CONTRE LA TROISIÉME MEDITATION.
De Dieu, qu’il existe.

Premierement, de ce que vous auez reconnu que la claire et distincte connoissance de cette proposition, Camusat – Le Petit, p. 429
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ie suis vne chose qui pense, est la cause de la certitude que vous en auez, vous inferez que vous pouuez établir pour regle generale, que les choses que nous conceuons fort clairement et fort distinctement sont toutes vrayes. Mais quoy que iusques icy on n’ait peu trouuer de regle plus assurée de nostre certitude parmy l’obscurité des choses humaines : neantmoins voyant que tant de grands espris, qui semblent auoir deu connoistre fort clairement et fort distinctement plusieurs choses, ont estimé que la verité estoit cachée dans le sein de Dieu mesme, ou dans le profond des abismes, n’y a-t-il pas lieu de soupçonner que cette regle peut estre fausse. Et certes aprés ce que disent les sceptiques, dont vous n’ignorez pas les argumens, de quelle verité pouuons nous répondre comme d’vne chose clairement connuë, sinon qu’il est vray que les choses paroissent ce qu’elles paroissent à chacun. Par exemple, ie sens manifestement et distinctement que la saueur du melon est tres-agreable à mon goust, partant il est vray que la saueur du melon me paroist de la sorte ; mais que pour cela il soit vray qu’elle est telle dans le melon, comment le pourois - ie croire, moy qui en ma ieunesse, et dans l’estat d’vne santé parfaite, en ay iugé tout autrement, pource que ie sentois alors manifestement vne autre saueur dans le melon. Ie voy mesme encore à present que plusieurs personnes en iugent autrement : Ie voy que plusieurs animaux qui ont le goust fort exquis, Camusat – Le Petit, p. 430
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et vne santé tres-vigoureuse, ont d’autres sentimens que les miens. Est-ce donc que le vray repugne et se détruit soy-mesme, ou plutost n’est ce pas qu’vne chose n’est pas vraye en soy, encore qu’elle soit conceuë clairement et distinctement ; mais qu’il est vray seulement qu’elle est ainsi clairement et distinctement conceuë. Il en est presque de mesme des choses qui regardent l’esprit. I’eusse iuré autrefois qu’il estoit impossible de paruenir d’vne petite quantité à vne plus grande sans passer par vne égale. I’eusse soutenu au peril de ma vie, qu’il ne se pouuoit pas faire que deux lignes qui s’aprochoyent continuellement, ne se touchassent en fin, si on les prolongeoit à l’infini. Ces choses me sembloyent si claires et si distinctes, que ie les tenois pour des axiomes tres-vrays et tres-indubitables ; et aprés cela neantmoins il y a eu des raisons qui m’ont persuadé le contraire, pour l’auoir conceu plus clairement et plus distinctement. Et à present mesme quand ie viens à penser à la nature des supositions Mathematiques, mon esprit n’est pas sans quelque doute et defiance de leur verité. Aussi i’auouë bien qu’on peut dire qu’il est vray que ie connois telles et telles propositions, selon que ie supose, ou que ie conçoy la nature de la quantité, de la ligne, de la superficie etc. mais que pour cela elles soyent en elles mesmes telles que ie les conçoy, on ne le peut auancer auec certitude. Et quoy qu’il en soit des veritez Mathematiques, ie vous demande (pour Camusat – Le Petit, p. 431
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ce qui regarde les autres choses dont il est maintenant question,) pourquoy donc y a-t-il tant d’opinions differentes parmy les hommes ? Chacun pense conceuoir fort clairement et fort distinctement celle qu’il deffend : et ne dites point que la plus part ne sont pas fermes dans leurs opinions, ou qu’ils feignent seulement de les bien entendre ; car ie sçay qu’il y en a plusieurs qui les soutiendront au peril de leur vie, quoy qu’ils en voyent d’autres portez de la mesme passion pour l’opinion contraire : si ce n’est peut-estre que vous croyïez que mesme à ce dernier moment on déguise encore ses sentimens, et qu’il n’est pas temps de tirer la verité du plus profond de sa conscience ? Et vous touchez vous-mesme cette difficulté lors que vous dites, que vous auez receu autrefois plusieurs choses pour tres-certaines et tres-euidentes, que vous auez depuis reconnu estre douteuses et incertaines , mais vous la laissez indecise, et ne confirmez point vostre regle ; seulement vous prenez de là occasion de discourir des jdées par qui vous pouriez auoir esté abusé, comme representant quelques choses hors de vous, qui pourtant hors de vous ne sont peut-estre rien ; en suite de quoy vous parlez derechef d’vn Dieu trompeur, par qui vous pouriez auoir esté deceu touchant la verité de ces propositions : deux et trois ioints ensemble font le nombre de cinq. Vn quaré n’a pas plus de quatre costez, afin de nous signifier par là, qu’il faut attendre la confirmation de vostre regle, Camusat – Le Petit, p. 432
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iusques à ce que vous ayez prouué qu’il y a vn Dieu, qui ne peut estre trompeur. Combien qu’à vray dire, il n’est pas tant besoin que vous trauailliez à confirmer cette regle, qui peut si facilement nous faire receuoir le faux pour le vray, et nous induire en erreur, qu’il est necessaire que vous nous enseigniez vne bonne methode, qui nous aprenne à bien diriger nos pensées, et qui nous fasse en mesme temps connoistre, quand il est vray que nous nous trompons, ou que nous ne nous trompons pas, toutes les fois que nous pensons conceuoir clairement et distinctement quelque chose.

2. Aprés cela vous distinguez les jdées (que vous voulez estre des pensées entant qu’elles sont comme des images) en trois façons, dont les vnes sont nées auec nous, les autres viennent de dehors, et sont étrangeres, et les autres sont faites et inuentées par nous. Soubz le premier genre, vous y mettez l’intelligence que vous auez de ce que c’est qu’on nomme en general vne chose, ou vne verité, ou vne pensée : Soubz le second, vous placez l’jdée que vous auez du bruit que vous oyez, du Soleil que vous voyez, du feu que vous sentez : Soubz le troisiéme, vous y rangez les syrenes, les hypogrifes, et les autres semblables Chymeres, que vous forgez et inuentez de vous mesme ; et en suite vous dites que peut-estre il se peut faire que toutes vos jdées soyent étrangeres, ou toutes nées auec vous, ou toutes faites par vous, d’autant que vous n’en connoissez pas encore assez clairement et distinctement l’origine. C’est pourquoy il me semble que pour empécher l’erreur Camusat – Le Petit, p. 433
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qui se pouroit cependant glisser, iusqu’à ce que leur origine vous soit entierement connuë, ie veux icy vous faire remarquer, qu’il semble que toutes les jdées viennent de dehors, et qu’elles procedent de choses qui existent hors de l’entendement, et qui tombent soubz quelqu’vn de nos sens. Car de vray l’esprit n’a pas seulement la faculté (ou plutost luy-mesme est vne faculté) de conceuoir ces jdées étrangeres qui emanent des obiects exterieurs, et qui passent iusqu’à luy par l’entremise des sens, de les conceuoir, dis-ie, toutes nuës et distinctes, et telles qu’il les reçoit en luy ; mais de plus il a encore la faculté de les assembler et diuiser diuersement, de les étendre et racourcir, de les comparer et composer en plusieurs autres manieres. Et de là il s’ensuit, qu’au moins ce troisiéme genre d’jdées que vous établissez, n’est point different du second : Car en effect l’jdée d’vne chimere n’est point differente de celles de la teste d’vn Lion, du ventre d’vne cheure, et de la queuë d’vn serpent, de l’assemblage desquelles l’esprit en fait et compose vne seule, puis qu’estant prises separement, ou considerées chacune en particulier elles sont éstrangeres, et viennent de dehors. Ainsi l’jdée d’vn geant, où d’vn homme que l’on conçoit grand comme vne montagne, ou si vous voulez comme tout le monde, est la mesme que l’jdée étrangere d’vn homme d’vne grandeur ordinaire, que l’esprit a étenduë à sa fantaisie, quoy qu’il la conçoiue d’autant plus confusément qu’il l’a d’auantage a grandie. De mesme aussi l’jdée Camusat – Le Petit, p. 434
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d’vne pyramide, d’vne ville, ou de telle autre chose que ce soit qu’on n’aura iamais veuë, est la mesme que l’jdée étrangere, (mais vn peu defigurée, et par consequent confuse) d’vne pyramide, ou d’vne ville qu’on aura veuë auparauant, laquelle l’esprit aura en quelque façon multipliée, diuisée, et comparée.

