Camusat – Le Petit, p. 492
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CONTRE LA CINQVIÉME MEDITATION.
De l’essence des choses materielles ; Et derechef de Dieu, qu’il Existe.

1. Vous dites premierement que vous imaginez distinctement la quantité, c’est à dire, l’extension en longueur, largeur et profondeur ; comme aussi le nombre, la figure, la situation, le mouuement, et la durée. Entre toutes ces choses dont vous dites que les jdées sont en vous, vous prenez la figure, et entre les figures le triangle rectiligne, touchant lequel voicy ce que vous dites. Encore qu’il n’y ait peut-estre en aucun lieu du monde hors de ma pensée vne telle figure, et qu’il n’y en ait iamais eu, il ne laisse pas neantmoins d’y auoir vne certaine nature, ou forme, ou essence determinée de cette figure, laquelle est immuable, et eternelle, que ie n’ay point inuentée, et qui ne depend en aucune façon de mon esprit ; comme il paroist de ce que l’on peut demonstrer diuerses proprietez de ce triangle, à sçauoir, que ses trois angles sont égaux à deux droits ; que le plus grand angle est soutenu par le plus grand costé, et autres semblables, lesquelles maintenant, soit que ie le veüille, ou non, ie reconnois tres-clairement, et tres-euidemment estre en luy, encore que ie n’y aye pensé auparauant en aucune façon, lors que ie me suis imaginé la premiere fois vn triangle ; et partant on ne peut pas dire que ie les aye feintes, Camusat – Le Petit, p. 493
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et inuentées.
En cecy consiste tout ce que vous dites touchant l’essence des choses materielles : car le peu que vous adjoûtez de plus, tend, et reuient à la mesme chose. Aussi n’est-ce pas là où ie me veux arrester. Ie remarque seulement que cela semble dur de voir establir quelque nature immuable et eternelle, autre que celle d’vn Dieu souuerain.

Vous direz peut-estre que vous ne dites rien que ce que l’on enseigne tous les iours dans les écoles, à sçauoir, que les natures, ou les essences des choses sont eternelles, et que les propositions que l’on en forme sont aussi d’vne eternelle verité. Mais cela mesme est aussi fort dur, et fort difficile à se persuader ; et d’ailleurs le moyen de comprendre qu’il y ait vne nature humaine, lors qu’il n’y a aucun homme ; ou que la rose soit vne fleur, lors mesme qu’il n’y a encore point de rose.

Ie sçay bien qu’ils disent que c’est autre chose de parler de l’essence des choses, et autre chose de parler de leur existence, et qu’ils demeurent bien d’accord que l’existence des choses n’est pas de toute eternité, mais cependant ils veulent que leur essence soit eternelle. Mais si cela est vray, estant certain aussi que ce qu’il y a de principal dans les choses est l’essence, qu’est-ce donc que Dieu fait de considerable quand il produit l’existence ? Certainement il ne fait rien de plus qu’vn tailleur, lors qu’il revest vn homme de son habit. Toutesfois comment soûtiendront-ils que l’essence de l’homme qui est, par exemple, Camusat – Le Petit, p. 494
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dans Platon soit eternelle, et independante de Dieu ? entant qu’elle est vniuerselle, diront-ils ? mais il n’y a rien dans Platon que de singulier ; Et de fait l’entendement a bien de coûtume, de toutes les natures semblables qu’il a veuës dans Platon, dans Socrate, et dans tous les autres hommes, d’en former vn certain concept commun en quoy ils conuiennent tous, et qui peut bien par consequent estre apelé vne nature vniuerselle, ou l’essence de l’homme, entant que l’on conçoit qu’elle conuient à tous en general : mais qu’elle ait esté vniuerselle auant que Platon fust, et tous les autres hommes, et que l’entendement eust fait cette abstraction vniuerselle, certainement cela ne se peut expliquer.

