu venir de moy-mesme. Par le nom de Dieu i’entens vne substance infinie, independante, souuerainement intelligente, souuerainenient puissante, et par laquelle tant moy Camusat – Le Petit, p. 242
Image haute résolution sur Gallica que tout ce qui est au monde, s’il y a quelque monde, a esté creé. Toutes lesquelles choses sont telles, que plus i’y pense, et moins me semblent elles pouuoir venir de moy seul. Et par consequent il faut conclure necessairement, de tout ce qui a esté dit cy-deuant, que Dieu existe.
Considerant les attributs de Dieu, afin que de là nous en ayons l’Idée, et que nous voyions s’il y a quelque chose en elle qui n’ait peu venir de nous-mesmes, ie trouue, si ie ne me trompe, que ny les choses que nous conceuons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ny qu’il n’est pas necessaire qu’elles viennent d’ailleurs que des obiets exterieurs : Car par le nom de Dieu i’entens vne substance, c’est à dire, i’entens que Dieu existe, (non point par aucune jdée, mais par le discours,) infinie (c’est à dire, que ie ne puis conceuoir, ny imaginer ses termes, ou de parties si éloignées, que ie n’en puisse encore imaginer de plus reculées) d’où il suit que le nom d’Infini ne nous fournit pas l’jdée de l’infinité diuine, mais bien celle de mes propres termes, et limites ; Independante,c’est à dire, ie ne conçoy point de cause de laquelle Dieu puisse venir. D’où il paroist que ie n’ay point d’autre jdée qui réponde à ce nom d’indépendant, sinon la memoire de mes propres jdées qui ont toutes leur commencement en diuers temps, et qui par consequent sont dependantes.
C’est pourquoy dire que Dieu est indépendant, ce n’est rien dire autre chose, sinon que Dieu est du Camusat – Le Petit, p. 243
Image haute résolution sur Gallica nombre des choses dont ie ne puis imaginer l’origine, tout ainsi que dire que Dieu est infini, c’est de mesme que si nous disions qu’il est du nombre des choses dont nous ne conceuons point les limites. Et ainsi toute l’jdée de Dieu est refutée, Car quelle est cette idée qui est sans fin, et sans origine.
Souuerainement intelligente.Ie demande icy par quelle jdée Monsieur Des-Cartes conçoit l’intellection de Dieu.
Souuerainement puissante : je demande aussi par quelle jdée sa puissance qui regarde les choses futures, c’est à dire non existantes, est entenduë.
Certes pour moy, i’entens la puissance par l’image ou la memoire AT IX-1, 146 des choses passées, en raisonnant de cette sorte ; il a fait ainsi, Donc il a peu faire ainsi : Donc, tant qu’il fera, il poura encore faire ainsi : C’est à dire il en a la puissance. Or toutes ces choses sont des idées qui peuuent venir des obiets exterieurs.
Createur de toutes les choses qui sont au monde. Ie puis former quelque image de la creation par le moyen des choses que i’ay veuës ; par exemple, de ce que i’ay veu vn homme naissant, et qui est paruenu d’vne petitesse presque inconceuable, à la forme et grandeur qu’il a maintenant ; et personne à mon auis n’a d’autre jdée à ce nom de Createur ; mais il ne suffit pas pour prouuer la creation, que nous puissions imaginer le monde creé.
Camusat – Le Petit, p. 244
Image haute résolution sur Gallica C’est pourquoy encore qu’on eust démontré qu’vn estre infini, independant, tout puissant, etc. existe, il ne s’ensuit pas neantmoins qu’vn createur existe, si ce n’est que quelqu’vn pense qu’on infere fort bien, de ce que quelque chose existe, laquelle nous croyons auoir creé toutes les autres choses, que pour cela le monde a autrefois esté creé par elle.
Dauantage, où il dit que l’jdée de Dieu et de nostre ame est née, et residente en nous, ie voudrois bien sçauoir si les ames de ceux-là pensent, qui dorment profondement, et sans aucune réuerie : Si elles ne pensent point, elles n’ont alors aucunes jdées, et partant il n’y a point d’jdée qui soit née et residante en nous, car ce qui est né et residant en nous est tousiours present à nostre pensée.
Réponse.
Aucune chose de celles que nous attribuons à DIEV ne peut venir des obiets exterieurs, comme d’vne cause exemplaire : Car il n’y a rien en Dieu de semblable aux choses exterieures, c’est à dire aux choses corporelles. Or il est manifeste que tout ce que nous conceuons estre en DIEV de dissemblable aux choses exterieures, ne peut venir en nostre pensée par l’entremise de ces mesmes choses, mais seulement par celle de la cause de cette diuersité, c’est à dire de Dieu.
Et ie demande icy de quelle façon ce philosophe tire l’intellection de Dieu des choses exterieures : Camusat – Le Petit, p. 245
Image haute résolution sur Gallica car pour moy i’explique aisement quelle est l’jdée que l’en ay, en disant que, par le mot d’jdée i’entens tout ce qui est la forme de quelque perception ; Car qui est celuy qui conçoit quelque chose, qui ne s’en aperçoiue ; et partant qui n’ait cette forme ou jdée de l’intellection, laquelle étendant à l’infini, il forme l’jdée de l’intellection diuine, et ainsi des autres attributs de Dieu.
AT IX-1, 147 Mais d’autant que ie me suis serui de l’jdée de Dieu qui est en nous, pour démontrer son existence, et que dans cette jdée vne puissance si immense est contenuë, que nous conceuons qu’il repugne, (s’il est vray que Dieu existe) que quelque autre chose que luy existe, si elle n’a esté creée par luy, il suit clairement de ce que son existence a esté démontrée, qu’il a esté aussi démontré que tout ce monde, c’est à dire, toutes les autres choses differentes de Dieu qui existent, ont esté creées par luy.
Enfin lorsque ie dis que quelque idée est née auec nous, ou qu’elle est naturellement emprainte en nos ames, ie n’entens pas qu’elle se presente toûjours à nostre pensée, car ainsi il n’y en auroit aucune, mais seulement que nous auons en nous mesmes la faculté de la produire.