Pour ces especes que vous apelez naturelles, ou que vous dites estre nées auec nous, ie ne pense pas qu’il y en ait aucune de ce genre, et mesme toutes celles qu’on apelle de ce nom semblent auoir vne origine étrangere. I’ay, dites vous, comme vne suite et dependance de ma nature d’entendre ce que c’est qu’on nomme en general vne chose. Ie ne pense pas que vous vouliez parler de la faculté mesme d’entendre, de laquelle il ne peut y auoir aucun doute, et dont il n’est pas icy question ; mais plutost vous entendez parler de l’jdée d’vne chose. Vous ne parlez pas aussi de l’jdée d’vne chose particuliere ; car le Soleil, cette pierre, et toutes les choses singulieres, sont du genre des choses dont vous dites que les jdées sont étrangeres, et non pas naturelles. Vous parlez donc de l’jdée d’vne chose considerée en general, et entant qu’elle est synonyme auec l’estre, et d’egale étenduë que luy. Mais, ie vous prie, comment cette jdée generale peut-elle estre dans l’esprit, si en mesme temps il n’y a en luy autant de choses singulieres, et mesme les genres de ces choses, desquelles l’esprit faisant abstraction forme vn concept, ou vne jdée qui conuienne à toutes en general, sans estre propre à pas Camusat – Le Petit, p. 435
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vne en particulier ? Certainement si l’jdée d’vne chose est naturelle, celle d’vn animal, d’vne plante, d’vne pierre, et de tous les vniuersaux, sera aussi naturelle, et il ne sera pas besoin de nous tant trauailler à faire le discernement de plusieurs choses singulieres, afin qu’en ayant retranché toutes les differences, nous ne retenions rien que ce qui paroistra clairement estre commun à toutes en general, ou bien, ce qui est le mesme, afin que nous en formions vne jdée generique. Vous dites aussi que vous auez comme vn apanage de vostre nature d’entendre ce que c’est que verité, ou bien, comme ie l’interprete, que l’jdée de la verité est naturellement emprainte en vostre ame. Mais si la verité n’est rien autre chose que la conformité du iugement auec la chose dont on le porte, la verité n’est qu’vne relation, et par consequent n’est rien de distinct de la chose mesme et de son jdée comparées l’vne auec l’autre : ou, ce qui ne differe point, n’est rien de distinct de l’jdée de la chose : laquelle n’a pas seulement la vertu de se representer elle mesme, mais aussi la chose, telle qu’elle est. C’est pourquoy l’jdée de la verité est la mesme que l’jdée de la chose, entant qu’elle luy est conforme, ou bien entant qu’elle la represente telle qu’elle est en effect. De façon que si l’jdée de la chose n’est point née auec nous, et qu’elle soit étrangere, l’jdée de la verité sera aussi étrangere, et non pas née auec nous. Et cecy s’entendant de chaque verité particuliere, se peut aussi entendre de la verité considerée en general, Camusat – Le Petit, p. 436
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dont la notion ou l’jdée se tire (ainsi que nous venons de dire de l’jdée d’vne chose en general) des notions, ou des jdées de chaque verité particuliere. Vous dites-encore, que c’est vne chose qui vous est naturelle d’entendre ce que c’est que pensée (c’est à dire selon que ie l’interprete tousiours) que l’jdée de la pensée est née auec vous, et vous est naturelle. Mais tout ainsi que l’esprit, de l’jdée d’vne ville forme l’jdée d’vne autre ville, de mesme aussi il peut de l’jdée d’vne action, par exemple d’vne vision, ou d’vne autre semblable, former l’jdée d’vne autre action, à sçauoir, de la pensée mesme : Car il y a tousiours vn certain raport et analogie entre les facultez qui connoissent, qui fait que l’vne conduit aysement à la connoissance de l’autre ; combien qu’à vray dire il ne se faut pas beaucoup mettre en peine de sçauoir de quel genre est l’jdée de la pensée, nous deuons plutost reseruer ce soin pour l’jdée de l’esprit mesme, ou de l’ame, laquelle si nous acordons vne fois qu’elle soit née auec nous, il n’y aura pas grand inconuenient de dire aussi le mesme de l’jdée de la pensée : c’est pourquoy il faut attendre iusqu’à ce qu’il ait esté prouué de l’esprit, que son jdée est naturellement en nous.

3. Aprés cela il semble que vous reuoquiez en doute, non seulement sçauoir si quelques jdées procedent des choses existantes hors de nous, mais mesme que vous doutiez s’il y a aucunes choses qui existent hors de nous : d’où il semble que vous inferiez, qu’encore bien que vous ayez en Camusat – Le Petit, p. 437
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vous les jdées de ces choses qu’on apelle exterieures, il ne s’ensuit pas neantmoins qu’il y en ait aucunes qui existent dans le monde, pource que les jdées que vous en auez n’en procedent pas necessairement : mais peuuent ou proceder de vous, ou auoir esté introduites en vous par quelque autre maniere qui ne vous est pas connue.
C’est aussi ie croy pour cette raison qu’vn peu auparauant vous ne disiez pas que vous auiez aperceu la terre, le ciel, et les astres, mais seulement les jdées de la terre, du ciel, et des astres, par qui vous pouuiez estre deceu. Si donc vous ne croyez pas encore qu’il y ait vne terre, vn ciel, et des astres, pourquoy, ie vous prie, marchez vous sur la terre ? pourquoy leuez vous les yeux pour contempler le Soleil ? pourquoy vous aprochez vous du feu pour en sentir la chaleur ? pourquoy vous mettez vous à table, ou pourquoy mangez vous pour rassasier vostre faim ? pourquoy remuez vous la langue pour parler ? et pourquoy mettez vous la main à la plume pour nous escrire vos pensées ? Certes ces choses peuuent bien estre dites ou inuentées subtilement, mais on n’a pas beaucoup de peine à s’en desabuser ; et n’estant pas possible que vous doutiez tout de bon de l’existence de ces choses, et que vous ne sçachiez fort bien qu’elles sont quelque chose d’existant hors de vous, traittons les choses serieusement et de bonne foy, et acoutumons nous a parler des choses comme elles sont. Que si suposé l’existence des choses exterieures, vous pensez qu’on ne puisse pas démontrer Camusat – Le Petit, p. 438
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sufisamment que nous empruntons d’elles les jdées que nous en auons, il faut non seulement que vous repondiez aux difficultez que vous vous proposez vous mesme, mais aussi à toutes celles que l’on vous pouroit obiecter.

Pour montrer que les idées que nous auons de ces choses viennent de dehors, vous dites, qu’il semble que la nature nous l’enseigne ainsi : et que nous experimentons qu’elles ne viennent point de nous, et ne dépendent point de nostre volonté. Mais pour ne rien dire ny des raisons ny de leurs solutions, il faloit aussi entre les autres difficultez faire et soudre celle-cy, à sçauoir, pourquoy dans vn aueugle né il n’y a aucune idée de la couleur, ou dans vn sourd aucune idée de la voix : sinon parce que ces choses exterieures n’ont peu d’elles mesmes enuoyer aucune image de ce qu’elles sont dans l’esprit de cét infortuné, dautant que dés le premier instant de sa naissance les auenuës en ont esté bouchées par des obstacles qu’elles n’ont peu forcer. Vous faites apres cela instance sur l’exemple du Soleil, de qui nous auons deux Idées bien differentes, l’vne que nous auons receuë par les sens, et selon celle-là il nous paroist fort petit ; et l’autre qui est prise des raisons de l’Astronomie, selon laquelle il nous paroist fort grand : or de ces deux Idées celle-là est la plus vraye, et la plus conforme à son exemplaire, qui ne vient point des sens, mais qui est tirée de certaines notions qui sont nées auec nous, ou qui est faite par nous en quelque autre maniere que ce soit. Mais on peut respondre à cela que ces deux Idées du Soleil sont Camusat – Le Petit, p. 439
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semblables, et vrayes, ou conformes au Soleil, mais l’vne plus, et l’autre moins ; de la mesme façon que deux differentes idées d’vn mesme homme, dont l’vne nous est enuoyée de dix pas, et l’autre de cent, ou de mille, sont semblables, vrayes, et conformes, mais celle-là plus, et celle-cy moins : dautant que celle qui vient de plus prez se diminuë moins que celle qui vient de plus loin ; comme il me seroit aisé de vous expliquer en peu de paroles, si c’estoit icy le lieu de le faire, et que vous voulussiez tomber d’accord de mes principes. Au reste quoy que nous n’aperceuions point autrement que par l’esprit cette vaste Idée du Soleil, ce n’est pas à dire pour cela qu’elle soit tirée de quelque notion qui soit naturellement en nous, mais il arriue que celle que nous receuons par les sens (conformement à ce que l’experience apuyée de la raison nous aprend que les mesmes choses estant éloignées paroissent plus petites que lors qu’elles sont plus proches) est autant acreuë par la force de nostre esprit, qu’il est constant que le Soleil est distant de nous, et que son diametre est égal à tant de demy diametres de la terre. Et voulez-vous voir comme quoy la nature n’a rien mis en nous de cette jdée ? cherchez la dans vn aueugle né. Vous verrez premierement que dans son esprit elle n’est point colorée, ou lumineuse ; vous verrez en suite qu’elle n’est point ronde, si quelqu’vn ne l’en a auerty, et qu’il n’aitaitauparauant manié quelque chose de rond : vous verrez en fin qu’elle n’est point si grande, si la raison, ou l’autorité, Camusat – Le Petit, p. 440
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ne luy a fait amplifier celle qu’il auoit conceuë. Mais pour dire quelque chose de plus, et ne nous point flater, nous autres qui auons tant de fois contemplé le Soleil, tant de fois mesuré son diametre aparent, tant de fois raisonné sur son veritable diametre, auons nous vne autre jdée, ou vne autre image du Soleil que la vulgaire ? La raison nous montre bien à la verité que le Soleil est cent soixante et tant de fois plus grand que la terre, mais auons nous pour cela l’jdée d’vn corps si vaste et si estendu ? nous agrandissons bien celle que nous auons receuë par les sens autant que nous pouuons, nostre esprit s’efforce de l’acroistre autant qu’il est en luy, mais au bout du compte nostre esprit se confond luy-mesme, et ne se remplit que de tenebres : et si nous voulons auoir vne pensée distincte du Soleil, il faut que nous ayons recours à l’jdée que nous auons receuë de luy par l’entremise des sens. C’est assez que nous croyïons que le Soleil est beaucoup plus grand que ce qu’il nous paroist ; et que si nostre œil en estoit plus proche, il en receuroit vne jdée bien plus ample, et plus étenduë. Mais il faut que nostre esprit se contente de celle que nos sens luy presentent, et qu’il la considere telle qu’elle est.