Quoy donc direz-vous, cette proposition, l’homme est animal, n’estoit-elle pas vraye auant mesme qu’il y eust aucun homme, et consequemment de toute eternité ? Pour moy ie vous diray franchement que ie ne conçoy point qu’elle fust vraye, sinon en ce sens, que si iamais il y a aucun homme, de necessité il sera animal. Car en effet bien qu’il semble y auoir de la difference entre ces deux propositions, l’homme est, et l’homme est animal, en ce que par la premiere l’existence est plus specialement signifiée, et par la seconde l’essence : neantmoins il est certain que ny l’essence n’est point excluë de la premiere, ny l’existence de la seconde ; Car quand on dit que l’homme est, ou existe, l’on entend l’homme animal ; et lors que l’on dit que l’homme est animal, l’on entend l’homme lors qu’il Camusat – Le Petit, p. 495
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est, ou qu’il existe. De plus cette proposition, l’homme est animal, n’estant pas d’vne verité plus necessaire que celle-cy, Platon est homme, il s’ensuiuroit par consequent aussi que cette derniere seroit d’vne eternelle verité, et que l’essence singuliere de Platon ne seroit pas moins independante de Dieu, que l’essence vniuerselle de l’homme, et autres choses semblables, qu’il seroit ennuyeux de poursuiure. I’adjoûte à cela neantmoins, que lors que l’on dit que l’homme est d’vne telle nature qu’il ne peut estre qu’il ne soit animal, il ne faut pas pour cela s’imaginer que cette nature soit quelque chose de réel, ou d’existant hors de l’entendement : mais que cela ne veut dire autre chose, sinon qu’afin qu’vne chose soit homme, elle doit estre semblable à toutes les autres choses, ausquelles à cause de la mutuelle ressemblance qui est entr’elles, on a donné le mesme nom d’homme : ressemblance, dis-ie, des natures singulieres, au suiet de laquelle l’entendement a pris occasion de former vn concept, ou jdée, ou forme d’vne nature commune, de laquelle rien ne se doit éloigner de tout ce qui doit estre homme.

Cela ainsi expliqué i’en dis de mesme de vostre triangle, ou de sa nature ; car il est bien vray que le triangle que vous auez dans l’esprit, est comme vne regle qui vous sert pour examiner si quelque chose doit estre apelée du nom de triangle : mais il ne faut pas pour cela penser, que ce triangle soit quelque chose de réel, ou vne nature vraye, existante hors Camusat – Le Petit, p. 496
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de l’entendement : puisque c’est l’esprit seul qui l’a formée sur le modele des triangles materiels que les sens luy ont fait aperceuoir, et dont il a ramassé toutes les jdées pour en faire vne commune, en la maniere que ie viens d’expliquer touchant la nature de l’homme.

C’est pourquoy aussi il ne se faut pas imaginer, que les proprietez que l’on demonstre a partenir aux triangles materiels, leur conuiennent pour les auoir empruntées de ce triangle jdeal, et vniuersel : puisque tout au contraire ce sont eux qui les ont veritablement en soy, et non pas l’autre, sinon entant que l’entendement luy attribuë ces mesmes proprietez, aprés auoir reconnu qu’elles sont dans les autres, dont puis aprés il leur doit rendre compte, et les leur restituer quand il est question de faire quelque demonstration : Tout ainsi que les proprietez de la nature humaine ne sont point dans PlatonPlaton, ny dans Socrate Socrate, par emprunt qu’ils en ayent fait de cette nature vniuerselle ; car tout au contraire cette nature vniuerselle ne les a, qu’à cause que l’entendement les luy attribuë, aprés qu’il a reconnu qu’elles estoient dans PlatonPlaton, dans Socrate, et dans tout le reste des hommes ; à condition neantmoins de leur en tenir compte, et de les restituer à chacun d’eux, lors qu’il sera besoin de faire vn argument.

Car c’est chose claire, et connuë d’vn chacun que l’entendement ayant veu PlatonPlaton, Socrate, et tant d’autres hommes, tous raisonnables, a fait et formé Camusat – Le Petit, p. 497
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cette proposition vniuerselle, tout homme est raisonnable, et que lors qu’il veut puis aprés prouuer que Platon Platonest raisonnable, il la prend pour le principe de son syllogisme. Il est bien vray que vous dites, ô esprit, que vous auez en vous l’jdée du triangle, et que vous n’auriez pas laissé de l’auoir, encore que vous n’eussiez iamais veu dans les corps aucune figure triangulaire : de mesme que vous auez en vous l’jdée de plusieurs autres figures, qui ne vous sont iamais tombées sous les sens.