4. En suite dequoy reconnoissant l’inégalité et la diuersité qui se rencontre entre les jdées ; Il est certain, dites vous, que celles qui me representent des substances, sont quelque chose de plus, et contiennent en soy, pour ainsi parler, plus de realité obiectiue, que celles Camusat – Le Petit, p. 441
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qui me representent seulement des modes, ou accidens ; Et en fin celle par laquelle ie conçoy vn Dieu souuerain, eternel, infini, tout puissant, et createur vniuersel de toutes les choses qui sont hors de luy, a sans doute en soy plus de realité obiectiue, que celles par qui les substances finies me sont representées.
Vostre esprit vous conduit icy bien viste, c’est pourquoy il le faut vn peu arester. Ie ne m’amuse pas neantmoins à vous demander d’abord ce que vous entendez par ces mots de realité obiectiue : Il suffit que nous sçachions que se disant vulgairement que les choses exterieures sont formellement et réellement en elles mesmes, mais obiectiuement ou par representation dans l’entendement, il semble que vous ne vouliez dire autre chose, sinon que l’jdée doit se conformer entierement à la chose dont elle est l’jdée : en telle sorte qu’elle ne contienne rien en obiect, qui ne soit en effect dans la chose : et qu’elle represente d’autant plus de realité, que la chose representée en contient en elle mesme. Ie sçay bien qu’incontinent aprés vous faites distinction entre la realité obiectiue, et la realité formelle, laquelle, comme ie pense, est l’jdée mesme, non plus comme representant quelque chose, mais considerée comme vn estre separé, et ayant de soy quelque sorte d’entité. Mais quoy qu’il en soit, il est certain que ny l’jdée, ny sa realité obiectiue, ne doit pas estre mesurée selon toute la realité formelle que la chose a en soy : mais seulement selon cette partie dont l’esprit a eu connoissance, Camusat – Le Petit, p. 442
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ou pour parler en d’autres termes, selon la connoissance que l’esprit en a. Ainsi, certes, on dira que l’idée qui est en vous d’vne personne que vous auez souuent veuë, que vous auez attentiuement considerée, et que vous auez regardée de tous costez, est tres-parfaite : mais que celle que vous pouuez auoir de celuy que vous n’aurez veu qu’vne fois en passant, et que vous n’auez pas pleinement enuisagé, est tres-imparfaite. Que si au lieu de sa personne vous n’auez veu que le masque qui en cachoit le visage, et les habits qui en couuroyent tout le corps, certainement on doit dire que vous n’auez point d’jdée de cet homme, ou si vous en auez, qu’elle est fort imparfaite, et grandement confuse.

D’où i’infere que l’on peut bien auoir vne jdée distincte et veritable des accidens ; mais qu’on ne peut auoir tout au plus qu’vne jdée confuse, et contrefaitte de la substance qui en est voilée. En telle sorte que lors que vous dites qu’il y a plus de realité obiectiue dans l’jdée de la substance que dans celle des accidens ; on doit premierement nier qu’on puisse auoir vne jdée naïue et veritable de la substance, et partant qu’on puisse auoir d’elle aucune realité obiectiue : et de plus quand on vous l’auroit accordé, on ne peut pas dire qu’elle soit plus grande que celle qui se rencontre dans les jdées des accidens : veu que tout ce qu’elle a de realité, elle l’emprunte des jdées des accidens, soubz lesquels, ou a la façon desquels nous auons dit cy-deuant que la substance Camusat – Le Petit, p. 443
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estoit conceuë, faisant voir qu’elle ne peut estre conceuë que comme quelque chose d’étendu, figuré, coloré etc.

Touchant ce que vous adioutez de l’jdée de Dieu, dites moy ie vous prie, puis que vous n’estes pas encore assuré de son existence, comment pouuez vous sçauoir qu’il nous est representé par son jdée comme vn estre, eternel, infini, tout puissant, et createur de toutes choses etc ? Cette jdée que vous en formez, ne vient-elle point plutost de la connoissance que vous auez euë auparauant de luy, entant qu’il vous a plusieurs fois esté representé sous ces attributs ? car à dire vray le décririez vous de la sorte, si vous n’en auiez iamais rien ouy dire de semblable ? Vous me direz peut-estre que cela n’est maintenant aporté que pour exemple, sans que vous definissiez encore rien de luy ; Ie le veux : mais prenez garde de n’en pas faire aprés vne préiugé.

Vous dites qu’il y a plus de realité obiéctiue dans l’jdée d’vn Dieu infiny, que dans l’jdée d’vne chose finie. Mais premierement l’esprit humain n’estant pas capable de conceuoir l’infinité, ne peut pas aussi auoir, ny se figurer vne jdée qui represente vne chose infinie. Et partant celuy qui dit vne chose infinie, attribuë à vne chose qu’il ne comprend point, vn nom qu’il n’entend pas non plus ; dautant que comme la chose s’étend au delà de toute sa comprehension, ainsi cette infinité, ou cette negation de termes qui est attribuée Camusat – Le Petit, p. 444
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à cette extension, ne peut estre entenduë par celuy dont l’intelligence est tousiours restrainte et renfermée dans quelques bornes. En aprés toutes ces hautes perfections que nous auons coûtume d’attribuer à Dieu, semblent auoir esté tirées des choses que nous admirons ordinairement en nous, comme sont la durée, la puissance, la science, la bonté, le bonheur, etc. ausquelles ayant donné toute l’estenduë possible, nous disons que Dieu est eternel, tout puissant, tout connoissant, souuerainement bon, parfaitement heureux, etc. Et ainsi l’Idée de Dieu represente bien à la verité toutes ces choses, mais elle n’a pas pour cela plus de realité objectiue qu’en ont les choses finies prises toutes ensemble, des jdées desquelles cette Idée de Dieu a esté composée, et aprés agrandie en la maniere que ie viens de décrire. Car ny celuy qui dit eternel n’embrasse pas par sa pensée toute l’estenduë de cette durée qui n’a iamais eu de commencement, et qui n’aura iamais fin : ny celuy qui dit tout puissant ne comprend pas toute la multitude des effets possibles ; et ainsi des autres attributs. Et en fin qui est celuy que l’on peut dire auoir vne jdée de Dieu entiere et parfaite, c’est à dire qui le represente tel qu’il est ? Que Dieu seroit peu de chose s’il n’estoit point autre que nous le conceuons, et s’il n’auoit que ce peu de perfections que nous remarquons estre en nous, quoy que nous conceuions qu’elles sont en luy d’vne façon beaucoup plus parfaite. La proportion qui est entre les perfections de Dieu, et Camusat – Le Petit, p. 445
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celles de l’homme, n’est-elle pas infiniment moindre, que celle qui est entre vn elefant, et vn petit ciron ? Si donc celuy-là passeroit pour ridicule, lequel formant vne jdée sur le modele des perfections qu’il auroit remarquées dans vn ciron, voudroit dire que cette jdée qu’il a ainsi formée est celle d’vn elefant, et qu’elle le represente au naïf : pourquoy ne se moquera-t’on pas de celuy qui formant vne jdée sur le modele des perfections de l’homme, voudra dire que cette jdée est celle de Dieu mesme, et qu’elle le represente parfaitement ? Et mesme ie vous demande, comment pouuons nous reconnoistre que ce peu de perfections que nous trouuons estre en nous, se retrouue aussi en Dieu ? Et aprés l’auoir reconnu quelle peut estre l’essence que nous pouuons delà nous imaginer de luy ? Certainement Dieu est infiniment éleué au dessus de toute comprehension : et quand nostre esprit se veut apliquer à sa contemplation, non seulement il se reconnoist trop foible pour le comprendre, mais encor il s’aueugle, et se confond luy-mesme. C’est pourquoy il n’y a pas lieu de dire que nous ayons aucune jdée veritable de Dieu qui nous le represente tel qu’il est : c’est bien assez si par le raport des perfections qui sont en nous, nous venons à en produire et former quelqu’vne qui s’accommodant à nostre foiblesse, soit propre aussi pour nostre vsage, laquelle ne soit point au dessus de nostre portée, et qui ne contienne aucune realité que nous n’ayons auparauant reconnu estre dans les autres Camusat – Le Petit, p. 446
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choses, ou que par leur moyen nous n’ayons aperceuë.

5. Vous dites en suite qu’il est manifeste par la lumiere naturelle, qu’il doit y auoir pour le moins autant de realité dans la cause efficiente, et totale, qu’il y en a dans l’effect : et cela pour inferer qu’il doit y auoir pour le moins autant de realité formelle dans la cause d’vne jdée, que l’idée contient de realité objectiue. Ce pas-cy est encore bien grand, et il est aussi à propos que nous nous y arrestions vn peu. Et premierement cette commune Sentence, qu’il n’y a rien dans l’effect qui ne soit dans sa cause, semble deuoir estre plutost entenduë de la cause materielle, que de la cause efficiente : Car la cause efficiente est quelque chose d’exterieur, et qui souuentefois mesme est d’vne nature differente de son effect. Et bien que l’effect soit dit auoir sa realité de la cause efficiente, toutesfois il n’a pas necessairement la mesme que la cause efficiente a en soy, mais il en peut auoir vne autre qu’elle aura empruntée d’ailleurs. Cela se voit manifestement dans les effects de l’art. Car encore que la maison ait toute sa realité de l’Architecte, toutesfois l’Architecte ne la luy donne pas du sien, mais il l’emprunte d’ailleurs. Le Soleil fait la mesme chose lors qu’il change diuersement la matiere d’icy-bas, et que par ce changement il engendre diuers animaux ; bien plus, il en est de mesme des peres et des meres, de qui quoy que les enfans reçoiuent vn peu de matiere, ils ne la reçoiuent pas neantmoins d’eux comme d’vn principe efficient, Camusat – Le Petit, p. 447
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mais seulement comme d’vn principe materiel. Ce que vous objectez que l’estre d’vn effect doit estre formellement ou eminemment dans sa cause, ne veut dire autre chose, sinon que l’effect a quelquefois vne forme semblable à celle de sa cause, et quelquefois vne differente, mais aussi moins parfaite : en sorte qu’alors la forme de la cause est plus noble que celle de son effect. Mais il ne s’ensuit pas pour cela que la cause qui contient eminemment son effect, luy donne quelque partie de son estre, ou bien que celle qui le contient formellement, partage sa propre forme auec son effect. Car bien qu’il semble que cela se fasse de la sorte dans la generation des choses viuantes, qui se fait par la voye de la semence, vous ne direz pas neantmoins, ie pense, que lors qu’vn pere engendre son fils, il retranche et donne à son fils vne partie de son ame raisonnable. En vn mot, la cause efficiente ne contient point autrement son effect, sinon entant qu’elle le peut former d’vne certaine matiere, et donner à cette matiere sa derniere perfection.

En aprés pour l’examen de ce que vous inferez touchant la realité objectiue, ie prens l’exemple de mon image mesme, laquelle peut estre considerée ou dans vn miroir, deuant lequel ie me presente, ou dans vn tableau que le peintre aura tiré. Car comme ie suis moy-mesme la cause de l’image qui est dans le miroir, entant que de moy i’enuoye mon image dans le miroir, et que le peintre est la cause de l’image qui est dépeinte Camusat – Le Petit, p. 448
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dans le tableau ; De mesme lors que l’jdée ou l’image de moy-mesme est dans vostre esprit, ou dans l’esprit de quelqu’autre, on peut demander, si ie suis moy-mesme la cause de cette image, entant que i’enuoye mon espece dans l’œil, et par son entremise iusqu’à l’entendement mesme : ou bien s’il y a quelqu’autre cause qui comme vn peintre adroit et subtil la trace et la touchecouche dans l’entendement. Mais il semble qu’il n’en faille point rechercher d’autre que moy ; car quoy que par aprés l’entendement puisse agrandir ou diminuer, composer et manier comme il luy plaist cette image de moy-mesme, ie suis neantmoins la cause premiere et principale de toute la realité qu’elle a en soy. Et ce qui se dit icy de moy, se doit entendre de la mesme façon de tous les autres objets exterieurs. Maintenant vous distinguez en deux façons la realité que vous attribuez à cette jdée, sçauoir est, en realité formelle, et en realité objectiue ; Et quant à la formelle, elle ne peut estre autre que cette substance subtile et deliée qui coule et exhale incessamment de moy, et qui dés aussi-tost qu’elle est receuë dans l’entendement se transforme en vne jdée. (Que si vous ne voulez pas que l’espece qui vient de l’object soit vn écoulement de substance, establissez ce qu’il vous plaira, vous en diminuerez tousiours la realité.) Et pour le regard de la realité obiectiue, elle ne peut estre autre que la representation ou la ressemblance que cette jdée a de moy-mesme, ou tout au plus que la symmetrie et l’arangement qui fait Camusat – Le Petit, p. 449
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que les parties de cette jdée sont tellement disposées qu’elles me representent. Et de quelque façon que vous le preniez, ie ne voy pas que ce soit rien de réel ; pource que c’est simplement vne relation des parties entr’elles, entant que raportées à moy ; ou bien c’est vn mode de la realité formelle, entant qu’elle est arangée et disposée d’vne telle façon, et non d’vne autre : mais cela importe fort peu ; ie veux bien puisque vous le voulez, qu’elle soit apelée realité obiectiue. Cela estant posé, vous deuriez, ce semble, comparer la Realité formelle de cette jdée auec la mienne propre, ou bien auec ma substance, et sa realité obiectiue auec la symmetrie des parties de mon corps, ou auec la delineation et la forme exterieure de moy-mesme, mais neantmoins il vous plaist de comparer sa realité objectiue auec ma realité formelle. En fin quoy qu’il en soit de la façon auec laquelle vous expliquez cét axiome precedent, il est manifeste, que non seulement il y a en moy autant de realité formelle, qu’il y a de realité objectiue dans l’jdée de moy-mesme ; mais aussi que la realité formelle de cette jdée, n’est presque rien au respect de ma realité formelle, c’est à dire de la realité de toute ma substance. C’est pourquoy ie demeure d’accord auec vous, qu’il doit y auoir pour le moins autant de realité formelle dans la cause d’vne jdée, qu’il y a dans cette jdée de realité objectiue, veu que tout ce qui est contenu dans vne jdée n’est presque rien en comparaison de sa cause.

6. Vous poursuiuez, et dites Que s’il y a en vous Camusat – Le Petit, p. 450
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vne jdée dont la realité objectiue soit si grande, que vous ne l’ayez point contenuë ny formellement, ny eminemment, et de qui par consequent vous n’ayez peu estre la cause, que pour lors il suit de là necessairement qu’il y a dans le monde vn autre estre que vous qui existe : et que sans cela vous n’auez aucun argument qui vous rende certain de l’existence d’aucune chose.
Mais, comme i’ay desia dit auparauant, vous n’estes pas la cause de la realité des jdées, mais bien les choses mesmes qui sont representées par elles, entant qu’elles enuoyent leurs images dans vous, comme dans vn miroir ; quoy que vous puissiez de là prendre quelquefois occasion de vous figurer des chimeres. Mais soit que vous en soyez la cause, soit que vous ne le soyez pas, estes vous pour cela en doute qu’il y ait quelqu’autre chose que vous qui existe dans le monde ? ne nous en faites point accroire ie vous prie ; car quoy qu’il en soit des jdées, ie ne pense pas qu’il soit besoin de chercher des raisons pour vous prouuer vne chose si constante. Vous parcourez aprés cela les jdées qui sont en vous, et entre ces jdées, outre celle de vous-mesme, vous comptez aussi les jdées de Dieu, des choses corporelles et inanimées, des Anges, des animaux, et des hommes : Et cela pour inferer (aprés auoir dit qu’il ne peut y auoir aucune difficulté pour ce qui regarde l’jdée de vous-mesme) que les jdées des hommes, des animaux, et des Anges peuuent estre composées de celles que vous auez de Dieu, de vous-mesme, et des choses corporelles ; et mesme que les jdées des choses corporelles peuuent venir de vous-mesme. Mais ie trouue icy qu’il y Camusat – Le Petit, p. 451
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a lieu de s’etonner comment vous auancez si assurement que vous ayez l’jdée de vous mesme, (et mesme vne jdée si féconde, que d’elle seule vous en puissiez tirer vn si grand nombre d’autres) et qu’à son égard il ne peut y auoir aucune difficulté : quoy que neantmoins il soit vray de dire, ou que vous n’auez point l’jdée de vous-mesme, ou si vous en auez aucune, qu’elle est fort confuse et imparfaite, comme i’ay desia remarqué sur la precedente meditation. Il est bien vray que vous souteniez en ce lieu-là, que rien ne pouuoit estre connu plus facilement et plus euidemment par vous que vous-mesme ; mais que direz vous si ie vous montre ici, que n’estant pas possible que vous ayez, ny mesme que vous puissiez auoir, l’jdée de vous mesme, il n’y a rien que vous ne connoissiez plus facilement et plus euidemment que vous, ou que vostre Esprit.