Mais, si, comme ie disois tantost, vous eussiez esté tellement priué de toutes les fonctions des sens, que vous n’eussiez iamais rien veu, et que vous n’eussiez point touché diuerses superficies, ou extremitez des corps, pensez-vous que vous eussiez peu former en vous-mesme l’jdée du triangle, ou d’aucune autre figure ? Vous en auez maintenant plusieurs qui iamais ne vous sont tombées sous les sens ; I’en demeure d’accord, et il ne vous a pas esté difficile, parce que sur le modele de celles qui vous ont touché les sens, vous auez peu en former et composer vne infinité d’autres, en la maniere que ie l’ay cy-deuant expliqué.

Il faudroit icy outre cela parler de cette fausse et imaginaire nature du triangle, par laquelle on supose qu’il est composé de lignes qui n’ont point de largeur, qu’il contient vn espace qui n’a point de profondeur, et qu’il se termine à trois points qui n’ont point de parties ; mais cela nous écarteroit trop du sujet.

2. En suite de cela vous entreprenez derechef la Camusat – Le Petit, p. 498
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preuue de l’existence d’vn Dieu, dont la force consiste en ces paroles. Quiconque y pense serieusement trouue, dites-vous, qu’il est manifeste, que l’existence ne peut non plus estre separée de l’essence de Dieu, que de l’essence d’vn triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux a deux droits : ou bien de l’jdée d’vne montagne l’jdée d’vne valée ; en sorte qu’il n’y a pas moins de repugnance de conceuoir vn Dieu (c’est à dire, vn estre souuerainement parfait) auquel manque l’existence, (c’est à dire, auquel manque quelque perfection) que de conceuoir vne montagne qui n’ait point de valée. Où il faut remarquer que vostre comparaison semble n’estre pas assez iuste et exacte.

Car d’vn costé vous auez bien raison de comparer comme vous faites l’essence auec l’essence ; mais aprés cela vous ne comparez pas l’existence auec l’existence, ou la proprieté auec la proprieté, mais l’existence auec la proprieté. C’est pourquoy il faloit ce semble dire, ou que la toute-puissance, par exemple, ne peut non plus estre separée de l’essence de Dieu, que de l’essence du triangle cette égalité de la grandeur de ses angles : ou bien que l’existence ne peut non plus estre separée de l’essence de Dieu, que de l’essence du triangle son existence ; car ainsi l’vne et l’autre comparaison auroit esté bien faite, et non seulement la premiere vous auroit esté accordée, mais aussi la derniere ; Et neantmoins ce n’auroit pas esté vne preuue conuaincante de l’existence necessaire d’vn Dieu, non plus qu’il ne s’ensuit Camusat – Le Petit, p. 499
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pas necessairement qu’il y ait au monde aucun triangle, quoy que son essence et son existence soient en effet inseparables, quelque diuision que nostre esprit en fasse, c’est à dire, quoy qu’il les conçoiue separement ; en mesme façon qu’il peut aussi conceuoir separement l’essence et l’existence de Dieu.

Il faut en suite remarquer que vous mettez l’existence entre les perfections diuines, et que vous ne la mettez pas entre celles d’vn triangle, ou d’vne montagne, quoy que neantmoins elle soit autant, et selon la maniere d’estre de chacun, la perfection de l’vn que de l’autre. Mais à vray dire, soit que vous consideriez l’existence en Dieu, soit que vous la consideriez en quelqu’autre sujet, elle n’est point vne perfection, mais seulement vne forme, ou vn acte sans lequel il n’y en peut auoir.

Et de fait ce qui n’existe point, n’a ny perfection, ny imperfection : mais ce qui existe, et qui outre l’existence a plusieurs perfections, n’a pas l’existence comme vne perfection singuliere, et l’vne d’entr’elles : mais seulement comme vne forme, ou vn acte par lequel la chose mesme et ses perfections sont existantes, et sans lequel ny la chose, ny ses perfections ne seroient point.

De là vient, ny qu’on ne dit pas que l’existence soit dans vne chose comme vne perfection, ny si vne chose manque d’existence, on ne dit pas tant qu’elle est imparfaite, ou qu’elle est priuée de quelque perfection, que l’on dit qu’elle est nulle, ou qu’elle n’est point du tout.

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C’est pourquoy, comme en nombrant les perfections du triangle vous n’y comprenez pas l’existence, et ne concluez pas aussi que le triangle existe : de mesme en faisant le denombrement des perfections de Dieu, voue n’auez pas deu y comprendre l’existence, pour conclure de là que Dieu existe, si vous ne vouliez prendre pour vne chose prouuée ce qui est en dispute, et faire de la question vn principe.

Vous dites que dans toutes les autres choses l’existence est distinguée de l’essence, excepté en Dieu. Mais comment, ie vous prie, l’existence et l’essence de Platon sont-elles distinguées entr’elles, si ce n’est peut-estre par la pensée ? Car suposé que Platon n’existe plus, que deuiendra son essence ? et pareillement en Dieu l’essence et l’existence ne sont-elles pas distinguées par sa pensée ?

Vous vous faites en suite cette objection. Peut-estre que comme de cela seul que ie conçoy vne montagne auec vne valée, ou vn cheual aislé, il ne s’ensuit pas qu’il y ait au monde aucune montagne, ny aucun cheual qui ait des aisles : ainsi de ce que ie conçoy Dieu comme existant, il ne s’ensuit pas qu’il existe : et là-dessus vous dites qu’il y a vn sophisme caché sous l’aparence de cette objection. Mais il ne vous a pas esté fort difficile de soudre vn sophisme que vous vous estes feint vous-mesme, principalement vous estant seruy d’vne si manifeste contradiction, à sçauoir, que Dieu existant n’existe pas, et ne prenant pas de la mesme façon, c’est à dire Camusat – Le Petit, p. 501
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comme existant, le cheual, ou la montagne.

Mais, si comme vous auez enfermé dans vostre comparaison la montagne auec sa valée, et le cheual auec ses aisles ; de mesme vous eussiez pris Dieu auec sa science, sa puissance, ou ses autres attributs, pour lors la difficulté eust esté toute entiere, et fort bien établie : et c’eust esté à vous à nous expliquer comment il se peut faire, que nous puissions conceuoir vne montagne rampante, ou vn cheual aislé, sans penser qu’ils existent ; et cependant qu’il soit impossible de conceuoir vn Dieu tout-connoissant, et tout-puissant, si nous ne le conceuons en mesme-temps existant.

Vous dites qu’il ne nous est pas libre de conceuoir vn Dieu sans existence, c’est à dire, vn estre souuerainement parfait sans vne souueraine perfection, comme il nous est libre d’imaginer vn cheual sans aisles, ou auec des aisles. Mais il n’y a rien à adjoûter à cela, sinon que comme il nous est libre de conceuoir vn cheual qui a des aisles, sans penser à l’existence, laquelle si elle luy arriue, ce sera selon vous vne perfection en luy ; ainsi il nous est libre de conceuoir vn Dieu ayant en soy la science, la puissance, et toutes les autres perfections, sans penser à l’existence, laquelle si elle luy arriue, sa perfection pour lors sera consommée, et du tout accomplie. C’est pourquoy, comme de ce que ie conçoy vn cheual qui a la perfection d’auoir des aisles, on n’infere pas pour cela qu’il a celle de l’existence, laquelle selon vous est la principale de toutes ; de Camusat – Le Petit, p. 502
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mesme aussi de ce que ie conçoy vn Dieu qui possede la science, et toutes les autres perfections, on ne peut pas conclure pour cela qu’il existe ; mais son existence a encore besoin d’estre prouuée.