Et certes considerant pourquoy et comment il se peut faire que l’œil ne se voye pas luy-mesme, ny que l’entendement ne se conçoiue point : il m’est venu en la pensée que rien n’agit sur soy-mesme : car en effect ny la main (ou du moins l’extremité de la main) ne se frape point elle mesme, ny le pied ne se donne point vn coup. Or estant d’ailleurs necessaire pour auoir la connoissance d’vne chose, que cette chose agisse sur la faculté qui connoist, c’est à dire, qu’elle enuoye en elle son espece, ou bien qu’elle l’informe et la remplisse de son image, c’est vne chose euidente que la faculté mesme n’estant Camusat – Le Petit, p. 452
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pas hors de soy, ne peut pas enuoyer ou transmettre en soy son espece, ny par consequent former la notion de soy-mesme. Et pourquoy pensez vous que l’œil ne se voyant pas luy-mesme dans soy, se voit neantmoins dans vn miroir ? C’est sans doute parce qu’entre l’œil et le miroir il y a vn espace, et que l’œil agit de telle sorte contre le miroir, en enuoyant contre luy son image, que le miroir aprés agit contre l’œil, en renuoyant contre luy sa propre espece. Donnez moy donc vn miroir contre lequel vous agissiez en mesme façon, et ie vous assure que venant à reflechir et renuoyer contre vous vostre propre espece, vous pourez alors vous voir et connoistre vous-mesme, non pas à la verité par vne connoissance directe, mais du moins par vne connoissance reflechie : autrement ie ne voy pas que vous puissiez auoir aucune notion ou jdée de vous-mesme. Ie pourois encore icy insister, comment il est possible que vous ayez l’jdée de Dieu, si ce n’est peut-estre vne jdée telle que ie l’ay naguieres decritte ? comment celle des Anges ? desquels si vous n’auiez iamais ouy parler, ie doute si iamais vous en auriez eu aucune pensée ; comment celles des animaux, et de tout le reste des choses ? dont ie suis presque assuré que vous n’auriez iamais eu aucune jdée, si elles ne vous estoyent jamais tombées sous les sens : non plus que vous n’en auez point d’vne infinité de choses dont la veuë ny la renommée n’est iamais paruenuë iusques à vous ; Mais sans insister Camusat – Le Petit, p. 453
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d’auantage la dessus, ie demeure d’accord qu’on peut tellement aranger et composer les jdées des diuerses choses qui sont en l’esprit, que de là il en naisse les formes de plusieurs autres choses, combien que celles dont vous faites le dénombrement ne semblent pas sufisantes pour vne si grande diuersité, ny mesme pour l’jdée distincte et determinée d’aucune chose que ce soit. Ie m’areste seulement aux jdées des choses corporelles, touchant lesquelles ce n’est pas vne petite difficulté de sçauoir comment de la seule jdée de vous-mesme (au moment que vous maintenez n’estre pas corporel, et que vous vous considerez comme tel) vous les auez peu deduire. Car si vous n’auez connoissance que de la substance spirituelle, ou incorporelle, comme se peut-il faire que vous conceuiez aussi la substance corporelle ? y a-t-il aucun raport entre l’vne et l’autre de ces substances ? Vous dites qu’elles conuiennent entr’elles, en ce qu’elles sont toutes deux capables d’exister : Mais cette conuenance ne peut estre entenduë, si premierement on ne conçoit la nature des choses que l’on dit auoir de la conuenance. Car vous en faites vne notion commune, qui ne peut estre formée que sur la connoissance des choses particulieres. Certes si par la connoissance de la substance incorporelle l’entendement peut former l’jdée de la substance corporelle, il ne faut plus douter qu’vn aueugle né, ou vne personne qui dez sa naissance auroit este detenuë parmi Camusat – Le Petit, p. 454
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des tenebres fort épaisses, ne puisse former l’jdée des couleurs et de la lumiere. Vous dites qu’on peut en suite auoir l’jdée de l’estenduë, de la figure, du mouuement, et des autres sensibles communs ; mais vous le dites seulement sans le prouuer, et cela vous est fort aisé à dire. Aussi ie métonne seulement pourquoy vous ne déduisez pas auec la mesme facilité l’jdée de la lumiere, des couleurs, et des autres choses qui sont les obiects particuliers des autres sens. Mais c’est assez s’arester sur cette matiere.

7. Vous concluez, Et partant il ne reste que la seule jdée de Dieu, dans laquelle il faut considerer s’il y a quelque chose qui n’ait peu venir de moy-mesme. Par le nom de Dieu i’entens vne substance infinie, eternelle, immuable, independante, toute connoissante, toute puissante, et par laquelle moy-mesme, et toutes les autres choses qui sont (s’il est vray qu’il y en ait qui existent) ont esté creées et produites. Toutes lesquelles choses sont en effect telles, que plus attentiuement ie les considere, et moins ie me persuade que l’jdée que i’en ay puisse tirer son origine de moy seul ; et par consequent, de tout ce qui a esté dit cy-deuant, il faut necessairement conclure que Dieu existe. Vous voila en fin paruenu où vous aspiriez : Quant à moy, comme i’embrasse la conclusion que vous venez de tirer, aussi ne voy-je pas d’où vous la pouuez deduire. Vous dites que les choses que vous conceuez de Dieu sont telles qu’elles n’ont peu venir de vous-mesmes, pour inferer de là qu’elles ont deu venir de Dieu. Mais premierement il Camusat – Le Petit, p. 455
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n’y a rien de plus vray qu’elles ne sont point venuës de vous-mesmes, et que vous n’en auez point eu l’intelligence de vous seul. Car outre que les objets mesmes exterieurs vous en ont enuoyé les jdées, elles sont aussi parties, et vous les auez aprises de vos parens, de vos maistres, des discours des sages, et en fin de l’entretien de ceux auec qui vous auez conuersé. Mais vous repondrez peut-estre, ie ne suis qu’vn esprit, qui ne sçay pas s’il y a rien au monde hors de moy, ie doute mesme si i’ay des oreilles par qui i’aye peu oüir aucune chose, et ne connois point d’hommes auec qui i’aye peu conuerser. Vous pouuez répondre cela ; mais le diriez vous, si vous n’auiez en effect point d’oreilles pour nous ouïr, et s’il n’y auoit point d’hommes qui vous eussent apris à parler ? Parlons serieusement, et ne deguisons point la verité ; ces paroles que vous prononcez de Dieu, ne les auez vous pas aprises de la frequentation des hommes auec qui vous auez vescu ? et puis que vous tenez d’eux les paroles, ne tenez vous pas d’eux aussi les notions designées, et entenduës par ces mesmes paroles ? et partant, quoy qu’on vous accorde qu’elles ne peuuent pas venir de vous seul, il ne s’ensuit pas pour cela, qu’elles doiuent venir de Dieu, mais seulement de quelque chose hors de vous. En aprés, qui a-t-il dans ces idées, que vous n’ayez peu former et composer de vous-mesme à l’occasion des choses que vous auez autrefois veuës, et aprises ? Pensez-vous pour cela conceuoir quelque chose qui soit au dessus Camusat – Le Petit, p. 456
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de l’intelligence humaine ? Certainement si vous conceuiez Dieu tel qu’il est, vous auriez raison de croire que vous auriez esté instruit et enseigné de Dieu mesme : mais tous ces atributs que vous donnez à Dieu, ne sont rien autre chose qu’vn amas de certaines perfections, que vous auez remarquées en quelques hommes, ou en d’autres creatures, lesquelles l’esprit humain est capable d’entendre, d’assembler, et d’amplifier comme il luy plaist, ainsi qu’il a desia esté plusieurs fois obserué.

Vous dites que bien vous puissiez auoir de vous-mesme l’jdée de la substance, parce que vous estes vne substance : vous ne pouuez pas neantmoins auoir de vous-mesme l’jdée de la substance infinie, parce que vous n’estes pas infiny. Mais vous vous trompez grandement, si vous pensez auoir l’jdée de la substance infinie, laquelle ne peut estre en vous que de nom seulement, et en la maniere que les hommes peuuent comprendre l’infiny, qui est en effect ne le pas comprendre ; De sorte qu’il n’est pas necessaire, qu’vne telle jdée soit émanée d’vne substance infinie, puis qu’elle peut estre formée en conjoignant, et amplifiant les perfections que l’esprit humain est capable de conceuoir, comme il a desia esté dit. Si ce n’est peut-estre que lors que les anciens Philosophes en multipliant les jdées qu’ils auoient de cét espace visible, de ce monde, et de ce peu de principes dont il est composé, ont formé celles d’vn monde infiniment estendu, d’vne infinité de principes, et d’vne infinité de mondes, vous vouliez dire Camusat – Le Petit, p. 457
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qu’ils n’ont pas formé ces idées par la force de leur pensée, mais qu’elles leur ont esté enuoyées en l’esprit par vn monde veritablement infiny en son estenduë, par vne veritable infinité de principes, et par vne infinité de mondes réellement existens !

Quant à ce que vous dites que vous conceuez l’infiny par vne vraye idée : certainement si elle estoit vraye, elle vous representeroit l’infiny comme il est en soy, et partant vous comprendriez ce qui est en luy de plus essentiel, et dont il s’agit maintenant, à sçauoir, l’infinité mesme. Mais vostre pensée se termine toûjours à quelque chose de finy, et vous ne dites rien que le seul nom d’infiny, pource que vous ne sçauriez comprendre ce qui est au delà de vostre comprehension : en sorte qu’on peut dire auec raison que vous ne conceuez l’infiny que par la seule negation du finy. Et ce n’est pas assez de dire Que vous conceuez plus de realité dans vne substance infinie que dans vne finie ; Car il faudroit que vous conceussiez vne realité infinie, ce que neantmoins vous ne faites pas. Et mesme à vray dire vous ne conceuez pas plus de realité ; dautant que vous estendez seulement la substance finie, et aprés vous vous figurez qu’il y a plus de realité dans ce qui est ainsi agrandy et estendu par vostre pensée, qu’en cela mesme lors qu’il est racourcy, et non estendu. Si ce n’est que vous veüilliez aussi que ces Philosophes conceussent en effect plus de realité, lors qu’ils s’imaginoient plusieurs mondes, que lors qu’ils n’en conceuoient qu’vn seul. Et sur cela ie remarqueray Camusat – Le Petit, p. 458
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en passant, que la cause pourquoy nostre esprit se confond d’autant plus, que plus il augmente et amplifie quelque espece, ou jdée, vient de ce qu’alors il dérange cette espece de sa situation naturelle, qu’il en oste la distinction des parties, et qu’il l’étend de telle sorte, et la rend si mince et si deliée, qu’en fin elle s’euanouit et de dissipe. Ie ne m’areste pas à dire que l’esprit se confond pareillement pour vne cause toute opposée, à sçauoir, lors qu’il amoindrit et appetisse par trop vne jdée qu’il auoit auparauant conceue soubz quelque sorte de grandeur.