Et encore que vous disiez que dans l’jdée d’vn estre souuerainement parfait, l’existence, et toutes les autres perfections y sont comprises, vous auancez sans preuue ce qui est en question, et vous prenez la conclusion pour vn principe. Car autrement ie dirois aussi que dans l’jdée d’vn Pegase parfait, la perfection d’auoir des aisles n’est pas seulement contenuë, mais celle aussi de l’existence. Car comme Dieu est conceu parfait en tout genre de perfection, de mesme vn Pegase est conceu parfait en son genre, et il ne semble pas que l’on puisse icy rien repliquer, que, la mesme proportion estant gardée, on ne puisse vsurper de part et d’autre.

Vous dites, de mesme qu’en conceuant vn triangle, il n’est pas necessaire de penser qu’il a ses trois angles égaux à deux droits, quoy que cela n’en soit pas moins veritable, comme il paroist par aprés à toute personne qui l’examine auec soin ; ainsi on peut bien conceuoir les autres perfections de Dieu, sans penser à l’existence, mais il n’est pas pour cela moins vray qu’il la possede, comme on est obligé d’auoüer, lors qu’on vient à reconnoistre qu’elle est vne perfection. Toutesfois vous iugez bien ce que l’on peut répondre ; c’est à sçauoir, que comme on reconnoist par aprés que cette proprieté se retrouue dans le triangle, parce qu’on le prouue par vne bonne demonstration ; Camusat – Le Petit, p. 503
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ainsi pour reconnoistre que l’existence est necessairement en Dieu, il le faut aussi demonstrer par de bonnes et solides raisons : car autrement il n’y a chose aucune qu’on ne puisse dire, ou pretendre, estre de l’essence de quelqu’autre chose que ce soit.

Vous dites, que lors que vous attribuez à Dieu toutes sortes de perfections, vous ne faites pas de mesme, que si vous pensiez que toutes les figures de quatre costez peussent estre inscrites dans le cercle : dautant que comme vous vous trompez en cecy, parce que vous reconnoissez par aprés que le Rhombe n’y peut estre inscrit ; vous ne vous trompez pas de mesme en l’autre, parce que par aprés vous venez à reconnoistre que l’existence conuient effectiuement à Dieu. Mais certes il semble que vous fassiez de mesme, ou si vous ne le faites pas, il est necessaire que vous montriez que l’existence ne repugne point à la nature de Dieu, comme on montre qu’il repugne que le Rhombe puisse estre inscrit dedans le cercle. Ie passe sous silence plusieurs autres choses, lesquelles auroient besoin, ou d’vne ample explication, ou d’vne preuue plus conuaincante, ou mesme qui se détruisent par ce qui a esté dit auparauant ; Par exemple, qu’on ne sçauroit conceuoir autre chose que Dieu seul, à l’essence de laquelle l’existence apartienne auec necessité ; puis aussi qu’il n’est pas possible de conceuoir deux ou plusieurs dieux de mesme façon ; et posé que maintenant il y en ait vn qui existe, il est necessaire qu’il ait esté auparauant de toute eternité, et qu’il soit eternellement à l’auenir ; et que vous conceuez vne infinité d’autres choses en Dieu, dont vous ne pouuez rien diminuer Camusat – Le Petit, p. 504
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ny changer ; et enfin que ces choses doiuent estre considerées de prez, et tres-soigneusement examinées pour les aperceuoir, et en connoistre la verité, etc.

3. En fin vous dites que la certitude et verité de toute science dépend si absolument de la connoissance du vray Dieu, que sans elle il est impossible d’auoir iamais aucune certitude, ou verité dans les sciences. Vous en aportez cét exemple, lors que ie considere, dites-vous, la nature du triangle, ie connois euidemment, moy qui suis vn peu versé dans la Geometrie, que ses trois angles sont égaux à deux droits, et il ne m’est pas possible de ne le point croire pendant que i’aplique ma pensée à sa demonstration ; mais aussi-tost que ie l’en détourne, encore que ie me ressouuienne de l’auoir clairement comprise, toutesfois il se peut faire aisément que ie doute de sa verité, si i’ignore qu’il y ait vn Dieu : car ie puis me persuader d’auoir esté fait tel par la nature, que ie me puisse aisément tromper, mesme dans les choses que ie pense comprendre auec le plus d’euidence et de certitude : veu principalement que ie me ressouuiens d’auoir souuent estimé beaucoup de choses pour vrayes et certaines, lesquelles par aprés d’autres raisons m’ont porté à iuger absolument fausses. Mais aprés que i’ay reconnu qu’il y a vn Dieu, pource qu’en mesme temps i’ay reconnu aussi que toutes choses dependent de luy, et qu’il n’est point trompeur, et qu’en suite de cela i’ay iugé que tout ce que ie conçoy clairement et distinctement ne peut manquer d’estre vray : encore que ie ne pense plus aux raisons pour lesquelles i’auray iugé vne chose estre veritable, pourueu que ie me ressouuienne de l’auoir clairement et distinctement comprise, on ne me peut aporter Camusat – Le Petit, p. 505
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aucune raison contraire, qui me la fasse iamais reuoquer en doute, et ainsi i’en ay vne vraye et certaine science ; Et cette mesme science s’estend aussi à toutes les autres choses que me ressouuiens d’auoir autresfois demontrées, comme aux verités de la Geometrie, et autres semblables.