Vous dites qu’il n’importe pas que vous ne puissiez comprendre l’infini, ny mesme beaucoup de choses qui sont en luy : mais qu’il sufit que vous en conceuiez bien quelque peu de choses, afin qu’il soit vray de dire que vous en auez vne jdée tres-vraye, tres-claire, et tres-distincte. Tant s’en faut, il n’est pas vray que vous ayez vne vraye jdée de l’infini, mais bien seulement du fini, s’il est vray que vous ne compreniez pas l’infini, mais seulement le fini. On peut dire tout au plus que vous connoissez vne partie de l’infini : mais non pas pour cela l’infini mesme ; en mesme façon qu’on pouroit bien dire que celuy-là auroit connoissance d’vne partie du monde, qui n’auroit iamais rien veu que le trou d’vne cauerne, mais on ne pouroit pas dire qu’il auroit l’jdée de tout le monde : en sorte qu’il passeroit pour tout affait ridicule, s’il se persuadoit que l’jdée d’vne si petite Camusat – Le Petit, p. 459
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portion, fust la vraye et naturelle jdée de tout le monde entier. Mais, dites vous, il est du propre de l’infini, qu’il ne soit pas compris par vous qui estes fini.. Certes ie le croy ; mais il n’est pas du propre de la vraye jdée de l’infini, de n’en representer qu’vne tres-petite partie, ou plutost rien du tout, puis qu’il n’y a point de proportion de cette partie auec le tout. Il sufit, dites vous, que vous conceuiez bien distinctement ce peu de choses ? ouy : comme il sufit de voir l’extremité des cheueux de celuy duquel on veut auoir vne veritable jdée. Vn peintre n’auroit-il pas bien réussi, qui pour me representer naïuement sur vne toile, auroit seulement tracé vn de mes cheueux, ou mesme l’extremité de l’vn d’eux ? Or il est vray pourtant qu’il y a vne proportion non seulement beaucoup moindre, mais mesme infiniment moindre, entre tout ce que nous connoissons de l’infiny, et l’infini mesme, qu’entre vn de mes cheueux, ou l’extremité de l’vn d’eux, et mon corps entier. En vn mot tout vostre raisonnement ne prouue rien de Dieu, qu’il ne prouue aussi d’vne infinité de mondes ; et ce d’autant plus, qu’il a esté plus aysé a ces anciens philosophes d’en former et conceuoir les jdées, par la connoissance claire et distincte qu’ils auoyent de cettuy-cy, qu’il ne vous est aysé de conceuoir Dieu, ou l’estrevn Dieu ou vn Estre infini, par la connoissance de vostre substance, dont la nature ne vous est pas encore connuë.

8. Vous faites aprés cela cet autre raisonnement, Camusat – Le Petit, p. 460
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Car comment seroit-il possible que ie peusse connoistre que ie doute, et que ie desire, c’est à dire qu’il me manque quelque chose, et que ie ne suis pas entierement parfait, si ie n’auois en moy aucune jdée d’vn estre plus parfait que le mien, par la comparaison duquel ie reconnoistrois mes défaux ? Mais si vous doutez de quelque chose, si vous en desirez quelqu’vne, si vous connoissez qu’il vous manque quelque perfection, quelle merueille y a t-il en cela, puis que vous ne connoissez par tout, que vous n’estes pas en toutes choses, et que vous ne possedez parpas tout ? Vous reconnoissez, dites vous, que vous n’estes pas tout parfait ; certainement ie vous croy, et vous le pouuez dire sans enuie, et sans vous faire tort ; doncques, concluez vous, il y a quelque chose de plus parfait que moy qui existe ? pourquoy non ? combien que ce que vous desirez ne soit pas tousiours en tout plus parfait que vous estes : Car lors que vous desirez du pain, ce pain que vous desirez n’est pas en tout plus parfait que vous, ou que vostre corps : mais il est seulement plus parfait, que cette faim, ou inanition qui est dans vostre estomac. Comment donc conclurez vous qu’il y a quelque chose de plus parfait que vous qui existe ? C’est à sçauoir, entant que vous voyez l’vniuersité des choses, dans laquelle et vous, et le pain, et les autres choses, auec vous sont renfermées : Car chaque partie de l’vniuers ayant en soy quelque perfection, et les vnes seruant a perfectionner les autres, il est aysé de conceuoir Camusat – Le Petit, p. 461
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qu’il y a plus de perfection dans le tout que dans vne partie, et par consequent, puis que vous n’estes qu’vne partie de ce tout, vous deuez connoistre quelque chose de plus parfait que vous. Vous pouuez donc en cette façon auoir en vous l’jdée d’vn estre plus parfait que le vostre, par la comparaison duquel vous reconnoissiez vos defaux ; pour ne point dire qu’il peut y auoir d’autres parties dans cet vniuers plus parfaites que vous, et cela estant vous pouuez desirer ce qu’elles ont, et par leur comparaison, vos defaux peuuent estre reconnus. Car vous auez peu connoistre vn homme qui fust plus fort, plus sain, plus vigoureux, mieux fait, plus docte, plus moderé, et partant plus parfait que vous : et il ne vous a pas esté difficile d’en conceuoir l’jdée, et par la comparaison de cette jdée connoistre que vous n’auez pas tant de santé, tant de force, et en vn mot tant de perfections qu’il en possede.

Vous vous faites vn peu aprés cette obiection, Mais peut-estre que ie suis quelque chose de plus que ie ne pense, et que toutes ces perfections que i’atribue à Dieu sont en quelque façon en moy en puissance, quoy qu’elles ne se produisent pas encore, et ne se fassent point paroistre par leurs actions, comme il peut arriuer, si ma connoissance s’augmente de plus en plus à l’infiny. Mais à cela vous répondez, encore qu’il fust vray que m’a connoissance acquist tous les iours de nouueaux degrez de perfection, et qu’il y eust en moy beaucoup de choses en Camusat – Le Petit, p. 462
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puissance, qui n’y sont pas encore actuellement, toutesfois rien de tout cela n’apartient à l’idée de Dieu, dans laquelle rien ne se rencontre seulement en puissance, mais tout y est actuellement et en effect ? Et mesme n’est-ce pas vn argument infallible d’imperfection en ma connoissance, de ce qu’elle s’acroist peu a peu, et qu’elle s’augmente par degrez.
Mais on peut repliquer à cela qu’il est bien vray que les choses que vous conceuez dans vne jdée, sont actuellement dans cette mesme jdée ; mais neantmoins elles ne sont pas pour cela actuellement dans la chose mesme dont elle est l’jdée : Ainsi l’Architecte se figure l’jdée d’vne maison, laquelle de vray est actuellement composée de murailles, de planchers, de toicts, de fenestres, et d’autres parties suiuant le dessein qu’il en a pris, et neantmoins la maison, ny aucunes de ses parties ne sont pas encore actuellement, mais seulement en puissance. De mesme aussi cette jdée que les anciens Philosophes auoient d’vne infinité de mondes contient en effect des mondes infinis, mais vous ne direz pas pour cela que ces mondes infinis existent actuellement. C’est pourquoy soit qu’il y ait en vous quelque chose en puissance, soit qu’il n’y ait rien, c’est assez que vostre jdée, ou connoissance, se puisse augmenter et acroistre par degrez : et on ne doit pas pour cela inferer, que ce qui est representé, ou connu par elle, existe actuellement. Ce qu’aprez cela vous remarquez, à sçauoir, que vostre connoissance ne sera iamais actuellement infinie, vous doit estre accordé sans contestation ; Camusat – Le Petit, p. 463
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mais aussi deuez-vous sçauoir, que vous n’aurez iamais vne vraye et naturelle jdée de Dieu : dont il vous restera tousiours beaucoup plus (et mesme infiniment plus) à connoistre, que de celuy dont vous n’auriez veu que l’extremité des cheueux. Car ie veux bien que vous n’ayez pas veu cét homme tout entier ; toutesfois vous en auez veu d’autres, par la comparaison desquels vous pouuez par coniecture vous figurer de luy quelque jdée : mais on ne peut pas dire que nous ayons iamais rien veu de semblable à Dieu, et à l’immensité de son Essence.

Vous dites que vous conceuez que Dieu est actuellement infiny, en telle sorte qu’on ne sçauroit rien adiouster à sa perfection. Mais vous en iugez ainsi sans le sçauoir, et le iugement que vous en faites ne vient que de la préuention de vostre esprit ; ainsi que les anciens Philosophes pensoient qu’il y eust des mondes infinis, vne infinité de principes, et vn vniuers si vaste en son estenduë, qu’on ne pouuoit rien adjouster à sa grandeur. Ce que vous dites en suite, que l’estre obiectif d’vne idée ne peut pas dépendre ou proceder d’vn estre qui n’est qu’en puissance, mais seulement d’vn estre formel, ou actuel. Voyez comment cela peut estre vray, si ce que ie viens de dire de l’idée d’vn Architecte, et de celle des anciens Philosophes est veritable ; et principalement si vous prenez garde que ces sortes d’idées sont composées des autres dont vostre entendement a desia esté informé par l’existence actuelle de leurs causes.

Camusat – Le Petit, p. 464
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9. Vous demandez par apres, Si vous-mesme qui auez l’idée d’vn estre plus parfait que le vostre, vous pouriez estre, en cas qu’il n’y eust point de Dieu ? et vous respondez, de qui aurois-je donc mon existence ? c’est à sçauoir de moy-mesme, ou de mes parens, ou de quelques autres causes moins parfaites que Dieu ? en suite dequoy vous prouuez que vous n’estes point par vous-mesme : Mais cela n’étoit point necessaire. Vous rendez aussi raison pourquoy vous n’auez pas tousiours esté : mais cela estoit aussi superflu ; sinon entant que de là vous voulez inferer que vous n’auez pas seulement vne cause efficiente et productrice de vostre estre, mais que vous en auez aussi vne qui dans tous les momens vous conserue. Et cela, dites vous, parce que tout le temps de vôtre vie pouuant estre diuisé en plusieurs parties, il faut de necessité que vous soyez creé de nouueau en chacune de ses parties, à cause de la mutuelle independance qui est entre les vnes et les autres. Mais voyez ie vous prie, comment cela se peut entendre. Car il est bien vray qu’il y a certains effects, qui pour perseuerer dans l’estre, et n’estre pas à tous momens aneantis, ont besoin de la presence et actiuité continuelle de la cause qui leur a donné le premier estre ; et de cette nature est la lumiere du Soleil (combien qu’à vray dire ces sortes d’effects, ne soient pas tant en effect les mesmes, que d’autres qui y succedent imperceptiblement, comme il se void en l’eau d’vn fleuue) mais nous en voyons d’autres qui perseuerent dans l’estre, non seulement lors que la cause qui les a produits n’agit Camusat – Le Petit, p. 465
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plus, mais aussi lors mesme qu’elle est tout à fait corrompuë et aneantie. Et de ce genre sont toutes les choses que nous voyons dont les causes ne subsistent plus, desquelles il seroit inutile de faire icy le dénombrement ; il sufit seulement que vous soyez l’vne d’entr’elles, quelle que puisse estre la cause de vostre estre. Mais, dites vous, les parties du temps de vostre vie ne dependent point les vnes des autres. Icy l’on pouroit repliquer, qu’on ne se peut imaginer aucune chose dont les parties soyent plus inseparables les vnes des autres que sont celles du temps ; dont la liaison et la suite soyent plus indissolubles ; et dont les parties posterieures se puissent moins détacher, et auoir plus d’vnion, et de dependance, de celles qui les precedent. Mais pour ne pas insister dauantage là-dessus, que sert à vostre production, ou conseruation, cette dependance, ou independance des parties du temps, lesquelles sont exterieures, successiues, et n’ont aucune actiuité ? Certes elles n’y contribuent pas dauantage, que fait le flus et reflus continuel des eaux à la production, ou conseruation d’vne roche qu’elles arrousent. Mais, direz-vous, de ce que i’ay cy-deuant esté, il ne s’ensuit pas que ie doiue estre maintenant ? Ie le croy bien : non que pour cela il soit besoin d’vne cause qui vous creé incessamment de nouueau ; mais parce qu’il n’est pas impossible qu’il y ait quelque cause qui vous puisse détruire, ou que vous ayez en vous si peu de force et de vertu, que vous defailliez en fin de vous-mesme.

Camusat – Le Petit, p. 466
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Vous dites que c’est vne chose manifeste par la lumiere naturelle, que la conseruation et la creation, ne diferent qu’au regard de nostre façon de penser, et non point en effect. Mais ie ne voy point que cela soit manifeste, si ce n’est peut-estre comme ie viens de dire dans ces effects qui demandent la presence et l’actiuité continuelle de leurs causes, comme la lumiere, et autres semblables. Vous adioutez que vous n’auez point en vous cette vertu par laquelle vous puissiez vous conseruer vous-mesme, par ce qu’estant vne chose qui pense, si vne telle vertu residoit en vous, vous en auriez connoissance. Mais il y a en vous vne certaine vertu par laquelle vous pouuez vous assurer que vous perseuererez dans l’estre : non pas toutesfois necessairement, ou indubitablement, par ce que cette vertu, ou naturelle constitution, quelle qu’elle soit, ne s’etend pas iusques à éloigner de vous toute sorte de cause corruptiue, tant interne, qu’externe. C’est pourquoy vous ne cesserez point d’estre, puis que vous auez en vous assez de vertu, non pour vous reproduire de nouueau, mais pour vous faire perseuerer, au cas que quelque cause corruptiue ne suruienne.

Or de tout vostre raisonnement vous concluez fort bien, que vous dependez de quelque estre different de vous, non pas toutesfois comme estant de nouueau par luy produit, mais comme ayant esté autrefois produit par luy. Vous poursuiuez, et dites que ny vos parens, ny d’autres qu’eux ne peuuent estre celuy Camusat – Le Petit, p. 467
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de qui vous dépendez.
Mais pourquoy vos parens ne le seroyent ils pas, de qui vous paroissez si manifestement estre produit coniointement auec vostre corps, pour ne rien dire du Soleil, et de plusieurs autres causes, qui ont concouru à vostre generation ? Mais, dites vous, ie suis vne chose qui pense, et qui ay en moy l’idée de Dieu. Mais vos parens, ou les espris de vos parens, n’ont-ils pas esté des choses qui pensent, et n’ont ils pas eu l’jdée de Dieu aussi bien que vous ? Et à quel propos rebatre en cet endroit, comme vous faites, cet axiome dont vous auez desia cy-deuant parlé, à sçauoir, que c’est vne chose tres-euidente, qu’il doit y auoir au moins autant de realité dans la cause que dans son effect. Si, dites vous, celuy de qui ie depens est autre que Dieu, on peut demander s’il est par soy, ou par autruy ? Car s’il est par soy il sera Dieu, que s’il est par autruy, on fera derechef la mesme demande, iusques à ce qu’on soit paruenu à vne cause qui soit par soy, et qui par consequent soit Dieu ; puis qu’en cela il ne peut y auoir de progrez à l’infini. Mais si vos parens ont esté la cause de vostre estre, cette cause a peu estre, non pas par soy, mais par autruy, et celle-là derechef par vne autre, et ainsi iusqu’à l’infini : et iamais vous ne pourez prouuer qu’il y ait aucune absurdité dans ce progrez à l’infini, si vous ne prouuez en mesme temps que le monde a eu commencement ; et par consequent qu’il y a eu vn premier pere, qui n’en auoit point deuant luy. Certes le progrés à l’infini paroist absurde seulement Camusat – Le Petit, p. 468
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dans ces causes qui sont tellement liées et subordonnées les vnes aux autres, que l’inferieur ne peut agir sans vn superieur qui le remuë : Comme lors que quelque chose est meuë par vne pierre, qui a esté poussée par vn baston, que la main auoit ébranlé ; ou qu’vn poids est enleué par le dernier anneau d’vne chaisne, qui est entrainé par son superieur, et celuy-cy par vn autre ; car pour lors il faut remonter a vn premier moteur, qui donne le branle a tous les autres. Mais dans ces sortes de causes qui sont tellement ordonnées, que la premiere estant détruite, celle qui en depend ne laisse pas de subsister, et de pouuoir agir, il semble qu’il n’y ait aucune absurdité de suposer entr’elles vn progrés à l’infini. C’est pourquoy lors que vous dites qu’il est tres-manifeste, qu’en cela il ne peut y auoir de progrés à l’infini : voyez si Aristote Aristote en a ainsi jugé, qui a creu que le monde n’auoit point eu de commencement, et qui n’a point reconnu de premier pere. Poursuiuant vostre raisonnement, vous dites, qu’on ne sçauroit pas feindre aussi que peut-estre plusieurs causes ont ensemble concouru en partie à la production de vostre estre, et que de l’vne vous auez receu l’idée d’vne des perfections que vous attribuez à Dieu, et d’vne autre l’idée de quelque autre ; puis que toutes ces perfections ne se peuuent rencontrer qu’en vn seul et vray Dieu, de qui l’vnité, ou la simplicité est la principale perfection. Toutesfois, soit qu’il n’y ait qu’vne seule cause de vostre estre, soit qu’il y en ait plusieurs, il n’est pas Camusat – Le Petit, p. 469
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pour cela necessaire qu’elles ayent imprimé en vous les jdées de leurs perfections, que vous ayez peu puis aprés assembler. Mais cependant ie voudrois bien vous demander, pourquoy s’il n’a peu y auoir plusieurs causes de vostre estre, plusieurs choses du moins n’auroient peu estre dans le monde, dont ayant contemplé, et admiré separement les diuerses perfections, vous ayez pris occasion de penser que cette chose-là seroit heureuse, en qui elles se rencontreroyent toutes iointes ensemble ? Vous sçauez comment les Poëtes nous décriuent la Pandore ; pourquoy donc vous pareillement, aprés auoir admiré en diuers hommes vne science eminente, vne haute sagesse, vne puissance souueraine, vne santé vigoureuse, vne beauté parfaite, vn bonheur sans disgrace, et vne longue vie, pourquoy dis-ie n’auriez vous peu assembler toutes ces perfections, et penser que celuy-là seroit digne d’admiration, qui les pouroit posseder toutes ensemble ? Pourquoy en suite n’auriez vous peu augmenter toutes ces perfections iusqu’a tel point, que l’estat de celuy-là fust encore plus à admirer, si non seulement il ne manquoit rien à sa sçience, à sa puissance, à sa durée, et à toutes ses autres perfections, mais aussi qu’elles fussent si acomplies qu’on n’y peust rien adiouter, et qu’ainsi il fust tout connoissant, tout puissant, eternel, et qu’il possedast en vn souuerain degré toutes sortes de perfections ? et voyant que la nature humaine n’est pas capable de contenir vn tel assemblage et Camusat – Le Petit, p. 470
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assortiment de perfections, pourquoy n’auriez vous peu penser que cette nature-là seroit parfaitement heureuse, à qui toutes ces choses pouroient apartenir ? pourquoy aussi ne pas croire vne chose digne de vostre recherche, de sçauoir si vne telle nature existe, ou non, dans le monde ? pourquoy n’estre pas tellement persuadé par certains argumens, qu’il vous semble que ce soit vne chose plus conuenable qu’vne telle nature existe, qu’elle n’existe pasque de n’exister pas ? et pourquoy en fin suposé qu’elle existe, ne pouriez vous pas luy dénier la corporeité, la limitation, et toutes les autres choses qui enferment dans leur concept quelque sorte d’imperfection ? C’est ainsi sans doute qu’il paroist que plusieurs ont poussé leur raisonnement ; quoy que neantmoins il soit arriué que tous n’ayans pas suiuy la mesme voye, ny porté si loin leurs pensées les vns que les autres, quelques-vns ayent renfermé la diuinité dans vn corps, que d’autres luy ayent donné vne forme humaine, que d’autres ne se soient pas contentez d’vn seul, mais en ayent forgé plusieurs à leur fantaisie, et en fin que d’autres ayent laissé emporter leur esprit à toutes ces extrauagances et imaginations touchant la Diuinité, qui ont regné parmy l’ignorance du Paganisme. Touchant ce que vous dites de la perfection de l’vnité, il n’y a point de repugnance de conceuoir toutes les perfections que vous atribuez à Dieu comme intimement vnies, et inseparables, quoy que l’jdée que vous en auez n’ait pas esté par luy mise en vous, mais que vous Camusat – Le Petit, p. 471
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l’ayez tirée des objets exterieurs, et aprés augmentée, comme il a esté dit auparauant : et c’est ainsi qu’ils nous dépeignent non seulement la Pandore, comme vne Déesse ornée de toutes sortes de perfections, et à qui chaque Dieu auoit donné vn de ses principaux auantages ; mais c’est ainsi aussi qu’ils forment l’jdée d’vne parfaite Republique, et d’vn orateur accomply, etc. En fin de ce que vous estes, et de ce que l’jdée d’vn estre souuerainement parfait est en vous, vous concluez qu’il est tres-euidemment démontré que Dieu existe : Mais encore que la conclusion soit tres-vraye, à sçauoir, Que Dieu existe ; ie ne voy pas neantmoins qu’elle suiue necessairement des principes que vous auez posez.