A cela, Monsieur, voyant que vous parlez si serieusement, et croyant aussi que vous le dites tout de bon, ie ne voy pas que i’aye autre chose à dire, sinon qu’il sera difficile que vous trouuiez personne qui se persuade que vous ayez esté autrefois moins assuré de la verité des demonstrations Geometriques, que vous l’estes à present que vous auez acquis la connoissance d’vn Dieu. Car en effect ces demonstrations sont d’vne telle euidence, et certitude, que sans attendre nostre deliberation elles nous arrachent d’elles-mesmes le consentement, et lors qu’elles sont vne fois comprises elles ne permettent pas à nostre esprit de demeurer dauantage en suspens touchant la creance qu’il en doit auoir ; de façon que i’estime que vous auez autant de raison de ne pas craindre en cecy les ruses de ce mauuais genie qui tasche incessamment de vous surprendre, que lors que vous auez soûtenu si affirmatiuement, qu’il estoit impossible que vous peussiez vous méprendre touchant cét antecedent et sa consequence, ie pense : donc ie suis ; quoy que pour lors vous ne fussiez pas encore assuré de l’existence d’vn Dieu. Et mesme encore qu’il soit tres-vray, (comme en effect il n’y a rien de plus veritable) que Dieu existe ; qu’il est l’auteur de toutes Camusat – Le Petit, p. 506
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choses, et qu’il n’est point trompeur : toutesfois, parce que cela ne semble pas estre si euident, que le sont les demonstrations de Geometrie, (dequoy il ne faut point d’autre preuue sinon qu’il y en a plusieurs qui mettent en question l’existence de Dieu, la creation du monde, et quantité d’autres choses qui se disent de Dieu, et que pas vn ne reuoque en doute les demonstrations de Geometrie :) qui sera celuy qui se poura laisser persuader que celles-cy empruntent leur euidence et leur certitude des autres ? Et qui poura croire que Diagore, Theodore, et tous les autres semblables Athéess, ne puissent estre rendus certains de la verité de ces sortes de demonstrations ? Et enfin où trouuerez-vous personne, qui estant interrogé sur la certitude qu’il a, qu’en tout triangle rectangle le quarré de la baze est égal aux quarrez des costez, réponde qu’il en est assuré parce qu’il sçait que Dieu existe, Dieu qui ne peut estre trompeur, et qui est luy-mesme l’auteur de cette verité, et de toutes les choses qui sont au monde : mais plutost, où est celuy qui ne répondra qu’il en est assuré, parce qu’il sçait cela certainement, et qu’il en est fortement persuadé par vne tres-infaillible demonstration ? Combien à plus forte raison est-il à présumer que Pythagore, Platon, Archymede, Euclide, et tous les autres anciens Mathematiciens feroient la mesme réponse, n’y en ayant ce semble pas vn d’entr’eux, qui ait eu aucune pensée de Dieu pour l’assurers’assurer de la verité de telles démonstrations ; Camusat – Le Petit, p. 507
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Toutesfois parce que peut-estre ne répondrez-vous pas des autres, mais seulement de vous-mesme, et que d’ailleurs c’est vne chose loüable et pieuse, il n’y a pas lieu d’insister sur cela dauantage.