10. Il me reste seulement, dites-vous, à examiner de quelle façon i’ay acquis cette idée ; car ie ne l’ay pas receuë par les sens, et iamais elle ne s’est offerte à moy par rencontre ; elle n’est pas aussi vne pure production ou fiction de mon esprit, car il n’est pas en mon pouuoir d’y diminuer, ny d’y adjoûter aucune chose, et partant il ne reste plus autre chose à dire, sinon, que comme l’idée de moy-mesme, elle est née et produite auec moy dés-lors que i’ay esté creé. Mais i’ay desia fait voir plusieurs fois comment en partie vous pouuez l’auoir receuë des sens, et en partie vous pouuez l’auoir inuentée de vous-mesme. Quant à ce que vous dites que vous ne pouuez y adioûter ny diminuer aucune chose, souuenez-vous combien imparfaite estoit l’jdée que vous en auiez au commencement : pensez qu’il peut y auoir des hommes, ou des Anges, ou Camusat – Le Petit, p. 472
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d’autres natures plus sçauantes que vous, de qui vous pouuez aprendre quelque chose touchant l’essence de Dieu, que vous ne sçauez pas encore : pensez au moins que Dieu peut vous instruire de telle sorte, et rehausser tellement vostre connoissance, soit en cette vie, soit en l’autre, que vous reputerez comme rien, tout ce que vous auez iamais connu de luy : Et en fin pensez, comme quoy de la consideration des perfections des creatures, on peut monter et arriuer iusqu’à la connoissance des perfections de Dieu ; et que comme elles ne peuuent pas toutes estre connuës en vn moment, mais que de iour en iour on en peut découurir de nouuelles ; ainsi nous ne pouuons pas auoir tout d’vn coup vne jdée parfaite de Dieu, mais qu’elle va se perfectionnant à mesure que nos connoissances s’augmentent. Vous poursuiuez ainsi : Et certes on ne doit pas trouuer étrange que Dieu en me creant ait mis en moy cette idée, pour estre comme la marque de l’ouurier emprainte sur son ouurage. Et il n’est pas aussi necessaire que cette marque soit quelque chose de different de ce mesme ouurage : mais de cela seul que Dieu m’a creé, il est fort croyable qu’il m’a en quelque façon produit à son image et semblance, et que ie conçoy cette ressemblance, dans laquelle l’idée de Dieu se trouue contenuë, par la mesme faculté, par laquelle ie me conçoy moy-mesme ; c’est à dire, que lors que ie fais reflexion sur moy, non seulement ie connois que ie suis vne chose imparfaite, incomplete, et dependante d’autruy, qui tend, et qui aspire sans cesse à quelque chose de meilleur, et de plus grand que ie ne suis : Camusat – Le Petit, p. 473
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mais ie connois aussi en mesme temps, que celuy duquel ie dépens possede en soy toutes ces grandes choses ausquelles i’aspire, et dont ie trouue en moy les idées, non pas indefiniment, et seulement en puissance, mais qu’il en ioüit en effect, actuellement, et infiniment ; et ainsi qu’il est Dieu.
Certes toutes ces choses sont fort magnifiquement inuentées, et ie ne dis pas qu’elles ne soient point vrayes : mais ie voudrois bien pourtant vous demander, de quels antecedens vous les deduisez ? Car pour ne me plus arrester à ce que i’ay objecté cy-deuant ; s’il est vray que l’idée de Dieu soit en nous comme la marque de l’ouurier emprainte sur son ouurage ; dites-moy, ie vous prie, quelle est la maniere de cette impression ? quelle est la forme de cette marque ? et comment vous en faites le discernement ? Que si elle n’est point differente de l’ouurage, ou de la chose mesme : vous n’estes donc vous mesme qu’vne jdée ? Vous n’estes rien autre chose qu’vne maniere, ou façon de penser ? vous estes et la marque emprainte, et le suiet de l’impression ? Il est fort croyable, dites vous, que Dieu vous a fait a son image et semblance : à la verité cela se peut croire par les lumieres de la foy, et de la religion : mais comment cela se peut-il conceuoir par raison naturelle, si vous ne suposez que Dieu à la forme d’vn homme ? et en quoy peut consister cette ressemblance ? pouuez vous présumer, vous qui n’estes que cendre et que poussiere, d’estre semblable a cette nature eternelle, incorporelle, immense, tres-parfaite, tres-glorieuse, et qui plus est Camusat – Le Petit, p. 474
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tres-inuisible, et tres-incomprehensible au peu de lumiere, et à la foiblesse de nos espris ? L’auez vous veuë face à face, pour pouuoir assurer, faisant comparaison de vous à elle, que vous luy estes conforme ? Vous dites que cela est fort croyable, parce qu’il vous a creé. Au contraire pour cela mesme cela est incroyable. Car l’ouurage n’est iamais semblable à l’ouurier, sinon lors qu’il est par luy engendré par vne communication de nature. Mais vous n’estes pas ainsi engendré de Dieu ; Car vous n’estes pas son fils, et vous ne participez point auec luy sa nature : mais vous estes seulement creé par luy, c’est à dire, fait selon l’jdée qu’il en a conceuë, en sorte que vous ne pouuez pas dire que vous ayez plus de ressemblance auec luy, qu’vne maison en a auec vn masson. Et mesme cela s’entend suposé que vous ayez esté créé de Dieu, ce que vous n’auez point encor prouué. Vous conceuez, dites vous, cette ressemblance, à mesme que vous conceuez que vous estes vne chose incomplette, dépendante, et qui aspire sans cesse à des choses plus grandes, et meilleures. Mais pourquoy cela n’est il pas plutost vne marque de dissemblance : puis que Dieu au contraire est tres-parfait, tres-independant, tres-sufisant à soy-mesme, estant et tres-grand, et tres-bon ? Pour ne pas dire que lors que vous vous conceuez dépendant, vous ne conceuez pas pour cela tout aussi tost, que celuy duquel vous dependez soit autre que vos parens : Ou si vous conceuez qu’il soit autre, il n’y a point de Camusat – Le Petit, p. 475
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raison pourquoy vous vous croyïes semblable a luy. Pour ne pas dire aussi qu’il est étrange pourquoy le reste des hommes, ou si vous voulez des Espris, ne conçoit pas la mesme chose que vous : principalement n’y ayant point de raison de croire que Dieu ne leur ait pas empraint l’jdée de soy mesme, comme il a fait en vous. Et certes cela seul est plus que sufisant pour faire voir que ce n’est pas vne jdée emprainte de la main de Dieu ; veu que si cela estoit tous les hommes l’auroient emprainte en mesme façon dans leurs espris, et conceuroient Dieu d’vne mesme façon, et soubz vne mesme espece ; Tous luy attribueroient les mesmes choses ; Tous auroient de luy les mesmes sentimens ; et cependant nous voyons manifestement le contraire. Mais ce n’en est desia que trop touchant cette matiere.